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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/45/2018

ACPR/668/2018 du 14.11.2018 ( PSPECI ) , REJETE

Recours TF déposé le 24.12.2018, rendu le 09.04.2019, REJETE, 1B_564/2018
Descripteurs : RÉCUSATION ; ANALYSTE FINANCIER ; COLLABORATEUR ; DOCUMENT ÉCRIT ; TÉLÉPHONE ; TÉMOIN
Normes : OP.56.letf; CPP.183.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/45/2018ACPR/668/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 14 novembre 2018

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale 5556, 1211 Genève 11,

requérant,

contre

 

B______, analyste financière, Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3, comparant [en personne],

citée.

 


EN FAIT :

A. a. Par lettre du 29 juin 2018, A______, prévenu dans la procédure P/1______/2015, a demandé au Ministère public la récusation de B______, analyste financière.

b. Le Procureur chargé de la procédure a transmis à la Chambre de céans la requête susmentionnée, avec la réponse qu'il y avait apportée, par lettre du 2 juillet 2018, et copie de la "Note de l'analyste" (cf. B.b. infra).

c. B______ a fait parvenir à la Chambre de céans, le 26 juillet 2018, sa détermination, concluant au caractère infondé de la requête.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est prévenu de faux dans les titres (251 CP), escroquerie (146 CP), gestion déloyale aggravée (158 al. 2 CP) ou subsidiairement abus de confiance
(138 CP), vol (139 CP) et utilisation frauduleuse d'un ordinateur (147 CP) dans le cadre de la procédure pénale instruite sous la référence P/1______/2015.

Il lui est reproché d'avoir, dès 2008, agi au préjudice de sociétés du groupe C______, leur causant un important préjudice. Il avait, pour cela, utilisé le canal de trois sociétés, parmi lesquelles D______ SA.

b. Sous la pièce n. C-1'900'151 de la procédure figure une "Note de l'analyste", non datée, signée par B______, analyste financière auprès du Ministère public, ainsi rédigée :

"Téléphone du 25.06.2018 de l'analyste B______ avec la fiduciaire "E______ SA"

But : Savoir si la fiduciaire a transmis au MP l'intégralité de la documentation demandée par ordre de dépôt, car la fiduciaire n'a pas établi de courrier accompagnant les pièces fournies.

Résumé du téléphone avec Monsieur F______. La documentation remise au MP contient un PV d'AG listant les actionnaires de D______ SA. Monsieur F______ confirme ne pas posséder d'autres PV d'AG et indique avoir remis l'intégralité des pièces en sa possession au MP."

C. a. Dans sa requête de récusation, A______ fait part de sa surprise, après avoir appris que B______ avait contacté son comptable, F______, pour lui poser des questions sur l'actionnariat et la comptabilité de D______ SA. Il constatait que, à travers ses analystes financiers, le Ministère public tenait des auditions de témoins par conversations téléphoniques, sans l'en informer ni l'inviter à y assister, ce qui était pourtant son droit découlant des art. 147 et 107 al. 1 let. b et c CPP. L'analyste financière connaissait pourtant certainement les règles procédurales, notamment celle qui commandait que les actes de procédure oraux fassent l'objet d'un procès-verbal (art. 76 al. 1 CPP), notamment les dépositions des témoins (art. 78 al. 1 CPP).

Partant, en ne l'informant pas de l'audition de F______ et en ne lui transmettant pas le procès-verbal d'audition - à supposer qu'il existât - B______ avait volontairement violé ses droits fondamentaux et lui portait un sentiment fort d'inimitié, qui permettait de faire douter de son impartialité. Le procédé employé par l'analyste financière pour obtenir des réponses du comptable était une faute procédurale particulièrement lourde, qui laissait penser que ce n'était pas la première fois qu'une telle méthode était employée dans le cadre de l'instruction de la cause, raison pour laquelle il demandait la récusation immédiate de l'analyste et son retrait, avec effet immédiat, du dossier.

