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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7913/2022

ACPR/770/2022 du 08.11.2022 sur ONMMP/2591/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7913/2022 ACPR/770/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 8 novembre 2022

 

Entre

Les héritiers de feu A______, comparant par Me Hrant HOVAGEMYAN, avocat, Demole Hovagemyan, boulevard du Théâtre 3 bis, case postale 5740, 1211 Genève 11,

recourants,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 juillet 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 12 août 2022, les héritiers de feu A______ recourent contre l'ordonnance du 28 juillet 2022, communiquée par pli simple et reçue selon eux en l'Étude de leur conseil le 2 août 2022, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte pénale du 17 août 2021.

Les recourants concluent à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'il soit enjoint au Ministère public d'instruire leur plainte.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 7 octobre 2019, A______ – substitué, à son décès, par ses héritiers, B______, C______, D______ et E______ (ci-après: les héritiers de A______) – a déposé plainte contre F______ pour faux témoignage.

Il a expliqué qu'alors qu'il était employé d'G______ AG, il avait été, durant trois ans, l'une des victimes du mobbing exercé par son supérieur hiérarchique, F______. À l'époque, il avait dénoncé ce comportement au département des ressources humaines et changé de service. À la fin de son emploi, il avait déposé une demande devant le Tribunal des prud'hommes contre G______ AG, notamment en raison du harcèlement subi. Au cours de cette procédure – ouverte sous le numéro de cause C/1______/2017 –, le 27 mai 2019, F______, entendu en qualité de témoin et rendu attentif à son obligation de dire la vérité, avait nié avoir fait l'objet d'accusations de la part de plusieurs employés d'G______ AG et, à la suite de celles-ci, d'enquêtes diligentées par la banque. Or, les témoignages recueillis lors de la procédure prud'homale avaient démontré que F______ connaissait les reproches formulés à son encontre pour en avoir discuté tant avec sa hiérarchie qu'avec le département des ressources humaines.

b.  Cette plainte fait l'objet de la procédure P/2______/2019.

c. Auditionné par la police le 6 novembre 2019, le prévenu a contesté les faits reprochés. Il n'avait pas menti devant la juridiction des prud'hommes.

d. Les 14 décembre 2020 et 28 mai 2021, le Ministère public a entendu les collaborateurs d'G______ AG suivants : H______, responsable des ressources humaines (RH); I______, chargée de la consultation sociale au sein de la banque; J______, responsable RH de l'unité du prévenu; et K______, supérieur hiérarchique du prévenu.

e. Le 28 mai 2021, il a ordonné le dépôt auprès d'G______ AG de tout document, de quelque nature qu’il soit, établissant l’ouverture d’une procédure, respectivement d’une enquête, notamment liée à un cas de mobbing, respectivement de harcèlement, à l’encontre du prévenu, pour la période de 2009 à 2015.

f. Par pli de son conseil, le prévenu a produit ses rapports d’évaluation annuelles pour les années de 2009 et 2013, sur lesquels ne figure aucune mention d’une quelconque problématique liée au mobbing.

g. Par pli du 17 juin 2021, G______ AG a informé le Ministère public qu’elle n’était pas en possession d’une procédure ou d’une enquête liée à un cas de mobbing, respectivement de harcèlement, contre F______.

h. Le 17 août 2021, les héritiers de A______ ont déposé plainte contre G______ AG pour instigation ou complicité de faux témoignage et tentative "d'escroquerie au procès".

Ils reprochaient, en substance, à G______ AG, d'avoir mis en place une "véritable stratégie – en interne, par l'intermédiaire de son département juridique – pour préparer les auditions de tous les témoins employés de la banque, en vue de leur déposition", en particulier d'avoir contacté F______ aux fins de préparer son témoignage du 27 mai 2019. Ils accusaient également G______ AG d'avoir dissimulé des moyens de preuves afin de retarder l'élucidation de l'affaire en ne transmettant pas les documents sollicités par l'ordre de dépôt du Ministère public du 28 mai 2021, car "quel que soit le terme sous lequel la banque a[vait] classé ce qui a[vait] été reproché à M. F______ (style de conduite, mobbing, harcèlement, ou autre), la banque sa[vait] que les évidences recherchées par le Ministère public exist[ai]ent".

Ils ont sollicité la recherche de toute communication, et tout écrit, quelle qu’en soit le support, au sujet de l’activité de I______, de L______ [responsable du département juridique de la banque] d’K______, de J______ et de H______.

i. Cette plainte a été versée à la procédure P/2______/2019.

j. Le 23 décembre 2021, le Ministère public a informé les héritiers A______ qu'elle considérait l'instruction de la procédure "P/2______/2019 – A______ c/ F______" achevée et leur a imparti un délai pour solliciter une indemnité en application de l'art. 433 al. 2 CPP, ce qu'ils n'ont pas requis.

k. Le 3 janvier 2022, les héritiers A______ ont interjeté recours contre cet acte de procédure, qu'ils qualifiaient d'"ordonnance de classement, voire de non-entrée en matière, implicite", s'agissant des faits dénoncés dans leur courrier du 17 août 2021.

l. Par arrêt du 10 mars 2022 (ACPR/171/2022), la Chambre de céans a rejeté le recours, dans la mesure de sa recevabilité. Elle a notamment considéré que le Ministère public n'avait nullement rendu d'ordonnance de classement ou de non-entrée en matière, même implicite, mais un avis de prochaine clôture de l'instruction – communication du 23 décembre 2021 – contre lequel une voie de recours n'était pas ouverte de sorte que le recours était irrecevable sur ce point.

m. Par ordonnance du 7 avril 2022, le Ministère public a considéré que le sort de la plainte du 17 août 2021 devait être tranché dans un procédure distincte (P/7913/2022) et disjoint celle-ci de la P/2______/2019.

Le recours interjeté par les héritiers A______ contre cette décision a été rejeté par arrêt du 24 juin 2022 (ACPR/453/2022).

n.a. Par ordonnance pénale du 11 avril 2022 rendue dans le cadre de la procédure P/2______/2019, le Ministère public a déclaré F______ coupable de faux témoignage.

Il a estimé par ailleurs que les actes d'enquête sollicités par les plaignants en lien avec cette procédure n'étaient pas susceptibles d'apporter des éléments nouveaux et probants qui permettraient de modifier sa conviction. Les réquisitions de preuve étaient dès lors rejetées.

n.b. F______ y a formé opposition.

La cause est actuellement pendante devant le Tribunal de police.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les éléments dénoncés ne remplissent manifestement pas les éléments constitutifs d'une quelconque infraction pénale, en particulier pas celle d'une escroquerie au procès, faute notamment d'astuce. Il rappelle avoir rendu une ordonnance pénale à l'encontre de F______, le 11 avril 2022, et observe que "divers actes d'enquête complémentaires [o]nt déjà été sollicités dans le cadre de la procédure P/2______/2019, lesquels ont été rejetés dans le cadre de l'ordonnance pénale rendue le 11 avril 2022". Il estimait, à l'instar de ce qui avait déjà été mentionné dans l'ordonnance pénale précitée, que les actes d'enquête sollicités n'étaient pas susceptibles d'apporter des éléments nouveaux et probants qui permettraient de modifier sa conviction. Les réquisitions de preuves étaient par conséquent, une nouvelle fois, rejetées.

D. a. À l'appui de leur recours, les héritiers A______ exposent qu'il existe des soupçons suffisants – listés dans leur courrier du 17 août 2021 – quant à l'implication d'G______ AG dans des actes constitutifs d'escroquerie au procès ainsi que dans le cadre de l'infraction de faux témoignage perpétrée par F______. La motivation du Ministère public, "qui n'en est en réalité pas une et qui tient en un paragraphe de quatre lignes", violait leur droit d'être entendu et s'apparentait à un déni de justice formel. Le Ministère public n'énonçait aucun élément ni aucune argumentation permettant de réfuter leurs soupçons. Ce faisant, il avait violé le principe in dubio pro duriore.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, avec suite de "dépens". Il indique avoir pris connaissance du courrier du 17 août 2021, lequel était mentionné dans son ordonnance. Il avait également rappelé que les actes d'enquête sollicités dans ce courrier avaient été rejetés le 11 avril 2022. Il avait ainsi retenu que l'ensemble du dossier ne permettait pas de voir l'existence d'une quelconque astuce, puisque l'énoncé d'indications fausses n'était pas suffisant pour retenir une escroquerie. Cette lecture permettait aux recourants de comprendre que le motif du refus d'entrée en matière était l'absence d'astuce de la part d'G______ AG. Les recourants ne fournissaient aucun élément de fait ou de droit susceptible de renverser cette appréciation.

c. Les recourants répliquent. La motivation du Ministère public ne leur permettait toujours pas de comprendre sa décision.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Les recourants se plaignent d'un défaut de motivation de l'ordonnance querellée.

2.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 p. 41 ; ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; ATF 135 I 265 consid. 4.3 p. 276).

Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel également prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à prendre (ATF 138 V 125 consid. 2.1 p. 127 ; ATF 135 I 6 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_868/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.1).

L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 143 III 65 consid. 5.3 ; 142 I 135 consid. 2.1 ; 141 III 28 consid. 3.2.4 ; 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_226/2019 du 29 mars 2019 consid. 2.1).

2.2. En l'espèce, les recourants reprochent au Ministère public de n'avoir pas exposé en quoi les éléments énoncés dans leur courrier du 17 août 2021 ne constituaient pas des soupçons suffisants de la commission des infractions dénoncées.

À raison.

Le Ministère public se limite en effet à conclure à l'absence d'escroquerie au procès, faute d'astuce, sans que l'on puisse distinguer quels faits il aurait retenus comme décisifs pour arriver à une telle conclusion.

Les éléments de fait énoncés dans le courrier des recourants du 17 août 2021 ne trouvent aucun écho dans l'ordonnance querellée, le Ministère public se contentant seulement de mentionner ladite plainte.

Il ne se prononce pas davantage sur le soupçon d'instigation voire de complicité à l'infraction de faux témoignage à l'endroit d'G______ AG dénoncé dans la plainte.

Les observations du Ministère public, ne répondant pas à ces griefs, n'ont pas réparé ce défaut de motivation.

Partant, la Chambre de céans est dans l'impossibilité d'exercer son contrôle.

Quant aux réquisitions de preuve sollicitées dans le courrier du 17 août 2021, là également, le Ministère public ne fournit aucun argumentaire à l'appui de leur rejet pur et simple. Comme indiqué par la Chambre de céans dans son arrêt du 10 mars 2022, l'ordonnance pénale du 11 avril 2022 ne vaut pas ordonnance de classement ou de non-entrée en matière implicite contre G______ AG, de sorte que le Ministère public ne pouvait y écarter de manière anticipée – et de surcroît sans le motiver – les offres de preuve en lien avec les soupçons dirigés contre la banque. En se limitant ici à renvoyer à ce précédent refus, le Ministère public n'explique aucunement en quoi les actes sollicités ne seraient pas probants pour la manifestation de la vérité, ce qui consacre également une violation du droit d'être entendu.

3. Fondé, le recours doit être admis et l'ordonnance querellée annulée; la cause sera renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision motivée dans le sens des considérants.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 et 428 al. 4 CPP).

5. Les recourants n'ont pas demandé d'indemnité, de sorte qu'il n'y a pas lieu de leur en allouer (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours, annule l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 juillet 2022 et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer aux héritiers de feu A______ les sûretés versées, en CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).