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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1546/2004

ATA/117/2005 du 08.03.2005 ( FIN ) , ADMIS

Descripteurs : TAXATION; IMPOT; CALCUL; VENTE; CALCUL DE L'IMPOT; PROVISION; DROIT FISCAL; RESERVE
Normes : RALCP.9A; ALCP.89 al.5
Résumé : Vente d'un établissement. Perception d'un impôt spécial sur les produits de dissolution des réserves et provisions d'amortissement confirmée.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1546/2004-FIN ATA/117/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 8 mars 2005

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

et

Monsieur G._______
représenté par Bureau Fiduciaire Pierre Terrier SARL


 


 

1. Monsieur G______, né en 1943, a vendu le 1er septembre 2000 le restaurant à l’enseigne « C ___ », qu’il détenait en raison individuelle depuis 12 ans, pour le prix de CHF 277'000.-.

 

2. Le 21 décembre 2001, M. G______ a indiqué dans sa déclaration pour l’impôt spécial sur les bénéfices d’aliénation, de remise ou de liquidation de certaines entreprises un bénéfice imposable de CHF 172'710,28, représentant le prix de vente (soit CHF 277'000.-) sous déduction du « mobilier-matériel » (par CHF 60'955,72) et de la « clientèle » (CHF 43'334.-), selon le compte de liquidation du 24 avril 2001.

 

3. Le 18 octobre 2002, l’administration fiscale cantonale (ci-après : la recourante ou l’AFC) a notifié au contribuable un bordereau d’impôts spécial sur les produits de dissolution des réserves et provisions.

 

L’impôt a été calculé sur la base d’un revenu imposable de CHF 152'048.-, correspondant au bénéfice annoncé minoré de la déduction personnelle pour personne mariée (par CHF 20'662.-). L’AFC a retenu un taux d’imposition de 25,30 % pour aboutir à un impôt de CHF 38'465,95.

 

4. Le 14 novembre 2002, M. G______ a formulé une réclamation contre ce bordereau. Il contestait le taux d’imposition retenu, qui devait être selon lui fixé à 6 %, selon l’article 90 alinéa 1 lettre g de l’ancienne loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (aLCP - D 3 05). Le contribuable contestait en effet qu’il y ait eu dissolution de réserves latentes, indiquant que les amortissements pratiqués pendant les 12 années d’exploitation avaient été effectués en fonction de taux moyens conformément à la loi, au demeurant admis par l’AFC. Selon lui, c’est un impôt spécial sur les bénéfices d’aliénation qui était dû, et non un impôt spécial sur les produits de dissolution des réserves et provisions.

L’AFC a rejeté la réclamation de M. G______ par décision du 8 avril 2003. Selon elle, le produit de la dissolution de réserve d’amortissements a été imposé en vertu de l’article 89 alinéa 5 aLCP, qui renvoyait à l’article 9A de l’ancien règlement d'application de diverses dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 30 décembre 1958 (aRLCP - D 3 05.04 ; ci-après : l’ancien règlement). Cette réserve avait été constituée antérieurement, par le biais d’amortissements sur les postes « mobilier-matériel » et « clientèle », rendant la valeur comptable nettement inférieure à la valeur vénale, à charge du compte de résultat, diminuant d’autant le bénéfice soumis à l’impôt ordinaire sur le revenu.

 

5. M. G______ a interjeté recours contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission), en reprenant l’argumentation présentée dans le cadre de sa réclamation.

L’AFC s’est opposée au recours, en faisant valoir que selon la jurisprudence de la commission, une réserve latente était constituée de fait, même lorsque les biens en question avaient fait l’objet d’amortissements réguliers de 10 % durant plusieurs années, du moment que l’on pouvait constater lors de la remise ou de la liquidation que ces biens avaient conservé une importante valeur marchande excédant largement la valeur comptable. Dans le cas d’espèce, la totalité du bénéfice correspondait donc à des amortissements récupérés et devait être soumis à l’impôt annuel sur les produits de dissolution selon le barème applicable aux personnes mariées, et ce en application des articles 89 alinéa 5 aLCP et 9A de l’ancien règlement.

 

6. Le 21 juin 2004, la commission a admis le recours de M. G______ en renvoyant le dossier à l’AFC pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

Ce faisant, la commission modifiait sa jurisprudence précédente, en ce sens que le produit de réserves latentes constituées par des amortissements réguliers ne devait plus être soumis à l’impôt sur le revenu en vertu des articles 89 alinéa 5 aLCP et 9A aRLCP. Le texte clair de ces dispositions ne pouvait que viser le produit de la dissolution de réserves et de provisions, en particulier les provisions sur stocks et travaux en cours, mais non la dissolution de réserves latentes sur des biens d’équipement consécutifs à des amortissements trop élevés, ni à la dissolution de réserves latentes sur le poste clientèle. Se référant aux travaux législatifs, la commission a jugé que cette nouvelle interprétation claire de la loi s’imposait désormais.

