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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/38/2022

ACPR/540/2022 du 10.08.2022 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC;VICTIME;MESURE DE PROTECTION
Normes : CPP.56; CPP.149
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/38/2022 ACPR/540/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 10 août 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me Yoann LAMBERT, avocat, CMS von Erlach Partners SA, rue Bovy-Lysberg 2, case postale, 1211 Genève 3,

requérant,

 

et

C______, Procureur, p. a. MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6b, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité.

 


 

EN FAIT :

A. Par déclaration en audience d'instruction du 8 juin 2022 au Ministère public, qui l'a transmise à la Chambre de céans, A______ a demandé la récusation du Procureur C______, chargé d'instruire la procédure pénale P/1______/2018 dirigée contre lui.

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a.             A______ est prévenu de brigandage (art. 140 CP) et d'infractions au droit des étrangers (art. 116 s. LÉI), notamment pour avoir, à Genève, organisé et participé, avec un comparse, à une "expédition" dans un appartement, le 29 décembre 2017, en prétextant un rendez-vous avec une prostituée, dans le but de récupérer de l'argent et/ou de trouver un ressortissant ukrainien à la tête d'un réseau de prostitution clandestine, équipée au cours de laquelle la prostituée avait été attachée, menacée avec une arme à feu et volée.

b.             A______ conteste ces faits. Appréhendé le 16 août 2018, il a été libéré par le Tribunal des mesures de contrainte le 9 août 2019, sous mesures de substitution. Il est actuellement en détention provisoire pour les besoins d'une autre procédure (P/2______/2019), également confiée à C______.

c.              Le 8 juin 2022, une audience d'instruction a été consacrée à l'audition contradictoire de la victime présumée.

d.             L'en-tête du procès-verbal comporte la mention que l'audience se déroulerait hors confrontation directe entre "le prévenu" [comprendre A______, bien qu'un second prévenu était présent] et la victime, et que ce choix avait été "rappelé" à l'intéressé.

Bien que le procès-verbal ne soit pas des plus explicite à cet égard, on comprend que la prostituée, assistée par avocat, se trouvait au même emplacement que C______ et que A______ se trouvait dans une "salle LAVI" avec ses deux défenseurs.

Ces derniers ont fait remarquer que l'inverse eût été plus conforme au droit de leur client de participer à l'administration des preuves.

Après que la victime présumée, formellement interrogée sur son souhait de déposer ou non en présence de A______, eut répondu qu'elle voulait être entendue séparément de celui-ci, les avocats de A______ ont demandé à permuter son emplacement avec les leurs. L'autre prévenu s'est proposé de rejoindre A______. "Faute de réponse claire" de celui-ci ou de ses défenseurs, C______ a décidé que ledit prévenu resterait "dans la salle principale".

Les avocats de A______ ont alors requis la récusation de C______.

e.              L'audition s'est ensuite poursuivie et achevée.

f.              Le 20 juin 2022, à l'invite de C______, A______ a suggéré quatre corrections à apporter selon lui au procès-verbal.

C. a. Dans sa motivation, présentée oralement à l'audience, A______ estime que les conditions dans lesquelles se tenait l'audience faisaient naître une apparence de partialité et violaient le principe de l'égalité des armes.

b. Dans ses observations, C______ explique, en résumé, avoir pris la précaution de faire réserver l'une des salles dites "LAVI", au sein des locaux du Ministère public, dès lors que la comparante était la victime présumée d'un brigandage et se déplaçait depuis l'étranger, sans s'être manifestée auparavant. Pour des raisons de place dans la "grande salle avant de la salle LAVI", il avait choisi d'installer et faire asseoir A______ et ses défenseurs dans la "petite" salle LAVI, l'un ou l'autre de ces avocats conservant la faculté de gagner la pièce principale. Lui-même tenait à avoir la comparante directement face à lui. La technique audio-visuelle nécessaire avait été en parfait état de marche. Il n'en était résulté aucun désavantage pour quiconque.

c. A______ réplique que la prostituée n'avait jamais refusé de répondre aux questions le concernant, mais qu'elle avait opposé constamment pareil droit, rappelé à elle par C______ à plusieurs reprises, à toutes les questions que ses défenseurs et lui avaient souhaité poser sur un autre prévenu, absent. Il était resté des places "libres" dans la salle principale. Il avait dû se contenter d'un écran qui ne montrait que le Procureur, et le son avait été "extrêmement mauvais".

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. b CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ). Formulée sur-le-champ, c'est-à-dire verbalement – comme elle pouvait l'être (ACPR/45/2022 du 25 janvier 2022 consid. 2.2.) – et lors de l'audience même du 8 juin 2022, la requête a été présentée sans délai, au sens de l'art. 58 al. 1 CPP.

2.             Toutefois, il n'y a pas à entrer en matière sur la prétendue insistance avec laquelle le cité aurait rappelé à la comparante, lorsqu'elle était interrogée sur les faits et gestes d'un autre prévenu que le requérant, son droit de se taire, au sens de l'art. 169 CPP. Cette partie de la confrontation est postérieure à la requête de récusation et n'a pas suscité de réaction sans délai du cité, puisqu'elle n'est abordée qu'en réplique, soit près d'un mois plus tard.

3.             Le requérant n'invoque expressément aucune des causes de récusation énumérées à l'art. 56 CPP, et le cité a fondé sa prise de position sur la let. f de cette disposition légale.

3.1.       Un magistrat est récusable, aux termes de l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs que ceux prévus à l'art. 56 let. a à e, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). La procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de remettre en cause les différentes décisions prises par la direction de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_148/2015 du 24 juillet 2015 c. 3.1; 1B_205/2013 du 9 août 2013 c. 3.1.). La conduite de l'instruction et les décisions prises à l'issue de celle-ci doivent être contestées par les voies de recours ordinaires (arrêt du Tribunal fédéral 1B_292/2012 du 13 août 2012 consid. 3.2; ACPR/21/2013 du 16 janvier 2013).

Les impressions purement individuelles de l'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.1 p. 179; 139 I 121 consid. 5.1 p. 125).

3.2.       Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuve et peut prendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 179; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145).

3.3.       En l'espèce, aucun des griefs du requérant ne rend vraisemblable une apparence de prévention chez le cité.

Il n'est pas contesté que la personne à confronter au requérant était une victime, au sens de l'art. 116 al. 1 CPP, et qu'elle avait, comme telle, le droit à des mesures de protection, au sens de l'art. 117 al. 1 let. c CPP.

Que le cité ait pris la précaution de prévoir des salles adaptées et séparées sans savoir si la comparante ferait valoir de droit à cet égard ne saurait lui être reproché, car la direction de la procédure peut prendre d'office les mesures de protection appropriées (art. 149 al. 1 CPP).

Peu importe l'exiguïté de la salle "principale" ou, si l'on croit bien comprendre le requérant, l'interversion, décidée par le cité pour avoir la comparante face à lui, entre le local en principe prévu pour la victime et celui réservé pour les autres parties à la procédure. L'essentiel est que ce choix n'ait pas procédé d'une volonté de porter préjudice aux droits procéduraux du requérant. Or, ses droits n'ont en rien souffert parce qu'il a dû se tenir dans une salle que, dans son esprit, il aurait mieux vu occupée par sa victime présumée. Il n'est ni allégué ni établi que lui ou ses défenseurs n'auraient pas pu poser toute question utile en raison d'une configuration délibérément choisie pour entraver l'exercice des droits de la défense.

Le cité affirme que les liaisons techniques n'ont pas failli. Même si tel n'avait pas été le cas et que le son se fût avéré "extrêmement mauvais", comme s'en plaint le requérant, on ne voit pas en quoi des difficultés ou imperfections dans ce domaine trahiraient une volonté du cité d'empêcher le requérant de porter la contradiction à celle qui l'accusait. Qui plus est, le cité a expressément soumis le procès-verbal d'audience à la relecture et à la correction des parties, dont le requérant, qui, par pli de ses avocats du 20 juin 2022, a relevé quelques imprécisions ou impropriétés qui n'apparaissent pas dues à des problèmes techniques. Le requérant ne le prétend d'ailleurs pas. Au demeurant, les défaillances sonores auraient aussi existé si le témoin et le requérant avaient échangé leurs emplacements dans le sens prôné par lui.

On ne voit pas, non plus, en quoi le fait que le requérant ait dû se contenter d'un écran sur lequel n'apparaissait que le visage du cité dénoterait un manquement de ce dernier à ses devoirs : la loi autorise que la victime soit masquée à la vue des autres personnes présentes (art. 149 al. 2 let. d CPP).

Enfin, qu'il soit resté des places inoccupées dans l'espace où se tenaient le cité et les autres parties est sans pertinence, à partir du moment où le cité avait proposé, mais en vain, semble-t-il, que l'un des deux défenseurs du requérant vînt en "salle principale" et que la nécessité, découlant de la loi, d'éviter une mise en présence directe du requérant et du témoin avait été ratifiée par la comparante. Par ailleurs, le modeste changement de salle d'un des avocats eût probablement contribué à prévenir, voire dissiper, toute éventuelle incompréhension que le requérant prétend imputer, sans la détailler, aux moyens techniques.

4. La requête s'avère infondée et doit être rejetée.

5. Vu l'issue de la cause, les frais de la procédure seront fixés en totalité à CHF 1'000.-, émolument compris (art. 13 al. 1 let. b. du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), seront mis à la charge du requérant (art. 59 al. 4, 2e phrase, CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette la requête.

Condamne A______ aux frais de l’État, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie la présente décision, en copie, à A______ (soit, pour lui, son défenseur principal) et au Procureur C______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

 


PS/38/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

915.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'000.00