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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1579/2020

ATA/1022/2020 du 13.10.2020 ( FPUBL ) , ADMIS

Recours TF déposé le 18.11.2020, rendu le 17.05.2021, RETIRE, 8C_714/2020
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1579/2020-FPUBL ATA/1022/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 octobre 2020

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



EN FAIT

1) Par arrêt du 25 février 2020, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a admis le recours formé par Madame A______ contre la résiliation de ses rapports de service du 20 juin 2019 pour le 30 septembre 2019, annulé cette décision et ordonné la réintégration de la précitée.

L'existence d'un motif fondé de résiliation n'était pas établie, de sorte que la décision de résiliation des rapports de service devait être annulée. En application de l'art. 31 al. 2 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et en tenant compte de toutes les circonstances du cas d'espèce, il convenait d'ordonner la réintégration de l'intéressée dans sa fonction d'assistante sociale.

2) Par décision du 30 avril 2020, la Conseillère d'État en charge du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a rejeté la demande de Mme A______ d'obtenir le paiement de son salaire depuis le mois d'octobre 2019 jusqu'à la date de notification de l'arrêt, à savoir le 2 mars 2020.

Le droit au traitement de l'intéressée, qui réalisait en septembre 2019 en tant qu'assistante sociale à 85 % un salaire de CHF 6'606.35 brut, avait pris fin avec la résiliation des rapports de service et repris naissance au moment de la notification de l'arrêt annulant la résiliation. La réintégration ne déployait pas d'effets ex tunc.

3) Par acte expédié le 2 juin 2020 à la chambre administrative, Mme A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l'annulation. Elle a conclu au versement de son salaire du 1er octobre 2019 au 25 février 2020, avec intérêts de 5 % dès le 25 février 2020, et sans intérêts à compter du 25 février 2020.

4) Le DIP a conclu au rejet du recours.

Il a relevé les difficultés de réintégrer la recourante dans son activité d'assistante sociale auprès d'un cycle d'orientation (ci-après : CO). En raison de la crise sanitaire, la reprise avait été différée. Lors d'un entretien du 12 juin 2020, les conditions de la réintégration, qui impliquait qu'elle exerce son activité dans un autre CO que celui auquel elle avait été précédemment affectée, lui avaient été exposées. La recourante avait cependant refusé de changer de CO. Elle ne s'était pas présentée à la date de la reprise convenue, le 22 juin 2020, et avait remis le 26 juin 2020 un certificat médical attestant de son incapacité de travail du 22 au 26 juin 2020. Invitée à se présenter le 29 juin 2020 au CO B______, la recourante s'était présentée le 29 juin 2020 au CO C______. Constatant son absence le 29 juin 2020 sur son lieu de travail, elle avait été invitée à remettre son éventuel certificat médical pour cette dernière date, et il lui avait été rappelé que sa nouvelle affectation était au CO B______ où elle était attendue le 17 août 2020.

Pour le surplus, le DIP a repris les arguments déjà avancés.

5) Par courrier du 10 juillet 2020, le DIP a confirmé à Mme A______ son affectation au CO B______, en sa qualité d'assistante sociale, dans la même classe salariale que précédemment, mais avec l'annuité 12 en lieu et place de l'annuité 10.

6) Dans sa réplique, la recourante a persisté dans ses conclusions.

7) Le 14 septembre 2020, elle a formé recours auprès de la chambre administrative contre la « décision » d'affectation. Cette procédure est pendante.

8) Lors de l'audience, qui s'est tenue dans la présente procédure le 25 septembre 2020 devant la chambre de céans, Mme A______ a indiqué qu'elle avait reçu son salaire du mois de mars le 1er avril 2020 et l'avait depuis lors régulièrement perçu. Son recours était ainsi devenu sans objet en ce qui concernait le versement du salaire postérieurement au 29 février 2020.

Depuis la réception de l'arrêt de la chambre administrative, elle éprouvait beaucoup de stress et d'angoisse. Elle était toujours en arrêt de travail ; la perte d'une amie chère et de sa maman adoptive l'avaient conduite à consulter en urgence un service psychiatrique récemment. Elle avait également repris le suivi psychiatrique qu'elle avait eu en 2019.

La représentante du DIP a relevé que malgré les demandes répétées de celui-ci, Mme A______ n'avait produit aucun certificat médical. Celle-ci ne s'était pas présentée le 17 août 2020 sur son lieu de travail ni par la suite. Elle avait sollicité du médecin-conseil de l'État un certificat médical. Toutefois, il n'appartenait pas à ce dernier d'établir de tels documents. Le DIP avait rendu Mme A______ attentive au fait que les jours d'absence allaient être décomptés sur ses jours de vacances. L'intéressée avait été invitée à un entretien de service, prévu le 5 octobre 2020.

