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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/59/2016

ACPR/9/2017 du 12.01.2017 ( RECUSE ) , ADMIS

Descripteurs : RÉCUSATION; TRIBUNAL CRIMINEL(BLUTGERICHT)
Normes : CPP.56; CPP.60; CEDH.6

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13698/2013 – PS/59/2016 ACPR/9/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 12 janvier 2017

 

Entre

Fabrice A______, actuellement détenu à la prison du Bois-Mermet, comparant par Me Yann ARNOLD, avocat, Étude Benoît & Arnold, rue des Eaux-Vives 49, case postale 6213, 1211 Genève 6,

requérant,

et

LE TRIBUNAL CRIMINEL, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

B_____, C_____, D______, E______, F______, comparant tous les cinq par Me Simon NTAH, avocat, Ochsner & Associés, place Longemalle 1, 1204 Genève,

G______,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

cités.


EN FAIT :

A. a. Lors de l'audience du 6 octobre 2016 devant le Tribunal criminel, dans le cadre de la P/13698/2013, Fabrice A______ a requis oralement la récusation dudit Tribunal in corpore.

b. Par acte expédié le 10 octobre 2016, il a formé une requête écrite de récusation auprès de la Chambre de céans.

c. Par pli du 11 octobre 2016, le Tribunal criminel a informé la Chambre de céans de la demande de récusation formée à son encontre par Fabrice A______ et lui a communiqué le dossier de la procédure P/13698/2013, accompagné de ses observations.

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a. Fabrice A______ a été renvoyé en jugement devant le Tribunal criminel du canton de Genève du chef de meurtre avec la circonstance aggravante de l'assassinat pour avoir, alors qu'il avait été admis au centre de détention genevois de la Pâquerette et bénéficiait d'une sortie accompagnée, intentionnellement donné la mort à son accompagnatrice, Adeline ______, en lui tranchant la gorge avec un couteau, mais également de séquestration, de contrainte sexuelle et de vol.

b.i. Au cours de l'instruction préliminaire, le Ministère public avait ordonné que Fabrice A______ soit soumis à deux expertises psychiatriques, la première confiée, le 9 septembre 2014, à un collège d’experts suisses, les Drs H______ et I______, la seconde à un collège d’experts français, les Drs S______ et T______, le 15 avril 2015.

Le premier collège d'experts avait pris possession des pièces de la procédure pénale les 15 et 16 septembre 2014 (pp C – 2'110, C – 2'111), et le second collège, le 3 juin 2015 (pp C – 2'122, C – 2'124).

ii. L'un comme l'autre avaient été invités notamment à répondre aux questions découlant des art. 64 al. 1 et 64 al. 1bis CP relatives à l'internement et à l'internement à vie.

iii. À teneur de leur rapport du 2 avril 2015, les Drs H______ et I______ avaient rencontré à cinq reprises l'expertisé à la prison du Bois-Mermet, à Lausanne.

Ils avaient conclu, en substance, que ce dernier souffrait d'un trouble de personnalité dyssociale ainsi que d'un trouble de la préférence sexuelle, le sadomasochisme. L'intensité de ses troubles était sévère.

Ses facultés cognitives n'étaient pas altérées par ces troubles et le "voile noir" qu'il disait avoir ressenti au moment de l'acte n'avait eu aucune influence sur ses capacités cognitives ou volitives, dès lors que ce moment d'amnésie était intervenu après qu'il avait accepté le geste de mise à mort de sa victime et surtout après l'avoir initié. Par contre, ces troubles, vu leur extrême gravité, avaient eu pour effet, ensemble, une diminution des capacités volitives. Ainsi, sa responsabilité pénale au moment des faits était très légèrement à légèrement diminuée.

Les experts avaient indiqué qu'il était sérieusement à craindre qu'en raison d'un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l'infraction, le prévenu ne commette d'autres infractions. Il n'existait actuellement pas de soins médicaux susceptibles de diminuer significativement le risque de récidive. Un internement était préconisé.

S'agissant de la question relative à l'internement à vie, ils avaient mentionné qu'il était hautement probable que le prévenu commette à nouveau un des crimes énumérés à l'art. 64 al. 1bis CP, ajoutant ceci : "Bien qu'il n'existe, au moment de notre évaluation, aucun traitement susceptible de diminuer le risque de récidive de l'expertisé de façon notable, les experts ne peuvent pas préjuger de l'avenir et affirmer qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin de la vie de l'expertisé, estimée sur la base des projections actuarielles d'espérance de vie. Il n'est donc pas possible, en l'état, d'appliquer le caractère d'inamendabilité à la personne concernée." (pp C – 2'190, C – 2'191, C – 2'192).

iv. Ces deux experts avaient confirmé leurs conclusions à l'audience du 25 novembre 2015 devant le Ministère public. Ils avaient encore été entendus aux audiences d'instruction des 2 et 9 décembre 2015. Par rapport aux mesures thérapeutiques, ils avaient indiqué qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'existait pas de traitement psychiatrique, et donc pas de traitement du tout, permettant de réduire significativement ou de prévenir valablement le risque de récidive. Ils avaient ajouté ne pas pouvoir toutefois préjuger, sur une période de 40 ans correspondant à l'espérance de vie de l'intéressé, des avancées de la science, mais aussi des changements chez l'individu, même s'ils y croyaient très peu
(pp C – 2'221 et CC – 2'222).

v. À teneur du rapport d'expertise du 9 novembre 2015 des Drs S______ et T______, le premier nommé avait rencontré le prévenu à la prison du Bois-Mermet le 3 juin 2015, le second, le 21 août 2015, à la prison de la Croisée.

Ils avaient précisé n'avoir pas eu pour mission de porter la moindre appréciation sur d'éventuelles erreurs ou négligences dans la prise en charge psycho-criminologique de Fabrice A______.

Les experts avaient conclu que Fabrice A______ souffrait d'un trouble de la personnalité psychopathico-pervers. Sa responsabilité pénale au moment des faits était entière.

Ils avaient indiqué en substance que, si le prévenu était libre, le risque actuel de commission d'une nouvelle infraction serait très élevé. Seules des expertises ultérieures et étagées durant son incarcération pourraient permettre d'apprécier son évolution. Eu égard à la gravité des faits et aux antécédents de l'expertisé, il était très prématuré, voire contre-productif, de poser l'indication d'un type de traitement qui serait le plus susceptible de diminuer le risque de récidive. Le choix du traitement relèverait de la prérogative des équipes thérapeutiques en milieu carcéral. Ce type de délinquance ne relevait pas de la maladie mentale et il était exclu d'imaginer un soin efficace en dehors d'une participation (même partielle) et d'un engagement (même incomplet) du sujet. Fabrice A______ avait violé à deux reprises et commis un assassinat. Il n'était pas seulement un violeur itératif. Il appartiendrait à ses soignants de poser ou non l'indication d'un traitement hormonal d'aide au contrôle des pulsions, qui ne pouvait cependant être considéré comme la panacée qui s'affranchirait de la collaboration du sujet.

Ils avaient ajouté qu'il était sérieusement à craindre qu'en raison des caractéristiques de sa personnalité, des circonstances dans lesquelles il avait commis l'infraction et de son vécu, le prévenu commette d'autres infractions criminelles même s'il se disait convaincu qu'il ne tuerait plus jamais. Seules des évaluations ultérieures permettraient de confirmer ou d'infléchir un pronostic criminologique actuellement très sombre.

S'agissant de la question relative à l'internement à vie, ils avaient mentionné qu'il restait probable que le prévenu récidive s'il était en liberté et avaient écrit ceci : "Il est médicalement impossible d'affirmer qu'un pronostic criminologique est définitivement acquis dans le sens de la certitude de la récidive la vie durant. On ajoutera qu'au contraire la désespérance est non seulement inhumaine au sens philosophique mais très certainement négative au sens le plus prosaïque de la défense sociale : le pervers y trouvera toujours la justification de ce qu'il ne lui reste plus que le statut de monstre, qu'il subit mais qui légitime désormais sans frein ni critique son comportement criminel. Autrement dit, la possibilité, même infime, d'une modification de l'économie psychique ou d'une réorientation du parcours avec l'avancement en âge, ne doit ni ne peut être totalement exclue, comme le montre l'expérience criminologique. L'émotion légitime suscitée par les actes gravissimes en récidive ne doit pas nous faire confondre ce qui se présenterait comme une affirmation scientifique et ce qui relève d'une réponse pénale adaptée, y compris la plus sévère. Le pronostic le plus péjoratif n'est jamais absolument établi sur le très long terme." (pp C – 2'224 ss, p. 23 et 24).

vi. Ces deux experts avaient confirmé leurs conclusions à l'audience d'instruction du 16 décembre 2015. Ils avaient également confirmé avoir chacun eu un entretien de 2h30 avec l'expertisé, entretiens qui avaient été très convergents (pp C – 2'247). À cet égard, le Dr S______ avait tenu à souligner que la durée de leurs entretiens avec l'expertisé ne les avait pas empêchés de récupérer tout le matériel qui leur était nécessaire, ajoutant : "Si nous avions eu besoin de plus de matériel, nous serions revenus. Quand il y a trop de matériel, on ne voit plus rien." (pp C – 2'251).

