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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/33/2022

ACPR/821/2022 du 22.11.2022 ( RECUSE ) , REJETE

Recours TF déposé le 28.11.2022, rendu le 30.12.2022, IRRECEVABLE, 1B_606/2022
Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC
Normes : CP.56.letf

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/33/2022 ACPR/821/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 22 novembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], comparant en personne,

requérante,

 

et

B______, Procureur, Ministère Public, route de Chancy 6B, case postale 3565,
1211 Genève 3,

cité.

 


EN FAIT :

A.           a. Par courriel adressé au Ministère public le 16 mai 2022, dont elle a déposé le même jour une version imprimée et signée, A______ a requis la récusation du Procureur, B______, dans le cadre de la procédure P/9955/2022.

b. Le 31 mai suivant, le précité a fait parvenir la requête, avec sa détermination, à la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et C______ sont les parents de D______, née en 2011. Séparés depuis 2016, ils s'opposent depuis lors dans le cadre de procédures civiles portant sur la garde de l'enfant, qui est représentée par une curatrice.

Par ordonnance sur mesures super-provisionnelles du 12 décembre 2018, le Tribunal de première instance a retiré à A______ la garde de D______, qui a été confiée de manière exclusive à C______ dès cette date.

b.a. Le 8 février 2022, A______ a déposé plainte pénale contre le juge E______, juge à la Cour de justice, pour abus d'autorité, mise en danger du développement et de l'éducation de sa fille, "entrave de justice en erreur", calomnie, atteinte à son honneur et violation de ses droits fondamentaux et constitutionnels à elle et à ceux de sa fille.

La plainte a été enregistrée sous le numéro de procédure P/1______/2022.

b.b. Par ordonnance du 4 avril 2022, B______ a décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte pénale précitée.

Cette décision contient, notamment, le passage suivant :

"S'agissant de l'atteinte à l'honneur que vous reprochiez à E______, lequel vous aurait imputé des troubles qu'aucun médecin n'a diagnostiqués, vous n'indiquiez pas à quels termes de l'arrêt vous vous référiez. On peut toutefois imaginer qu'il s'agissait du point D.c., qui résume le contenu d'une expertise établie par le CURML le 5 novembre 2018, dont il ressort que les experts vous ont imputé un trouble mixte de la personnalité de type narcissique et paranoïaque. Ce n'est donc pas le magistrat visé par votre plainte, mais les experts, dont un médecin, qui vous ont diagnostiqué un trouble. En résumant dans leur arrêt le contenu de l'expertise, les juges se sont conformés à leur mission, si bien qu'une éventuelle atteinte à votre personnalité serait en tout état couverte par la loi (art. 14 CP)."

A______ n'a pas recouru contre cette décision.

c. Parallèlement, le 2 mars 2022, A______ a déposé plainte pénale auprès du Ministère public de la Confédération (ci-après, MPC) contre le juge genevois E______ "et par analogie, contre le Pouvoir judiciaire de Genève", pour les mêmes faits que ceux énoncés dans sa plainte du 8 février 2022.

Dans son chapeau, la plainte mentionne ceci : "Réf. 2______ ET 3______ et ma plainte pénale pour abus d'autorité du pouvoir par le Pouvoir Judiciaire de canton de Genève et Vaud et contre les deux Procureurs qui permettent la violation de la constitution fédérale et la convention internationale de droits humains. La source et le début de l'abus est Monsieur le Juge E______ depuis 2016. [ ]"

d. Le 13 avril 2022, le MPC a transmis cette plainte au Ministère public genevois, estimant que les faits exposés ne relevaient pas de la compétence fédérale mais de celle des autorités cantonales genevoises.

e. Par décision du 6 mai 2022, le Ministère public genevois a repris la procédure, conformément aux art. 31ss CPP, qu'il a enregistrée sous le numéro P/9955/2022.

f. Par lettre du 9 mai 2022, le Procureur a imparti à A______ un délai au 30 mai suivant pour lui communiquer avec précision sur quels éléments, pièces à l'appui, elle se fondait pour faire état des graves soupçons élevés à l'encontre du juge E______ dans sa nouvelle plainte, attirant son attention sur le fait que si le Ministère public devait acquérir la conviction que ses propos relevaient de la dénonciation calomnieuse, il serait tenu de la poursuivre de ce chef.

