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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18468/2018

ACPR/648/2020 du 16.09.2020 sur OCL/637/2020 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;CONDITION DE RECEVABILITÉ;LÉSÉ;AUTORITÉ ADMINISTRATIVE;DISPOSITIONS SPÉCIALES DE LA LPC;OBTENTION ILLICITE DE PRESTATIONS D'UNE ASSURANCE SOCIALE;INTENTION
Normes : CPP.104.al2; LPGA.79.al3; CPP.319; LPC.31; CP.148a; CP.12

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18468/2018 ACPR/648/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 16 septembre 2020

Entre

L'ÉTAT DE GENÈVE, Département de la cohésion sociale, soit pour lui le service des prestations complémentaires (SPC), route de Chêne 54, case postale 6375, 1211 Genève 6,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 17 juin 2020 par le Ministère public,

 

et

A______, domiciliée ______ (GE), comparant par Me B______, avocate, ______, Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 26 juin 2020, le service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) recourt contre l'ordonnance du 17 juin 2020, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement de la procédure P/18468/2020 à l'égard de A______.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance entreprise, à ce que la Chambre de céans déclare A______ coupable d'obtention illicite de prestations d'une assurance sociale ou de l'aide sociale (art. 148a CP), subsidiairement d'infraction à la loi fédérale sur les prestations complémentaires (LPC ; RS 831.30) (art. 31 al. 1 let. d LPC), et à ce qu'elle la condamne au versement de CHF 115'513.65, correspondant au montant des prestations indûment perçues.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 24 septembre 2018, le SPC a déposé plainte pénale contre A______, née le ______ 1942, pour infraction à la LPC (art. 31 al. 1 let. d LPC) et obtention illicite de prestations d'une assurance sociale ou de l'aide sociale (art. 148a CP), déclarant se porter partie plaignante au pénal et au civil.

A______ était au bénéfice de prestations complémentaires du 1er janvier 1989 au 31 juillet 2005, avec feu son époux, puis du 1er août 2005 au 31 mars 2018 en tant que personne seule, sans interruption. À la suite du décès de son mari, elle avait, le 5 octobre 2005, complété un formulaire de demande de prestations complémentaires. En décembre 2017, elle avait spontanément transmis divers documents, dont il ressortait qu'elle était titulaire de deux comptes bancaires en Espagne et propriétaire, pour moitié avec ses enfants, d'un bien immobilier sis dans ce même pays. A______ avait ainsi indûment perçu des prestations sociales, pour un montant total de CHF 110'299.65, qu'elle était tenue de rembourser.

b. À l'appui de la plainte figure notamment un formulaire "Demande de prestations" rempli le 5 octobre 2005 par A______, avec l'aide de l'association C______.

Sous la rubrique "FORTUNE", sont listés trois comptes bancaires auprès de [la banque] D______, suivis de la mention "+ cf. montants au décès 07.2005".

Sous la rubrique "RENSEIGNEMENTS COMPLEMENTAIRES", à la question "Votre situation économique (ressources, fortune, dépense) s'est-elle modifiée par rapport à celle de l'année précédente ?", A______ a répondu par l'affirmative, en précisant : "Décès du conjoint en juillet 2005. Succession en cours".

c. Par pli du 30 janvier 2019, A______ a expliqué que son mari était décédé le ______ 2005. Par acte successoral du 18 août 2017, elle avait hérité du bien immobilier sis en Espagne, en copropriété avec ses enfants. Jusqu'à cette date, son mari était seul propriétaire dudit bien. Elle-même et ses enfants ne figuraient sur aucun registre et ne pouvaient donc en disposer librement. Les deux comptes bancaires ouverts auprès de la banque E______ étaient liés à l'appartement, raison pour laquelle elle les avait annoncés au SPC concomitamment à ce dernier, le 13 décembre 2017, moins de quatre mois après l'émission du pacte successoral.

d. Entendue le 23 mai 2019 par le Ministère public en qualité de prévenue d'escroquerie (art. 146 CP), A______ a déclaré ne jamais avoir voulu tromper le SPC et lui avoir spontanément annoncé le "résultat" de la succession, une fois reçus les documents y relatifs. Ce service était au courant qu'une succession était en cours, puisqu'elle avait expressément mentionné ce fait dans sa demande du 6 octobre 2005, remplie par une assistante sociale de l'association C______. Cette dernière ne l'avait pas interrogée sur des biens immobiliers à l'étranger. À cette époque, elle-même se trouvait dans un état de dépression à la suite du décès de son mari et n'était pas en état de penser à lui en parler. Hormis cette demande de 2005, elle n'avait pas fait appel à l'aide d'assistants sociaux, et ne s'était jamais doutée devoir annoncer plus que ce qu'elle avait déjà fait. Son compte personnel auprès de la banque E______ ne servait qu'au paiement des charges liées à l'appartement ; elle l'alimentait plusieurs fois par année depuis son compte en Suisse. L'autre compte bancaire était un compte épargne au nom de ses enfants et d'elle-même, avec un solde d'environ EUR 1'800.-. Ce compte était à leur disposition pour les vacances ou pour compléter un achat éventuel.

e. Le 11 juin 2019, le SPC a précisé que A______ n'avait pas eu à remplir d'autres formulaires que celui déjà en possession du Ministère public. Chaque année, elle leur faisait parvenir des extraits de ses comptes bancaires suisses et des documents relatifs à la succession genevoise de feu son mari.

f. Parallèlement, le SPC a procédé à un nouveau calcul du droit aux prestations de A______ et lui a réclamé le remboursement des prestations versées à tort.

Le 4 septembre 2019, le SPC a rendu une décision sur opposition, que A______ a attaquée auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant à ce que sa nullité soit constatée - le SPC n'étant pas compétent pour rendre sa décision en raison de la litispendance créée par le dépôt de conclusions civiles dans la procédure pénale -, subsidiairement à ce que la procédure de recours soit suspendue jusqu'à droit connu dans la procédure pénale.

Par arrêt incident du 14 novembre 2019 (ATAS/1057/2019), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice a refusé de constater la nullité de la décision sur opposition du SPC. L'obligation de restituer les prestations complémentaires AVS/AI indûment touchées avait pour fondement des prétentions relevant par nature du droit public, dont le juge pénal n'avait en principe pas à connaître, et pour lesquelles un assureur social ne pouvait se porter partie plaignante au civil. Cela étant, dans la mesure où le sort de la procédure de recours dépendait de l'issue de la procédure pénale, il se justifiait de suspendre la première jusqu'à droit connu sur la seconde.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public nie d'emblée la qualification d'escroquerie (art. 146 CP), le SPC ayant pu procéder aux vérifications nécessaires s'il avait eu un quelconque doute. S'agissant des art. 148a CP et 31 al. 1 let. d LPC, A______ n'avait pas intentionnellement trompé le SPC en ne l'informant pas, déjà en 2005, de l'existence en Espagne d'un bien immobilier et de deux comptes bancaires. À cette époque, la succession de son époux n'avait pas encore été partagée et ces biens ne lui appartenaient donc pas. A______ avait de plus fait figurer sur le formulaire de demande de prestations qu'une succession était alors en cours. Elle n'avait rien voulu cacher. En outre, le fait qu'elle avait annoncé spontanément tant au SPC qu'à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) l'existence du bien immobilier et des comptes bancaires, ce qui aurait pu avoir une influence sur les prestations touchées et les impôts à payer, tendait à démontrer sa bonne foi et son intention de ne rien dissimuler. L'élément constitutif des infractions prévues aux art. 148a CP et 31 al. 1 let. d LPC faisait par conséquent défaut.

D. a. À l'appui de son recours, le SPC expose avoir reçu, à l'automne 2005, la déclaration de succession du mari de A______ établie par l'AFC, laquelle ne faisait toujours pas état de l'existence d'un bien immobilier à l'étranger. Il incombait à A______ de l'en informer, étant précisé qu'elle avait reçu chaque année depuis 2005 une communication lui rappelant que tout changement dans sa situation économique devait être immédiatement communiqué, sous peine, dans les cas graves, de poursuites judiciaires. La teneur du nouvel art. 148a CP, avec les conséquences en cas de condamnation, lui avait en outre été rappelée par le conseiller d'Etat F______ dans un courrier du 7 octobre 2016, avec la précision qu'une "amnistie" existait en la matière jusqu'au 31 décembre 2016 seulement. Par ailleurs, A______ n'avait pas "spontanément" déclaré son bien immobilier, mais avait répondu à une demande de pièces et rempli un formulaire de déclaration de bien immobilier, lequel lui avait été adressé au mois d'octobre 2017 déjà. Même si le partage successoral en Espagne n'avait été finalisé que le 18 août 2017, A______ était devenue propriétaire du bien immobilier dès le jour du décès de son époux, le ______ 2005. En effet, de jurisprudence constante, lors de l'établissement d'un calcul de prestations complémentaires à l'AVS/AI, la part d'héritage d'un assuré devait être prise en compte non pas à partir du moment où le partage était effectué, mais déjà dès l'ouverture de la succession, soit au jour du décès du défunt. A______ avait dès lors manifestement fait preuve d'un comportement passif en omettant de lui annoncer, lors du dépôt de sa demande de prestations en 2015 [recte : 2005] ou ultérieurement, l'existence d'éléments de fortune à l'étranger.

b. Dans ses observations, le Ministère public s'en tient à son ordonnance querellée et conclut au rejet du recours. La question de savoir si, d'une part, l'annonce au SPC était postérieure à celle à l'AFC et, d'autre part, si cette annonce était spontanée ou consécutive à une demande de pièces de la part du SPC, ne permettait pas d'établir une intention délictueuse chez A______.

c. Dans ses observations, A______ conclut, sous suite de frais et dépens (non chiffrés), à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Le recours du SPC contenait des conclusions manifestement irrecevables - la Chambre de céans n'étant pas compétente pour la condamner - et ne formulait aucun grief à l'encontre de l'appréciation du Ministère public quant à l'absence de l'élément constitutif subjectif de l'infraction. Faute de motivation suffisante (art. 385 al. 2 CPP), il devait être déclaré irrecevable. Subsidiairement, la séquence des évènements telle que retenue dans l'ordonnance querellée démontrait son absence d'intention de cacher des biens à l'administration. La question de savoir si les biens de la succession indivise ne lui appartenaient pas - ce que prétendait le Ministère public - était controversée, et faisait l'objet de la procédure en cours devant la Chambre des assurances sociales. Ne possédant elle-même aucune formation juridique, il fallait dans tous les cas considérer qu'elle ignorait de bonne foi son obligation d'annonce avant 2017.

d. Les parties n'ayant pas répliqué, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé dans le délai légal de dix jours (art. 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP). Il satisfait également aux exigences de forme prévues par l'art. 385 al. 1 CPP, de sorte qu'il n'y a pas lieu de le renvoyer au recourant pour qu'il le complète, ou même, comme le souhaiterait pourtant l'intimée, de le déclarer sur le champ irrecevable. En effet, même si certaines des conclusions prises s'adressent manifestement à une autorité de jugement et excèdent dès lors la compétence matérielle de la Chambre de céans, et même si la motivation ne contient aucune critique expressément dirigée contre le raisonnement du Ministère public quant à l'absence de l'élément constitutionnel subjectif, on comprend toutefois que le recourant est d'avis que l'intimée ne pouvait ignorer qu'elle devait lui signaler immédiatement les changements intervenus dans sa situation patrimoniale et que, par son omission, elle avait indûment touché des prestations sociales. Ce grief est suffisant sous l'angle de l'art. 385 CPP.

1.2. Reste toutefois à examiner la question de la qualité pour agir du recourant.

1.2.1. Seule une partie qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée a qualité pour recourir contre celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

La partie plaignante a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP).

L'art. 115 al. 1 CPP définit le lésé comme étant toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. Selon la jurisprudence, est atteint directement dans ses droits le titulaire du bien juridique protégé par la norme, même si ce bien n'est pas unique (ATF 146 IV 76 consid. 2.2.1 p. 80 et les arrêts cités). Lorsque la norme ne protège pas en première ligne les biens juridiques individuels, seule est considérée comme lésée la personne qui est affectée dans ses droits par l'infraction sanctionnée par la norme en cause, pour autant que l'atteinte apparaisse comme la conséquence directe du comportement de l'auteur (ATF 145 IV 491 consid. 2.3.1 p. 495 ; 141 IV 454 consid. 2.3.1 p. 457).

Pour que la qualité de lésé soit reconnue à l'État, il ne suffit pas que celui-ci soit touché par l'infraction en cause dans des intérêts publics qu'il a pour mission de défendre ou de promouvoir ("für welche er zuständig ist") ; il doit être atteint directement dans ses droits personnels comme un privé. Lorsque l'organe étatique agit en tant que détenteur de la puissance publique, il défend des intérêts publics et ne peut pas être simultanément touché directement dans des intérêts individuels qui lui sont propres; dans ce cas, la sauvegarde des intérêts publics, dont il est le garant, incombe au ministère public (arrêt du Tribunal fédéral 1B_576/2018 du 26 juillet 2019 consid. 2.4 et les références citées). En application de ces principes, la qualité de lésé a notamment été niée à un office communal de prévoyance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_158/2018 du 11 juillet 2018) ou encore à une caisse publique d'assurance chômage (arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2019 du 14 mai 2020) en relation avec l'infraction d'obtention illicite de prestations d'une assurance sociale ou de l'aide sociale (art. 148a CP).

1.2.2. Selon l'art. 104 al. 2 CPP, la Confédération et les cantons peuvent reconnaître la qualité de partie, avec tous les droits ou des droits limités, à d'autres autorités chargées de sauvegarder des intérêts publics.

La notion d'autorité selon l'art. 104 al. 2 CPP doit, en principe, être comprise dans un sens restrictif. Il n'est pas déterminant de savoir si l'entité est organisée selon le droit public ou le droit privé. Bien plutôt, il est décisif qu'il lui ait été confié l'accomplissement d'une tâche de droit public incombant à la collectivité, qu'à cette occasion elle bénéficie de compétences souveraines, que la gestion et la comptabilité pour ses tâches publiques soient placées sous la surveillance de l'État, que, partant, l'entité soit suffisamment liée à la collectivité et que son activité relevant du droit public soit financée par l'État (ATF 144 IV 240 consid. 2.5 p. 252 s.).

Aux termes de l'art. 79 al. 3 de la loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA ; RS 830.1), en cas de procédure pénale pour violation de l'art. 148a CP ou de l'art. 87 de la loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l'assurance-vieillesse et survivants, l'assureur peut exercer les droits d'une partie plaignante. Entrée en vigueur le 1er octobre 2019, en même temps que le nouvel art. 43a LPGA relatif à l'observation des assurés (RO 2019 2829), cette disposition fait suite à une proposition de la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du conseil des Etats au cours des débats parlementaires, visant à garantir une certaine uniformité entre les différentes pratiques cantonales quant à la qualité de partie à la procédure pénale des assureurs sociaux, notamment des offices AI (BO CE 2017 p. 1013).

1.2.3. En l'espèce, le recourant est un service étatique, chargé d'appliquer la LPC et d'allouer des prestations fondées sur cette loi (cf. art. 21 LPC et 37 de la loi genevoise sur les prestations complémentaires cantonales [LPCC ; J 4 25]). En ce sens, il agit en tant que détenteur de la puissance publique et ne revêt en principe pas la qualité de lésé, et donc de partie plaignante, s'agissant des infractions objets de la présente procédure (art. 148a CP et 31 al. 1 let. d LPC), qui ne le touchent pas dans ses droits personnels, au même titre qu'un privé. Sous cet angle, le recours devrait en principe être déclaré irrecevable.

Cela étant, il faut admettre que l'art. 79 al. 3 LPGA constitue désormais une base légale suffisante pour reconnaître aux assureurs sociaux la qualité de partie sui generis selon l'art. 104 al. 2 CPP dans les procédures portant notamment sur l'art. 148a CP, ce qui est le cas en l'occurrence. Si cette disposition n'est pas dénuée de toute ambigüité, notamment en ce qu'elle se limite à deux infractions déterminées et semble négliger celles, généralement subsidiaires à l'art. 148a CP, qui sont prévues dans d'autres lois spéciales - comme en l'occurrence l'art. 31 al. 1 let. d LPC -, elle a précisément été adoptée afin de permettre aux assureurs sociaux de participer activement aux procédures pénales menées dans leurs domaines de compétences, avec les droits d'une partie plaignante. Tel est le cas en l'espèce pour le SPC. On précisera que la loi ne semble pas limiter l'étendue des droits octroyés aux assureurs, qui doivent donc également pouvoir exercer un recours (cf. N. SCHMID / D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3ème éd., Zurich 2017, N 1457 p. 653 s.). Il s'ensuit que le recourant dispose de la qualité pour recourir contre l'ordonnance querellée et que le recours est recevable.

2.             Le recourant fait grief au Ministère public d'avoir classé la procédure s'agissant des infractions prévues aux art. 148a CP et 31 al. 1 let. d LPC.

2.1.       Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être appliquée conformément au principe "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public dispose, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91).

2.2.       L'art. 148a al. 1 CP punit d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour un tiers des prestations indues d'une assurance sociale ou de l'aide sociale.

Cette disposition couvre les cas dans lesquels l'infraction d'escroquerie n'est pas réalisée, parce que l'auteur n'agit pas astucieusement. Sont ainsi comprises toutes les formes de tromperie, soit en principe lorsque l'auteur fournit des informations fausses ou incomplètes, dissimule sa situation financière ou personnelle réelle (p. ex. à propos de son état de santé), ou passe certains faits sous silence (cf. Message du Conseil fédéral concernant une modification du code pénal et du code pénal militaire [Mise en oeuvre de l'art. 121, al. 3 à 6, Cst. relatif au renvoi des étrangers criminels] du 26 juin 2013, FF 2013 5432 ss [ci-après : Message du Conseil fédéral du
26 juin 2013]). Dans cette dernière hypothèse ("en passant sous silence"),
l'art. 148a 2ème hyp. CP décrit une infraction d'omission proprement dite (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1015/2019 du 4 décembre 2019 consid. 4.5.2 ; AARP/76/2020 du 24 février 2020 consid. 2.4 ; Message du Conseil fédéral du 26 juin 2013, p. 5432).

Sur le plan subjectif, l'infraction est intentionnelle. Il faut d'une part que l'auteur sache, au moment des faits, qu'il induit l'aide sociale en erreur ou la conforte dans son erreur et, d'autre part, qu'il ait l'intention d'obtenir une prestation sociale à laquelle lui-même ou le tiers auquel il la destine n'a pas droit (Message du Conseil fédéral du 26 juin 2013, p. 5433).

2.3.       Conformément à l'art. 31 al. 1 let. d LPC, est puni, à moins qu'il ne s'agisse d'un crime ou d'un délit frappé d'une peine plus élevée par le code pénal, d'une peine pécuniaire n'excédant pas 180 jours-amende celui qui manque à son obligation de communiquer au sens de l'art. 31 al. 1 LPGA. Cette disposition prévoit que l'ayant droit, ses proches ou les tiers auxquels une prestation est versée sont tenus de communiquer à l'assureur ou, selon le cas, à l'organe compétent toute modification importante des circonstances déterminantes pour l'octroi d'une prestation.

L'infraction est, ici aussi, intentionnelle (U. MÜLLER, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum ELG, 3e éd., Zurich 2015, n. 926 ad art. 31, p. 330 ; cf. aussi ATF 138 V 74 consid. 8.2 p. 83 ; ATAS/875/2019 du 26 septembre 2019 consid. 15b).

2.4.       Selon l'art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait.

Pour déterminer si l'auteur s'est accommodé du résultat au cas où il se produirait (dol éventuel), il faut se fonder sur les éléments extérieurs, faute d'aveux. Parmi ces éléments figurent l'importance du risque - connu de l'intéressé - que les éléments constitutifs objectifs de l'infraction se réalisent, la gravité de la violation du devoir de prudence, les mobiles, et la manière dont l'acte a été commis (ATF 125 IV 242 consid. 3c). Plus la survenance de la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l'infraction est vraisemblable et plus la gravité de la violation du devoir de prudence est importante, plus sera fondée la conclusion que l'auteur s'est accommodé de la réalisation de ces éléments constitutifs, malgré d'éventuelles dénégations (ATF
138 V 74 consid. 8.4.1). Ainsi, le dol éventuel peut notamment être retenu lorsque la réalisation du résultat devait paraître suffisamment vraisemblable à l'auteur pour que son comportement ne puisse raisonnablement être interprété que comme une acceptation de ce risque (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019 du 2 avril 2019 consid. 5.1).

2.5.       En l'espèce, l'appréciation du Ministère public quant à l'absence de l'élément constitutif subjectif des infractions prévues aux art. 148a CP et 31 al. 1 let. d LPC peut être suivie.

Le recourant lui-même ne rediscute pas véritablement des éléments de fait sur lesquels se fonde l'ordonnance querellée pour parvenir à cette conclusion, à savoir que, sur le formulaire du 5 octobre 2005, l'intimée avait expressément indiqué au SPC qu'une succession était en cours, puis qu'elle avait spontanément annoncé à ce même service l'existence du bien immobilier et des comptes bancaires une fois la succession partagée, ce qui démontrait suffisamment sa bonne foi et son intention de ne rien dissimuler.