Par rapport aux mesures thérapeutiques, ils avaient mentionné qu'il existait des traitements destinés à abaisser le niveau pulsionnel, soit la castration chimique, mais que ceux-ci n'étaient pas indiqué dans le cas d'espèce. Quant à d'autres traitements pharmacologiques, on était très loin de pouvoir prendre le contrôle du comportement. Seuls des neuroleptiques étaient susceptibles d'apporter une aide, "même chez un psychopathe tel que Fabrice A______", aide consistant à une clarification de ses pensées. D'autres thérapies de type psychothérapeutique pourraient être employées "dans le but d'engager une spirale positive". C'étaient des choses de longues haleine mais pas forcément désespérées. Le prévenu n'était pas un malade. On ne pouvait donc pas parler de soins mais d'une aide ou d'un accompagnement. Ce serait aux thérapeutes appelés à le prendre en charge de calibrer le meilleur accompagnement thérapeutique. On ne pouvait toutefois travailler que s'il y avait "une petite partie de lui-même au moins" qui voulait aller mieux. Et d'ajouter : "Il ne faut pas se tromper : le pronostic concernant Fabrice A______ est lourd, il est sombre. Peut-on pour autant dire que les choses seront en l'état dans 10, 20 ou 30 ans : non. On a déjà vu des sujets dans des situations comparables qui ont évolué favorablement. Même s'il y a une très grande attente par rapport aux réponses à donner, il faut admettre qu'elles ne pourront être données que progressivement dans le temps." (pp C – 2'252).

c. L'audience de débats préliminaires du 5 septembre 2016 n'a porté que sur de pures questions organisationnelles.

d. Les débats de l'audience de jugement ont été ouverts le lundi 3 octobre 2016.

e. Le mardi 4 octobre 2016 ont été entendus les Drs H______ et I______.

Après leur avoir fait confirmer certains points de leur rapport, le Tribunal criminel leur a demandé s'il était exact que le "voile noir", à supposer qu'il ait existé, n'avait pas eu d'impact sur la capacité volitive de Fabrice A______, ce à quoi ils ont répondu par l'affirmative (pv d'audience, p. 25).

Les experts ont ensuite indiqué, s'agissant de cette capacité volitive, que la maladie de l'intéressé telle que décrite dans l'expertise était tellement importante que, sur le moment, il n'arrivait pas forcément, suivant où il en était dans la poursuite de son scénario fantasmatique, à arrêter son geste car il était pris dans son hallucination. Le Tribunal criminel leur a alors rappelé ce qu'ils avaient mentionné dans l'expertise concernant le fait que le voile noir n'avait pas altéré la capacité volitive du prévenu. Les experts ont alors répondu que c'était exact car le voile noir s'était produit après (pv d'audience, p. 26) avant de préciser à nouveau que la diminution légère de la capacité volitive du prévenu était en lien avec les pathologies qu'il présentait, qui étaient extrêmement présentes et agissantes.

Le risque de récidive qui, à l'heure actuelle, était très élevé, incluait le risque de réitération d'actes emportant atteinte à la vie.

À la question du Tribunal criminel de savoir s'il était exact que la psychopathie couplée au trouble de la préférence sexuelle sadique dont souffrait Fabrice A______ rendait plus difficile la possibilité de traitement, les experts ont répondu par l'affirmative.

À la question du Tribunal criminel demandant s'il était exact qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'existait pas de traitement psychiatrique et donc, pas de traitement du tout permettant de réduire significativement le risque de récidive, la Dresse H______ a répondu qu'il existait peu de recherches à ce sujet et peu de matériel scientifique. Il n'y avait eu qu'une étude sous forme de thérapie cognitivo-comportementale et pharmacologique, réalisée au Canada, en 2007, sur 12 personnes en milieu carcéral, qui n'était donc pas significative. Le Dr I______ a ajouté que des études étaient en cours en France sur des psychopathes sexuels afin de comprendre leur fonctionnement psychique, mais que les résultats n'étaient pas connus.

À la question du Tribunal criminel de savoir si la seule thérapie envisageable à l'heure actuelle serait une des thérapies expérimentales évoquée, la Dresse H______ a déclaré qu'il y avait en Suisse, comme ailleurs dans le monde, des meurtriers sexuels dont on ne savait que faire et que la communauté scientifique s'intéressait à eux. Le Dr I______ a ajouté que c'était un travail par étape et qu'il s'agissait pour l'instant de théorisations.

À la question du Tribunal criminel de savoir si un traitement hormonal serait susceptible de diminuer le risque de récidive, la Dresse H______ a répondu par la négative. Quant aux traitements pharmacologiques, ils posaient plusieurs problèmes. La personne devait être d'accord de prendre des médicaments et ce, sur la durée. Il était en outre difficile de maintenir la constance de la substance dans le sang. Enfin, l'efficacité de ces médicaments n'était pas de 100%.

Le Dr I______ a ajouté que "quant à une thérapie de type psychanalytique, il n'y a[vait] pour l'instant en Suisse pas d'implantation de ce genre de thérapie en prison".

À la question du Tribunal criminel de savoir si un traitement de type psychanalytique aurait du succès sur un psychopathe, la Dresse H______ a répondu ne pas le savoir. Les essais thérapeutiques menés à travers le monde pour trouver une solution étaient des tests. Dans le cas d'un psychopathe sadique, on n'arrivait pas à un résultat, en tout cas pas à un résultat suffisamment important pour prévenir adéquatement un risque de récidive. Le Dr I______ a ajouté que, dans le cas de quelqu'un qui présentait une pathologie aussi sévère que celle de Fabrice A______, un tel traitement pourrait prendre de nombreuses années. Sur quoi, la Dresse H______ a ajouté n'avoir pas de preuve que ce genre de traitement serait efficace, et d'insister sur le caractère extrêmement important des pathologies dont souffrait Fabrice A______.

Les experts ont ainsi confirmé qu'à l'heure actuelle, il n'existait aucun traitement à proposer à Fabrice A______ pour réduire le risque de récidive.

Après que le Ministère public et le conseil des proches d'Adeline ont posé leurs questions, le conseil de Fabrice A______ a demandé aux Drs H______ et I______ s'ils préconisaient l'internement à vie. La Présidente a alors informé les experts qu'il s'agissait d'une question juridique à laquelle elle ne souhaitait pas qu'ils répondent.

f. L'audience a été reprise le mercredi 5 octobre 2016 pour l'audition des Drs S______ et T______.

À la question du Tribunal criminel de savoir s'il était évident que Fabrice A______ avait la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte et de se déterminer d'après cette appréciation, les experts ont répondu par l'affirmative.

Le Dr T______ a indiqué qu'à l'heure actuelle et dans un futur proche, le prévenu présentait un risque de récidive très important. Le Dr S______ a ajouté que pour l'instant, on ne pouvait pas être optimiste sur les possibilités de contrôle de la récidive, des pulsions. Un tel risque diminuait avec l'âge.

À la question du Tribunal criminel de savoir si la structure de base de la personnalité de Fabrice A______ pouvait changer, le Dr T______ a répondu s'être trouvé face à quelqu'un qui fonctionnait avec des aménagements. Les fondements de la personnalité de l'expertisé étaient très "friables". Il ne croyait pas qu'on puisse parler de curabilité, car l'intéressé n'était pas malade, mais on pouvait parler de changements, de réaménagements. Parfois, il y avait des sujets qui parvenaient à se réorganiser de manière moins dangereuse pour la société. Ce n'était pas une guérison, ni une modification de la personnalité mais c'était une réorganisation dans un sens moins coûteux. Le Dr S______ a ajouté qu'il était possible de faire ces réaménagements et "d'arriver" à quelque chose qui soit viable et acceptable pour les autres. Il ignorait si, dans ce cas, on y parviendrait. Il était trop tôt pour le dire. Il fallait que Fabrice A______ prenne en compte les sentiments de l'autre et ses propres sentiments dans un premier temps. On ne pouvait pas faire table rase de tout ce qui s'était passé et il était possible qu'il puisse changer. On avait déjà pris en charge des personnes qui avaient eu des comportements en apparence plus graves. Le réconcilier avec lui-même passerait par de petites choses, notamment se mettre à la place de l'autre. C'était un travail de longue haleine. Ce n'était pas impossible. Le Dr S______ a encore ajouté s'opposer à faire un pronostic sur l'avenir. Il était possible que des personnes ne guérissent jamais mais il se refusait à postuler que ce serait le cas. Il défendait une psychiatrie ouverte, prenant tout en compte, et se refusait à prédire l'avenir. Le Dr T______ a ajouté que le pronostic à court terme de l'expertisé était très lourd et que celui à moyen terme était aléatoire. La psychiatrie ne pouvait pas sérieusement figer un pronostic à très long terme. La société avait le droit de se défendre des crimes épouvantables mais elle ne pouvait pas demander à la science d'affirmer ce qu'elle ne pouvait pas affirmer.

À la question du Tribunal criminel de savoir quel type de soin proposé à Fabrice A______ serait susceptible de réduire le risque de récidive et quel type de soins ils préconisaient, le Dr T______ a répondu que la déontologie de l'expert n'était pas de proposer des soins. Les soins, c'était aux psychiatres qui suivraient Fabrice A______ en milieu pénitentiaire de les décider en fonction de son évolution et des éléments cliniques. Les experts ne pouvaient donner que quelques directions générales. Le Dr S______ a confirmé que son collègue et lui ne pouvaient faire que des recommandations générales et non pas "une ordonnance".

Le Ministère public et le conseil des proches de la victime ont ensuite posé leurs questions.

Sur question du Ministère public, le Dr S______ a déclaré que Fabrice A______ avait évoqué la masturbation lors de ses visionnements en boucle de la scène d'égorgement du film "Braveheart". À la question de savoir pourquoi cela n'avait pas été mentionné dans son rapport, le Dr S______ a indiqué n'avoir pas la prétention d'être exhaustif. Il aurait pu le rajouter. L'expertise était un art très subjectif. Il a admis avoir écarté des choses qui n'allaient pas dans le sens de la démonstration.

