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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19096/2019

ACPR/732/2022 du 26.10.2022 sur OTMC/2947/2022 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : SOUPÇON;RISQUE DE FUITE;MOTIVATION DE LA DÉCISION;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ;RETARD INJUSTIFIÉ;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.80; CPP.221; CPP.5; CPP.212

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19096/2019 ACPR/732/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 octobre 2022

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Mes C______ et D______, avocats, ______, Genève,

recourant

contre l'ordonnance rendue le 23 septembre 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 3 octobre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 septembre 2022, notifiée le 26 suivant, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a refusé de le mettre en liberté et a prolongé sa détention jusqu'au 23 décembre 2022.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision et à sa mise en liberté immédiate.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

A. A______, ressortissant suisse né en 1979, est en détention depuis le 27 septembre 2019 sous les préventions d'assassinat (art. 112 CP), de séquestration et enlèvement (art. 183 CP), de vol (art. 139 CP) et d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP).

Dans ce cadre, il lui est reproché d'avoir, dans la nuit du 9 au 10 septembre 2019, retenu contre sa volonté, tué et volé une prostituée française, à Genève, puis brûlé sa dépouille dans la région de E______[France]. Il aurait choisi sa victime au motif qu'elle avait une importante clientèle et était susceptible de détenir EUR 50'000.- chez elle. Il aurait pris un faux rendez-vous avec elle, puis se serait dissimulé derrière un comparse recruté pour l'occasion pour endormir sa méfiance et lui faire ouvrir la porte de son appartement, avant de l'aveugler à l'aide d'un spray au poivre. Alors qu'elle se débattait et criait, A______ et son comparse l'auraient bâillonnée et ligotée à l'aide de fils électriques, ce qui aurait causé sa mort. Ils auraient placé le corps dans une valise et se seraient rendus en taxi en France voisine pour l'incinérer et l'enterrer dans une forêt.

A______ n'admet que la prévention d'atteinte à la paix des morts (art. 262 CP), soit d'avoir aidé celui qu'il désigne comme le réel auteur de l'homicide (son comparse) à se débarrasser du corps. Il affirme avoir accompagné celui-ci, qui souhaitait entretenir une relation sexuelle tarifée, jusqu'à l'appartement de la prostituée et l'y avoir laissé seul avant d'être alarmé par du bruit et des cris provenant de l'intérieur. Lorsque la porte lui avait été ouverte, il avait constaté que la prostituée gisait, inanimée.

b. Détenu sous l'autorité du juge d'instruction de F______[France], son comparse, quant à lui, fait de A______ le concepteur de l'agression et l'auteur direct de la mort de la victime. Il a maintenu ses accusations contre A______ en confrontation.

c. Le 8 janvier 2021, la police a rendu un rapport sur le contenu du téléphone portable de A______.

Selon ce rapport, aucun appel, ni entrant ni sortant, n'a été retrouvé pour les 8 et 9 septembre 2019 (p. 5) et aucun message WhatsApp ni aucun SMS n'a été retrouvé à destination du comparse lorsque celui-ci se serait prétendument trouvé seul dans l'appartement de la victime (pp. 44 s.). En revanche, un texte destiné à un logiciel de traduction sur internet a été découvert, créé en date du 6 septembre 2019, mais non diffusé (pp. 24 et 42) : "il faut aller vite. la fille attend le rdv. il faut maitriser direct en ouvrant la porte. Il faut qu elle ai les yeux cachés. car elle connait mon visage. ensuite je rentre et on fouille l'appartement ensemble" – ce qui correspond à la narration par le comparse de l'agression qui surviendra 3 jours plus tard. Dès le 7 septembre 2019, celui-ci avait été contacté par A______, qui l'incitait à lui écrire au moyen d'une messagerie "avec autodestruction des messages" (p. 12). Pour le surplus, de multiples effacements volontaires de données étaient constatés pour la période précédant l'homicide (p. 54). Le rapport met aussi en évidence que, dès le lendemain des faits, A______ a pris du bon temps – envoi de selfies à des femmes, conversations sur des applications de rencontre, nuit à l'hôtel puis après-midi au bord du lac avec une amie – et passablement voyagé, jusqu'à son appréhension (pp. 46 ss).

