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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14723/2020

ACPR/294/2021 du 04.05.2021 sur OMP/3320/2021 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 10.06.2021, rendu le 09.12.2021, REJETE, 1B_317/2021
Descripteurs : ASSISTANCE JUDICIAIRE;DECES;PERSONNE PROCHE;ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE;PLAIGNANT;PARTIE CIVILE;RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT;DROIT À LA VIE;INTERDICTION DES TRAITEMENTS INHUMAINS;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT;RÉVISION(LÉGISLATION)
Normes : CPP.136; Cst.29.al3; CEDH.3; CEDH.2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14723/2020 ACPR/294/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 mai 2021

 

Entre

A______, domiciliée ______ [VD], comparant par Me B______, avocat,

recourante,

contre l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendue le 3 mars 2021 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 18 mars 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 mars 2021, expédiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de lui accorder l'assistance judiciaire.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'octroi de l'assistance judiciaire, comprenant notamment la désignation de son conseil en qualité de conseil juridique gratuit, avec effet rétroactif au 22 septembre 2020, subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision "dans le sens des considérants de l'arrêt [de la Chambre de céans] à intervenir".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______, né le ______ 1986, détenu à l'établissement fermé D______, est décédé dans sa cellule le ______ 2020 à 6h32.

b. Selon le rapport de renseignements policiers du 18 août 2020, C______ souffrait de crises psychotiques depuis de nombreuses années. Son traitement comprenait l'administration quotidienne de nombreux médicaments.

Dans la nuit du 1______ 2020, le prénommé avait eu une crise dans sa cellule. Vers 3h30, une infirmière et un gardien de nuit lui avaient remis des tranquillisants et avaient contrôlé leur ingestion. Vers 6h, une nouvelle équipe était venue contrôler la cellule car C______ ne répondait plus aux injonctions des gardiens. Le prénommé avait été retrouvé au sol, inconscient, un liquide blanchâtre s'écoulant de la bouche. Dépêchés sur place, les secours lui avaient prodigué un massage cardiaque, en vain.

c. La police a procédé à l'audition de E______, infirmière présente la nuit du 1______ 2020.

En substance, elle a déclaré que cette nuit-là, en raison de l'absence d'un collègue, elle devait s'occuper de deux unités : la 5, dans laquelle elle travaillait habituellement, et la 4, soit celle de C______, pour laquelle elle ne connaissait pas les prises en soins des détenus. À son arrivée à l'unité 4, on lui avait donné les consignes pour la nuit, qu'elle avait notées sur un papier. Au sujet de C______, l'équipe lui avait dit qu'il était sujet à des crises d'agitation depuis plusieurs semaines. Elle devait aller l'évaluer vers 22h et, en cas de crise, lui administrer sa réserve habituelle de médicaments, deux comprimés au total (10 mg de G______ [clorazépate] et 25 mg de H______ [promazine]), traitement qu'il prenait depuis longtemps. Elle était allée le voir vers 22h30, mais C______ était calme et elle ne lui avait donc pas donné de médicaments. Vers 3h15, elle avait reçu un appel d'un autre détenu, qui l'informait que le prénommé faisait beaucoup de bruit. Avec un gardien, F______, ils s'étaient rendus à sa cellule et avaient constaté que C______ était nu et très agité. Elle avait pris avec elle le traitement de réserve et le lui avait proposé à travers le portillon. Elle était allée chercher du I______ [marque de soda], boisson dont C______ était friand et qu'il avait l'habitude de boire avec son traitement. Le prénommé avait accepté et pris normalement ses cachets, avec deux verres de I______. Le gardien avait refermé le portillon et éteint la lumière de la cellule. Après un certain temps, C______ s'était calmé. Vers 5h45, avec un autre gardien, ils étaient allés voir comment il allait. Ils l'avaient trouvé inconscient à côté de son lit. Une fois entrés dans sa cellule, ils s'étaient rendu compte qu'il ne respirait pas. Elle avait alors actionné le bouton d'alarme. Un gardien avait commencé le massage cardiaque et les secours avaient été appelés.

d. Également entendu par la police, F______ a tenu des propos similaires. Il a précisé que lorsqu'ils s'étaient rendus auprès de la cellule de C______ au milieu de la nuit, celui-ci transpirait beaucoup. Le prénommé était diabétique. Il avait le droit de boire du I______, mais en quantité contrôlée par le personnel médical.

e. La police a aussi entendu les quatre agents de détention ayant participé à la tentative de réanimation de C______ au petit matin. Deux ont déclaré que l'état du prénommé s'était dégradé ces derniers temps, avec des crises plus fréquentes et violentes depuis un mois.

La police a en outre versé au dossier des images de vidéosurveillance du couloir, le journal des ouvertures des cellules et des appels des détenus pour la nuit du 1______ 2020, ainsi qu'un rapport d'incident D______.

f. Le 23 septembre 2020, A______, la mère de C______, a déclaré se porter partie plaignante au civil. Elle chiffrerait ses prétentions ultérieurement. Elle sollicitait l'assistance judiciaire et la désignation d'un conseil juridique gratuit. Le 26 octobre 2020, elle a fait parvenir au Ministère public un formulaire de situation professionnelle accompagné de ses pièces justificatives.

g. Le Ministère public a ordonné l'autopsie du corps de C______.

Selon le rapport d'autopsie médico-légale du 11 février 2021, en l'absence de lésions traumatiques ou de toute autre cause décelable, le décès était probablement d'origine multifactorielle, survenu dans le contexte d'une hyperthermie, d'après la température corporelle mesurée lors de la levée de corps (40.6°C). Cette hyperthermie pouvait être d'origine infectieuse et/ou toxique ou médicamenteuse, ce qui n'avait pas pu être déterminé avec certitude. L'autopsie n'avait pas mis en évidence de foyer infectieux. Plusieurs médicaments retrouvés dans le sang de C______, dont certains à doses élevées, pouvaient être de nature à perturber la thermorégulation. Le décès pourrait s'inscrire dans le contexte de convulsions fébriles (infiltrations hémorragiques musculaires) chez une personne diabétique et obèse avec une imprégnation à de multiples médicaments, notamment des neuroleptiques, dont la clozapine, retrouvée à des valeurs élevées, potentiellement toxiques.

h. Le 3 mars 2021, le Ministère public a adressé à A______ une copie du rapport d'expertise, ainsi que son ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré, d'une part, que l'examen de la situation financière de A______ ne confirmait pas l'indigence alléguée et, d'autre part, que son action civile était vouée à l'échec, faute de disposer de prétention fondée sur le droit civil à l'encontre des employés de l'État.

D. a. À l'appui de son recours, A______ se plaint d'une application erronée, non motivée, inégalitaire et arbitraire de l'art. 29 al. 3 Cst.

En tant que mère du défunt, elle était désormais titulaire des droits relatifs aux obligations conventionnelles de l'État (art. 2 CEDH et 14 de la Convention contre la torture), parmi lesquels le droit à ce qu'une enquête soit ouverte et le droit de participer à celle-ci. "Ainsi", contrairement à ce que retenait le Ministère public, elle pouvait faire valoir des prétentions civiles en son nom (directement) et au nom de son fils (indirectement). Elle avait en outre produit les pièces démontrant son indigence, qui avaient pourtant été écartées. Quant aux chances de succès, elle disposerait de la possibilité de faire valoir directement des prétentions civiles propres au sens de l'art. 122 al. 2 CPP. Enfin, la nécessité d'un conseil juridique ne faisait en l'espèce aucun doute. Le sort de l'instruction pénale aurait une incidence majeure sur la procédure en responsabilité de l'État à intenter en parallèle. Les conditions de l'art. 29 al. 3 Cst. étaient dès lors remplies.

Par surabondance, le refus de lui accorder l'assistance juridique consacrerait une inégalité de traitement (art. 8 Cst.) par rapport à un cas similaire, mais survenu dans un établissement privé. Cette inégalité n'était justifiée par aucune base légale, ni aucun intérêt public ou privé. Par ailleurs, l'État, qui était précisément tenu à des obligations conventionnelles positives en la matière, ne pouvait nier l'accès à la justice à la mère d'un individu décédé au sein d'une institution publique.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et - faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP - dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante (art. 121 al. 1 cum 118 al. 1 CPP) qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; ATF 146 IV 76 consid. 2.2 et 2.3 p. 80 ss).

2.             La recourante reproche au Ministère public une violation de son droit d'être entendue, l'ordonnance querellée étant insuffisamment motivée.

2.1.       Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique, notamment, pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF
139 IV 179 consid. 2.2 p. 183).

2.2.       En l'espèce, la motivation de l'ordonnance querellée est certes succincte, mais a manifestement permis à la recourante de comprendre les raisons pour lesquelles l'assistance judiciaire lui était refusée, puisqu'elle se réfère - implicitement - aux conditions de l'art. 136 CPP, ce que la recourante admet elle-même (cf. ch. 10 du recours). Cette dernière se plaint essentiellement d'un défaut de motivation en lien avec les conditions de l'indigence (ch. 11) et de la nécessité de l'intervention d'un avocat (ch. 20). Dès lors toutefois que le Ministère public a considéré qu'une autre condition de l'art. 136 CPP, celle de l'existence de prétentions civiles, faisait en l'occurrence défaut, il pouvait valablement limiter son examen à ce seul point. S'il n'a pas discuté des cas (particuliers) dans lesquels la jurisprudence admet qu'on puisse faire abstraction de la condition des conclusions civiles (cf. consid. 4. infra), cela n'a nullement empêché la recourante de développer un grief à ce sujet et d'exposer en quoi sa situation se rapprocherait desdits cas. On ne discerne pas, dans ces conditions, de violation de son droit d'être entendue.

3.             La recourante fait grief au Ministère public d'avoir méconnu les conditions de l'art. 29 al. 3 Cst. en lui refusant l'assistance judiciaire.

3.1.       À teneur de l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert.

L'art. 136 CPP reprend ces conditions et les concrétise à l'égard de la partie plaignante dans un procès pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1B_23/2020 du 17 mars 2020 consid. 2.1). Selon l'al. 1 de cette disposition, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b). Selon l'al. 2, l'assistance judiciaire comprend l'exonération d'avances de frais et de sûretés (let. a), l'exonération des frais de procédure (let. b) et la désignation d'un conseil juridique gratuit, lorsque la défense des intérêts de la partie plaignante l'exige (let. c).

Le législateur a ainsi sciemment limité l'octroi de l'assistance judiciaire aux cas où le plaignant peut faire valoir des prétentions civiles (Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057, p. 1160 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_522/2020 du 11 janvier 2021 consid. 5.1).

3.2.       En l'espèce, les prétentions civiles - qu'on comprend être en réparation du tort moral - que la recourante entend faire valoir par voie d'adhésion au procès pénal seraient dirigées contre des membres du personnel médical ou des gardiens D______, rattachés soit aux Hôpitaux universitaires de Genève, soit au département chargé des établissements de détention (à savoir le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé : cf. art. 5 al. 1 let. c du règlement du 1er juin 2018 sur l'organisation de l'administration cantonale [ROAC ; B 4 05.10]) (art. 4 et 5 du règlement du ______ 2014 de l'établissement D______ [F 1 50.###]). Or, conformément aux art. 2 et 9 de la loi du 24 février 1989 sur la responsabilité de l'État et des communes (LREC ; A 2 40), l'État de Genève répond seul d'un éventuel dommage subi dans ce cadre, le lésé ne disposant d'aucune action directe contre le personnel soignant ou pénitentiaire de cet établissement (cf. ATF 146 IV 76 consid. 3.1 p. 82 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_682/2015 du 27 juillet 2015 consid. 2.1).

La recourante ne peut donc pas élever de prétentions civiles contre les médecins et les gardiens D______. Elle ne le conteste du reste pas véritablement, puisqu'elle admet qu'elle entend intenter en parallèle une procédure en responsabilité de l'État. Tout au plus invoque-t-elle son statut de victime selon l'art. 1 al. 2 LAVI et la possibilité de faire valoir des prétentions civiles propres sur la base de l'art. 122 al. 2 CPP (ch. 26 de son recours). S'agissant de la première disposition, la recourante n'explique pas en quoi son statut de victime permettrait d'interpréter différemment les conditions de l'art. 136 CPP (cf. à cet égard Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 39 ss ad art. 136, sur les relations avec la LAVI). Quant à la seconde disposition, elle prévoit certes la possibilité, pour les proches de la victime, de faire valoir des conclusions civiles propres, lesquelles doivent toutefois être dirigées "contre le prévenu", ce qui n'est, on l'a vu, pas le cas en l'espèce.

Le grief doit être rejeté.

4.             La recourante soutient qu'elle disposerait d'un droit à l'assistance judiciaire fondé sur le droit conventionnel. Elle invoque dans ce cadre l'interdiction de la torture et le droit à la vie.

4.1.       Les art. 3 CEDH et 10 al. 3 Cst. interdisent la torture, ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants. La Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants oblige notamment les Etats parties à se doter d'une loi réprimant les traitements prohibés et à instituer des tribunaux compétents pour appliquer cette loi. La première phrase de l'art. 13 de la Convention oblige les États parties à reconnaître aux personnes qui se prétendent victimes de traitements prohibés, d'une part, le droit de porter plainte et, d'autre part, un droit propre à une enquête prompte et impartiale devant aboutir, s'il y a lieu, à la condamnation pénale des responsables (ATF 131 I 455 consid. 1.2.5 p. 462).

Lorsque la victime allègue avoir fait l'objet de traitements prohibés par ses dispositions, la jurisprudence fait abstraction de la condition des conclusions civiles, notamment pour entrer en matière sur un recours ou pour octroyer l'assistance judiciaire fondée sur l'art. 29 al. 3 Cst. (arrêts du Tribunal fédéral 1B_522/2020 précité consid. 5.3 ; 1B_245/2017 du 23 août 2017 et les arrêts cités).

Pour tomber sous le coup de ces dispositions, le traitement dénoncé doit en principe être intentionnel et atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime. Un traitement atteint le seuil requis et doit être qualifié de dégradant s'il est de nature à créer des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier ou à avilir la victime, de façon à briser sa résistance physique ou morale ou à la conduire à agir contre sa volonté ou sa conscience. Il y a également traitement dégradant, au sens large, si l'humiliation ou l'avilissement a pour but, non d'amener la victime à agir d'une certaine manière, mais de la punir. La souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu'elle soit physique ou mentale, peut relever de l'art. 3 CEDH si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement - que celui-ci résulte des conditions de détention, d'une expulsion ou d'autres mesures - dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (arrêt du Tribunal fédéral 6B_307/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4.1 non publié aux ATF
146 IV 76 et les arrêts cités).

La jurisprudence a ainsi retenu que tel était le cas lorsque le plaignant prétendait avoir subi des lésions corporelles à la suite d'une intervention des autorités (arrêt du Tribunal fédéral 1B_522/2020 précité consid. 5.3 et les arrêts cités) ou lorsqu'il était reproché à des gardiens de prison d'avoir laissé un détenu dans sa cellule durant plusieurs heures alors que celle-ci était envahie par la fumée, ce défaut d'intervention et d'assistance ayant abouti à la mort de l'intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 1B_272/2011 du 22 mars 2012 consid. 2.5.2). En revanche, un traitement dégradant a été nié en cas de soins prodigués par du personnel médical, faute pour le comportement reproché de revêtir un caractère intentionnel et de viser à péjorer l'état de santé physique et/ou psychique de l'intéressé, à l'humilier ou à réduire sa dignité humaine (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1204/2019 du 14 novembre 2019 consid. 2.3 ; 6B_307/2019 précité consid. 4.1 ; 6B_473/2017 du 23 janvier 2018 consid. 1.2.2 ; 1B_245/2017 précité consid. 2.2 ; 6B_603/2016 du 26 juin 2017 consid. 1.2 ; 6B_465/2016 du 17 mars 2017 consid. 1.2 ; cf. aussi A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 3e éd., Zurich 2020, n. 12 ad art. 117).

4.2.       Le droit à la vie, garanti à l'art. 2 CEDH, implique une obligation positive pour les Etats parties de préserver la santé et la vie des personnes placées sous leur responsabilité. La dimension procédurale de cette obligation impose l'instauration d'un système judiciaire efficace et indépendant permettant à bref délai d'établir la cause du décès d'un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé et d'obliger les responsables éventuels à répondre de leurs actes. Le type d'enquête exigé par l'obligation procédurale découlant de l'art. 2 CEDH varie selon la nature de l'atteinte à la vie. En cas d'homicide involontaire ou de mise en danger involontaire de la vie d'une personne, l'obligation relative à l'existence d'un système judiciaire effectif est satisfaite si le système juridique offre aux victimes (ou à leurs proches) un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, susceptible d'aboutir à l'établissement des responsabilités éventuelles et à l'octroi d'une réparation civile adéquate. Certaines circonstances exceptionnelles peuvent néanmoins rendre nécessaire aux fins de l'art. 2 CEDH qu'une enquête pénale effective soit menée, même en cas d'atteinte involontaire au droit à la vie ou à l'intégrité physique. Il peut en être ainsi lorsque le décès ou la mise en danger résulte du comportement d'une autorité publique qui va au-delà d'une erreur de jugement ou d'une imprudence, lorsqu'un décès survient dans des circonstances suspectes ou lorsqu'un particulier a délibérément ou inconsidérément transgressé les obligations qui lui incombent en vertu de la législation applicable (ATF 146 IV 76 consid. 4.2 p. 86 s. et les références citées).

4.3.       En l'espèce, la recourante n'expose pas les actes ou omissions qu'elle reproche aux membres du personnel médical ou pénitentiaire D______. Au vu des éléments au dossier, il n'apparaît en tout cas pas que ledit personnel aurait adopté un comportement dégradant, portant atteinte à la dignité humaine du fils de la recourante et ce, de manière intentionnelle. Il semble au contraire que l'intervention au milieu de la nuit du 1______ 2020 ait eu pour but de soulager et de calmer le fils de la recourante, alors en proie à une grande agitation. L'administration des médicaments s'est faite sur une base volontaire, au travers du portillon de la cellule, et non de façon forcée ; elle s'inscrivait en outre dans une problématique de "crises" régulières, apparemment connues du personnel de l'établissement et pour lesquelles un traitement de réserve avait été prescrit. En aucun cas, il ne s'agissait d'humilier ou de punir l'intéressé, ni d'exacerber la souffrance causée par sa maladie mentale, bien au contraire. Sans vouloir minimiser la peine de la recourante liée au décès de son fils, il n'apparaît pas que les comportements pouvant éventuellement être reprochés au personnel D______ dans ce cadre - pour lesquels le Ministère public se devra de déterminer s'ils sont constitutifs d'infractions pénales - puissent tomber sous le coup des dispositions prohibant la torture et les traitements inhumains ou dégradants.

Quant aux exigences déduites du droit à la vie, la recourante ne démontre pas en quoi les manquements pouvant être reprochés aux personnes éventuellement mises en cause constitueraient des violations délibérées ou inconsidérées des devoirs leur incombant, ni en quoi ces manquements seraient allés au-delà de ce qui relèverait d'actes involontaires dans la prise en charge médicale. Au vu des éléments du dossier exposés ci-dessus en lien avec les traitements dégradants, tel ne paraît pas être le cas. Dans cette mesure, la mise en oeuvre d'une procédure pénale, pas plus que l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite aux proches de la victime, ne constituent une obligation positive de l'État découlant de l'art. 2 CEDH, à supposer même qu'un droit à l'assistance judiciaire puisse être déduit de cette disposition (cf. L. GONIN / O. BIGLER, Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), Commentaire des articles 1 à 18 CEDH, Berne 2018, N 275 ad art. 2 CEDH et la référence à l'arrêt de la CourEDH Rantsev c. Chypre et Russie du 7 janvier 2010, requête n° 25965/04, § 240, qui retient l'obligation des autorités de répondre aux demandes de renseignements sur l'assistance juridique gratuite provenant du père de la victime). Pour le surplus, les exigences découlant de l'art. 2 CEDH sont satisfaites dès lors que, comme il a été vu ci-dessus, la recourante a la faculté d'introduire une procédure judiciaire en responsabilité contre l'État de Genève, dans le cadre de laquelle il pourra être déterminé si le décès de son fils, et par conséquent le dommage qu'elle a elle-même subi, résultent d'actes illicites réalisés par des agents de l'État. Le grief sera rejeté.

4.4.       Ces dernières considérations sont également déterminantes pour répondre à l'ultime grief de la recourante, tiré d'une violation du principe de l'égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) par rapport aux proches d'une victime décédée dans un établissement non pas public, mais privé.

Dans un arrêt de principe récent, le Tribunal fédéral a été amené à traiter un grief similaire, en lien avec la qualité pour recourir de la partie plaignante selon l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, qui dépend - tout comme l'art. 136 CPP - de l'existence de prétentions civiles. En substance, le Tribunal fédéral a rappelé que la victime au bénéfice d'une créance de droit public contre l'État disposait d'un débiteur plus solvable et habituellement plus compréhensif que la plupart des auteurs d'infractions, ce qui constituait un avantage matériel suffisamment spécifique pour justifier un traitement particulier et exclure sa qualité pour recourir. Cette interprétation restrictive de la notion de "prétentions civiles", qui prévalait déjà sous l'égide de l'ancienne LAVI et de l'ancienne loi de procédure pénale fédérale, a été reprise au moment de l'adoption du CPP (cf. art. 122 al. 1 et 382 al. 1 CPP) (ATF 146 IV 76 consid. 3.2 ss p. 83 ss).

En l'occurrence, on ne voit pas que la notion de prétentions civiles de l'art. 136 al. 1 CPP puisse être comprise dans une acception plus large que celle prévalant actuellement pour l'art. 122 al. 1 CPP. Le fait, pour la partie plaignante, de disposer d'une action directe contre la collectivité publique justifie de la traiter différemment que toute autre partie plaignante, et donc de lui nier le droit à l'assistance judiciaire gratuite. Le grief tiré d'une violation du principe de l'égalité de traitement doit par conséquent être rejeté.

4.5.       On peut encore préciser que le Conseil fédéral, dans son projet de modification du CPP (FF 2019 6437), a proposé de changer la formulation de l'art. 136 al. 1 CPP, lequel aurait la teneur suivante :

Sur demande, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire : à la partie plaignante, pour faire valoir ses prétentions civiles, si elle est indigente et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. a) ; à la victime, pour permettre à sa plainte pénale d'aboutir, si elle est indigente et que l'action pénale ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

Dans son Message, le Conseil fédéral précise se fonder sur un arrêt du Tribunal fédéral de 2012 (1B_355/2012 du 12 octobre 2012), dans lequel ce dernier avait accordé l'assistance judiciaire à une victime uniquement pour lui permettre de faire aboutir sa plainte pénale. En l'occurrence, le lésé avait porté plainte contre trois fonctionnaires de police, notamment pour lésions corporelles, et s'était constitué partie plaignante sur le plan pénal. Il n'avait par contre pas pu faire valoir de prétentions civiles ni donc se constituer partie plaignante sur le plan civil : il avait été renvoyé au droit public cantonal en ce qui concernait la question de la responsabilité. Le Tribunal fédéral avait conclu que l'assistance judiciaire devait être exceptionnellement accordée directement en application de l'art. 29 al. 3 Cst. Autrement, le lésé n'aurait pas eu accès à la procédure judiciaire, pourtant garantie par la Constitution fédérale, ou en d'autres termes, se serait vu refuser la défense effective de ses droits (FF 2019 6351, p. 6386 s).

Le projet de modification du CPP a récemment été traité par le Conseil national (premier conseil), lequel a adopté la proposition de modification de l'art. 136 P-CPP sans discussion particulière (BO CN 2021 599).

Il faut toutefois relever que cette solution, qui n'est à ce jour ni entrée en vigueur, ni même définitivement entérinée par les Chambres fédérales - le Conseil des États devant encore traiter le projet -, ne correspond pas à l'orientation prise actuellement par la pratique, qui exige de la victime qu'elle allègue avoir souffert de traitements inhumains ou dégradants tels qu'exposés ci-dessus pour pouvoir faire abstraction de la condition des conclusions civiles de l'art. 136 al. 1 CPP. Dans un arrêt très récent, le Tribunal fédéral a encore réaffirmé sa jurisprudence - en référence notamment à l'arrêt 1B_355/2012 cité à l'appui du Message du Conseil fédéral -, pour finalement nier le caractère de traitement inhumain ou dégradant des actes dont le recourant se disait victime. Il a souligné que, dans l'arrêt 1B_355/2012, la partie plaignante avait allégué de manière défendable avoir été victime d'actes de violence prohibés par les art. 10 al. 3 Cst. et 3 CEDH, et que la nécessité d'accorder un conseil d'office avait été reconnue parce que le ministère public avait rendu une ordonnance de classement, ce qui n'était en l'occurrence pas le cas (arrêt du Tribunal fédéral 1B_522/2020 précité consid. 5.3 s.).

Dès lors, il faut retenir que l'art. 136 al. 1 let. b P-CPP, à supposer qu'il permette d'accorder à la victime l'assistance judiciaire pour l'aspect pénal, indépendamment d'un quelconque dommage au sens civil ou d'un traitement inhumain ou dégradant - ce que sa lettre semble admettre -, fait plus que seulement concrétiser une situation juridique préexistante, mais étend bel et bien les conditions d'octroi de ce droit s'appliquant aujourd'hui. Il n'y a donc pas lieu de le prendre déjà en compte pour interpréter l'art. 136 CPP dans sa teneur actuelle (comp. avec ATF 141 II 297 consid. 5.5.3 p. 305 s.; 117 IV 276 consid. 3c p. 280 s. ; contra : Chambre pénale du Tribunal cantonal de Fribourg, arrêt 502 2018 53 du 4 mai 2018, consid. 5.2.3 et 5.2.4). Les considérations qui précèdent conservent donc leur pertinence.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Les frais de la procédure de recours resteront à la charge de l'État (art. 20 RAJ ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_215/2018 du 14 juin 2018 consid. 1.2).

7.             La recourante, assistée d'un avocat, n'a pas explicitement demandé l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours. On comprend toutefois de ses écritures de recours, et notamment de ses conclusions, qu'elle la sollicitait également pour la procédure devant la Chambre de céans. Dès lors que l'examen des conditions des art. 136 CPP et 29 al. 3 Cst. auquel il a été procédé ci-dessus a nécessité une appréciation circonstanciée, on ne peut considérer que le recours était en lui-même dénué de toutes chances de succès ni, surtout, que l'assistance d'un conseil n'était pas rendue nécessaire vu les particularités de la cause. Au surplus, il apparaît que l'indigence de la recourante, compte tenu des pièces produites à l'appui de son recours, est rendue suffisamment vraisemblable. Comme le conseil de la recourante n'a ni chiffré, ni justifié son indemnité (cf. art. 17 RAJ), celle-ci sera arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 1'000.- TTC, ce qui paraît adéquat vu le travail accompli.

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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'000.- TTC, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).