 

7. Par acte daté du 22 juillet 2004, l’AFC a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision précitée en reprenant l’argumentation développée dans sa décision sur réclamation. Pour le surplus, les conditions régissant un revirement de jurisprudence n’étaient pas remplies, d’autant moins que cette nouvelle jurisprudence ne s’appliquerait qu’à quelques cas encore en suspens, en raison de la modification législative intervenue le 1er janvier 2001.

 

Le 16 août 2004, la commission a déclaré persister dans les considérants et le dispositif de sa décision.

Invité à se prononcer sur le recours, M. G______ a informé le tribunal le 8 septembre 2004 de ce qu’il n’acceptait toujours pas la décision de l’AFC, ni les motifs avancés par cette dernière. Il conclut dès lors au rejet du recours.

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 – LOJ – E 2 05 ; art. 53 al. 1 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 – LPFisc – D 3 17).

 

2. a. Les faits litigieux se sont déroulés avant l’entrée en vigueur le 1er janvier 2001 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 22 septembre 2000 (LIPP-I – D 3 11).

 

b. En vertu du principe de non-rétroactivité des lois, le nouveau droit ne s’applique aux faits antérieurs à son entrée en vigueur qu’à des conditions restrictives, lorsque la rétroactivité prévue par la loi, est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (P. MOOR, Droit administratif, Vol. I, Berne 1988, p. 144 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p. 116).

 

c. En l’espèce, la LIPP-I ne prévoit aucun effet rétroactif, si bien que le présent litige doit être tranché au regard des dispositions applicables au moment des faits, comme les parties en conviennent.

 

3. a. Le seul objet du litige consiste à déterminer si les articles 89 alinéa 5 aLCP et 9A aRLCP s’appliquent au bénéfice résultant de la différence entre le prix de vente du restaurant et sa valeur comptable. En d’autres termes, il convient de déterminer si cette différence correspond à une dissolution de réserves latentes et si le produit de cette dissolution doit être soumis à l’impôt sur le revenu au moment de la remise du restaurant du contribuable (à savoir l’impôt spécial sur les produits de dissolution) ou si, comme le retient la décision entreprise, ce montant doit être soumis à l’impôt sur le bénéfice net, selon l’article 89 alinéa 1 aLCP.

 

b. Selon l’article 89 alinéa 5 aLCP, dans sa teneur au moment des faits, « le produit de la dissolution de réserves ou de provisions et le bénéfice résultant de la réalisation d’actifs immobiliers n’entrent pas dans le calcul du bénéfice net imposable visé à l’alinéa 1 ; ils sont soumis séparément à l’impôt annuel sur le revenu, sans égard au domicile du contribuable ou à une cessation éventuelle de son activité lucrative et sans limitation dans le temps, à l’exception du bénéfice résultant de la réalisation de l’immeuble affecté à l’exploitation de l’entreprise qui est soumis à l’impôt spécial sur certains bénéfices et gains immobiliers ».

 

Selon l’article 9A de l’ancien règlement, « le produit de la dissolution de réserves sur marchandises et travaux en cours, ou autres provisions n’ayant pas acquitté l’impôt sur le revenu, en cas d’aliénation, de remise ou de liquidation d’une entreprise exploitée soit par une personne physique soit par des sociétés visées à l’article 8 LCP, est soumis, sans limitation dans le temps, qu’il y ait cessation ou non de l’activité lucrative, à un impôt annuel sur le revenu, selon les taux des articles 32 à 32B LCP ».

 

c. Le texte des articles 89 alinéa 5 aLCP et 9A aRLCP n’est pas clair au point de ne justifier que la seule – et nouvelle – interprétation que lui donne l’intimée. La recourante souligne à juste titre que le texte « clair » des dispositions en cause a d’ailleurs été interprété de manière diamétralement opposée dans une décision antérieure de la commission (DCCR 65/1999 du 24 juin 1999 en la cause F.).