Selon rapport complémentaire du 4 mai 2022, il n'est techniquement pas possible de récupérer auprès des différents fournisseurs ou serveurs le contenu des conversations que A______ aurait effacées.

d. Le 9 novembre 2021, le Ministère public a décidé, avec avis aux parties, de mettre en œuvre l'expertise psychiatrique de A______, dont il annonçait la "nécessité" depuis sa requête de prolongation du 18 décembre 2020. Par retour du courrier, soit le 11 novembre 2021, le Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) a proposé deux médecins. Le projet de mission a été soumis aux parties le 3 février 2022. Après les prises de position usuelles, la dernière en date du 1er mars 2022, la mission a été formellement confiée aux deux médecins pressentis, par ordonnance du 7 avril 2022; cette décision sera confirmée, sur recours de A______, le 11 juillet 2022 (ACPR/486/2022). Par ses défenseurs, celui-ci a confirmé à deux reprises qu'il ne s'y plierait pas et refuserait de rencontrer les experts. Ces derniers, après s'être inquiétés le 3 juin 2022 de leur mandat, dont ils étaient sans nouvelles, ont reçu le dossier le 21 juillet 2022, puis demandé, le 4 août suivant, à être autorisés à se prononcer sur la seule base de celui-ci, en raison du défaut de coopération du prévenu. Par ailleurs, l'un des experts, quittant ses fonctions au CURML le 1er novembre 2022, devrait être remplacé.

e. Dans l'intervalle, la police a rendu des rapports sur :

·         la recherche, positive, de traces de sang dans l'appartement de la victime (10 novembre 2021);

·         le nombre de pas effectués par le comparse dans l'appartement de la victime (à partir d'une application de son téléphone portable), montrant peu de déplacement à l'heure estimée du crime, mais une augmentation dans l'heure qui précède l'appel au taxi (17 novembre 2021);

·         l'extraction du contenu du portable de A______ (6 décembre 2021);

·         l'impossibilité de récupérer des données sur deux téléphones brisés et/ou immergés, tels que retrouvés en France et présumés avoir appartenu à la victime (15 février 2022);

·         les convergences entre le témoignage de l'ami intime de la victime et les données de télécommunications, mettant en évidence, d'une part, que le rendez-vous professionnel programmé par la victime le soir des faits à 23h.30 avait été pris initialement pour le 6 septembre 2019, avant d'être reporté à 23h. le 9 suivant, puis retardé à 23h.30; ainsi que, d'autre part, la reconstitution horaire et les localisations du comparse lors de sa venue, ce jour-là, à Genève, en fin d'après-midi, pour y rejoindre A______ (3 mars 2022);

·         la mise en évidence de traces d'utilisation d'un spray au poivre dans l'appartement de la victime, telles que constatées sur le mur vers lequel s'ouvre la porte d'entrée, sur les deux côtés de la porte de la salle de bains située en face et sur un drap-housse (13 avril 2022);

·         l'impossibilité de récupérer auprès des fournisseurs de messagerie étrangers les éventuels messages effacés par A______ sur son téléphone portable (4 mai 2022).

f. La détention provisoire de A______ a été régulièrement prolongée depuis son appréhension. Quatre recours contre les décisions du TMC ont été rejetés (ACPR/769/2020 du 29 octobre 2020; ACPR/39/2021 du 19 janvier 2021; ACPR/281/2021 du 28 avril 2021; ACPR/513/2021 du 4 août 2021).

g. Depuis le dernier de ces arrêts, hormis la mise en œuvre de l'expertise, les investigations policières susmentionnées et une nouvelle commission rogatoire à la France pour obtenir des pièces relatives au comparse et sa remise temporaire à la Suisse pour une reconstitution (25 avril 2022), la procédure n'a pas comporté d'audience d'instruction avant le 24 mars 2022 (nouvel interrogatoire de A______, sur vingt-deux pages), puis encore les 26 avril (idem, sur quatorze pages), 1er juillet (confrontation à un témoin français) et 26 septembre 2022 (déposition d'une amie de la victime).

h. Le 22 décembre 2021, le TMC, tout en rappelant les nécessités découlant du principe de la célérité, avait autorisé une prolongation de détention d'une durée de six mois. Le 14 juin 2022, le Ministère public demandait une nouvelle prolongation, de durée identique, au motif qu'il attendait les résultats de la commission rogatoire et de l'expertise psychiatrique. Le 17 juin 2022, le TMC a jugé suffisant le délai usuel de trois mois, qui laisserait le temps au Ministère public de faire un point de situation et planifier la suite de l'instruction.