C. a. Dans sa demande de récusation, A______ soutient qu'en sa qualité de Procureur, B______ devait respecter les règles de la procédure pénale. Or, il ne lui avait pas demandé si elle était d'accord avec l'acceptation de for, alors qu'il était – et par analogie le Ministère public avec lui – la cause principale de ses plaintes. Par ailleurs, malgré les lettres du MPC, il refusait d'instruire correctement la cause. De plus, en tant qu'il lui disait qu'il serait tenu de la poursuivre "de ce chef", sa lettre était menaçante, visant à l'intimider afin qu'elle arrête de demander une instruction. Certains termes de l'ordonnance de non-entrée en matière dans la procédure P/1______/2022 étaient insultants à son égard (à elle). Il ne pouvait pas instruire une plainte dans laquelle il était lui-même directement "la cause", puisqu'elle se plaignait d'abus d'autorité le concernant.

Il fallait donc que B______ se récuse, puisqu'elle se plaignait de lui; que le Ministère public rende une ordonnance de fixation de for qu'elle puisse contester ; que toutes les procédures la concernant soient concentrées auprès d'un seul procureur ; que les règles de la procédure soient respectées ; et qu'une vraie instruction soit menée par un procureur indépendant selon l'art. 6 CEDH.

b. B______ conclut au rejet de la demande, aucune cause de récusation n'étant réalisée.

Contrairement à ce qu'affirmait A______, sa plainte du 2 mars 2022 n'était pas dirigée contre lui, mais contre le juge E______ exclusivement. Le fait que sous la rubrique "concerne" de la plainte, elle mentionnât une plainte "contre les deux Procureurs", ce par quoi il fallait comprendre le procureur vaudois et lui-même, n'y changeait rien, puisqu'il s'agissait d'une autre procédure, référencée sous P/4______/2022. Était de même sans pertinence la mention selon laquelle la plainte était formée "par analogie contre le Pouvoir judiciaire de Genève", formule qui ne saurait à elle seule faire de tout magistrat genevois un prévenu, et, de ce seul fait, récusable.

Lorsqu'il avait, dans sa lettre du 9 mai 2022, attiré l'attention de A______ sur le fait que le Ministère public pourrait, le cas échéant, la poursuivre pour dénonciation calomnieuse, il n'avait proféré aucune menace particulière, mais appliqué le principe de l'art. 181 al. 2 CPP applicable aux personnes appelées à donner des renseignements, qualité que revêtait la plaignante. Elle ne pouvait dès lors lui faire grief d'avoir procédé à cet avertissement.

Enfin, dans le passage litigieux de l'ordonnance de non-entrée en matière dans la procédure P/1______/2022, il s'était borné à se référer au texte de l'arrêt rendu le 28 janvier 2022 par la Chambre civile de la Cour de justice dans la procédure C/5______/2016. Le fait de citer correctement un arrêt ne saurait constituer une manifestation d'hostilité.

c. Dans sa réplique, A______ relève que B______ concentrait ses écritures sur la dernière plainte qu'elle avait déposée au MPC concernant le juge E______, alors que depuis le 19 juin 2020 elle écrivait au MPC que le Ministère public de Genève et son Procureur refusaient d'instruire. Par suite de ce comportement et le refus catégorique de B______ de respecter son droit d'être entendue et d'avoir une procédure équitable, elle avait interpellé le MPC pour le dénoncer et dénoncer l'institution pour abus d'autorité. Pour des raisons qu'elle ignorait, B______ n'était pas impartial dans ce dossier, de sorte que la Chambre de céans devait prononcer sa récusation.

D. a. Par ordonnance de fixation de for du 31 mai 2022, le Ministère public a confirmé sa compétence pour connaître de la procédure P/9955/2022.

b. A______ a, le 13 juin 2022, recouru auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral contre cette ordonnance, recours qui a été rejeté par décision du 13 juillet 2022.

c. Invitée par la Chambre de céans à faire part de ses éventuelles observations à la suite de cette dernière décision [dans l'attente de laquelle la Chambre de céans avait sursis à statuer], A______ a répondu que deux plaintes étaient en cours auprès de la Cour des Plaintes du Tribunal pénal fédéral, pour abus d'autorité contre le Pouvoir judiciaire et l'État de Genève. Elle n'avait nullement demandé la récusation de B______ dans la cause P/6______/2021 [dirigée contre elle, par suite de plaintes déposées notamment par C______], car si une personne était capable de mettre de l'ordre dans ce dossier c'était bien lui, ainsi que l'avocat dont elle demandait la nomination d'office pour l'assister. Elle conclut donc à la récusation de la Procureure chargée de la procédure P/6______/2021 et la reprise de cette cause par B______.

EN DROIT :

1.             1.1. La récusation des magistrats et fonctionnaires judiciaires au sein d'une autorité pénale est régie expressément par le CPP (art. 56 et ss. CPP).

La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat du Ministère public.

1.2. Prévenue à la procédure pendante (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), la requérante dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1CPP).

1.3. En tant que le courriel du 16 mai 2022 a été déposé le même jour sous forme d'une copie papier dûment signée, il répond aux réquisits de l'art. 110 al. 1 CPP.

2. 2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c’est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF
140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1 et 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1).

2.2. En l'espèce, la demande de récusation a été déposée immédiatement après que la requérante eut pris connaissance de l'acceptation de for, soit à réception de la lettre du Ministère public genevois du 9 mai 2022, de sorte qu'elle respecte le délai de l'art. 58 CPP.

3. En tant que la requérante demande, dans son dernier courrier, la récusation d'une procureure et la nomination d'un avocat d'office dans une autre procédure (P/6______/2021), ses conclusions excèdent le cadre de la présente procédure, et sont donc irrecevables.

4. 4.1. Un magistrat est récusable, aux termes de l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs que ceux évoqués par l'art. 56 CPP, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid 3.2 p. 74 ; ATF 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_568/2011 du 2 décembre 2011, consid. 2.2, avec références aux ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; 134 I 20 consid. 4.2 p. 21; 131 I 24 consid. 1.1 p. 25; 127 I 196 consid. 2b p. 198).

L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1, p. 609; arrêt de la CourEDH Lindon, par. 76; N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, 2009, n. 14 ad art. 56).

4.2. En l'espèce, la requérante reproche en premier lieu au cité d'avoir accepté la fixation du for à Genève – pour traiter de la plainte qu'elle avait déposée au MPC –, sans lui avoir accordé au préalable la possibilité de s'exprimer. L'éventuelle violation du droit d'être entendu de la requérante, qui aurait au demeurant été réparée par l'ordonnance de fixation de for du 31 août 2022, ne saurait nullement constituer un motif de récusation. En effet, des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas, en soi, une apparence objective de prévention. Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, ce qui n'est pas le cas ici (ATF 125 I 119 consid. 3e ; 116 Ia 35 consid. 3a).

La requérante reproche ensuite au cité de ne pas avoir instruit correctement la procédure P/1______/2022, soit sa première plainte contre le juge E______, mais, à réception de l'ordonnance de non-entrée en matière, elle n'a nullement formé recours contre celle-ci. Or, la récusation ne doit pas être utilisée pour contourner d'autres voies de procédure. La procédure de récusation n'a en effet pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.3 p. 180 ; 138 IV 142 consid. 2.3 p. 146 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_35/2015 du 3 mars 2015 consid. 2).

La requérante reproche en outre au cité d'avoir, dans sa lettre du 9 mai 2022, cherché à l'intimider pour la dissuader de demander une instruction contre le magistrat visé par sa plainte. Or, les termes utilisés par le cité, qui sont un rappel des principes légaux, ne dénotent aucune prévention objective à l'égard de la requérante.

Enfin, le cité n'est pas visé par la procédure P/9955/2022, de sorte qu'il est parfaitement en mesure d'instruire les faits, dont il n'est nullement "la cause".

Partant, aucun motif de récusation à l'égard du cité n'a été rendu vraisemblable.

5. La demande sera donc rejetée.

6. En tant qu'elle succombe, la requérante supportera les frais de la procédure
(art. 59 al. 4 CPP) fixés en totalité à CHF 500.-, y compris un émolument de décision.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande de récusation formée contre B______ dans la procédure P/9955/2022.

Met les frais de la procédure, en CHF 500.-, à la charge de A______.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ et au Procureur général.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/33/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415.00

-

CHF

Total

CHF

500.00