Mme A______ a encore déclaré qu'après le licenciement, ses difficultés financières s'étaient aggravées. Elle n'avait pas recouru à l'aide de l'assurance-chômage et vécu de ses économies et de l'aide d'amis. Elle avait cherché du travail. Son affectation n'avait pas été précédée de discussions. Son nouveau lieu de travail ne lui était pas connu ; elle n'y avait pas ses repères. Elle avait alors décompensé. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas reprendre son activité précédente. Elle se sentait épuisée, avait envie qu'on la comprenne et de reprendre son activité professionnelle. Elle avait remis le certificat médical du 12 septembre 2020 le jour même à son avocat, pensant « qu'ainsi les choses étaient faites ».

Son conseil a indiqué qu'il avait eu l'intention de produire ce document lors de l'audience. Un certificat médical complémentaire serait produit avant le 5 octobre 2020.

Selon le certificat médical du 12 septembre 2020, établi par la Doctoresse D______ et produit à l'audience, l'état de santé de Mme A______ nécessitait un arrêt de travail à 100 % du 14 septembre au 9 octobre 2020.

À teneur de la convocation à l'entretien de service, produite par le DIP à l'audience, ledit entretien allait porter sur l'absence injustifiée de la recourante depuis le 17 août 2020, susceptible de conduire au prononcé d'une sanction disciplinaire, ainsi que sur l'éventuel blocage du traitement, une fois le solde de vacances épuisé, si la situation d'absence non justifiée devait perdurer.

À l'issue de l'audience, les parties ont été informées que dès réception, au plus tard le 5 octobre 2020, du certificat médical complémentaire, celui-ci serait transmis au DIP et la cause gardée à juger.

9) Le 30 septembre 2020, la recourante a fait parvenir à la chambre de céans un certificat médical de la Dresse D______ du 25 septembre 2020 attestant d'une incapacité de travail à 100 % et de ce que la sévérité du syndrome dépressif « remont[ait] à quelques mois ».

10) Ce certificat a été transmis à l'employeur et, comme annoncé lors de l'audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur l'existence d'une créance salariale de la recourante entre la période allant du 1er octobre 2019, date à laquelle ses rapports de service ont pris fin à la suite de la résiliation, et le 29 février 2020 ; la période postérieure à cette date n'est plus litigieuse.

a. Le traitement du fonctionnaire est fixé dans les limites des lois et règlements (art. 53 al. 1 du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 - RPAC - B 5 05.01). Le droit au traitement du fonctionnaire de l'État prend naissance le jour de l'entrée en fonction et s'éteint le jour de la cessation des rapports de service (art. 10 al. 1 de la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l'Etat, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 - LTrait - B 5 15 ; art. 53 al. 2 RPAC). Le traitement est payé en treize mensualités égales (art. 10 al. 2 LTrait).

Lorsqu'une décision attaquée par un recours n'a pas été déclarée exécutoire nonobstant recours et le recours ayant, de par la loi, effet suspensif en application de l'art. 66 LPA, la chambre de céans a jugé que le fonctionnaire, dont les rapports de service ont été résiliés, ne cesse pas de faire partie du personnel de son employeur public, avec les conséquences pécuniaires qui en découlent (ATA/92/2013 du 19 février 2013). L'annulation d'une décision de résiliation des rapports de service n'entraîne pas un rétablissement automatique du droit au salaire, l'art. 31 al. 2 et 3 LPAC ne prévoyant pas cette possibilité (ATA/787/2012 du 20 novembre 2012).

La jurisprudence du Tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail retient que, lorsque la réintégration d'un fonctionnaire [international] est prononcée avec effet rétroactif à la date à laquelle il a été illégalement mis fin à son engagement, celui-ci est réputé avoir continué à exécuter son service après cette date dans les mêmes conditions qu'auparavant et a droit, en conséquence, au bénéfice de la rémunération et des divers avantages pécuniaires qu'il aurait perçus si tel avait été le cas. Le fonctionnaire réintégré est en principe en droit de prétendre au rétablissement du statu quo ante, ce qui induit notamment le versement de la rémunération qu'il aurait dû percevoir s'il avait continué à exercer ses fonctions (Tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail, jugement n° 4092 du 28 novembre 2018 consid. 7, cause G. c/ OMS).