Dans ce cadre, le recourant se fonde principalement sur la jurisprudence rendue en matière de prestations complémentaires AVS/AI, voulant que la part d'héritage d'un assuré doit être prise en compte non pas au moment du partage, mais à l'ouverture de la succession déjà. Si cette jurisprudence paraît certes pertinente pour décider si des prestations complémentaires ont été perçues à tort, et donc si leur restitution peut être exigée, elle l'est moins s'agissant de la question litigieuse dans la présente procédure, qui consiste à se demander si l'intimée a agi de manière intentionnelle, au sens de l'art. 12 al. 2 CP. Sous cet angle, les différentes communications reçues de la part du SPC et du conseiller d'Etat ne permettent pas d'inférer que l'intimée savait que, par son silence, elle induisait l'assureur social en erreur ou s'accommodait de ce résultat. Au vu de ses explications et des éléments au dossier, notamment le formulaire du 5 octobre 2005, il faut bien plus retenir que l'intimée a rapidement annoncé au SPC le décès de son mari, précisant qu'il entraînait une modification de sa propre situation financière. En l'absence de réaction concrète de la part du recourant, notamment une demande de précision sur les biens composant la succession, on ne saurait reprocher à l'intimée, dépourvue de formation juridique, d'avoir attendu que la succession soit liquidée pour annoncer au SPC les biens lui ayant été dévolus dans ce cadre, au motif qu'elle ne se considérait pas comme enrichie jusqu'alors. Ses explications en ce sens sont d'ailleurs confortées par la mention, dans le formulaire du 5 octobre 2005, que la "[s]uccession [était] en cours", et par le fait qu'une fois la succession effectivement partagée, l'intimée a bel et bien informé le SPC.

À cet égard, l'argument du recourant, selon lequel l'intimée n'aurait pas agi spontanément, mais uniquement rempli un formulaire de déclaration de bien immobilier, ne dit rien sur les raisons pour lesquelles ce formulaire lui avait été envoyé en premier lieu ; il est d'ailleurs probable que ce document ait fait suite à une première prise de contact informelle de la part de l'intimée. Enfin, le fait que cette dernière n'ait pas réagi aux courriers types du SPC reçus annuellement, lui rappelant son obligation d'annoncer immédiatement tout changement dans sa situation économique, ne dénote pas son intention de tromper le service en question, dès lors qu'elle lui avait déjà appris qu'une succession était en cours et qu'elle pensait ne pas être propriétaire du bien immobilier de son mari tant et aussi longtemps que cette succession restait indivise ; on peut encore mentionner son pli du 30 janvier 2019, dont il ressort que jusqu'au partage de la succession, ses enfants et elle-même ne figuraient sur aucun registre et ne pouvaient dès lors disposer librement de l'appartement en question.

Il ressort de ce qui précède qu'au terme de l'instruction, le Ministère public pouvait à juste titre considérer que les éléments constitutifs subjectifs des art. 148a CP et
31 al. 1 let. d LPC n'étaient manifestement pas remplis, rendant les chances d'acquittement de l'intimée manifestement plus élevées que celles d'une condamnation.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Compte tenu du fait que le recourant, qui succombe, est une autorité au sens de l'art. 104 al. 2 CPP, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 1 ad art. 428).

5.             La procédure cantonale s'achevant au fond et l'intimée étant assisté d'un avocat d'office, il convient d'indemniser ce dernier, en application de l'art. 135 al. 2 CPP, pour la procédure de recours uniquement.

5.1.       À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif des avocats est édicté à l'art. 16 RAJ; il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'Étude (art. 16 al. 1 let. A à c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

5.2.       En l'espèce, le conseil de l'intimée sollicite certes une indemnité pour ses dépens, mais ne la chiffre pas, pas plus qu'il ne produit un état de frais. Au vu des écritures produites - cinq pages d'observations - et de l'absence de difficulté juridique de la cause, trois heures d'activité, au tarif horaire de CHF 200.-, paraissent adéquates et seront retenues pour son activité globale, à laquelle sera ajoutée la TVA (7,7%). En revanche, le forfait courrier/téléphone ne sera pas retenu, faute de pertinence pour la procédure de recours. L'indemnité sera dès lors arrêtée à CHF 642.-.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 642.-, TVA 7,7% incluse.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à l'ÉTAT DE GENÈVE, Département de la cohésion sociale, soit pour lui le service des prestations complémentaires, à A______, soit pour elle son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).