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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10989/2020

ACPR/861/2021 du 09.12.2021 sur OTDP/2265/2021 ( TDP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE;REMPLACEMENT
Normes : CPP.133; CPP.134

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10989/2020 ACPR/861/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 9 décembre 2021

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], comparant en personne

recourante

 

contre l'ordonnance de refus de remplacement du défenseur d'office rendue le 22 octobre 2021 par le Tribunal de police

 

et

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3

intimé


EN FAIT :

A. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 27 octobre 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 précédent, notifiée le 26 suivant, par laquelle le Tribunal de police (ci-après, le Tribunal) a refusé de relever le défenseur d'office de sa mission.

La recourante conclut, sous suite de frais, à la recevabilité du recours, à l'annulation de l'ordonnance susmentionnée et à la nomination d'un autre avocat ou "de personne car finalement, même en justice, ou surtout en justice, il vaut mieux être seule que mal accompagnée".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Depuis plusieurs années, un conflit oppose A______ au père de sa fille, B______, et aux parents de ce dernier.

Ce conflit a donné lieu à l'ouverture de nombreuses procédures pénales à l'encontre de A______ pour diffamation, calomnie, injure, menace, tentative de contrainte, insoumission à une décision de l'autorité et dénonciation calomnieuse, dont la présente cause fait partie.

b. Lors de l'audience du 12 octobre 2020 par-devant le Ministère public, A______ a sollicité la nomination d'un défenseur d'office en la personne de Me C______ ou de Me D______. Ce dernier a été nommé en qualité de défenseur d'office le 16 octobre 2020.

c. A______ a été renvoyée en jugement devant le Tribunal par acte d'accusation du 30 avril 2021.

d. Par lettre du 11 octobre 2021, adressée au Tribunal, A______ a déclaré vouloir changer d'avocat d'office. Après que Me D______ avait été menacé de plainte à la "CBA [Commission du Barreau]" par l'avocat de la partie adverse lors d'une audience, elle avait été assistée par la stagiaire du précité à toutes les audiences. La justice avait l'obligation d'être équitable et elle avait besoin d'un avocat que l'avocat de la partie adverse n'oserait pas menacer.

e. Le Tribunal a contacté Me D______ afin qu'il lui précise si sa mandante souhaitait qu'un autre avocat d'office soit nommé ou si elle souhaitait désigner un avocat de choix. S'il était question d'un changement d'avocat d'office, le Tribunal devrait examiner l'existence de justes motifs et invitait ainsi le défenseur à lui transmettre ses déterminations sur ce point.

En réponse, Me D______ a prié le Tribunal d'interpeller directement sa mandante, laquelle serait plus à même de le renseigner sur ses intentions. Par ailleurs, il relevait que, pour la sérénité des débats, il n'était pas opposé à ce qu'un nouveau conseil soit nommé d'office, mais qu'il s'en rapportait toutefois à l'appréciation du Tribunal.

f. Par courriel du 20 octobre 2021 adressé au Tribunal,A______ a reproché à son défenseur de ne pas avoir invoqué une rupture du lien de confiance, de ne montrer aucun intérêt pour son dossier – qu'il ne connaissait pas – et de ne pas savoir comment écrire correctement un recours au Tribunal fédéral. Selon ses dires, la Cour pénale du Canton de Vaud avait été choquée par la qualité de sa défense, puisqu'elle était accompagnée par une stagiaire "qui n'avait même pas appris sa plaidoirie par cœur" et dont les faits étaient faux. Elle estimait que le Tribunal était obligé de mettre un terme au mandat de Me D______ dès l'instant où elle ne le voulait plus comme avocat.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal a refusé de relever Me D______ de sa mission, estimant que la relation de confiance entre la prévenue et son défenseur n'était pas gravement perturbée et qu'une défense efficace restait assurée en l'espèce. Les motifs à l'origine de l'octroi de l'assistance judiciaire subsistaient et le manque de confiance allégué était purement subjectif. Il ne discernait aucun manquement qui aurait été gravement préjudiciable aux intérêts de la prévenue; le fait que l'avocat nommé d'office soit excusé par sa stagiaire ne rendait pas la défense inefficace.

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation des
art. 3, 4, 6 CPP, 29 Cst et 6 CEDH estimant que l'ordonnance querellée viole sa dignité et son droit à un procès équitable.

Le Ministère public avait "révoqué le mandat de Me D______ le 18 octobre 2021" et elle n'avait pas demandé sa nomination au Tribunal pénal. De surcroît, il y avait un problème dans la qualité de sa défense. Elle avait choisi un avocat qui était juge pour avoir une valeur ajoutée, mais elle n'avait rien vu ni entendu en ce sens et elle avait dû demander "ailleurs" pour avoir des informations. Son avocat avait été menacé de plainte à la "CBA" par son confrère lors d'une audience et, depuis lors, elle était accompagnée de sa stagiaire à toutes les audiences, "en silence". Elle avait besoin d'un avocat que "Me E______ n'oserait pas menacer". En outre, on ne pouvait pas obliger une personne consciente et capable de discernement à se faire défendre par un avocat dont elle ne souhaitait pas.

b. Par courriel du 9 novembre 2021, adressé à la Chambre de céans, A______ demande à être représentée par Me F______, "extrêmement intègre" et "membre du CSM". La partie adverse, "aussi puissante qu'elle soit," n'oserait pas attaquer le précité et, si tel devait être le cas, "il saura[it] se défendre". Seul un ancien bâtonnier pouvait arrêter l'arbitraire auquel elle était confrontée.

c. Le Tribunal n'a pas formulé d'observations sur le recours.

d. Le Ministère Public conclut au rejet du recours. Me D______ avait été nommé à la défense des intérêts de la prévenue à la demande de cette dernière; le simple changement d'avis de celle-ci n'était pas un motif pour remplacer le défenseur. La comparaison avec la procédure P/1______/2021 – dans laquelle il avait révoqué le mandat de Me D______ – tombait à faux dans la mesure où dans cette seconde procédure l'avocat avait été désigné d'office sans application de l'art. 133 al. 2 CPP.

e. Dans sa réplique, A______ dénonce une dissimulation par la juge du Tribunal de sa demande de récusation déposée contre celle-ci [traitée séparément, sous la référence PS/2______/2021] et considère que cette dernière commet une "discrimination sans précédent" en admettant la représentation, devant elle, par un avocat qui a été relevé de tous les autres dossiers. Enfin, elle persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante invoque une rupture du lien de confiance avec son défenseur et demande le remplacement de ce dernier.

2.1. Selon l'art. 133 CPP, le défenseur d'office est désigné par la direction de la procédure au stade considéré (al. 1); lorsqu'elle nomme le défenseur d'office, la direction de la procédure prend en considération les souhaits du prévenu dans la mesure du possible (al. 2). Cette disposition concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la CourEDH relative aux art. 29 al. 3 Cst. et 6 par. 3 let. c CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 1B_387/2012 du 24 janvier 2013 consid. 4.3; Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure, FF 2006 1057, spéc. 1159; cf. arrêts rendus avant l'entrée en vigueur du CPP: ATF 105 Ia 296 consid. 1d p. 302; arrêts 1B_74/ 2008 du 18 juin 2008 consid. 2 et 1B_245/2008 du 11 novembre 2008 consid. 2; arrêt CourEDH Croissant contre Allemagne du 25 septembre 1992, § 29).

Une demande de remplacement du défenseur d'office ne peut être admise que si, pour des motifs objectifs, une défense compétente et efficace des intérêts du prévenu n'est plus garantie (ATF 116 Ia 102 consid. 4b/aa). L'art. 134 al. 2 CPP précise à ce propos qu'une défense compétente et efficace ne peut plus être assurée non seulement en cas de violation objective du devoir d'assistance, mais déjà en cas de perturbation grave de la relation de confiance entre le prévenu et le défenseur.

Le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 138 IV 161 consid. 2.4 p. 164; 114 Ia 101 consid. 3 p. 104; arrêt du Tribunal fédéral 1B_375/2012 du 15 août 2012 consid. 1.1). En effet, si la relation de confiance doit en principe être recherchée, le droit à un procès équitable garanti à l'art. 29 al. 1 Cst. ne donne pas à l'assisté le droit de refuser l'avocat désigné, parce qu'il n'aurait, pour des raisons purement subjectives, pas confiance en lui (arrêt du Tribunal fédéral 1P.364/2004 précité avec référence à l'ATF 105 Ia 296 consid. 1d p. 302).

De simples divergences d'opinion quant à la manière d'assurer la défense des intérêts du prévenu dans le cadre de la procédure ne constituent à cet égard pas un motif justifiant un changement d'avocat. Il appartient en effet à l'avocat de décider de la conduite du procès; sa mission ne consiste donc pas seulement à endosser le rôle de porte-parole sans esprit critique de l'accusé, qui se limiterait à se faire simple interprète des sentiments et des arguments de son client (ATF 116 Ia 102 : JT 1993 IV 186 consid. 4b/bb p. 105; 105 Ia 296 consid. 1 p. 304; ACPR/518/2012 du 23 novembre 2012). Sont en revanche dignes d'être pris en considération des griefs précis touchant à la personne du défenseur ou à un comportement de ce dernier qui montre à l'évidence que toute relation de confiance avec ce dernier est exclue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_187/2013 du 4 juillet 2013 consid. 2.2 et 2.3; A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019. n. 20-22 ad art. 134).

2.2. Selon l'art. 33 de loi sur la profession d'avocat (LPAv; E 6 10), l'avocat stagiaire ne peut faire des actes de procédure et d'instruction, se présenter ou plaider au civil, au pénal et en matière administrative qu'au nom et sous la responsabilité de l'avocat chez lequel il accomplit son stage. Durant celui-ci, il doit fréquenter assidûment les tribunaux; travailler régulièrement au service de son maître de stage; et prendre une part active aux audiences des tribunaux et des autres autorités juridictionnelles (art. 13 al. 1 let. a, b et d du règlement d'application de la LPAv; E 6 10.01).

2.3. En l'espèce, la recourante invoque "un problème dans la qualité de sa défense" expliquant que son conseil aurait été menacé d'une plainte à la Commission du Barreau par l'avocat de la partie adverse lors d'une audience et que, par la suite, elle aurait été assistée par l'avocate stagiaire.

Les invectives et menaces de dénonciation entre avocats lors des audiences sont fréquentes et ne préjugent pas la qualité de leur travail.

Par ailleurs, le défenseur formellement désigné peut valablement se substituer un avocat stagiaire. Son absence aux audiences ne permet pas de conclure à l'absence de supervision du travail du stagiaire ou à son désintérêt pour le dossier. Le critère déterminant reste l'efficacité de la défense.

À l'exception des faits susmentionnés, lesquels ne permettent pas de conclure à une violation des devoirs professionnels du défenseur, la recourante ne relate aucun fait précis permettant à la Chambre de céans de retenir que sa défense ne serait pas assurée de manière suffisamment efficace dans la présente procédure.

En effet, ses accusations portant sur la qualité des recours au Tribunal fédéral de son conseil et sur la prétendue mauvaise qualité de sa défense devant la Cour pénale du Canton de Vaud ne concernent pas la présente cause et ne sont pas de nature à démontrer qu'elle ne serait, ici, pas correctement assistée.

Sous l'angle de l'art. 134 al. 2 CPP, il y a d'autant moins de raison de revenir sur la désignation de Me D______ que la recourante a expressément demandé sa désignation en qualité d'avocat d'office dans le cadre de la présente procédure.

Aucun élément au dossier ne laisse entrevoir que sa défense souffrirait d'une inaction de son avocat ou d'une grave perturbation de la relation de confiance. Au contraire, les motifs avancés par la recourante sont purement subjectifs. De manière objective, on ne relève aucune faute du défenseur dans l'exercice de sa mission.

À l'aune des différents écrits de la recourante, on comprend surtout qu'elle veut changer d'avocat afin que Me F______ soit nommé, estimant qu'il serait le seul à pouvoir la défendre face à "la puissance“ de la partie adverse. Or, pareil motif s'avère de pure convenance et ne suffit pas à étayer une rupture du lien de confiance, étant relevé que Me D______ ne demande lui-même pas un changement de défenseur. La recourante, qui bénéficie d'une défense d'office prise en charge par l'État, ne peut pas choisir librement son défenseur.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le Tribunal a refusé de relever Me D______ de sa mission.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 800.-, y compris un émolument de décision (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ (en personne), à Me D______, au Tribunal de police et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10989/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

800.00