À la question du Ministère public lui demandant pour quelle raison il avait estimé nécessaire d'évoquer dans l'expertise le fait que Fabrice A______ avait fantasmé à deux reprises sur des femmes, envisageant de les violer et de les tuer, le Dr S______ a répondu qu'il n'avait pas écarté tout ce qui était défavorable à l'expertisé. Ensuite, cela lui était apparu pertinent de mentionner la coexistence du fantasme amoureux qui se transformait en fantasme agressif.

Sur remarque du Ministère public, le Dr T______ a réfuté avoir pris pour argent comptant les déclarations de Fabrice A______, arguant que son collègue et lui n'avaient fait que reprendre ce qu'il leur avait dit. Ce n'était pas à eux de dire si telle ou telle chose était vraie ou non.

L'audience a été suspendue de 13h33 à 15h01. À la reprise, la Présidente a demandé au Dr S______ s'il était exact qu'il s'était exprimé devant des journalistes et, cas échéant, s'il avait évoqué avec eux la procédure en cours. Le Dr S______ a répondu avoir effectivement parlé à un journaliste après s'être enquis de savoir si cela était autorisé. Il s'était exprimé sur l'art. 64 CP, devant une caméra, en disant qu'il n'était pas là "pour exprimer quelque chose sur la Confédération helvétique et ses choix". La Présidente a demandé aux parties si elles souhaitaient s'exprimer à cet égard, mais tel n'a pas été le cas.

Sur question du conseil des proches de la victime qui leur demandait si la procédure contenait "quelque chose" sur ce que Fabrice A______ leur avait dit des dernières paroles d'Adeline, le Dr S______ a répondu ne pas avoir le souvenir de l'avoir lu dans la procédure. Quant au Dr T______, il a indiqué ne pas pouvoir répondre à cette question, le Dr S______ ajoutant pour sa part qu'ils avaient épluché les 18 classeurs et ne pouvaient pas les savoir par cœur.

Le Tribunal criminel a, ensuite, à nouveau questionné les experts, leur demandant ce qu'ils pouvaient dire des soins psychiatriques dont Fabrice A______ avait bénéficié par le passé et combien de fois ce dernier avait vu le Dr J______ lorsqu'il se trouvait à la Pâquerette. Le Dr S______ a répondu qu'il ne le savait pas, ajoutant qu’en tout cas, ces soins s’étaient avérés inefficaces. Le Dr T______, à qui les mêmes questions ont été reposées, a indiqué que Fabrice A______ avait eu le parcours carcéral banal d'un détenu qui voit le psychiatre de temps en temps et reçoit des anxiolytiques et des hypnotiques. Il a ajouté n'avoir pas eu le compte rendu de la Pâquerette. Le Dr S______ a suggéré que cette question soit posée à ceux qui étaient en charge du prévenu à la Pâquerette. Il supposait qu'il y avait dû avoir des réunions et que le prévenu avait été pris en charge dans un protocole bien codifié.

En réponse à une question du conseil des proches d'Adeline qui leur a demandé s'ils savaient ce qui avait été entrepris "avec Mme ______ de 2002 à 2006", le Dr T______ a indiqué que, dans le cadre d'une mission d'expertise, ils devaient se prononcer sur la responsabilité pénale et les troubles éventuels présentés par l'expertisé. Il arrivait qu'ils aient pour mission une expertise en responsabilité médicale. Dans ce cas, ils entendaient l'ensemble des collaborateurs et consultaient l'ensemble du dossier. Dans le cas d'espèce, ils ne pouvaient pas répondre aux questions posées par rapport à la nature et à la qualité des soins, car ce serait contraire à leur déontologie.

Sur question du conseil de Fabrice A______, le Dr S______ a indiqué que la dernière lecture approfondie du dossier remontait à la rédaction de son rapport mais qu'il avait "repris l'essentiel" en vue de l'audience. À la question de savoir s'ils avaient lu et utilisé tout le matériel nécessaire en vue de la rédaction de leur rapport, les experts ont répondu par l'affirmative, tout en précisant que cela ne voulait pas dire qu'un élément utilisable ne leur aurait pas échappé. Ils avaient utilisé ce qui était nécessaire et suffisant pour la rédaction de leur rapport.

g. À la reprise de l'audience, le jeudi 6 octobre 2016 à 9h14, la Présidente du Tribunal criminel a informé les parties que le tribunal avait décidé d'ordonner une troisième expertise en application de l'art. 189 CPP. Il ressortait du dossier que le second collège d'experts avait pris possession du dossier le 3 juin 2015 et que le Dr S______ avait eu son seul entretien avec le prévenu le 3 juin 2015 également, donc sans avoir eu la possibilité de prendre connaissance des pièces qui lui avait été transmises.

Par ailleurs, il ressortait des auditions des Drs S______ et T______ devant le Ministère public et le Tribunal criminel qu'ils n'avaient pas eu connaissance d'éléments susceptibles d'influencer leur diagnostic ainsi que le pronostic [comprendre : au sens de l'art. 64 al. 1bis let. b et c CP] et qu'ils n'avaient pas intégré dans leur raisonnement certains éléments qui auraient pu avoir une telle influence.

À teneur du procès-verbal, l'audience a été suspendue à 9h16 et a repris à 9h48.

Le conseil de Fabrice A______ a plaidé et s'est opposé à la décision que venait de prendre le tribunal, subsidiairement a sollicité un complément d'expertise auprès des Drs S______ et T______ et, plus subsidiairement encore, une décision sujette à recours.

Le Ministère public s'en est rapporté à la justice et le conseil des proches de la victime a plaidé et pris acte de la décision.

L'audience a été suspendue à 9h59 et le tribunal s'est retiré pour délibérer sur l'incident.

L'audience a été reprise à 11h04. Le Tribunal criminel a alors informé les parties que, se fondant sur les art. 56 al. 3 CP, 56 al. 4bis CP et 189 CPP, il ordonnait une troisième expertise, motivée comme suit :

"Dans le cas d'espèce, les experts français, par le biais du Dr S______, ont pris possession du dossier le 3 juin 2015. Ce même jour, alors même qu'il n'avait [pas] pris connaissance du dossier, le Dr S______ a décidé de rencontrer le prévenu pour un seul et unique entretien. Par ailleurs, il ressort des auditions des Drs S______ et T______ devant le Ministère public et le Tribunal criminel qu'ils n'avaient pas connaissance d'éléments factuels importants et déterminants susceptibles d’influencer leur diagnostic ainsi que le pronostic [comprendre : au sens de l'art. 64 al. 1bis let. b et c CP] et qu’ils n’ont pas intégré dans leur raisonnement certains éléments qui auraient pu avoir une telle influence.

À ce stade de la procédure, les conclusions prises par les experts n’entrent pas en ligne de compte et le Tribunal ne les a pas pris[es] en considération.

La seule question qui se pose est celle de savoir si le Tribunal dispose de deux expertises conformes aux exigences légales afin d’être en mesure de statuer sur la question de la mesure d’internement à vie qui pourrait être envisagée. Dans cette mesure, le Tribunal doit s’assurer de disposer de deux expertises qui répondent aux exigences légales afin d’être en mesure de se déterminer.

Le Tribunal doit être d’autant plus rigoureux dans l’examen de la régularité des expertises figurant à la procédure, compte tenu de l’intensité extraordinaire de la mesure en question (cf. HEER/HABERMEYER, BK, n. 123 ad art. 64 CP).

Dans le cas d’espèce, seule une nouvelle expertise peut pallier les irrégularités constatées. Dans cette mesure, un complément d’expertise ne saurait suffire.

La décision du Tribunal n’est pas sujette à recours."

L’audience a été suspendue à 11h08 et a repris à 15h04.

Le conseil de Fabrice A______ a soulevé une question incidente tendant à la récusation du tribunal et a plaidé.

Le Ministère public et le conseil des proches de la victime ont conclu au rejet de la demande de récusation, le conseil de Fabrice A______ répliquant.

L’audience a été suspendue à 15h27 et a repris à 16h06.

Le tribunal, considérant qu’il convenait de traiter la question incidente de la défense comme une demande de le récuser, a annoncé qu’il "n’entend[ait] pas donner suite à la requête" et transmettrait celle-ci, avec ses observations, à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice, autorité compétente en vertu de l’art. 59 al. 1 let. b CPP. À ce stade, le tribunal ne suspendait pas la procédure et poursuivait avec l’audition des témoins convoqués le même jour, conformément à l’art. 59 al. 3 CPP.

C. a. À l'appui de sa demande écrite, Fabrice A______, par l'intermédiaire de son conseil, confirme solliciter la récusation du Tribunal criminel in corpore, soit de chacun de ses membres, à savoir K______, présidente, L______ et M______, juges, N______, O______, P______ et Q_____, juges assesseurs, et R______, secrétaire-juriste délibérante.

Il reproche au tribunal d’avoir décidé d’ordonner une troisième expertise sans entendre préalablement les parties. Il avait dû insister pour faire valoir son droit d’être entendu. Le Tribunal criminel s’était retiré pour délibérer quand bien même il avait annoncé que sa décision était irrévocable. Cette délibération ne permettait ainsi pas d’écarter le doute objectif et fondé que le Tribunal criminel avait d’ores et déjà pris une décision à son détriment. À la reprise de l’audience, le Tribunal criminel avait informé les parties que l’incident soulevé par la défense était rejeté et annoncé qu’il ordonnait une troisième expertise psychiatrique. Cette décision d’écarter l’expertise française qui – à tout le moins sur le plan de la description du mécanisme et du fonctionnement psychologique du prévenu ainsi que sur les questions cruciales du risque de récidive et de l’application des critères présidant à l’internement à vie – lui était favorable, avait ainsi été prise en violation complète de son droit d’être entendu. Pour cette raison déjà, il existait un indice objectivable de partialité de la part du Tribunal criminel.

Par ailleurs, les motifs de la décision faisaient apparaître de sérieux et objectifs risques de prévention. En effet, le motif concernant le prétendu problème de méthodologie employé par les experts français était connu du Tribunal criminel qui ne l’avait jamais soulevé, ni n’avait spontanément et spécifiquement interrogé les experts français sur ce point, à tout le moins pas avant que le Ministère public et les parties plaignantes ne leur posent des questions. Le Tribunal criminel était par ailleurs muet quant au second entretien entre le prévenu et le Dr T______ le 21 août 2015. Il ne renseignait pas non plus en quoi cette méthodologie serait inappropriée alors que le rapport d’expertise avait été cosigné et résultait de la confrontation de deux visions concordantes. La prétendue méconnaissance du dossier par les experts français – contestée – résulterait, selon la décision du Tribunal criminel, également de l’audition par-devant le Ministère public. Or, ce dernier, en saisissant le Tribunal criminel, avait estimé que la seconde expertise était complète. Le Tribunal criminel n’expliquait pas quels éléments factuels importants et déterminants auraient été écartés par ces experts, et ce en violation complète des exigences de motivation. Par ce procédé, le tribunal empêchait le justiciable de comprendre sa décision et dans quelle mesure un simple complément d’expertise ne serait pas suffisant. En tout état, les questions en lien avec la prise en charge thérapeutique antérieure du prévenu étaient dénuées de pertinence pour apprécier la valeur probante de l’expertise, les experts français ayant expressément indiqué dans leur rapport – ce qui était donc connu du Ministère public et a fortiori du Tribunal criminel – qu’ils n’avaient pas pour mission "de porter la moindre appréciation sur d’éventuelles erreurs ou négligences dans la prise en charge psycho-criminologique de Fabrice A______."

L’audition des experts français démontrait une pleine compréhension du fonctionnement du prévenu, ce qui ressortait du reste de l'article du quotidien Le Temps publié le 6 octobre 2016 et intitulé "Le procès de Fabrice A. tourne à l'immense gâchis" dans lequel on pouvait lire : "tous deux dépeignent un criminel exceptionnel, très dangereux et très difficile à traiter. Les experts désormais bannis se sont certes montrés plus réservés sur le projet sanglant ruminé par Fabrice A., sur le caractère sexuel de son crime, sur sa propension sadique. Enfin, ils ont clamé plus haut et plus fort l’absurdité d’un pronostic à vie. Bien que le tribunal se défende d’avoir pris en compte ces conclusions pour décider d’une nouvelle expertise, il est difficile de croire que les juges sont restés insensibles à un avis leur liant en quelque sorte les mains." (pièce 2, requête).

Les circonstances entourant la décision, à savoir le contexte particulier de la procédure, une affaire hautement médiatisée aux enjeux dépassant le cadre du procès de prévenu, devaient amener à apprécier plus largement les motifs de récusation. Les parties plaignantes s’étaient exprimées dans les médias en faveur de l’internement à vie pour le prévenu et, le 5 octobre 2016, elles avaient critiqué la connaissance du dossier par les experts français. La prévention était également renforcée par l’ambiance durant les débats, non reflétée par le procès-verbal : le Tribunal criminel, lors de l’audition des experts suisses, avait longuement insisté auprès de ceux-ci sur le point – pourtant favorable au prévenu – de la diminution de sa responsabilité. Il avait également souhaité que les experts suisses ne répondent pas à la question, posée par la défense, de savoir quelle mesure ils préconisaient. Le Tribunal criminel avait toléré des piques et des remarques à l’attention des experts français, en particulier le terme de "logorrhée", et de citer un article de presse publié le 5 octobre 2016 (http://20min.ch/ro/news/geneve/story/Choc-frontal-entre-Olivier-Jornot-et-les- psychiatres, pièce 6, requête), ajoutant que les observations des personnes présentes étaient un bon indicateur de cette ambiance (cf. article de presse publié le 5 octobre 2016 dans la Tribune de Genève, pièce 7, requête). Le Tribunal criminel avait, lors de l’audition des experts français, procédé à un examen croisé, ce qu’il s’était abstenu de faire s’agissant des experts suisses. Des problèmes de police de l’audience en sa défaveur avaient également été relevés.

En sus de la récusation du Tribunal criminel, Fabrice A______ sollicitait en application de l’art. 60 CPP, l’annulation et la répétition de tous les actes de procédure auxquels avait procédé ce tribunal et demandait d’ores et déjà le droit de pouvoir se déterminer sur toute argumentation qui serait présentée à la Chambre de céans.

b. Dans ses observations du 11 octobre 2016, le Tribunal criminel conclut au rejet de la demande de récusation et sollicite de pouvoir compléter, cas échéant, ses remarques.

Il expose qu’il lui est apparu, au cours de l’audition des experts français, notamment sur questions du Ministère public et du conseil des proches de la victime, que ces experts n’avaient pas connaissance de certains éléments pertinents de la procédure lorsqu’ils avaient rendu leur rapport, notamment en lien avec le comportement de l’auteur après l’acte et avec les soins prodigués au prévenu avant les faits. Dans cette mesure, une troisième expertise s’est avérée indispensable, étant rappelé que, si l’internement à vie était envisagé, le tribunal devait prendre sa décision sur deux expertises, a fortiori complètes.

Le Tribunal criminel précise qu’il n’a pas écarté de la procédure l’expertise "française" jugée incomplète, celle-ci demeurant au dossier.

S’agissant de la violation du droit d’être entendu alléguée, il relève que les parties n’ont pas de droit à s’exprimer sur une réquisition de preuve décidée d’office par le tribunal, celui-ci étant tenu de rechercher d’office tous les faits pertinents, qu’ils soient à charge ou à décharge, pour établir la vérité matérielle. À cet égard, il était indifférent de savoir si cette administration aurait déjà été possible dans le cadre de l’instruction devant le ministère public, si ces preuves étaient connues à cette époque ou si leur administration avait été refusée. De telles administrations de preuves ne violaient pas le principe de l’accusation ni ne remettaient en cause l’indépendance du tribunal si elles répondaient à l’état de fait mis en accusation et complétaient les preuves déjà disponibles. En tout état, cette prétendue violation du droit d’être entendu ne préjugeait en rien la décision qui serait rendue sur le fond. Cas échéant, ce grief pourrait être formulé dans la procédure au fond et non dans le cadre d’une requête en récusation. Enfin, les parties, sur intervention de la défense, s’étaient prononcées sur la décision prise par le tribunal d’ordonner une troisième expertise. C’était après nouvelle délibération sur la question que le tribunal avait confirmé sa décision. Ainsi, la supposée violation avait été réparée. La décision prise l’avait été indépendamment des conclusions des expertises. Au vu de l’intensité extraordinaire de la mesure d’internement à vie, le tribunal n’avait eu d’autre intention que de pouvoir disposer de deux expertises complètes pour pouvoir statuer sur cette question, ce dans l’unique souci de faire bénéficier le prévenu d’un procès équitable.

S’agissant des quelques menus accrochages qui avaient pu émailler l’audience, il ne voyait guère en quoi les remarques des parties à l’égard des experts constitueraient une apparence de prévention du tribunal.

La demande de récusation n’était en réalité qu’une tentative de la défense de contester la décision d’ordonner une troisième expertise, dès lors que cette décision n’était pas sujette à recours. Interdire au tribunal d’administrer une preuve au stade des débats sous peine de le faire apparaître partial contrevenait à la maxime de l’instruction de l’art. 6 CPP et le privait de son indépendance.

c. Le 4 novembre 2016, Fabrice A______ a persisté dans sa demande du 6 octobre 2016 et ses écritures du 10 octobre 2016. Tout portait à croire que le Tribunal criminel avait sérieusement envisagé de prononcer l'internement à vie. Il s'en était du reste donné les moyens en discréditant l'expertise "française", qui ne plaidait pas en faveur de cette mesure, et avait, de fait, laissé transparaître une apparence de prévention objective. Fabrice A______ se demande si le problème de méthodologie invoqué par le Tribunal criminel – qui ne semblait plus en être un – n'aurait pas dû le conduire à soumettre ce point aux experts mis en cause. Or, ce problème semblait plutôt avoir été découvert pour les besoins de la décision. Si la détermination du Tribunal criminel permettait de découvrir enfin quels étaient les éléments importants et déterminants qui auraient été écartés par les experts, à savoir le comportement de l'auteur après l'acte et les soins prodigués au prévenu avant les faits, il ne percevait pas en quoi ces éléments seraient indispensables pour décrire le mécanisme et le fonctionnement psychologique et apprécier le risque de récidive et les critères présidant au prononcé d'une mesure, d'une part, et aptes à réduire à néant le raisonnement des experts notamment compte tenu des réponses apportées en audience, d'autre part. On ignorait toujours, au surplus, en quoi un complément d'expertise ne serait pas susceptible de réparer les prétendues irrégularités soulevées par le tribunal. L'expertise "française" n'étant pas incomplète, la décision du tribunal d'ordonner une troisième expertise créait ainsi une apparence de prévention et remettait en cause l'indépendance du tribunal.

À cela s'ajoutait une police de l'audience défaillante, le Tribunal criminel ayant notamment laissé une partie adresser des "piques" aux experts français et manifester son agacement lorsque les réponses ne lui convenaient pas, le requérant se référant à cet égard aux articles de presse joints à sa demande de récusation écrite.

Enfin, un recours avait été interjeté contre la décision du Tribunal criminel d'ordonner une troisième expertise, de sorte qu'on ne saurait prêter à la défense l'intention de vouloir, par le détour de sa demande de récusation, remettre en cause cette décision.

d. Dans ses observations complémentaires du même jour, le Tribunal criminel a rappelé qu'il avait pris sa décision indépendamment des conclusions des deux expertises figurant au dossier, conclusions qui n'avaient pas à être prises en compte, et ne l'avaient pas été, à ce stade de la procédure. Il précisait à cet égard que, lorsqu'un internement à vie était envisageable, le juge devait se montrer d'autant plus critique dans son examen des expertises qui lui étaient soumises. Il n'était pas possible d'affirmer que le tribunal avait d'ores et déjà décider de prononcer l'internement à vie du prévenu, dès lors que l'expertise "suisse" – dont la défense semblait partir du principe qu'elle pourrait lui permettre de prononcer une telle mesure – devrait faire l'objet d'une délibération approfondie afin de déterminer la mesure appropriée, cette question, juridique, étant du ressort du seul tribunal et non de l'expert.

Lors de leur audition par le Ministère public le 16 décembre 2015 et lors de l'audience de jugement, les experts français avaient indiqué ignorer certains éléments qui figuraient pourtant au dossier, soit le fait que le prévenu ait "choisi le centre ______, à côté duquel se trouve la forêt dans laquelle les faits se sont produits". Ils n'avaient pas non plus mentionné dans leur rapport qu'il se masturbait lors des visionnements en boucle d'une scène d'égorgement. Par ailleurs, interrogés sur les traitements suivis par le prévenu par le passé, ils avaient déclaré ignorer ce qui avait été fait avec Mme ______ de 2002 à 2006. Ils étaient également restés évasifs sur le parcours carcéral du prévenu, le Dr S______ ajoutant qu'il ne ferait pas de commentaire particulier car il n'avait pas assez d'éléments. Quant au Dr T______, il avait aussi précisé pour la première fois lors de l'audience de jugement que les experts n'avaient pas le compte rendu de la Pâquerette, alors que celui-ci figurait au dossier, de même que la documentation relative à la psychothérapie individuelle entreprise par le prévenu avec le Dr J______. Or, ces éléments étaient importants dès lors que pour prononcer un internement, il fallait s'assurer que le sujet n'était pas curable, a fortiori sa vie durant. Outre cette méconnaissance, les experts français avaient refusé de se prononcer sur les soins qui pourraient être prodigués à l'avenir. Ces lacunes s'étaient cristallisées à l'audience de jugement, en particulier par l'aveu de l'omission de certains éléments n'allant pas dans le sens de la démonstration, par le refus de mentionner un traitement susceptible de diminuer le risque de récidive ainsi que par l'entretien devant la presse d'un des experts au cours de son audition, à l'occasion d'une suspension des débats, précisément sur la question de l'internement à vie. C'était l'ensemble de ces éléments qui avaient conduit le tribunal à ordonner une troisième expertise.

L'expertise "française" demeurait au dossier et serait évaluée dans le cadre de la libre appréciation des preuves. En outre, il était bien difficile d'affirmer avec certitude que cette expertise ne permettrait pas l'internement à vie du prévenu, compte tenu des regards divergents des parties sur celle-ci. Ainsi, à l'instar de l'expertise "suisse", seule une délibération approfondie serait susceptible de répondre à la question de la mesure appropriée. Quant à la troisième expertise ordonnée, il était évidemment impossible de prédire ses conclusions.

Enfin, si d'éventuels vices de forme avaient pu entacher la décision du tribunal – ce qui était contesté –, de même que d'éventuelles erreurs d'appréciation, qui s'inscrivaient dans des mesures inhérentes à l'exercice normal de la charge du tribunal, celles-ci ne permettaient pas de suspecter celui-ci de partialité. Même s'il fallait admettre que des mesures différentes eussent été préférables, la décision en cause ne constituerait pas une violation grave de ses devoirs qui soit l'expression d'une prévention contre le prévenu.

e. Le Ministère public a conclu au rejet de la demande de récusation et s'est référé au surplus à la motivation du Tribunal criminel, sans autre remarque.

f. Les proches d'Adeline, par l'intermédiaire de leur conseil, ont, le 4 novembre 2016, conclu au rejet de la demande de récusation, avec suite de frais et dépens. Celle-ci n'avait pour seul objectif que de remettre en cause indirectement la décision d'ordonner une troisième expertise. Les motifs invoqués à l'appui de la requête reposaient pour l'essentiel sur des "coupures de presse retranscrivant maladroitement les propos tenus par les experts T______ et S______" et non sur le procès-verbal – dont la teneur n'avait pas été remise en question par la défense. En tout état, la décision du Tribunal criminel ne démontrait pas un comportement partial de sa part, les conclusions des experts français – plus sévères que celles des experts suisses – n'étant pas favorables à la défense. Au demeurant, l'expertise "française" resterait au dossier. Il était apparu au cours de l'audition de ses auteurs que ceux-ci n'avaient pas pris connaissance d'éléments pertinents lorsqu'ils avaient rendu leur rapport – soit le fait que le prévenu avait tenté de vendre les derniers mots d'Adeline, les traitements administrés au prévenu durant sa détention ainsi que certains éléments objectifs démontrant la préméditation de l'acte –, ce qui mettait en doute l'exactitude de leur expertise. La prétendue apparence de prévention dont s'offusquait la défense n'était qu'une critique de la décision du Tribunal criminel et ne reposait sur rien. Il n'y avait par ailleurs aucune violation du droit d'être entendu, le Tribunal criminel pouvant d'office ordonner une troisième expertise. Quant au comportement de l'autorité de jugement durant les débats, il ne trahissait aucun parti pris – celle-ci ayant eu à cœur de faire bénéficier au prévenu d'un procès équitable –, les quelques différends survenus durant l'audience ne commandant pas l'intervention de la Direction de la procédure.

g. G______, pour leur part, s'en sont rapportés à l’appréciation de la Cour.

h. Nanti de ces écritures, le Tribunal criminel a répliqué, par courrier du 14 novembre 2016, n'avoir pas d'observations complémentaires à formuler.

i. Les proches d'Adeline, par l'intermédiaire de leur conseil, ont également indiqué n'avoir pas d'autres observations à formuler et déclaré persister dans leurs conclusions du 4 novembre 2016.

j. Dans sa réplique du 21 novembre 2016, Fabrice A______ a intégralement persisté dans sa demande de récusation. Il a ajouté que le Tribunal criminel consacrait une grande partie de ses développements aux raisons qui l'avaient conduit à ordonner une troisième expertise. Or, lui-même réfutait une méconnaissance du dossier par les experts français. Leur mission n'avait pas pour but de porter un jugement sur la qualité des soins prodigués. Par ailleurs, il était inexact d'affirmer qu'ils avaient refusé de se prononcer sur les soins qui pourraient être prodigués à l'avenir; ils avaient précisé pouvoir proposer des recommandations et avaient préconisé un travail psychothérapeutique, cas échéant assorti de traitements pharmacologiques. Quant à la prétendue problématique des propos que le Dr S______ avait tenu devant une caméra, elle n'en était pas une, les parties n'ayant rien eu à exprimer à cet égard et le Tribunal criminel s'en prévalant pour la première fois dans ses observations du 4 novembre 2016. Le requérant a rappelé que le soupçon de prévention ne se fondait pas sur l'élément de preuve requis par le Tribunal criminel, mais sur un ensemble d'éléments, parmi lesquels les motifs de la décision d'ordonner une troisième expertise, ses conséquences et les circonstances qui l'entouraient. À cet égard, il a ajouté que l'interrogatoire des experts suisses par le Tribunal criminel n'était pas à décharge s'agissant de sa responsabilité, l'autorité de jugement y ayant consacré trois pages de déclarations, formulant des questions fermées aux experts et leur rappelant que sa capacité volitive n'avait pas été altérée. Enfin, les articles de presse étaient concordants et permettaient d'illustrer tout ce qui ne ressortait pas ou ne pouvait pas ressortir d'un procès-verbal.

D. Le procès a donné lieu à de nombreux articles de presse, relatant le déroulement des débats et l'atmosphère y ayant régné. Fabrice A______ en a joint des copies à sa requête du 10 octobre 2016. La Chambre de céans en retient les passages suivants :

- 20 minutes du 5 octobre 2016 à 13h57, par Jérôme FAAS (http://www.20min.ch/ro/news/geneve/story/Choc-frontal-entre-Olivier-Jornot-et-les-psychiatres; pièce 6, requête) : "Choc frontal entre Olivier Jornot et les psychiatres. Le procureur général a fait étalage du mépris qu’il vouait aux experts français qui se sont penchés sur Fabrice A., le meurtrier d’Adeline M.

Le procureur général Olivier Jornot est excédé par les deux experts psychiatres français. Alors qu’il les interroge, le magistrat se montre incapable de réfréner les manifestations physiques de son mépris pour ses interlocuteurs. Il est d’ailleurs possible qu’il ne cherche pas à les réfréner, tant il bascule par moment dans le sarcasme et sa mise en scène.

L’échange tourne dès ses premiers instants à la passe d’armes. Olivier Jornot est cassant. Il désire des réponses par oui ou par non. Les experts y opposent de longs développements. "J’aimerais pouvoir avancer sans avoir une logorrhée", s’énerve le procureur. (…).

D’une manière générale, ce dernier semble estimer que les deux experts ont volontairement écarté de leur analyse des éléments à charge contre Fabrice A., qu’au mieux ils ont pris "pour argent comptant" certaines déclarations, et qu’au pire, ils font acte de complicité. (…).

Les experts se défendent. "Utiliser l’expression argent comptant, relève T______, c’est donner l’image que le psychiatre est une espèce de naïf qui veut croire en l’humanité et se fait rouler dans la farine". Or, explique-t-il, le rôle des experts consiste d’abord à amener de la complexité. "Fabrice A. n’est pas le diable. Ce qu’il a fait est suffisamment affreux comme ça pour qu’on n’en rajoute pas". (…)."

- Tribune de Genève du 5 octobre 2016, par Catherine FOCAS (http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/commis-actes-atroces-diable/story/29977325; pièce 7, requête): ""Il a commis des actes atroces, mais ce n'est pas le diable !" Drame d'Adeline M. Les experts français sont sévères pour Fabrice A. mais ne veulent pas fermer toutes les portes. Tensions au tribunal.

Audience particulièrement tendue, ce mercredi, au troisième jour du procès de Fabrice A. On ne peut pas dire que les deux experts psychiatres français ont été accueillis de manière particulièrement élégante par le Tribunal criminel. Gestes d’agacement du procureur général Olivier Jornot qui leur reproche leur "logorrhée" avant de les enjoindre, sur un ton martial, à lui répondre par oui ou par non.

Même rengaine du côté de Me Simon Ntah, avocat de la famille d’Adeline M., critiquant leur prétendue méconnaissance du dossier. Sans compter le Tribunal lui-même, qui s’érige, à un moment donné, en maître d’école et s’offusque du fait que les experts ne peuvent pas lui réciter par cœur la liste des soins thérapeutiques reçus par Fabrice A. jusqu’à l’assassinat d’Adeline…

Pourquoi une telle agressivité? Difficile à comprendre. Choc des cultures? Crispation devant une parole qui refuse les clichés et les simplifications? Peut-être. Les docteurs S______ et T______, des grands noms de la psychiatrie légale en France (lire ci-dessous), finissent par réagir: "Nous ne nous laisserons pas enfermer dans le oui ou le non. Nous sommes ici pour vous apporter des réponses élaborées, pas pour répondre à des questions oiseuses ou critiquer les précédents traitements reçus par Fabrice A., ce qui heurterait notre déontologie et serait malhonnête!""

- Tribune de Genève du 6 octobre 2016, par Catherine FOCAS (http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/chaos-judiciaire-proces-fabrice/story/19634989; pièce 1, requête) : "Chaos judiciaires dans le procès de Fabrice A. Meurtre d’Adeline M. Fâché avec la méthode des experts psychiatres français, le Tribunal criminel demande une troisième expertise et renvoie le procès à une date indéterminée.

Décidément, les experts psychiatres français ne conviennent pas à la justice genevoise. Après une journée d’audience calamiteuse mercredi où ils ont été attaqués et malmenés de toutes parts, le Tribunal criminel a décidé, ce jeudi, d’annuler tout leur travail avec la mention "insuffisant" et de renvoyer le procès de Fabrice A. à une date indéterminée.

(…) Quelle mouche a piqué le tribunal? Les juges reprochent aux experts français de n’avoir "pas eu connaissance d’éléments factuels importants et déterminants susceptibles d’influencer leur diagnostic ainsi que leur pronostic", de n’avoir "pas intégré dans leur raisonnement certains éléments qui auraient pu avoir une telle influence". Ils accusent également l’un des experts d’avoir pris possession du dossier le 3 juin 2015 et "ce même jour, alors qu’il n’avait pas pris connaissance du dossier, ce même expert a décidé de rencontrer le prévenu pour un seul et unique entretien".

Ces éléments ont amené le tribunal à prendre une décision radicale dans une affaire extrêmement sensible, sans même, comme de coutume, donner aux parties l’occasion de s’exprimer. Pensait-il recevoir des applaudissements? Il n’a fait que semer la consternation (…).

(…) Après les rodomontades de mercredi à l’encontre des experts français, le procureur général, Olivier Jornot, semble soudain bien marri par la tournure des événements. Il évoque sa "frustration" à la perspective d’un renvoi des débats, notamment par rapport à la famille d’Adeline M., qui souffre et devra encore attendre durant des mois la conclusion de cette tragique affaire. En ce qui le concerne, précise-t-il, il aurait pu s’accommoder de l’analyse des experts français "quand bien même leur méthode de travail n’est pas la même que celle des experts suisses, qui passent un temps considérable sur leur expertise. Ici, nous avons quelque chose de plus expéditif".

Quant aux reproches du tribunal s’offusquant du fait que l’un des psychiatres ait pris connaissance du dossier le jour même de sa rencontre avec Fabrice A., "je le savais, indique le procureur général, et je sais aussi que certains experts préfèrent entendre d’abord le prévenu avant de confronter cette audition aux pièces du dossier". En réalité, "une fois qu’on écarte de leurs propos ce parisianisme qui m’a beaucoup agacé, on trouve dans leur travail des réponses à nos questions. Ils reconnaissent à Fabrice A. une responsabilité pénale entière et le décrivent comme un pervers psychopathe pour lequel il n’y a pas de traitement" (…).

Même discours de la part de Me Simon Ntah, avocat de la famille de la défunte sociothérapeute de La Pâquerette: "Les conclusions de l’expertise psychiatrique française, qui décrit un psychopathe pervers et incurable, me vont. Mercredi, nous avons simplement combattu la position philosophique des experts français, un débat qui n’a d’ailleurs pas sa place dans un prétoire (…).

Le tribunal, qui avait dans un premier temps annoncé que sa décision était irrévocable, a finalement suspendu l’audience pour délibérer. Une heure plus tard, les juges sont revenus pour confirmer leur choix (…).

Notons au passage que les magistrats étaient en possession de l’expertise française depuis le mois de mai. Pourquoi n’ont-ils pas réagi plus tôt aux graves lacunes qu’ils disent avoir constatées aujourd’hui? (…)."

-        Le Temps du 6 octobre 2016 à 20h56, par Fati MANSOUR (https://www.letemps.ch/suisse/2016/10/06/proces-fabrice-tourne-limmense-gachis; pièce 2, requête) : "Le procès de Fabrice A. tourne à l'immense gâchis. Les juges genevois se montrent encore particulièrement méfiants envers les experts psychiatres. Le dénigrement du travail effectué par de grands spécialistes français en est une nouvelle démonstration.

(…) En substance, le Tribunal criminel estime que les deux psychiatres français, pourtant très expérimentés, ont trop mal fait leur travail pour qu'il puisse se fonder sur leurs conclusions et statuer sur un éventuel internement à vie. L’opposition de la défense et la réserve du procureur général n’ont pas fait revenir les juges sur leur annonce matinale.

Le désamour de certains magistrats genevois pour la psychiatrie – et surtout pour les expertises dont les conclusions en responsabilité ou en dangerosité ne leur conviennent pas vraiment – n'est pas nouveau (…). Cette fois, ce sont les docteurs S______, quarante ans d’expérience dans les prisons lyonnaises, et T______, expert de tueurs en série aussi célèbres que Guy Georges, Michel Fourniret ou encore Patrice Alègre, qui font les frais de ce scepticisme malgré leur déposition très éclairante de la veille.

Le tribunal estime que leur rapport est incomplet. Il relève que l’expert S______ a pris possession du dossier le 3 juin 2015 et qu’il a rencontré le prévenu le même jour pour "un seul et unique entretien". En fait, il y a bien eu un second entretien, mené plus tard par T______, et dont la décision ne dit mot. Les juges ajoutent que les auditions du duo français, tant devant le Ministère public que lors du procès, révèlent que des éléments factuels importants, susceptibles d’influencer le diagnostic ou le pronostic, leur ont échappé ou n’ont pas été intégrés dans la réflexion.

(…) La question d’un internement à vie, "mesure d’une intensité extraordinaire", implique une rigueur particulière dans l’examen de la qualité de l’expertise, relève le tribunal. Le choix opéré est radical. Il n’y aura pas de complément mais un troisième rapport. "Seule une nouvelle expertise peut pallier les irrégularités".

Ce coup de théâtre suscite le malaise. Les éléments de méthode propres aux experts français n’ont jamais été contestés durant la procédure. Le tribunal aurait pu aussi réagir avant l’ouverture du procès. La connaissance préexistante du dossier n’est d’ailleurs pas une règle et certains experts préfèrent ne pas s’en imprégner avant la rencontre. Quant aux critiques de fond, on se demande bien sur quoi se basent les juges – à part une sorte d’interrogatoire de police mené en fin d’audition des psychiatres – pour distinguer une bonne expertise d’une mauvaise.

Selon le procureur général Olivier Jornot lui-même, la "facture" finale présentée par S______ et T______ répondait à toutes les questions posées. On peut même ajouter, de manière limpide. Ce qui est assez rare en matière d’expertise. Au demeurant, le rapport français ne diffère pas sur l’essentiel du rapport suisse (lequel échappe pour une fois à la crucifixion).

Tous deux dépeignent un criminel exceptionnel, très dangereux et très difficile à traiter. Les experts désormais bannis se sont certes montrés plus réservés sur le projet sanglant ruminé par Fabrice A., sur le caractère sexuel de son crime, sur sa propension sadique. Enfin, ils ont clamé plus haut et plus fort l’absurdité d’un pronostic à vie.

Bien que le tribunal se défende d’avoir pris en compte ces conclusions pour décider d’une nouvelle expertise, il est difficile de croire que les juges sont restés insensibles à un avis leur liant en quelque sorte les mains (…)."

EN DROIT :

1. 1.1. Aux termes de l'art. 59 al. 1 let. b CPP, lorsqu'un motif de récusation au sens de l'art. 56 let. a ou f CPP est invoqué, le litige est tranché sans administration supplémentaire de preuves et définitivement par l'autorité de recours, lorsque, comme en l'espèce, les tribunaux de premières instance sont concernés. À Genève, le Tribunal criminel – parce qu'il est une section du Tribunal pénal selon l'intitulé du titre III de la 2ème partie de la LOJ –, est au rang des "tribunaux de première instance", au sens de l'art. 59 al. 1 let. b CPP. L'autorité de recours, au sens de cette disposition, est la Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ).

1.2. La demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP). Si la loi ne prévoit qu'un délai indéterminé, la jurisprudence considère que la récusation doit être formée dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_277/2008 du 13 novembre 2008). Une telle demande n'est soumise à aucune forme et peut même être formulée par oral, notamment à l'audience, si un motif de prévention contre la partie apparaît à ce moment-là (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung/Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2011, n. 3 ad art. 58 CPP).

En l'espèce, le requérant a présenté sa demande de récusation, oralement, à l'audience du 6 octobre 2016 devant le Tribunal criminel, puis par écrit, le 10 suivant, à la Chambre pénale de recours. Sa requête n'est donc pas tardive.

1.3. Partie à la procédure P/13698/2013 en tant que prévenu, le requérant a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a et 58 CPP).

1.4. La requête est donc recevable.

2. Dans le cadre de la procédure de récusation, la loi prévoit que la personne concernée prend position sur la demande (art. 58 al. 2 CPP). La décision est ensuite rendue sans administration supplémentaire de preuve, sauf lorsqu'une partie demande la récusation d'un magistrat en se fondant sur les motifs de l'art. 56 let. a ou f CPP. Dans un tel cas, la possibilité pour l'autorité compétente de recueillir les observations des autres parties est laissée à sa libre appréciation, la loi n'empêchant pas une instruction plus complète, sous réserve néanmoins des exigences de célérité qui prévalent en procédure pénale (arrêt du Tribunal fédéral 1B_131/2011 du 2 mai 2011 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_199/2012 du 13 juillet 2012 consid. 3.1).

3. 3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux énoncés aux let. a à e sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_755/2008 du 7 janvier 2009; SJ 2009 I 233 concernant l'art. 34 LTF). La garantie d'un tribunal indépendant et impartial, consacrée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH, permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Elle vise notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat.

Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), au sens de l’art. 6 § 1 CEDH, l’impartialité, qui se définit par l'absence de préjugé ou de parti pris, peut s'apprécier de diverses manières. La Cour distingue entre une démarche subjective visant à rechercher ce que tel juge pensait dans son for intérieur ou quel était son intérêt dans une affaire particulière, et une démarche objective menant à rechercher si le tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (CourEDH, arrêts Kyprianou c. Chypre du 15 décembre 2015, § 118 et Micallef c. Malte du 15 octobre 2009, § 93).

Pour ce qui est de l’appréciation objective, la Cour a eu l'occasion de rappeler qu'il est fondamental que les tribunaux d'une société démocratique inspirent confiance aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (arrêts Kyprianou et Micallef précités, § 118 et § 96). En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, "justice must not only be done, it must also be seen to be done" (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (arrêt De Cubber c. Belgique du 26 octobre 1984, § 26). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit donc se déporter (arrêts Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, § 45, Micallef précité, § 98, et Morice c. France du 23 avril 2015, § 73-78).

Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont ainsi pas décisives (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.1; 139 I 121 consid. 5.1; 138 IV 142 consid. 2.1 et les arrêts cités). L'optique du justiciable joue certes un rôle dans cette appréciation, mais l'élément déterminant consiste à savoir si ses appréhensions peuvent passer pour objectivement justifiées (arrêt du Tribunal fédéral 1P.279/2004 du 11 juin 2004 consid. 2.1.; ATF 119 Ia 81 consid. 3 et les arrêts cités).

3.2. La chronique judiciaire sert à assurer la publicité indirecte des jugements. Elle répond à un intérêt public pour les décisions de toutes les instances (ATF 129 III 529 consid. 3.2.). Aussi, le compte rendu judiciaire écrit a toujours été admis et joue un rôle éminent dans un état de droit reconnu. La chronique judiciaire est d'abord une "information", c'est-à-dire une relation objective des faits tels qu'ils ressortent de l'audience, qui doit permettre au public de se rendre compte de la manière dont le droit est appliqué et la justice rendue (G. PIQUEREZ, Traité de procédure pénale suisse, 2ème éd., Zurich 2006, n. 310; cf. aussi ATF 113 Ia 309 consid. 5a = JdT 1989 273 p. 282).

4. Cela étant, la question à résoudre ici n'est pas de savoir si le Tribunal criminel était fondé à ordonner une troisième expertise psychiatrique – cas échéant en recueillant préalablement l'avis des parties – mais à déterminer s'il a fait preuve de partialité à l'encontre du prévenu, compte tenu des motifs invoqués à l'appui de sa décision et des circonstances l'ayant entourée, le requérant reprochant à l'autorité de jugement d'avoir discrédité l'expertise conduite par le second collège désigné, au motif qu'elle ne plaidait pas en faveur de l'internement à vie et partant, lui était favorable.

4.1. Au vu de ce qui précède, l'appréciation des apparences est si décisive en l'occurrence que la Chambre de céans estime probant – et donc utile à forger sa conviction – la prise en considération, ne serait-ce qu'à titre complémentaire, des articles de presse produits à l'appui de la requête, qui non seulement émanent de chroniqueurs judiciaires, notamment accrédités, mais encore s'avèrent tous convergents sur les points déterminants pour l'issue de l'instance. Leur teneur n'a du reste été remise en cause ni par le tribunal ni par les parties, le conseil des proches de la victime se limitant à invoquer une retranscription "maladroite" des propos tenus par les experts français, sans expliciter en quoi les coupures de presse en question contiendraient des assertions erronées. Cette prise en considération s'avère d'autant plus nécessaire en l'espèce que le procès-verbal d'audience, en tant qu'il consigne, sous forme de résumé des points essentiels (art. 77 CPP), les opérations ayant eu lieu aux débats telles notamment les dépositions des experts (cf. art. 78 al. 3 CPP), ne saurait à lui seul refléter le "climat" d'une audience; preuve en est qu'on n'y trouve trace d'aucun "accrochage" ni "joute verbale" (cf. consid. 4.3. infra).

4.2. Le Tribunal criminel soutient qu’il serait apparu, au cours de l’audition des deux experts concernés, que ceux-ci n’avaient pas eu connaissance d'éléments factuels importants et déterminants susceptibles d'influencer leur diagnostic ainsi que le pronostic [comprendre : au sens de l'art. 64 al. 1bis let. b et c CP] lorsqu'ils avaient rendu leur rapport, notamment en lien avec le comportement de l'auteur après l'acte et avec les soins qui lui avaient été prodigués avant les faits.

Ainsi, il invoque tout d'abord le fait que le Dr S______ a eu son seul et unique entretien avec le prévenu le 3 juin 2015, soit le jour où il a pris possession du dossier, et donc sans en avoir préalablement eu connaissance.

En tant que ce fait ressort des pièces de la procédure (pp C – 2'122 et C – 2'124), du rapport d’expertise lui-même ainsi que des auditions des experts par le Ministère public, il était nécessairement connu du Tribunal criminel avant l'ouverture des débats, tout comme le fait que le Dr T______ avait rencontré le prévenu le 21 août 2015 à la prison de la Croisée – fait que le Tribunal criminel passe cependant complètement sous silence.

Le Tribunal criminel ne s'est par ailleurs nullement enquis du bien-fondé de cette méthodologie auprès desdits experts lors de l'audience.

Quant aux déclarations du Dr S______ devant le Ministère public selon lesquelles il ignorait que le prévenu avait choisi le lieu du passage à l'acte
(pp C – 2'249), elles figuraient également au dossier et étaient donc, elles aussi nécessairement, connues du Tribunal criminel avant les débats.

Le Tribunal criminel fait ensuite grief aux experts français de ne pas avoir fait état dans leur rapport de la masturbation à laquelle se livrait le prévenu lors des visionnements en boucle d'une scène d'égorgement. Or, interrogés sur ce point à l'audience de jugement, ils ont expliqué avoir écarté de leur rapport des éléments qui n'allaient pas dans le sens de la démonstration. Ils ont confirmé oralement l'existence de cet élément factuel, et le Tribunal criminel ne leur a posé aucune question complémentaire quant à son éventuelle incidence sur les conclusions de leur rapport.

Il leur reproche encore d'avoir déclaré ignorer la nature des suivis psychologiques et psychiatriques dont avait bénéficié le prévenu lors de ses précédentes incarcérations, le Dr T______ ayant par ailleurs admis à l'audience de jugement n'avoir pas disposé du compte rendu de la Pâquerette alors que celui-ci figurait au dossier. Outre cette méconnaissance, les experts auraient également refusé de se prononcer sur les soins pouvant être prodigués à l'avenir.

Les experts ont toutefois clairement précisé, tant dans leur rapport que lors de leur audition devant le Ministère public, n'avoir pas eu pour mission de porter une appréciation sur d'éventuelles erreurs ou négligences dans la prise en charge psycho-criminologique du prévenu, raison pour laquelle ils n'avaient pas abordé cet aspect dans leur rapport. Cette position – qui n'a suscité aucune critique des parties – était donc connue, elle aussi, du Tribunal criminel. Les experts français l'ont redite à l'audience de jugement, expliquant avoir lu le dossier de manière approfondie et utilisé tout le matériel nécessaire pour la rédaction de leur rapport. La déclaration du Dr T______ à l'audience concernant le compte rendu de la Pâquerette n'était donc pas inédite, mais ne faisait qu’illustrer ces propos. Or, le Tribunal criminel, là encore, ne les a pas interrogés sur l’éventuelle incidence de cet élément sur les conclusions de leur rapport.

S’agissant enfin de leur prétendu refus de se prononcer sur les soins qui pourraient être prodigués à l'avenir au prévenu, les experts ont fait état, lors de leur audition par le Ministère public, de l'existence de traitements pharmacologiques de type neuroleptique, pouvant apporter une aide, ou d'autres thérapies psychothérapeutiques, destinées à l'accompagner, étant précisé qu'il appartiendrait à ses thérapeutes de "calibrer" la meilleure aide pour lui. À l'audience de jugement, ils ont confirmé que ce serait aux psychiatres appelés à suivre le prévenu en milieu pénitentiaire de décider des soins à lui prodiguer, eux-mêmes ne pouvant donner que des recommandations générales.

Ce nonobstant, le Tribunal criminel a considéré que ces "irrégularités" étaient telles qu'elles ne pouvaient être parées qu'au moyen d'une nouvelle expertise. Or, dans la mesure où ces éléments, à supposer qu'ils soient véritablement constitutifs d'irrégularités de méthodologie, lui étaient connus avant l'ouverture des débats, on se demande pour quelle raison il n'a pas ordonné une nouvelle expertise plus tôt (cf. art. 329 à 332 CPP).

Le tribunal tente de l'expliquer en alléguant que ces "lacunes" se seraient cristallisées à l'audience de jugement et en veut pour exemple le fait, notamment, que le Dr S______ avait accordé un entretien à la presse sur la problématique de l'internement à vie à l'occasion d'une suspension des débats. Toutefois, les parties, dûment interpellées par le Tribunal criminel à ce propos, n'ont émis aucune remarque, de sorte que cet argument – invoqué pour la première fois dans les observations de l'autorité citée du 4 novembre 2016 – apparaît spécieux.

4.3. Mais il y a plus.

Si les experts français ont, tout comme leurs collègues suisses, considéré que le risque de récidive, vu la pathologie du prévenu, était très élevé, ils ont apporté des réponses plus nuancées sur la propension sadique de ce dernier, la préméditation de son acte et le caractère sexuel de celui-ci. Malgré leur sombre pronostic actuel, ils ont refusé de le figer à très long terme et, par-là, de s'exprimer sur l'éventualité d'un internement à vie.

Si le procès-verbal d'audience n'est aucunement explicite sur l'atmosphère ayant régné durant leur audition du 5 octobre 2016, les articles de presse sont en revanche unanimes et apportent un éclairage édifiant. Ils décrivent un Procureur général "excédé par les deux experts psychiatres français", "incapable de réfréner les manifestations physiques de son mépris pour ses interlocuteurs", leur reprochant leur "logorrhée" et, tout comme le conseil des proches de la victime, "critiquant leur prétendue méconnaissance du dossier", faisant ainsi montre de la contrariété qu'ils en éprouvaient (cf. pièces 6 et 7, requête, consid. D. supra).

Or, c'est à la suite de l'interrogatoire des experts par le Ministère public et le conseil des proches d'Adeline que le Tribunal criminel leur a emboîté le pas en questionnant à nouveau les experts, cette fois sur le type de soins psychiatriques dont le prévenu avait bénéficié par le passé et le nombre de fois où il avait vu son psychiatre à la Pâquerette, interrogatoire perçu comme "une sorte d'interrogatoire de police mené en fin d'audition des psychiatres", le Tribunal criminel allant apparemment jusqu'à s'offusquer "du fait que les experts ne peuvent pas lui réciter par cœur la liste des soins thérapeutiques reçus par Fabrice A. jusqu'à l'assassinat d'Adeline…" (cf. pièces 2 et 7, requête, consid. D. supra).

Les critiques décochées aux experts français apparaissent ainsi formulées a posteriori et visent des éléments que, à les supposer pertinents pour les questions à résoudre par le tribunal, celui-ci était en situation de connaître et – s'il y avait lieu – de corriger bien plus tôt et dans des formes plus adéquates que celles qu'il a choisies.

Ainsi, en reprochant aux experts français, dans sa décision d'ordonner une nouvelle expertise, leur méconnaissance du dossier et en jetant le discrédit sur leur travail, le Tribunal criminel a en réalité suivi et abondé dans le sens de l'accusation, qui n'en demandait pas tant, le Procureur général ayant déclaré à la presse "avoir trouvé dans leur travail des réponses à nos questions" et le conseil des proches d'Adeline – même si aujourd'hui il est curieusement d'un autre avis – que "les conclusions de l'expertise psychiatrique française, qui décrit un psychopathe pervers et incurable, me vont (…)" (cf. pièce 1, requête, consid. D. supra). Par-là, les juges du Tribunal criminel ont donné toutes les apparences d'un évident parti pris contre le prévenu.

Cette apparence de prévention est également corroborée par les constatations concordantes des chroniqueurs judiciaires présents dans la salle d'audience (cf. notamment pièce 2, requête, consid. D. supra), qui constituent un élément objectif de poids à l'appui des craintes exprimées par le requérant au vu de la tournure des évènements.

4.4. Ce manquement à l'impartialité requise est encore renforcé par la violation du droit d'être entendu alléguée par Fabrice A______.

Il est en effet établi qu'au lendemain de l'audition des experts français, le Tribunal criminel a, d'entrée de cause, annoncé qu'il ordonnait une troisième expertise psychiatrique, pour les motifs évoqués ci-dessus (cf. consid. 4.2. supra), mais sans avoir donné préalablement aux parties l'occasion de s'exprimer.

Le conseil du prévenu a alors demandé, voire insisté, à plaider – ce qui n'est pas mentionné dans le procès-verbal, qui consigne seulement une suspension d'audience, mais n'est pas contesté par les autres parties –, s'opposant à cette décision et concluant subsidiairement à un complément d'expertise. Le Ministère public s'en est rapporté à justice, et le conseil des proches de la victime a pris acte de la décision. Après s'être retiré pour délibérer, le Tribunal criminel a informé les parties qu'il ordonnait une troisième expertise.

Indépendamment de savoir si le vice allégué a été réparé – en ce sens que les parties ont finalement pu plaider –, la procédure adoptée à cet égard n'enlève rien à l'apparence de prévention qui, elle, est restée entière.

4.5. Le Tribunal criminel se défend d'avoir préjugé l'internement à vie, arguant que l'expertise du premier collège n'y concluait pas non plus, que l'expertise "française" resterait au dossier et serait donc appréciée dans le cadre de la délibération (cf. art. 348 al. 1 CPP) et qu'il était impossible de prédire les conclusions de la troisième expertise.

Peu importe, dès lors que l'apparence de prévention suffit à faire droit à la requête.

De toute façon, ces arguments ne convainquent pas.

On voit tout d'abord mal comment le Tribunal criminel pourrait tenir compte de l'expertise décriée dans le cadre de la libre appréciation des preuves, après en avoir dénoncé les irrégularités, qu'il tient pour graves.

Ensuite, en discréditant l'expertise du second collège, qui est moins catégorique que celle du premier notamment sur l'absence d'amendement durable du prévenu et, sous cet aspect, plus favorable à celui-ci, le Tribunal criminel a non seulement trahi une prévention à l'encontre du requérant, mais encore a donné l'apparence de vouloir écarter un avis qui rendait forcément plus difficile le prononcé d'un éventuel internement à vie.

Le fait que le Tribunal criminel ait auparavant insisté auprès des experts suisses sur le seul point de leur rapport favorable au prévenu, à savoir une légère à très légère diminution de responsabilité, en leur rappelant qu'ils avaient admis une pleine capacité volitive de l'intéressé, ajoute encore au malaise et constitue également, replacé dans le contexte général, un élément objectif de partialité.

Le processus ayant conduit le Tribunal criminel à spontanément ordonner une troisième expertise, sans consultation préalable des parties, voire à brûle-pourpoint, qui plus est dans un procès avec un enjeu aussi lourd et controversé que l'internement à vie et avec un tel retentissement médiatique, suffit ainsi à faire objectivement douter de son impartialité pour la suite des débats et pour se forger une conviction sur "la culpabilité du prévenu, les sanctions et les autres conséquences" (art. 351 al. 1 CPP) – et donc suffit à susciter l'apparence d'une prévention contre l'accusé.

4.6. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'est point besoin d'examiner plus avant les autres griefs de la défense relatifs, notamment, à une police de l'audience défaillante (cf. art. 63 CPP).

5. Fondée, la demande doit être admise. En conséquence, sera prononcée la récusation du Tribunal criminel in corpore, soit de chacun de ses membres, à savoir K______, présidente, L______ et M______, juges, N______, O______, P______ et Q_____, juges assesseurs, et R______, secrétaire-juriste délibérante.

6. Le requérant a requis, dans sa demande de récusation écrite du 10 octobre 2016, l'annulation de tous les actes de procédure auxquels le Tribunal criminel avait procédé, au sens de l'art. 60 al. 1 CPP, soit dès sa saisine. Dans la mesure où cette demande a été formulée dans le délai maximal de cinq jours à compter de la connaissance du motif de récusation, prévu par cette disposition, il y sera fait droit.

7. L'admission de la demande ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 59 al. 4 CPP).

8. Le requérant n'ayant pas requis d'indemnité, il ne sera pas statué sur ce point (art. 429 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet la requête en récusation formée par Fabrice A______ et prononce la récusation du Tribunal criminel composé de K______, présidente, L______ et M______, juges, N______, O______, P______ et Q_____, juges assesseurs, et R______, secrétaire-juriste délibérante.

Annule tous les actes de procédure auxquels a participé ledit Tribunal criminel.

Laisse les frais de la procédure de récusation à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à Fabrice A______, soit pour lui son conseil, au Tribunal criminel, au Ministère public et aux parties plaignantes, soit pour elles leur conseil, et aux G______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.