i. Le 14 septembre 2022, le Ministère public a requis derechef une prolongation d'une durée de six mois, pour les mêmes motifs qu'il invoquait précédemment.

j. Simultanément, A______ a présenté une demande de classement partiel, portant sur les préventions de séquestration et d'assassinat, ainsi qu'une demande de mise en liberté immédiate et sans condition. Il se fonde sur :

·         les deux premières déclarations du comparse, dans lesquelles ce dernier endosserait la responsabilité de l'homicide et qui correspondraient aux siennes, toujours constantes;

·         l'estimation par un voisin de la durée du bruit provenant de l'appartement de la victime;

·         l'absence d'inhalation par lui-même, et de traces sur lui, du contenu du spray au poivre;

·         le rapport du 6 décembre 2021, qui corroborerait sa version en fournissant, d'une part, les heures auxquelles l'écran du téléphone du comparse était allumé aux fins de communiquer avec lui, depuis l'appartement de la victime, et, d'autre part, les pas du comparse dénombrés dans le même laps de temps.

Ces preuves scientifiques objectives étaient indiscutables.

Comme, par ailleurs, la durée de la détention à la fin septembre 2022 avait atteint celle de la peine maximale prévue pour l'atteinte, admise, à la paix des morts, la mise en liberté s'imposait.

C. Dans la décision attaquée, le TMC rejette la demande de libération et autorise la prolongation de la détention jusqu'au 23 décembre 2022.

Après avoir rappelé la version de A______, il lui oppose le texte découvert dans son téléphone, rédigé trois jours avant l'agression (cf. let. B.d. supra); le maintien par le comparse, en confrontation, d'une version qui fait de A______ le concepteur d'un plan semblable à celui décrit dans ce texte et passant de surcroît par l'utilisation d'une messagerie à effacement automatique rapide; les déclarations de l'ami intime de la victime, voire le bornage deux jours avant les faits d'une antenne à proximité du domicile de celle-ci, faisant apparaître vraisemblables la planification et la mise en œuvre par A______ du rendez-vous mortel; l'aisance financière de la victime, supputée par ce dernier et attestée par les centaines de milliers de francs suisses en espèces, retrouvés ultérieurement dans un coffre-fort bancaire.

Le premier juge note aussi que, selon les constatations criminalistiques venant de France, l'hypothèse d'une asphyxie mortelle causée par le spray au poivre n'était pas retenue et que certains aspects de l'agression pourraient relever de l'art. 140 CP. Pour le surplus, l'examen minutieux des charges auquel s'était livrée la défense relevait du juge du fond.

En définitive, les risques de fuite, collusion et réitération interdisaient tout élargissement.

Le principe de la proportionnalité demeurait largement respecté.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient, en bref, avoir démontré de façon incontestable dans ses écritures destinées au premier juge qu'il n'était pas présent dans l'appartement de la prostituée au moment où celle-ci a trouvé la mort.

Après trois années de détention, l'instruction n'avait donc pas renforcé les soupçons d'assassinat et de séquestration retenus contre lui; elle avait, au contraire, démontré, par des preuves scientifiques objectives, qu'il n'avait pu commettre aucune des deux infractions. Celle de brigandage, également abordée par le TMC, n'était pas plus étayée, pour les mêmes raisons.

b. Par plis déposés l'un à la prison le 3 octobre 2022 et reçu le lendemain, l'autre posté le 11 octobre 2022 et reçu le lendemain, A______ a déposé des écritures personnelles. Dans la première, il se déclare contraint d'agir par lui-même "et/ou" en parallèle à ses défenseurs, en raison de retards dans l'acheminement du courrier envoyé par ceux-ci. Dans la seconde, il attire l'attention sur "un détail" de l'exposé du Ministère public, qu'aurait repris le TMC dans la décision querellée.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours et pointe les divergences entre les affirmations de A______ et, "semble-t-il", certains éléments du dossier. Le rapport d'autopsie rendu en France excluait que la mort de la prostituée eût été causée par l'inhalation du contenu du spray au poivre et privilégiait une asphyxie mécanique, par obstruction des voies aériennes supérieures. Le déroulement des faits, tel que proposé dans le "schéma temporel" de la police, ne se heurtait à aucune contradiction.

d. Le TMC maintient les termes de sa décision.

e. A______ réplique.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours formé par acte déposé le 3 octobre 2022 est recevable, pour avoir été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à leur modification ou annulation (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. La Chambre de céans a hésité à écarter l'acte de recours déposé séparément et personnellement par le prévenu, car la raison invoquée par celui-ci pour ce faire (des retards dans la réception du courrier que lui envoient ses avocats) n'est pas pertinente. Cette raison l'est d'autant moins que l'acte de recours rédigé par les défenseurs est parvenu au greffe de l'autorité de recours une semaine déjà après la décision attaquée – soit trois jours avant l'expiration du délai pour recourir – et, en tout état, avant celui remis par le prévenu au greffe de l'établissement de détention. Comme l'autorité de recours a toléré jusqu'à ce jour les écritures du recourant qui se cumulaient avec celles de ses avocats (cf. ACPR/485/2022; ACPR/281/2021; ACPR/39/2021; ACRP/769/2021), elle voudra bien prendre en considération, cette fois encore, l'acte manuscrit daté du 30 septembre 2022.

C'est toutefois sans préjudice d'une appréciation différente en cas d'éventuels recours ultérieurs.

1.3. Le "complément" posté le 11 octobre 2022 est, quant à lui, tardif (art. 90 al. 1 et 91 al. 2 CPP) et ne sera pas examiné.

2.             Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes.

2.1.       À teneur de l'art. 221 al. 1 première phrase CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit. En d'autres termes, pour qu'une personne soit placée en détention préventive, il doit exister à son égard des charges suffisantes ou des indices sérieux de culpabilité, c'est-à-dire des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis une infraction. Au contraire du juge du fond, le juge de la détention n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge ni à apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 143 IV 330 consid. 2.1; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2).

2.2.       En l'espèce, le recourant perd de vue qu'il n'appartient pas au juge de la détention d'examiner en détail l'ensemble des considérations de fait, pas plus que de procéder à une appréciation complète des éléments à charge et à décharge. Comme l'a pertinemment rappelé le TMC, en se référant à une jurisprudence ancienne, constante et éprouvée, c'est au juge du fond, et non à celui de la détention, qu'il incombera, cas échéant, d'apprécier la culpabilité du recourant, ainsi que la valeur probante des différentes déclarations, témoignages, pièces, analyses, traces.

Quoi qu'en dise le recourant, les charges retenues contre lui sont suffisantes et reposent sur les éléments de fait passés méthodiquement en revue, un par un et de façon détaillée, par le premier juge dans la décision attaquée. En l'absence du moindre fait nouveau dans l'intervalle, la Chambre de céans peut y renvoyer sans autre analyse (ATF 123 I 31 consid. 2c p. 34; arrêt du Tribunal fédéral 1B_378/2019 du 19 août 2019 consid. 2 et les références).

Il est vrai que le TMC soulève, de façon nouvelle, l'éventuelle application "de l'art. 140 CP", sans autre précision, à "certains" faits, sans autre précision. Le concours du brigandage, tenté ou achevé, avec les diverses formes d'homicide est admis de longue date (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI, Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 35 ad art. 140), avec les limites qu'impose l'absorption de certaines circonstances aggravantes par l'infraction de résultat. Il est de même admis que la séquestration cède le pas au brigandage (op. cit., n. 43 ad art. 140), si l'intention de l'auteur est de voler, et que le brigandage l'emporte sur le vol (op. cit., n. 11 ad art. 140), si la victime résiste. Il se peut aussi que la mort soit causée par négligence dans les mêmes circonstances (op. cit., n. 36 ad art. 140). Ces questions n'ont toutefois pas à être abordées plus en détail par le juge de la détention. Il faut, mais il suffit, que des charges précises et concordantes d'un crime ou d'un délit grave soient réunies. Tel est le cas, en l'occurrence.

À vrai dire, le recourant se livre à une relecture et à une interprétation personnelles du dossier comme s'il s'exprimait devant une autorité de jugement, attendant, mais à tort, de l'autorité de recours qu'elle empiète sur la compétence du juge du fond.

Le grief d'insuffisance des charges sera donc rejeté.