 

d. La décision entreprise précise à juste titre que l’adoption de l’article 89 alinéa 5 aLCP avait essentiellement pour but de récupérer l’impôt sur le revenu, impôt qui n’aurait pas été prélevé sur les bénéfices non distribués parce qu’affectés à la constitution de provisions ou de réserves, au moment où celles-ci seraient dissoutes, et sans égard à la durée de l’exploitation, ni à une éventuelle cessation d’assujettissement (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève, 1980/I, pp. 973 s). La recourante partage ce point de vue. L’AFC reproche toutefois à la décision contestée de ne pas avoir admis que des amortissements trop importants, effectués années après années à charge du compte de résultat et qui émergent subitement au moment de la vente des actifs, constituent bel et bien des réserves latentes qui sont dissoutes au moment de la vente.

 

En définitive, le litige achoppe donc sur le fait de savoir si le bénéfice résultant de la différence entre la valeur vénale et la valeur comptable peut être considéré, au sens des dispositions précitées, comme une dissolution de réserves ou de provisions, quand bien même l’amortissement régulièrement porté aux comptes a toujours été admis par l’administration fiscale.

 

4. a. Les amortissements sont des déductions admises pour tenir compte de l’usure des actifs commerciaux utilisés pour l’activité indépendante du contribuable durant la période de calcul. L’amortissement représente la constatation comptable de la moins-value subie par un actif commercial durant l’exercice (X. OBERSON, Droit fiscal suisse, Bâle 2002, p. 136 s ; voir aussi W. RYSER/B. ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, Berne 2002, p. 225 s).

 

Pour leur part, les provisions sont des déductions portées à la charge du compte de résultat pour tenir compte de dépenses ou de pertes dont le montant exact ou l’ampleur n’est pas encore établi de façon certaine. Contrairement à l’amortissement qui constate, de façon définitive, la diminution de valeur d’un actif, la provision a un caractère provisoire (X. OBERSON, op. cit., p. 139).

 

Quant aux réserves latentes, elles peuvent résulter du fait que la valeur réelle d’un actif, ou celle d’un passif, dépasse, respectivement est inférieure, à celle de sa valeur comptable. (id., p. 57).

 

b. En l’espèce, la remise du restaurant du contribuable à hauteur de CHF 277'000.-, alors que la valeur comptable s’élevait à CHF 104'290.-, a indubitablement fait apparaître des réserves au sens de l’article 89 alinéa 5 aLCP et de l’article 9A aRLCP. A ce moment-là, le restaurant a en effet conservé une importante valeur marchande excédant très largement la valeur comptable. En l’occurrence, la valeur vénale est en effet environ 2,6 fois supérieure à la valeur comptable. Au moment de la remise, il faut admettre que ces réserves ont été dissoutes et tombent sous le coup des dispositions précitées.

 

c. Que ces réserves latentes découlent d’amortissements trop importants, même admis par l’administration fiscale, n’y change rien. En effet, les taux usuellement retenus par l’AFC sont nécessairement schématiques, et ne peuvent correspondre exactement à la réalité économique. S’il s’avère que l’amortissement opéré est trop important, et que la valeur comptable est donc, année après année, inférieure à la valeur économique du bien considéré, la différence entre les deux valeurs échapperait complètement à l’impôt sur le revenu – à laquelle elle serait soumise si les amortissements opérés avaient pu correspondre à la réalité économique.

 

Or, la volonté claire du législateur, telle qu’elle ressort notamment des travaux parlementaires précités, était bien de soumettre ce montant à l’impôt sur le revenu, indépendamment du fait de savoir si les amortissements opérés ont été admis par l’AFC.

 

5. Ainsi, dès lors que la vente du restaurant « C.____ » a entraîné la dissolution d’importantes réserves latentes, la volonté du législateur était de soumettre le montant de ces réserves dissoutes lors de l’aliénation à l’impôt sur le revenu, selon les articles 89 alinéa 5 aLCP et 9A aRLCP.

 

Vu ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres griefs de la recourante.

 

6. Le recours sera ainsi admis, la décision entreprise annulée et la décision de l'AFC du 8 avril 2003 confirmée.

 

Un émolument de procédure de CHF 500.- sera mis à la charge de M. G______, qui succombe.

 

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 juillet 2004 par l’administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 21 juin 2004 ;

au fond :

l’admet ;

 

annule la décision n° 87/2004 de la commission cantonale de recours en matière d’impôts du 21 juin 2004 ;

 

confirme en conséquence la décision sur réclamation rendue le 8 avril 2003 par l’administration fiscale cantonale à l’encontre de Monsieur G______ ;

 

met à la charge de Monsieur G______ un émolument de CHF 500.- ;

 

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à la commission cantonale de recours en matière d’impôts et au Bureau Fiduciaire Pierre Terrier SARL, mandataire de Monsieur G______.

 

Siégeants : M. Paychère, président, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges et M. Grant, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :