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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18252/2019

ACPR/65/2022 du 02.02.2022 sur OMP/13284/2021 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 10.03.2022, rendu le 09.08.2022, ADMIS/PARTIEL, 1B_123/22
Descripteurs : SÉQUESTRE(LP);MINIMUM VITAL
Normes : CPP.263; CPP.268; CP.71

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18252/2019 ACPR/65/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 2 février 2022

 

Entre domicilié

A______, ______ [GE], comparant par Me Olivier CRAMER, avocat, Cramer Avocats, place du Bourg-de-Four 24, case postale 3171, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre rendue le 30 août 2021 par le Ministère public,

et

B______, comparant par Me Christophe EMONET, avocat, Pestalozzi Avocats SA, cours de Rive 13, 1204 Genève,
C______ SA et D______ SA, domiciliés ______ [GE], comparant par
Me Christophe EMONET, avocat, Pestalozzi Avocats SA, cours de Rive 13,
1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le lundi 13 septembre 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 août 2021, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a refusé de lever les séquestres ordonnés sur ses biens et valeurs.

b. Le recourant conclut, sous suite de frais, à la levée du séquestre en mains de E______ [compagnie d'assurances] des sommes dues au titre de pensions d'invalidité à concurrence des sommes arriérées avec effet au 1er avril 2020, ainsi que pour le futur, à concurrence de CHF 20'258.- par mois, à la levée du séquestre de son compte bancaire F______ 1______ à concurrence des sommes versées par l'Office cantonal des assurances sociales au titre du solde des arriérés de rentes simples et complémentaires pour enfants, ainsi que pour le futur, à concurrence de CHF 2'250.- par mois, et à la levée des séquestres des comptes bancaires dont ses enfants sont titulaires auprès de F______ (G______, 2______. H______, 3______. I______, 4______).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, né le ______ 1957, de nationalité anglaise, est marié à J______ depuis 1999. Trois enfants sont issus de cette union, G______, née le ______ 2000, H______, née le ______ 2001 et I______, né le ______ 2004. Il est également le père de K______, née le ______ 1993 d'une précédente union, ainsi que de L______ et M______, nés à N______ [Italie], respectivement le ______ 2006 et le ______ 2007, d’une relation adultérine entretenue dans le cadre de ses relations professionnelles avec O______ et pour l’entretien desquels il a été condamné à verser CHF 1'700.- par enfant dès le 1er octobre 2018.

b. Le ______ [titre] saoudien B______ a fait la connaissance de A______ lorsque celui-ci s'occupait de sa relation bancaire au sein de la banque P______. La confiance qui s'est instaurée entre eux a débouché, en 2003, sur la création d'un family office géré par A______, par le biais des sociétés D______ SA et C______ SA à Genève, dont B______ était l'unique actionnaire. Au fil du temps, pour le fonctionnement de ces sociétés et les investissements à effectuer, plus de CHF 140 millions ont été versés sur le compte personnel de B______ à Genève (ci-après, 5______).

ca. A______ a été engagé par D______ SA selon le contrat de travail du 1er avril 2003, lequel requerrait de sa part un niveau élevé de compétence, de loyauté et d'intégrité. Toutes les affaires et honoraires produits ou transigés par lui étaient la propriété exclusive de D______ SA, et il n'avait aucun droit à de quelconques commissions, honoraires ou bénéfices en résultant autres que ceux prévus au contrat. Il avait droit, en sa qualité de directeur général de D______ SA, à un salaire annuel brut de CHF 390'000.-, plus un bonus variable fixé en proportion du bénéfice obtenu à la fin de chaque année calendaire, un bonus additionnel à la seule discrétion de D______ SA, respectivement de B______, et une voiture de fonction.

cb. Le salaire annuel brut de A______ a connu la progression suivante :

-          CHF 422'400.- en 2005 et 2006 soit CHF 32'400.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 466'800.- en 2007 soit CHF 76'800.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 502'800.- en 2008 soit CHF 112'800.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 595'270.- en 2009 soit CHF 205'270.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 663'000.- en 2010 et 2011 soit CHF 273'000.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 705'000.- en 2012 soit CHF 315'000.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 723'000.- en 2013 soit CHF 333'000.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 737'400.- en 2014 soit CHF 347'400.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 753'000.- en 2015 soit CHF 363'000.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 807'000.- en 2016 soit CHF 417'000.- de plus que le contrat initial ;

-          CHF 855'000.- en 2017 soit CHF 465'000.- de plus que le contrat initial.

d. Dès la fin de l’année 2017, B______, empêché de quitter l'Arabie Saoudite notamment pour des raisons de santé, n’a plus obtenu de renseignements suffisants sur la gestion de D______ SA, hormis des courriels se plaignant d'un manque de liquidités mettant en danger la survie du family office et de ses investissements. Il s’en est inquiété et a demandé à l'un de ses fils de venir à Genève afin d’analyser la situation, lequel s'est heurté à l'obstruction de A______ et n’a pu avoir accès aux documents des sociétés de son père qu'après avoir été désigné par lui administrateur de D______ SA et de C______ SA. Il a alors mis au jour des pertes très importantes subies par le family office et le contrat de travail de A______ a été résilié début mai 2019 pour le terme légal de congé de 6 mois, le libérant toutefois immédiatement de l'obligation de travailler afin de pouvoir accéder aux informations et enquêter librement, en se réservant expressément de lui notifier une résiliation avec effet immédiat durant le délai de congé si les investigations devaient révéler de justes motifs, ce qui intervint le 22 août 2019.

e. Se prévalant de prélèvements indus effectués par A______, par débit des fonds des entités du family office et hors salaires contractuels, pour plus de CHF 11 millions, et de l'existence de retraits cash inexplicables des comptes de ces sociétés pour l'équivalent de plus de CHF 15.6 millions, B______ a déposé plainte le 4 septembre 2019.

f. A______ a été mis en prévention le 1er octobre 2019 d'escroquerie, d'abus de confiance et de gestion déloyale pour avoir, à Genève, entre 2003 et le 6 mai 2019, en sa qualité de Directeur général de D______ SA et C______ SA, causé selon les faits décrits dans la plainte, un préjudice financier au détriment de B______, D______ SA, C______ SA et des sociétés détenues par celles-ci un préjudice financier de plus de CHF 25 millions.

A______ a contesté les faits et prétendu avoir toujours agi avec le consentement de B______, avec lequel il entretenait une relation fondée sur le respect de la parole donnée, qui était informé de ses activités et validait les états financiers des sociétés concernées, notamment ceux de D______ SA.

g. Le Ministère public a ordonné les séquestres suivants :

- le 30 septembre 2019, sur les actifs en mains [des banques] Q______ et F______, sur les créances exigibles ou futures découlant de la police d'assurance souscrite auprès de R______ et sur la villa sise à S______ [GE] ainsi que sur les biens s’y trouvant ;

- le 1er octobre 2019, sur les véhicules de A______ ;

- le 14 octobre 2019 sur les biens saisis dans le coffre loué à F______ ;

- le 18 décembre 2019 sur les avoirs et créances exigibles ou futures en mains de E______ ;

- le 12 juin 2020, sur les actifs auprès de [la banque] T______ à concurrence de CHF 120'000.-.

h. Entendu en mars 2020, B______ a contesté avoir donné son accord aux opérations reprochées à A______. Ainsi, il n'y avait pas eu de décision d'augmentations de salaire ni de validation de celles-ci et il n'avait pas été informé de son évolution, jamais évoquée par son directeur et dont il n'avait eu connaissance qu'à l'occasion des investigations. Il n'avait pas non plus accepté la prise en charge par D______ SA de la part des cotisations sociales due par A______ et personne n'avait autorisé cette charge à sa connaissance. Il n'était pas prévu que A______ perçoive des honoraires d'administrateur des sociétés du family office en plus de son salaire, suffisamment élevé pour les inclure. Cela faisait partie des conditions de son engagement et n’avait jamais été modifié. Il n’était pas non plus convenu que D______ SA paie d'autres frais privés de A______, tels par exemple des polices d'assurance privée. Il ne lui avait demandé la remise d'espèces qu'à l'occasion de déplacements à Genève ou à U______, à raison à chaque fois de CHF 20'000.- ou GBP 20'000.- environ, selon le lieu où il se trouvait. Il n'avait pas connaissance que des membres de sa famille lui aient demandé de leur remettre des espèces débitées du compte 5______, précisant que les fonds destinés à sa seconde épouse lui étaient adressés par virement bancaire.

i. L'instruction de la cause a en outre mis en évidence les éléments suivants :

- des montants en espèces totalisant CHF 8'862'700.-, EUR 3'943'838.-, GBP 763'906.55 et USD 1'144'091.42 ont été prélevés du compte 5______, par des retraits pouvant aller jusqu' à l'équivalent de CHF 350'000.- ;

- seule une employée a indiqué avoir remis à V______ [France] EUR 10'000.- à la femme de B______ ;

- B______ a contesté avoir donné des espèces à des employés de [la société] W______, contrairement aux affirmations de A______ ;

- A______, selon l'analyse du compte 5______ et de ses comptes bancaires, a effectué des versements en espèces le jour même ou à quelques jours de retraits d'espèces du compte 5______, pour plus de CHF 1 million ;

- il utilisait sa carte de crédit professionnelle notamment pour tous les voyages privés réservés par des employés de D______ SA ainsi que pour beaucoup d'autres dépenses privées effectuées dans le cadre professionnel ;

- ses dépenses privées effectuées par le biais de sa carte de crédit professionnelle ont été comptabilisées et se sont accumulées dans son compte-courant débiteur ;

- il a recommandé à B______ de résilier les mandats des administrateurs X______ et Y______ en mai, respectivement août 2015, prétextant leur coût excessif, peu après qu’ils avaient abordé la gestion de son compte courant débiteur ;

- il ne fournissait aucun justificatif pour les dépenses réalisées avec la carte de crédit professionnelle, notamment des billets d'avion, des frais de restaurant, d'essence, des achats dans des boutiques de luxe, telles que Z______, AA______ et AB______. Il annotait le relevé des cartes de crédit professionnelles pour indiquer s'il s'agissait de dépenses privées ou professionnelles qu'il remettait ensuite à la comptable. En fin d'année, A______ aurait demandé de réattribuer certaines dépenses privées en dépenses professionnelles pour les sortir de son compte privé (compte courant débiteur), notamment pour des frais de voyage en famille aux Seychelles, à AC______ [France] ou à AD______ [Émirats arabes unis] ;

- il a déclaré avoir racheté, en avril 2019, son véhicule de fonction (AE______ [marque, modèle], modèle 2015) à D______ SA, au prix de CHF 60'000.- à déduire de son salaire, avec l'aval de AF______, administrateur de D______ SA, alors que ce dernier n’avait autorisé à sa demande que le transfert de plaques, au motif qu'elles correspondaient à une date de naissance ;

- selon les témoignages recueillis, il a eu des comportements inappropriés, à caractère sexuel, envers plusieurs employées et a engagé les avocats de D______ SA, aux frais de celle-ci, pour défendre les accusations dont il faisait l’objet. Il semble aussi avoir entretenu, en partie à tout le moins, par les comptes de D______ SA, sa maîtresse O______ et les enfants nés de cette relation.

j. Lorsqu’il a quitté D______ SA en mai 2019, le revenu mensuel de A______ s'élevait à CHF 75'000.-, montant confirmé par sa déclaration fiscale 2018.

k. Le 30 avril 2019, A______ a appris qu'il était atteint d'un cancer urologique et souffrait de troubles du rythme cardiaque sévères et très invalidants, avec des palpitations, des malaises pré-syncopaux, de la fatigue et de la dyspnée d'effort. Par ailleurs, sa santé mentale présentait une recrudescence de la symptomatologie anxiodépressive. Depuis mai 2019, il se trouve en incapacité totale de travailler. Durant les six mois suivants, il a perçu des indemnités mensuelles maladie à hauteur de CHF 41'780.- en moyenne. D'après lui, ces paiements avaient été suspendus car son ancien employeur n'avait pas fourni les informations nécessaires.

l. Selon décision de l'Office cantonal des assurances sociales du 13 juillet 2021, A______ a eu droit, d'avril à décembre 2020, à une rente simple AI mensuelle de CHF 1'023.-, portée dès le 1er janvier 2021 à CHF 1'032.- et à une rente complémentaire simple pour chacun de ses enfants de CHF 409.- d'avril à décembre 2020, portée ensuite à CHF 413.-. L'arriéré de CHF 21'575.- lui a été versé peu après sur compte bancaire F______ 1______.

m. Le 23 avril 2021, [la banque] Q______ a dénoncé au remboursement, avec effet au 31 juillet 2021, les différents crédits hypothécaires relatifs à une maison à S______ dont A______ et son épouse sont copropriétaires, pour un montant arrêté, en capital, intérêts et indemnités, à CHF 4'953'033.15. Ce bien immobilier serait estimé à CHF 7 millions mais, selon un contrat de courtage du 14 août 2019, il pourrait être proposé au prix de CHF 9'900'000.-.

ma. A______ prétend avoir ni épargne ni bien immobilier à l'étranger et considère très précaire sa situation financière actuelle. Ses dettes chirographaires s'élèveraient à CHF 120'000.- envers ses avocats et à CHF 35'000.- vis-à-vis d’amis.

Dans sa déclaration fiscale 2018 figurent une fortune mobilière de CHF 584'371.- et immobilière de CHF 4'907'400.-.

Il a souscrit trois assurances-vie auprès de E______, dont la valeur de rachat s'élevait au 31 décembre 2018 à CHF 304'991.-, et deux contrats de prévoyance professionnelle auprès de R______. Selon le premier (contrat 6______), son avoir vieillesse s'élevait à CHF 484'822.95 au 1er janvier 2020. À l'âge de la retraite, soit au 1er juin 2022, il devrait percevoir un capital de CHF 560'868.55 ou une rente mensuelle de CHF 31'140.50. Selon le second (contrat 7______), son avoir vieillesse s'élevait à CHF 1'604'956.60 au 1er janvier 2020 et il devrait percevoir, à l'âge de la retraite, un capital de CHF 2'099'911.10 ou une rente mensuelle de CHF 98'947.80.

mb. A______ a établi un budget mensuel familial, incluant son épouse, ses deux filles majeures, qui étudiaient à U______, et son fils mineur I______, s'élevant à CHF 67'802.- et comprenant les charges suivantes, hors impôts :

- intérêts hypothécaires CHF 7'419.50 ;

- charges et frais d'entretien CHF 6'162.10 ;

- taxe audio-visuelle (Serafe) CHF 30.40 ;

- assurance-maladie LAMal CHF 576.80 ;

- assurance-maladie LCA CHF 273.30

- frais médicaux non-remboursés CHF 100.- ;

- assurance-ménage, RC, bâtiment, CHF 2'755.- ;

- protection juridique non chiffré ;

- paysagiste CHF 1'080.- ;

- sécurité AG______ CHF 113.- ;

- maintenance piscine CHF 430.- ;

- maintenance maison CHF 200.- ;

- maintenance chauffage CHF 125.- ;

- frais de téléphonie CHF 290.- ;

- frais de transport CHF 70.- ;

- montant de base OP : CHF 850.- ;

Total : CHF 20'475.10.

n. A______ ne s’est pas acquitté des pensions fixées pour l’entretien de L______ et M______ et a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public du 25 janvier 2021 à 120 jours-amende d'un montant de CHF 100.- ainsi qu'aux frais de procédure, et mis au bénéfice du sursis avec un délai d'épreuve de 3 ans. Les arriérés de pensions alimentaires ont fait l'objet d'un séquestre civil puis ont été payés sur les biens de A______, après levée des séquestres pénaux à due concurrence.

o. A______ perçoit actuellement une rente LPP mensuelle de CHF 21'055.-.

p. Par ordonnance du 30 août 2021, le Ministère public a ordonné à l'Office cantonal des assurances sociales le séquestre (art. 263 CPP), de tous les avoirs en compte et de toutes les créances exigibles ou futures au bénéfice de A______,notamment tous les avoirs en compte et rentes invalidité futures.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré qu'il existait des indices suffisants laissant présumer la commission des infractions dénoncées, rappelé l'existence des séquestres prononcés en Suisse et observé que A______ possédait une fortune personnelle placée à l'étranger, libre de tout séquestre. S’il affirmait ne plus pouvoir faire face à ses factures courantes, il omettait de détailler l'étendue de ses actifs à l'étranger et d’informer des montants qu'il aurait perçus des assurances sociales ensuite de l'octroi de sa rente invalidité au 1er avril 2020. Or, il disposait en novembre 2020 notamment d'actifs bancaires auprès de AH______ et AI______, deux établissements financiers égyptiens, et de comptes auprès de AJ______ (U______) [CHF 58'588.- auprès de AH______, l'équivalent de CHF 130'000.- environ auprès de AI______, GBP 22'211.16, USD 4'763.30 et EUR 3'614.51 chez AJ______].

Considérant que les biens appartenant au prévenu saisis en Suisse pouvaient garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (art. 263 al. 1 let. b et 268 CPP) ou l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP) et tenant compte du revenu et de la fortune du prévenu (art. 268 al. 2 CPP), le Ministère public a considéré que les séquestres devaient être confirmés, ce d’autant que A______ n’avait pas démontré ne pas disposer de fonds suffisant pour s'acquitter de ses charges incompressibles. Il était par ailleurs difficile de comprendre comment il pouvait se retrouver dans la situation financière qu'il décrivait au regard des sommes dont il avait bénéficié depuis mai 2019, notamment des versements de [la compagnie d'assurances] E______ (CHF 213'698.-) et d'avances de proches (plus de CHF 308'000.-) et des actifs bancaires dont il disposait, provenant de ses comptes à Monaco, dont les soldes supérieurs à CHF 1'300'000.- avaient été virés en Egypte, en sa faveur, auprès [des banques] AH______, AK______ puis AI______. Il avait en conséquence pu dépenser plus de CHF 1'600'000.- en 20 mois, jusqu’en novembre 2020. Enfin, ses revenus actuels, constitués de sa rente mensuelle LPP de CHF 21'055.- (CHF 30'180 / 43 x 30; pp 213'094) couvrait ses besoins nécessaires qu'il évaluait à CHF 20'258.-, hors les intérêts et remboursements hypothécaires de CHF 7'438.- (CH F 22'314.-/ 3; pp 201'027).

Le Ministère public relevait enfin qu'une partie des factures produites à l'appui de sa requête représentait des charges que l'intéressé n'avait pas les moyens d'assumer au moyen de ses revenus actuels, indépendamment des séquestres en cours, et qu'il convenait de ne pas dénuer de toute portée les séquestres ordonnés alors qu'il jouissait d'une fortune considérable. Par conséquent, il n'y avait pas lieu de libérer des fonds pour les dépenses essentielles d'une personne qui avait choisi de maintenir un train de vie qui ne correspondait plus à ses revenus et de financer des dépenses somptuaires au moyen des fonds non séquestrés, prenant le parti de dilapider sa fortune sise à l'étranger, au mépris de ses besoins essentiels.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient qu'il aurait, contrairement aux affirmations du Ministère public, renseigné celui-ci au sujet de ses biens en Angleterre et en Egypte, où le peu qui lui restait était en constante diminution. Il avait remis au Ministère public le décompte des prestations AI reçues ou à recevoir, dans une procédure parallèle en violation d'obligations d'entretien, et collaboré en remettant toutes les pièces disponibles et en donnant toutes les explications nécessaires. S'il était dans la situation favorable décrite par le Ministère public, il ne se mettrait pas en état de précarité, laissant impayés les primes d'assurance maladie, les frais d'eau et d'électricité et les factures de médecin, alors que son état de santé nécessitait de régulières consultations médicales. Il n'avait pas dépensé autant que le soutenait le Ministère public, estimant ses dépenses à CHF 308'000.- d'octobre 2019 à octobre 2020. Il évaluait à CHF 20'258.- les charges mensuelles nécessaires à l'entretien de sa famille. La fortune sise à l'étranger appartenait pour partie à son beau-père et pour une partie inférieure à ce que retenait le Ministère public à lui-même, mais était illiquide, s'agissant des titres AH______ et AL______. Ayant démontré qu'il ne disposait pas des fonds suffisants pour s'acquitter de ses charges incompressibles et ses dépenses ayant été notoirement moindres que celles que lui prêtait le Procureur, les séquestres devaient être levés dans la mesure sollicitée car leur maintien violait l'art. 268 al. 2 CPP ainsi que le principe de proportionnalité, respectivement l'art. 197 al. 1 let. c et d CPP, en relation avec les art. 268 CPP et 71 al. 3 CP.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours.
Il relève que A______ avait accès aux comptes de AJ______ (U______) sur lesquels se trouvaient plus de CHF 36'000.-, et en Egypte, où il disposait d'environ CHF 58'000.-. Il n'établissait pas par ailleurs qu'il ne disposait plus de pouvoirs sur les quelque CHF 750'000.- qu'il avait fait transférer de Monaco en Egypte, les documents laissant apparaitre qu'il était toujours l'ayant-droit des fonds figurant sur le compte de AH______. Les actions qu'il détenait auprès de [la banque] AI______ avaient une valeur de CHF 130'000.- et les restrictions des transferts de fonds hors d'Egypte avaient été levées en juin 2017. S'agissant de la garantie du minimum vital, qui s'élevait pour sa famille à CHF 8'250.65 par mois, les montants qu'il avait reçus suffisaient à le garantir.

c. B______, D______ SA et C______ SA relèvent que A______ ne conteste pas les charges retenues contre lui, ni que le montant des valeurs patrimoniales séquestrées serait supérieur au produit de ses infractions. Ils soutiennent que le recourant aurait planifié la distraction de ses avoirs avant sa mise en prévention et possèderait sans doute d'autres biens que ceux que le Ministère public avait identifiés, relevant à ce sujet qu'il avait fait transféré CHF 370'000.- de son compte à Monaco en février et mars 2019 en Egypte et environ CHF 900'000.- du même compte sur son compte à AH______. Il avait aussi vendu pour CHF 60'000.- un véhicule qu'il avait acquis avec l'argent du family office, essayé de vendre sa villa et de retirer son capital LPP, estimé entre 1,8 et 1,9 million, opération qui n'était possible que pour une personne désireuse de quitter la Suisse. Les intimés considèrent par ailleurs que le recourant vit au-dessus de ses moyens et que des sommes importantes devraient être retranchées de son minimum vital, notamment les frais inclus dans le montant de base et les frais de scolarisation dans une école privée. Il devrait également songer à louer la villa luxueuse qu'il occupait afin de réduire les frais liés à son entretien et dégager des ressources supplémentaires. Ainsi, en tout état, le séquestre devait être maintenu et la décision querellée confirmée.

d. À réception de ces écritures, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.      Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.      Le recourant conteste le maintien de certains séquestres en tant qu'il ne dispose pas des ressources lui permettant d'assumer les dépenses nécessaires à ses besoins essentiels et à ceux de sa famille, qu’il évalue à CHF 20258.- par mois.

2.1.1. Le séquestre – notamment au sens de l'art. 263 al. 1 CPP – est une mesure de contrainte qui ne peut être ordonnée, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que si elle est prévue par la loi (let. a), s'il existe des soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Dans le cadre de l'examen d'un séquestre conservatoire, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Le séquestre pénal est en effet une mesure conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve, que le juge du fond pourrait être amené à confisquer ou à restituer au lésé, ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 263 al. 1 CPP et 71 al. 3 CP). L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364).

Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). L'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle (arrêt du Tribunal fédéral 1B_414/2019 du 13 janvier 2020 consid. 2.1 et les arrêts cités). Les probabilités d'une confiscation doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction (ATF 122 IV 91 consid. 4 p. 96). Un séquestre peut en effet apparaître disproportionné lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6 p. 247). En outre, pour respecter le principe de proportionnalité, l'étendue du séquestre doit rester en rapport avec le produit de l'infraction poursuivie (ATF 130 II 329 consid. 6 p. 336 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_116/2021 du 5 mai 2021 consid. 5.1 et les arrêts cités).

2.1.2. L'art. 268 al. 1 CPP permet le séquestre du patrimoine d'un prévenu dans la mesure qui paraît nécessaire pour couvrir les frais de procédure et les indemnités à verser (let. a), les peines pécuniaires et les amendes (let. b). Le séquestre en couverture des frais impose de prendre en compte le revenu et la fortune du prévenu (art. 268 al. 2 CPP) et d'exclure du séquestre les valeurs insaisissables selon les art. 92 - 94 de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP ou loi sur la poursuite; RS 281.1; art. 268 al. 3 CPP). Un tel examen s'impose car cette mesure tend exclusivement à la sauvegarde des intérêts publics, donc à garantir le recouvrement de la future dette de droit public du prévenu. Elle peut, de plus, porter sur tous les biens et valeurs du prévenu, même ceux qui n'ont pas de lien de connexité avec l'infraction.

2.1.3. L'art. 71 al. 3 CP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale. La mesure prévue par cette disposition se différencie ainsi du séquestre conservatoire résultant des art. 263 al. 1 let. c CPP (restitution au lésé) ou 263 al. 1 let. d CPP, dispositions requérant en revanche l'existence d'un tel rapport (ATF 140 IV 57 c. 4.1.2). Ce n'est en outre que dans le cadre du jugement au fond que seront examinés l'éventuel prononcé définitif de la créance compensatrice et sa possible allocation au lésé (cf. art. 73 al. 1 let. c CP). Il en résulte que tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une possibilité qu'une créance compensatrice puisse être ordonnée, la mesure conservatoire doit être maintenue, car elle se rapporte à des prétentions encore incertaines (ATF 139 IV 250 consid. 2.1 p. 252 s. et les arrêts cités). Le séquestre ne saurait toutefois violer le droit constitutionnel du prévenu à des conditions minimales d'existence, de sorte que l'autorité pénale doit, déjà à ce stade du séquestre, tenir compte de l'éventuelle atteinte au minimum vital du prévenu (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 et 3.4).

2.2.1. À la lumière de l'ensemble de ces principes, force est de constater qu'il n'existe, à ce stade de la procédure, aucun motif permettant d'envisager la levée partielle des séquestres litigieux.

Dans le cadre d'une enquête complexe impliquant des recherches approfondies en Suisse et à l'étranger, ceux-ci ne sont pas d'une durée excessive, ce qui n'est par ailleurs pas allégué, et la vraisemblance de l'existence de charges suffisantes à l'encontre du recourant, pas vraiment contestée par ce dernier dans le présent recours, demeure, en l'état d'avancement de l'instruction, largement suffisante au regard des critères applicables en la matière pour les maintenir. Il est en effet vraisemblable, à ce stade, que l'implication du recourant dans l'activité délictuelle que lui prête l'intimé, sur plusieurs années, permette d'envisager un dommage possible de l'ordre de plusieurs millions de francs suisses.

La question de la proportionnalité des séquestres en cause ne se pose donc pas.

2.2.2. Le recourant insiste sur la précarité de sa situation financière et sur la nécessité de libérer des fonds afin d'assurer l'entretien de sa famille. Or, le dossier révèle, malgré les contestations du recourant, qu'il a maintenu un train de vie élevé depuis sa mise en prévention et les budgets conséquents qu'il présente au Ministère public ou à la Chambre de céans démontrent qu'il a choisi de ne pas en changer, malgré l'impact de sa mise en prévention sur sa situation. Ainsi, depuis octobre 2019, il n'a rien entrepris pour dépenser moins et a largement puisé dans ses biens disponibles pour assurer un train de vie avoisinant celui de sa situation antérieure. À tout le moins et selon son calcul a-t-il continué à dépenser plus de CHF 25'000.- par mois, voire plus de CHF 60'000.-, étant observé que ces montants sont largement inférieurs aux conclusions des intimés et supérieurs à ce que ces derniers considèrent comme suffisants. Le recourant prétend dorénavant ne pouvoir maintenir l'essentiel de son train de vie qu'en obtenant la levée des séquestres, sans proposer une réelle adaptation de son budget. Or, il ne parle ni de la réduction des frais d'écolage de ses enfants, ni de la possibilité pour son épouse de travailler ni de celle de mettre en location la villa familiale, dans un contexte pourtant favorable. Ces derniers constats permettent de considérer que le séquestre dont se plaint le recourant ne l'affecte pas dans la mesure annoncée et que son minimum vital n'est pas atteint. En effet, s'il avait accepté de réduire son train de vie, les montants qu'il avait reçus suffisaient déjà à garantir son minimum vital, que l'on peut retenir, pour sa famille, avec le Ministère public, à hauteur de CHF 8'250.65 par mois et ce sans même considérer les biens qu'il possède à l'étranger et dont l'étendue n'est pas clairement définie, ni prendre en compte les avances qu'il pourrait obtenir au regard des montants importants qui devraient lui échoir à l'avènement prochain de l'âge de la retraite. Dans ces circonstances, les séquestres prononcés doivent être maintenus.

3.      Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.      Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui seront fixés en totalité à CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant et à l’intimé, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juge, et Monsieur Louis PEILA, juge suppléant; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18252/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

-

CHF

Total

CHF

2'000.00