Il a, par ailleurs, requis l'audition de F______.

b. Dans sa réponse à A______, le Procureur a expliqué que le contact entre B______ et la fiduciaire s'était inscrit dans le prolongement d'un ordre de dépôt qui avait été adressé à celle-ci. Le Ministère public avait reçu, de la fiduciaire, des pièces sans lettre de couverture. L'envoi pouvant apparaître incomplet, l'analyste avait cru nécessaire de s'assurer qu'il correspondait bien à l'intégralité des documents en possession de la fiduciaire et il lui avait été répondu que tel était le cas.

c. Dans ses observations, B______ expose ne pas avoir d'animosité à l'endroit du prévenu et estime avoir respecté la loi. À la demande du Procureur, elle avait établi une note, le 2 juillet 2018, en lien avec le téléphone du 25 juin 2018 qu'elle avait eu avec F______, document auquel elle se référait entièrement. Elle n'avait fait que vérifier que l'ordre de dépôt avait été exécuté correctement.

d.i. Dans sa réplique, A______ considère, en substance, que la rédaction de la note n'est intervenue que postérieurement à sa demande d'informations sur l'appel téléphonique et relève un vice procédural. Le Ministère public avait tenté de minimiser la violation commise par l'analyste en la "sommant" de rédiger une note au dossier, "par ailleurs inexacte et mensongère". Cette démarche ne réparait toutefois pas l'atteinte grave à ses droits et laissait plutôt penser que d'autres lourdes erreurs procédurales pouvaient avoir été commises par l'analyste financière, que le Ministère public tentait sans succès de dissimuler ou réparer. La déclaration de l'analyste ne correspondait pas à la réalité, puisque, lors de son audition par le Ministère public, F______ avait déclaré avoir été soumis à plusieurs questions, notamment relatives au compte courant actionnaire. L'appel téléphonique ne consistant pas en une modeste vérification, il était permis de douter de l'impartialité de l'analyste financière.

ii. À teneur du procès-verbal d'audition, le 3 août 2018, de F______, ce dernier a déclaré que lors de sa conversation téléphonique avec une "dame", des questions lui avaient été posées en relation avec le compte courant actionnaire de la société D______ SA. Il lui avait été demandé d'expliquer de quoi il s'agissait et sa constitution. C'était une question générale sur la signification de ce type de compte.

Interrogé par le Ministère public, F______ a expliqué que ce compte signifiait soit que la société devait de l'argent à l'actionnaire ou aux actionnaires, soit que celui-ci ou ceux-ci devaient de l'argent à la société. Il n'avait pas de souvenir que d'autres questions lui auraient été posées lors de la conversation téléphonique. Comme ce contact direct l'avait surpris, il en avait fait état, par transparence, à ses mandants.

e. Sans y être sollicité, le Procureur a fait parvenir à la Chambre de céans, le 28 août 2018, des clarifications sur les circonstances dans lesquelles la note de l'analyste (typographiée) avait été rédigée le 2 juillet 2018, sur la base de notes manuscrites.

f. A______ demande, dans sa duplique, du 12 septembre 2018, que la note manuscrite mentionnée par le Procureur soit communiquée à la Chambre de céans, les explications données par le magistrat ne semblant pas correspondre à la réalité.

EN DROIT :

1.             La récusation des magistrats et fonctionnaires judiciaires au sein d'une autorité pénale est régie expressément par le CPP (art. 56 et ss. CPP). À Genève, lorsque, comme en l'espèce, le Ministère public est concerné, l'autorité compétente pour statuer sur la requête est la Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ).

Les analystes financiers du Ministère public sont sujets à récusation, dès lors qu'ils exercent une fonction au sein d'une autorité pénale, au sens de l'art. 56 CPP (ACPR/358/2018 du 27 juin 2018).

Prévenu à la procédure pendante (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1CPP).

2.             2.1. Selon l'art. 58 al. 1 CPP, la demande de récusation doit être présentée "sans délai", dès que la partie a connaissance du motif de récusation. Celui qui omet de se plaindre immédiatement de la prévention d'un magistrat et laisse le procès se dérouler sans intervenir, agit contrairement à la bonne foi et voit son droit se périmer (ATF 134 I 20 consid. 4.23.1; 132 II 485 consid. 4.3 p. 496 ; 130 III 66 consid. 2
p. 122).

2.2. En l'espèce, on ignore à quelle date le requérant a eu connaissance de l'entretien téléphonique entre son comptable et la citée, qui a motivé sa demande de récusation. Toutefois, la requête ayant été déposée quatre jours après l'entretien téléphonique, elle a été formée immédiatement, au sens de la disposition précitée.

Elle est, partant, recevable.

3.             Les observations du Ministère public, non sollicitées, du 28 août 2018 ne sont pas recevables, et il n'en sera donc pas tenu compte, étant relevé que cette autorité s'était déjà exprimée sur la demande de récusation en transmettant celle-ci, le 4 juillet 2018, au greffe de la Chambre de céans.

4.             Le requérant ne mentionne à aucun moment le motif de récusation invoqué. Dès lors qu'il reproche à la citée son inimitié et impartialité, on en déduit qu'il invoque le motif visé à l'art. 56 let. f CPP.

4.1. À teneur de l'art. 311 al. 1 CPP, les procureurs recueillent eux-mêmes les preuves. Les cantons peuvent toutefois déterminer dans quelle mesure ils peuvent confier des actes d'instruction particuliers à leurs collaborateurs.

À Genève, les collaborateurs scientifiques du ministère public - dont font partie les analystes financiers (art. 8 du Règlement du ministère public [E 2 05.40]) - peuvent procéder à des actes d'instruction (art. 34 al. 1 LaCP), ainsi qu'assister et participer à l'administration des preuves par les magistrats (al. 2).

4.2. L'art. 56 let. f CPP énonce que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser, lorsque d'autres motifs que ceux énoncés à l'art. 56 let. a à e CPP, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, mais également lorsque les circonstances donnent l'apparence de la prévention et font redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération, les impressions purement individuelles d'une des parties au procès n'étant pas décisives (ATF 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144).

4.3. S'agissant plus spécifiquement de la récusation du ministère public - ou, ici, d'un collaborateur scientifique du ministère public -, il y a lieu de distinguer à quel stade de la procédure celle-ci est demandée. En effet, selon l'art. 16 al. 2 CPP, il incombe à cette autorité de conduire la procédure préliminaire et de poursuivre les infractions dans le cadre de l'instruction, d'une part, et de dresser l'acte d'accusation et de soutenir l'accusation, d'autre part. Dans la phase de l'enquête préliminaire et de l'instruction, les principes applicables à la récusation sont ceux qui ont été dégagés à l'égard des juges d'instruction, avant l'introduction du CPP. Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 ss CPP). Durant l'instruction, il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuves et peut rendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle (ATF 124 I 76 consid. 2 p. 77 ; 112 Ia 142 consid. 2b p. 144). Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145 et les références citées).

Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent cependant pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent justifier le soupçon de parti pris (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). L'examen de la conformité aux règles de la conduite de la procédure par le juge est en effet normalement du ressort exclusif des juridictions de recours (ATF 116 Ia 135 consid. 3a p. 138). Le juge de la récusation ne doit donc rechercher que si, par l'acte de procédure litigieux, le magistrat donne l'apparence que l'issue du litige est d'ores et déjà scellée, sans possibilité de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction de l'opinion précédemment exprimée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_425/2017 du 24 octobre 2017 consid. 3.3).

L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire
(arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1, p. 609; arrêt de la CourEDH Lindon, par. 76; N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, 2009, n. 14 ad art. 56).

4.4. En l'espèce, le requérant reproche à la citée d'avoir pris contact téléphoniquement avec son comptable pour lui poser des questions, en violation de son droit, en qualité de prévenu, à l'audition contradictoire des témoins.

Or, selon les dispositions légales susmentionnées, la citée était autorisée à procéder à des actes d'instruction.

Dans sa note litigieuse, à laquelle elle se réfère dans ses observations, elle a expliqué avoir pris contact avec le comptable car, à la suite d'un ordre de dépôt qu'il avait exécuté, l'intéressé n'avait pas spécifié s'il avait remis toutes les pièces en sa possession et elle voulait s'en assurer.

Lors de son audition, le comptable a déclaré que la citée lui avait demandé la signification du compte courant actionnaire de la société D______ SA et posé des questions sur sa constitution.

On ne voit pas, dans la démarche de la citée, une apparence objective de prévention ou d'inimitié à l'égard du prévenu, que la note ait été rédigée le jour de l'appel téléphonique ou quelques jours plus tard, voire qu'elle ait, le cas échéant, omis de préciser qu'elle s'était renseignée sur la signification du compte courant actionnaire. Si le recourant estimait que ses droits de procédure avaient, par ces actes, été violés, il était en mesure de s'en plaindre par la voie du recours. On constate qu'il a, au demeurant, demandé - et obtenu - l'audition du comptable.

On ne décèle ainsi, dans les faits reprochés à la citée, aucun procédé déloyal ni aucune erreur particulièrement lourde - et encore moins répétée -, de nature à violer gravement ses devoirs.

5. La demande de récusation sera donc rejetée.

6. En tant qu'il succombe, le requérant supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), qui comprennent un émolument de CHF 600.-.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la requête.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ (soit pour lui son conseil) et à B______.

Le communique, pour information, au Procureur chargé de la procédure P/1______/2015.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/45/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

600.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

695.00