3.             Le mémoire du 3 octobre 2022 ne comporte aucun développement sur les risques de fuite, de collusion et de réitération exposés par le premier juge. Le recourant s'y livre sommairement dans son acte personnel du 30 septembre 2022 (p. 12), mais par de simples affirmations – protestations ou promesses – qui ne sauraient faire pièce à l'examen auquel s'est livré le TMC, en particulier à propos du risque de récidive qu'a toujours retenu la Chambre de céans (cf., en dernier lieu, ACPR/513/2021, précité, consid. 4.). Il peut donc être renvoyé, sur ce point aussi, à l'ordonnance attaquée, d'autant plus que le recourant ne fait, en réalité, que répéter, quasiment dans les mêmes termes, ses explications données à l'audience du TMC, le 23 septembre 2022, avant le prononcé attaqué.

4.             De son affirmation de l'évanescence des charges d'assassinat et de séquestration, le recourant tire la conséquence que la durée de sa détention heurterait désormais le principe de la proportionnalité.

4.1.       En vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5 par. 3 CEDH, toute personne qui est mise en détention préventive a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la procédure pénale. L'art. 212 al. 3 CPP prévoit ainsi que la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté ne doit pas durer plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible. Le juge peut dès lors maintenir une telle mesure aussi longtemps qu'elle n'est pas très proche de la durée de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre concrètement en cas de condamnation. Il convient d'accorder une attention particulière à cette limite, car il y a lieu de veiller à ce que les autorités de jugement ne prennent pas en considération dans la fixation de la peine la durée de la détention avant jugement à imputer selon l'art. 51 CP (ATF 145 IV 179 consid. 3.1.). À teneur de l'art. 197 al. 1 CPP, les mesures de contrainte ne peuvent, en particulier, être ordonnées que si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). Le principe de proportionnalité implique donc que la détention provisoire doit être en adéquation avec la gravité de l'infraction commise et la sanction prévisible (ATF 142 IV 389 consid. 4.1).

4.2.       La détention peut aussi être considérée comme disproportionnée en cas de retard injustifié dans le cours de la procédure pénale. Il doit toutefois s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 140 IV 74 consid. 3.2 p. 80; 128 I 149 consid. 2.2.1 p. 151). Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure pénale s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard en particulier à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour l'intéressé (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2 p. 281 s.; arrêt 1B_7/2022 du 31 janvier 2022 consid. 5.1).

4.3.       En l'espèce, le recourant met en évidence la durée très importante de sa détention avant jugement.

À juste titre.

Le Procureur s'est vu rappeler à plusieurs reprises la nécessité – qui découlait déjà à elle seule de l'art. 5 al. 2 CPP – de faire progresser son instruction. En demandant deux fois en 2022 des prolongations pour le maximum possible de six mois – réservé à des situations voulues exceptionnelles par le législateur (art. 227 al. 7 CPP) –, il a invoqué en tout et pour tout, les deux fois, l'attente des résultats de la commission rogatoire en cours et de l'expertise psychiatrique. Ces expectatives ne sauraient être tenues pour exceptionnelles, au sens de la disposition légale précitée. La coopération judiciaire pénale avec la France limitrophe repose sur des bases directes et fluides, déjà attestées dans la présente instruction – et l'objet de la demande d'entraide du 25 avril 2022 ne revêt aucune complexité –. Surtout, les conditions dans lesquelles a été ordonnée, puis gérée et suivie, l'expertise psychiatrique ne sont pas satisfaisantes.

On ne s'explique pas pourquoi une telle initiative n'a pas connu d'ébauche de concrétisation avant le 9 novembre 2021, alors que le Ministère public l'a invoquée dans ses requêtes de prolongation à partir du 18 décembre 2020. Les pièces à l'origine de la condamnation du recourant dans le canton de Vaud, en 2006, qui ont été mises en avant à l'appui de l'expertise et dont la Chambre de céans n'a pas méconnu la portée (ACPR/486/2022, précité, let. B.g.a. et consid. 2.4.), sont au dossier depuis le 20 juillet 2021. Le nom des experts a été fourni par le CURML le 11 novembre 2021, soit par retour du courrier après l'interpellation du Ministère public. Ce nonobstant, il faudra attendre le 3 février 2022 pour qu'un projet de mandat, en lui-même sans particularité, soit communiqué aux parties pour leurs observations, puis un mois avant que la décision formelle ne leur soit notifiée, alors qu'aucune objection autre qu'un refus de coopérer du prévenu ne s'était manifestée, le 17 février 2022. Le Procureur peut d'autant moins arguer d'une conséquence dilatoire aux recours interjetés à ce sujet par le prévenu (ACPR/146/2022 et ACPR/486/2022) qu'aucun de ceux-ci n'était assorti d'une demande d'effet suspensif (et que la Chambre de céans n'en a pas décidé d'office non plus). Qui pis est, les experts, tenus dans l'ignorance du choix de mutisme du prévenu et n'ayant pas reçu les pièces de la procédure avant le 20 juillet 2022, n'ont pas pu suggérer de réaliser un travail "sur dossier" avant le 25 août 2022. Par parenthèse, cette situation entraîne que la détention n'est pas nécessaire à l'accomplissement de l'expertise.

L'image d'impéritie qui se dégage est d'autant plus préoccupante qu'une gestion et un suivi diligents du Ministère public auraient assuré que l'investigation confiée au CURML, qui n'a a priori rien d'inédit ni d'épineux – la possibilité d'une expertise "sur dossier" ayant été soulevée par le Procureur lui-même lorsque le mandat a été attaqué (cf. ACPR/486/2022, précité, let. D.c.) –, se termine avant que l'un des deux experts ne doive résigner son mandat. Aujourd'hui, la perspective d'une substitution par un autre spécialiste apparaît comme cause d'un retard supplémentaire dans l'accomplissement d'une mesure lancée depuis près d'un an – et invoquée depuis près de dix-huit mois à l'appui du maintien en détention –. Dans ces circonstances, la reddition d’un rapport d’expertise consacré à la responsabilité pénale du recourant ne justifie pas à elle seule de retarder la décision sur le sort des préventions retenues à l’aune de l’état de fait déterminant, au sens de l’art. 325 al. 1 let. f et g CPP, les auteurs dudit rapport pouvant être entendus par l’autorité de jugement, le cas échéant.

Mais il y a plus.

Les dates auxquelles les rapports susmentionnés (let. B.e. supra) ont été requis de la police ne témoignent pas non plus d'empressement. Ainsi, la Chambre de céans avait demandé le 17 août 2021 que des réponses sur deux points (une commission rogatoire à la France et des recherches en direction des serveurs des messageries électroniques utilisées par le recourant) soient fournies (ACPR/540/2021). La commission rogatoire à la France attendra le 25 avril 2022. Le mandat de recherches à la police sera émis le lendemain, 26 avril 2022.

Par ailleurs, si le long intervalle entre les audiences du 23 juin 2021 et du 25 février 2022 ne se révèle pas comme un temps mort dans l'instruction – puisque les rapports de police se sont succédé pendant cet intervalle –, on ne peut que constater, depuis lors, une attention vétilleuse à nombre d'éléments n'ayant pas dépendu directement du résultat de ces investigations et n'apparaissant pas non plus décisifs pour asseoir ou infirmer les préventions de séquestration et d'assassinat.

En d'autres termes, l'instruction est sur le point d'être complète, au sens de l'art. 318 al. 1, 1ère phrase, CPP.

Dans ces circonstances, l'invocation, pour la seconde fois, du retour de ladite commission rogatoire et du dépôt de l'expertise ne peut suffire.

L'heure n'est donc plus, comme lors du précédent contrôle de la détention, à laisser au Procureur le temps de faire "un point de situation" et de planifier "la suite". Il convient, au contraire, que, dans le délai accordé dans l'ordonnance attaquée, le Procureur ait franchi le pas de l'avis de prochaine clôture de l'instruction. C'est d'autant plus exigible que la velléité de prononcer la jonction de la présente cause avec celle parallèlement en cours contre le recourant et d'autres prévenus (P/1______/2018) n'a plus refait surface depuis le 18 décembre 2020 (cf. ACPR/39/2021 let. B.f.) et qu'elle ne saurait, quoi qu'il en soit, constituer un motif justifiant de retarder les choix du Ministère public pour la suite de la présente procédure ou de prolonger la détention qui a été ordonnée pour les besoins de celle-ci.

Dans ces limites, la décision querellée peut encore être confirmée, car, à l'échéance du terme fixé, la détention subie par le recourant n'aura pas atteint la peine à laquelle il s'exposerait s'il était déclaré coupable de toutes les préventions retenues actuellement contre lui.

5.             Le recours est par conséquent rejeté.

6.             Le recourant n’obtient, certes, pas gain de cause, mais l’examen du principe de proportionnalité justifie de l’exempter des frais, en tant que l’issue de cet examen ne lui est pas totalement défavorable.

7.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP), qui ne l'a du reste pas demandé.

 

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur principal), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).