Dans un arrêt récent, la chambre de céans, se penchant en particulier sur le droit au traitement durant la phase entre la résiliation des rapports de service et l'entrée en force de l'arrêt ayant ordonné la réintégration d'un fonctionnaire, a retenu que celui-ci avait droit à un traitement (ATA/648/2020 du 7 juillet 2020 consid. 7e).

b. Conformément au principe général de l'obligation de diminuer le dommage, il appartient à toute personne subissant un dommage d'entreprendre toutes les mesures qu'une personne raisonnable adopterait dans la même situation (arrêts du Tribunal fédéral 8C_180/2019 du 17 avril 2020 consid. 4.4 ; 9C_110/2018 du 14 mai 2018 consid. 3.1).

c. Selon l'art. 29 al. 2 de la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI - RS 837.0), en opérant le versement de ses prestations, l'assurance-chômage se subroge à l'assuré dans tous ses droits, y compris le privilège légal, jusqu'à concurrence de l'indemnité journalière versée par elle.

d. En l'espèce, il n'est pas contesté que les rapports de service de la recourante ont duré de son engagement jusqu'à leur résiliation le 30 septembre 2019. La résiliation a été déclarée exécutoire nonobstant recours, et la requête de restitution de l'effet suspensif a été rejetée. Elle a, par conséquent, cessé d'être fonctionnaire à compter du 1er octobre 2019. Par arrêt du 25 février 2020, la chambre de céans a annulé la décision de résiliation et ordonné sa réintégration. La recourante a ainsi été rétablie dans son statut de fonctionnaire de l'État de Genève. Elle était dès lors réputée avoir continué à exercer sa fonction après le 30 septembre 2019 dans les mêmes conditions qu'auparavant et avoir droit, en conséquence, au bénéfice des effets pécuniaires qui en découlaient.

La recourante ne s'est cependant pas présentée sur son lieu de travail le 17 août 2020 et n'a produit un certificat médical attestant d'une incapacité de travail que lors de l'audience du 25 septembre 2020. Ce certificat ne fait état d'une incapacité de travail qu'à compter du 14 septembre 2020. Se pose ainsi la question de savoir si l'intéressée doit se voir refuser son traitement avec effet rétroactif, en raison de son absence non justifiée au moment de sa réintégration.

L'autorité intimée a indiqué qu'elle avait l'intention de décompter les jours d'absences sur les jours de vacances de la recourante, comme l'y autorisait l'art. 28 RPAC, et qu'elle avait convoqué l'intéressée à un entretien de service, qui porterait, entre autres, sur le possible blocage de son traitement. Le DIP n'a ainsi pas remis en question le versement du salaire opéré depuis mars 2020, se réservant uniquement la possibilité future de ne pas verser de salaire si la recourante devait persister dans son refus de travailler sans justification. Dans ces conditions, la question de savoir si l'employeur aurait été fondé à refuser toute prestation financière dès lors que la recourante, à la suite de sa réintégration, ne s'est pas présentée sur son lieu de travail, sans justifier son absence, peut demeurer indécise.

Par ailleurs, il convient encore de relever qu'il n'y a pas lieu d'opérer, comme semble le sous-entendre le DIP, une réduction du droit au traitement de la recourante pour la période litigieuse allant du 1er octobre 2019 au 29 février 2020, du fait qu'elle n'a pas sollicité d'indemnités de chômage. Si, certes, une telle démarche aurait été de nature à soulager la recourante de la pression financière à laquelle elle a indiqué avoir été exposée, le versement des prestations de l'assurance-chômage n'était pas de nature à diminuer les obligations financières du DIP. En effet, le recours aux prestations de ladite assurance aurait uniquement entraîné, à hauteur des versements effectués, une subrogation de celle-ci aux droits de la recourante à l'égard de son employeur (art. 29 al. 2 LACI) ; il n'aurait pas réduit pour autant l'obligation de verser le traitement entre octobre 2019 et février 2020.

Au vu de ce qui précède, l'intéressée peut prétendre au versement rétroactif de son salaire pour la période allant du 1er octobre 2019 au 29 février 2020. Conformément à sa demande, les arriérés de salaire porteront intérêts à 5 % dès le 25 février 2020, date du prononcé de la décision ordonnant la réintégration de la recourante (ATA/648/2020 du 7 juillet 2020 consid. 9 et les références citées).

3) Vu l'issue du recours, il ne sera pas perçu d'émolument, et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 juin 2020 par Madame A______ contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 30 avril 2020 ;

au fond :

l'admet et annule la décision précitée ;

dit que Madame A______ a droit à son traitement du 1er octobre 2019 au 29 février 2020, avec intérêts à 5 % dès le 25 février 2020 ;

condamne, en tant que de besoin, l'État de Genève au paiement des arriérés de traitement ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Madame A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :