Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/16739/2020

ACPR/515/2022 du 02.08.2022 sur OMP/7569/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PERQUISITION DE DOCUMENTS ET ENREGISTREMENTS;SCELLÉS;CONSULTATION DU DOSSIER;BREF DÉLAI;VOIE DE DROIT ADMISSIBLE;RETARD
Normes : CPP.108; CPP.192; CPP.248; CPP.264

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16739/2020 ACPR/515/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 2 août 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______ [VD], comparant par Me Christian de PREUX, avocat, de Preux Avocats, rue de la Fontaine 5, case postale 3398, 1211 Genève 3

recourante

contre l'ordonnance rendue le 28 avril 2022 par le Ministère public

et

B______, C______, D______, comparant par Me Christian LUSCHER, avocat, CMS von Erlach Partners SA, rue Bovy-Lysberg 2, case postale, 1211 Genève 3

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

intimés

 


EN FAIT :

A. a. Par acte reçu au greffe universel le 6 mai 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 avril 2022, notifiée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a autorisé D______, B______ et C______ à consulter le dossier de la procédure pénale en cours contre elle.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'injonction au Ministère public de refuser aux prénommés tout accès aux données informatiques saisies chez elle, subsidiairement de le refuser avant qu'un tri n'en soit fait.

Préalablement, elle demande l'octroi de l'effet suspensif.

b. Le 9 mai 2022, la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif (OCPR/23/2022).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        D______ est l'administrateur-président, respectivement l'associé gérant président, de B______ et de C______, sociétés d'investigations secrètes basées à Genève.

Le 14 septembre 2020, D______ et les sociétés précitées ont déposé plainte contre A______, leur ancienne employée, pour violation du secret professionnel de l'avocat en tant qu'auxiliaire (art. 321 CP), violation du secret commercial (art. 162 CP), soustraction de données (art. 143 CP) et détérioration de données (art. 144bis CP).

En substance, D______ exposait que A______ avait été congédiée à la fin 2019. Durant leurs échanges subséquents, il avait eu des "doutes" quant au respect, par cette dernière, de ses obligations de confidentialité. Plus particulièrement, A______, formée au traitement de données informatiques, était soupçonnée d'avoir pris contact avec une personne visée par un mandat confié à B______ et C______ et d'avoir révélé à cette personne l'existence du mandat et des renseignements collectés sur son compte. A______ semblait même avoir pu accéder au système informatique de B______ par le moyen d'une porte dérobée ("back door"). À ces fins, elle pourrait avoir mis sous sa coupe l'ancien responsable des services informatiques de B______, également licencié et visé par une plainte pénale séparée.

Il convenait de perquisitionner le domicile de A______ pour y saisir l'intégralité du matériel électronique qui s'y trouvait, de perquisitionner les comptes en ligne et adresses électroniques de la prénommée après s'en être fait remettre les codes d'accès et de séquestrer l'intégralité de ces objets et données à titre de préservation des moyens de preuve.

b.        Le 10 décembre 2020, le Ministère public a décerné un mandat de perquisition à la police.

Ce mandat a été exécuté le 12 janvier 2021 (dès 7h.15, selon l'inventaire des pièces à conviction), non sans que les plaignants eurent communiqué à la police, par lettre du 8 janvier 2021, une liste de mots-clés à rechercher dans les fichiers informatiques.

Le texte du mandat informait expressis verbis le prévenu, le détenteur ou l'ayant droit d'éventuels secrets protégés de son droit de demander la mise sous scellés des documents et objets susceptibles d'en contenir.

À la rubrique "notification", l'exemplaire au dossier porte le paraphe de A______.

c.         À l'exception d'un [smartphone de la marque] E______ (libéré le même jour avec l'accord du Ministère public, après avoir révélé tout au plus des contacts entre A______ et l'ancien responsable informatique), un E______ plus ancien, deux ordinateurs portables, une tablette numérique, deux clés USB et deux disques durs ont été saisis et inventoriés.

d.        A______ a été entendue dans la foulée, soit dès 10h.40, en présence de son avocat et de ceux des plaignants. Après avoir donné ses diverses adresses électroniques, elle a contesté les faits reprochés. Tout au plus avait-elle conservé sur son ordinateur personnel des données professionnelles qui pourraient lui être utiles pour réclamer des prétentions salariales à B______ et à C______.

e.         Le 27 avril 2021, le 4 mai 2021, puis encore les 9 août 2021, 21 septembre 2021 et 15 novembre 2021, A______ s'est manifestée auprès du Ministère public pour obtenir la restitution de ce matériel, particulièrement de l'un des ordinateurs portables, qui lui était nécessaire pour faire valoir ses droits dans le procès prud'homal qu'elle avait intenté à ses anciens employeurs.

f.         Dans ses réponses, des 5 mai 2021, 10 août 2021, 22 septembre 2021 et 19 novembre 2021, le Ministère public s'y est refusé, se référant constamment aux analyses en cours.

g.        Dans l'intervalle, le 6 août 2021, la police informait le Ministère public que l'ancien E______ était un appareil réinitialisé, dont le contenu n'avait par conséquent été ni extrait ni analysé; que le contenu de l'E______ plus récent et de la tablette avait été extrait et transmis sans analyse à l'enquêteur responsable; et qu'il n'avait pas pu être déterminé si le reste du matériel informatique avait servi pour envoyer des courriels aux dates visées dans la plainte. À ce sujet, D______ avait fourni des renseignements techniques complémentaires (les "hash D______/C______"), mais aucun fichier pertinent pour l'enquête n'avait été retrouvé.

h.        Le 11 février 2022, le Ministère public a autorisé la restitution de l'un des ordinateurs portables.

i.          Par avis de prochaine clôture du 3 mars 2022, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement serait rendue en faveur de A______.

j.          Le 10 mars 2022, D______, B______ et C______ ont demandé à consulter le dossier, sous la forme de la remise d'une copie des pièces. Le Procureur y a fait droit le 17 suivant, en apposant son "n'empêche".

k.        Le 21 mars 2022, A______ a demandé des indemnités. Elle s'est plainte d'avoir été privée de tout matériel informatique, jusqu'à la restitution de son ordinateur personnel, le 12 février 2022. Or, comme les disques durs saisis contenaient ses diplômes, curriculum vitae, lettres de motivation, elle avait été empêchée d'étoffer ses dossiers de recherche d'emploi.

l.          Le 1er avril 2022, pendant le délai, prolongé, qui leur avait été imparti pour soumettre d'éventuelles réquisitions de preuve, D______, B______ et C______ se sont plaints que les "données brutes" extraites du matériel saisi en perquisition n'étaient pas annexées au rapport de police du 6 août 2021; ils en ont requis le versement au dossier.

Le Procureur a donné son "n'empêche" le 12 avril 2022.

m.      Réagissant le 21 avril 2022, A______ s'est offusquée que D______, B______ et C______ aient désormais accès aux "fichiers informatiques de la police", qui comprenaient des données strictement personnelles sur elle et son mari, ainsi que de la correspondance avec pièces qu'elle avait échangée avec le syndicat qui la défendait par-devant le Tribunal des prud'hommes. Elle ignorait si le Ministère public s'était livré à un tri de ces données. Elle demandait en conséquence au Procureur de "prendre position" sur les mesures aptes à garantir le respect de ses droits et de lui faire parvenir une copie des rapports établis par l'enquêteur responsable, ainsi que de toute clé USB qui comporterait le contenu des supports numériques saisis.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que ni A______ ni son mari n'avaient demandé de mise sous scellés du matériel informatique séquestré. La demande du 21 avril 2022 était tardive. En conséquence, D______, B______ et C______ étaient autorisés à consulter le dossier.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé l'art. 264 al. 1 CPP, pour n'avoir pas placé d'office sous scellés les objets visés dans cette disposition ni s'être livré au "tri probatoire non judiciaire" des fichiers informatiques séquestrés. Or, le rapport de police du 6 août 2021 concédait qu'aucun document pertinent pour l'enquête n'était ressorti du matériel analysé.

Par ailleurs, son intérêt privé devait l'emporter sur le droit des parties plaignantes à consulter l'intégralité du dossier, au sens de l'art.108 al. 1 let. a CPP. Si ces parties prenaient connaissance d'informations sur sa vie privée, un dommage sérieux risquerait de lui être causé, d'autant plus que ses relations avec elles étaient particulièrement tendues. Le danger était concret que ces informations leur servent dans la procédure prud'homale, dévoilant sa stratégie de défense avec son avocat, etc. La demande des parties plaignantes intervenait d'ailleurs après la communication de l'avis de prochaine clôture, démontrant qu'elles étaient mues par d'autres fins que celles de la procédure pénale.

b. Le Ministère public relève que A______ n'a pas qualité pour demander la mise à l'écart de pièces relatives à son mari. Il fait valoir que l'art. 264 al. 3 CPP n'avait pas de portée propre par rapport à l'art. 248 CPP, auquel il ne faisait en réalité que renvoyer. Le recours devait être rejeté.

c. D______, B______ et C______ expliquent qu'une transaction était intervenue le 6 avril 2022 avec A______ et avait été ratifiée le 20 suivant par le Tribunal des prud'hommes, soit avant même le dépôt du recours. On ne voyait donc pas comment l'accès litigieux aux contenus informatiques eût pu nuire à la recourante dans la conduite de ce procès-là.

À l'époque, A______ avait reçu copie du mandat de perquisition qui comportait la réserve expresse de son droit de demander des scellés; entendue par la police dans la foulée, elle était assistée d'un avocat; et les réponses répétées du Ministère public à ses demandes de restitution lui avaient suffisamment montré qu'il n'y avait eu aucun scellé apposé sur le matériel saisi, puisque des investigations étaient en cours sur celui-ci.

Ils ajoutent que le grief tiré d'une violation de l'art. 108 al. 1 let. a CPP n'avait pas été soumis au Procureur. Ce nonobstant, ils avaient un intérêt évident à vérifier si des éléments pertinents pour le sort de la poursuite pénale n'avaient pas échappé à la police, surtout à la lecture du rapport, "extrêmement sommaire", du 6 août 2021.

d. A______ réplique n'avoir jamais entravé la recherche de la vérité ni rien caché aux autorités de poursuite pénale. Il en allait différemment avec D______, B______ et C______, qui, s'ils prenaient connaissance de ses données personnelles extraites des fichiers séquestrés, pourraient chercher à lui nuire, ainsi qu'à son entourage. Certains faits passés, comme une surveillance de son domicile et une tentative de prise de connaissance de ses relevés téléphoniques, le lui laissaient penser. La police avait travaillé sur la base de mots-clés, fournis par les plaignants eux-mêmes avant que la perquisition ne fût exécutée, et avait ainsi pu conclure qu'aucun élément pertinent pour l'enquête n'était ressorti du matériel informatique saisi. Les plaignants n'avaient pas à se substituer à la police. La transaction passée avec eux ne changeait rien à l'insaisissabilité de la correspondance entretenue avec ses avocats.

e. D______, B______ et C______ ont déposé des déterminations complémentaires.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance qui, en tant qu'elle accorde un accès au dossier à des parties plaignantes, est sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP). L'acte émane en outre de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

En revanche, l'invocation de secrets touchant le mari de la recourante est irrecevable, car l'éventuelle violation d'un intérêt relevant d'un autre sujet de droit est insuffisante pour créer la qualité pour recourir (ATF 145 IV 161 consid. 3.1 p. 163 s.).

2.             À titre liminaire, la Chambre de céans constate que l'objet du litige, tel qu'il est défini par le dispositif de l'ordonnance attaquée, est l'accès (intégral) au dossier accordé aux parties plaignantes, quand bien même cet accès leur avait déjà été accordé par "n'empêche" le 17 mars 2022.

Peu importe que les parties plaignantes n'aient, en réalité, pas directement redemandé à prendre connaissance de l'intégralité du dossier, ni même des "données brutes" extraites du matériel informatique par la police, telles qu'elles les visent dans leur pli du 1er avril 2022, mais simplement requis que ces données fussent versées au dossier. Leur demande est, en effet, motivée par leur souhait de "vérifier" si des éléments pertinents parmi celle-ci auraient échappé à la police.

Or, en tant que pièces à conviction (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 192), les données saisies font partie du dossier (art. 192 al. 1 CPP), et les intimés, parties plaignantes, ont le droit de les examiner, dans la limite des dispositions régissant la consultation du dossier (art. 192 al. 3 CPP).

Dès lors, le moyen pris d'une violation de l'art. 108 al. 1 let. a CPP, soit de l'absence de restriction au droit de consulter le dossier (cf. art. 107 al. 1 let. a CPP), est a priori recevable.

Pour le surplus, le moyen n'est pas recevable, mais pour une autre raison que celle soulevée par les intimés. C'est, en effet, en réplique seulement que la recourante a invoqué – pour la première fois – sa crainte que les intimés ne cherchent à "lui nuire" sous une autre forme, qu'elle se garde cependant d'expliciter, mais qu'elle met en relation avec une surveillance qui aurait été exercée à son domicile par le passé et avec une tentative d'obtenir ses relevés téléphoniques auprès de son opérateur de télécommunication.

Or, le droit de réplique sert à déposer des observations au sujet d'une prise de position ou d'une pièce nouvellement versée au dossier (cf. ATF 137 I 195 consid. 2 p. 197 s.), mais n'a pas vocation à permettre à la partie qui saisit le juge de pallier une argumentation défaillante ou de compléter son acte (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3 p. 286; arrêt du Tribunal fédéral 1C_752/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2.), p. ex. par des griefs qui auraient déjà pu figurer dans l'acte de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_575/2019 du 1er mars 2022 consid. 2.4.). La réplique a essentiellement pour but de répondre à d'éventuels nouveaux arguments formulés dans la réponse d'une autre partie à la procédure (ATF 135 I 19 consid. 2.2 p. 197 s.).

Tel n'est pas le cas du contenu de la réplique du 15 juin 2022, et pour cause. Cela étant, dans sa missive du 21 avril 2022, soit avant le prononcé de la décision attaquée, la recourante n'a pas invoqué de risque d'abus par les parties plaignantes, au sens de l'art. 108 al. 1 let. a CPP, mais l'existence de restrictions au droit de séquestrer certaines données, au sens de l'art. 264 al. 1 CPP.

3.             La recourante prétend qu'avant de donner accès aux données contenues dans le matériel informatique saisi lors de la perquisition de son domicile, le Ministère public eût dû procéder, d'office, à un tri parmi celles-ci, afin de protéger ses droits, au sens de l'art. 264 al. 3 CPP.

3.1.       La perquisition se définit comme la recherche, en tout lieu clos, dans le but de les mettre en sûreté (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1218), de moyens de preuve pouvant aider à la manifestation de la vérité et susceptibles comme tels d'être séquestrés aux conditions de l'art. 263 CPP (ACPR/139/2022 du 1er mars 2022 consid. 2.1. et les références; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 7 ad art. 246).

3.2.       Selon la jurisprudence, il est question de perquisition de documents ou d’enregistrements au sens de l’art. 246 CPP, lorsque les documents écrits ou les supports de données doivent être lus ou vus, compte tenu de leur contenu ou de leur nature, pour établir leur aptitude à prouver, pour les séquestrer ou pour les verser au dossier (ATF 143 IV 270 consid. 4.4 p. 273 s.). Concrètement, il s’agit notamment des documents en format papier (journaux intimes, livres, notes, photographies, plans, courriers postaux, etc.) et des enregistrements audio (MP3, etc.) et vidéo, ainsi que ceux contenus dans des supports et équipements électroniques (coordonnées de contacts, documents et courriers électroniques, SMS, MMS, données de localisation GPS, adresses IP, historiques de navigation, cookies, données disponibles sur les blogs ou les réseaux sociaux, etc.), tels que les télécopieurs, répondeurs automatiques, disques durs d'ordinateurs, disques durs externes, serveurs matériels ou en ligne, à l'instar de Dropbox, Skydrive, Googledrive et iCloud, agendas électroniques, téléphones portables, tablettes, cartes SIM, disquettes, CD-Roms, CD-Rs, CD-RWs, DVDs, ou encore les clés USB (Y. Dellagana-Sabry, Perquisitions en procédure pénale, Genève - Zurich - Bâle 2021, p. 86).

De telles perquisitions de documents et de supports de données doivent, en vertu de l’art. 198 en lien avec l’art. 241 al. 1 CPP, en principe être ordonnées, respectivement exécutées, par le ministère public (éventuellement par le tribunal du fond). Il est loisible au ministère public de charger la police (conformément à l’art. 312 CPP) d'exécuter des perquisitions, respectivement des évaluations, selon des critères précis (ATF 143 IV 270 consid. 4.4 p. 273).

3.3.       Selon l'art. 264 al. 1 CPP, quels que soient l’endroit où ils se trouvent et le moment où ils ont été conçus, ne peuvent être séquestrés : les documents concernant des contacts entre le prévenu et son défenseur (let. a); les documents personnels et la correspondance du prévenu, si l’intérêt à la protection de la personnalité prime l’intérêt à la poursuite pénale (let. b); les objets et les documents concernant des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173 CPP, si cette personne n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire (let. c); et les objets et les documents concernant des contacts entre une autre personne et son avocat, si celui-ci est autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la LLCA (RS 935.61) et n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire.

Selon l'art. 264 al. 3 CPP, si un ayant droit s’oppose au séquestre d’objets ou de valeurs patrimoniales en faisant valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d’autres motifs, les autorités pénales procèdent conformément aux dispositions régissant la mise sous scellés.

3.4.       À teneur de l'art. 248 al. 1 CPP, les documents, enregistrements et autres objets qui ne peuvent être ni perquisitionnés ni séquestrés parce que l'intéressé fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d'autres motifs sont mis sous scellés et ne peuvent être ni examinés ni exploités par les autorités pénales.

Certes, la loi ne précise pas dans quel délai l'intéressé doit faire valoir ses droits et requérir la mise sous scellés. Cela ne signifie pas pour autant qu'une telle requête pourrait intervenir en tout temps. Le Tribunal fédéral a précisé que la requête de mise sous scellés, après que l'ayant droit a été informé de cette possibilité, devait être formulée immédiatement, soit en relation temporelle directe avec la mesure coercitive. Elle coïncide donc en principe avec l'exécution de la perquisition (arrêt du Tribunal fédéral 1B_117/2021 du 7 septembre 2021 consid. 2.2. et la référence). Cependant, afin de garantir une protection effective des droits de l'intéressé, celui-ci doit pouvoir se faire conseiller par un avocat, et, ainsi, l'opposition à un séquestre devrait pouvoir encore être déposée quelques heures après que la mesure a été mise en œuvre, voire exceptionnellement quelques jours plus tard lorsque la procédure est particulièrement complexe (arrêt du Tribunal fédéral 1B_268/2019 du 25 novembre 2019 consid. 3.1.). À défaut, la requête est tardive.

Une information, par l'autorité pénale, du détenteur sur le droit d'obtenir des scellés prend toute son importance lorsqu'un profane est concerné. Lui remettre simplement une copie des dispositions légales applicables, par exemple imprimées au verso d'une autorisation de perquisition qu'il aurait signée, ne suffit pas. Sans la preuve – dûment protocolée au dossier – d'une orientation suffisante et compréhensible du détenteur sur ses droits de procédure, donnée au plus tard à l'achèvement de la perquisition, il ne saurait être question de lui objecter un consentement tacite à cette mesure ou la tardiveté d'une demande ultérieure de mise sous scellés (arrêt du Tribunal fédéral 1B_91/2016 du 4 août 2016 consid. 4.5.).

3.5.       En l'espèce, le Ministère public a valablement délégué à la police l'exécution de la perquisition décidée le 10 décembre 2020. Ce mandat était suffisamment délimité, puisqu'il visait, sur la base d'un soupçon suffisant d'appropriation de données secrètes (art. 197 al. 1 let. b CPP), la découverte de tous objets, appareils électroniques et documents pouvant être utilisés comme moyens de preuve. La recourante, qui met en avant sa coopération sans faille (et relevée par la police dans son rapport d'exécution) avec les autorités de poursuite pénale, ne s'est jamais avisée avant le 21 avril 2022 que le matériel informatique emporté de son domicile le 12 janvier 2021 comportait des secrets protégés ou qu'elle aurait d'autres motifs à faire valoir.

La recourante ne prétend pas n'avoir pas compris la portée de la mention, dans le mandat de perquisition qui lui a été notifié le 12 janvier 2021 à 7h.15, de son droit de demander l'apposition de scellés. Entendue dans la foulée en présence de son avocat, soit le jour même et dans un temps très voisin de la perquisition – puisque son audition a commencé après celle-ci, à 10h.40 –, elle a tout au plus admis avoir conservé des données qui pourraient lui servir à appuyer une demande au Tribunal des prud'hommes. Son avocat lui a, au demeurant, demandé de détailler ces prétentions. Ni elle ni son défenseur n'ont fait ne serait-ce qu'allusion à la nécessité de soustraire certaines données à une prise de connaissance indiscrète.

La plupart des questions a porté sur les connaissances de la recourante en informatique, y compris en logiciels spécialisés, et sur ses connexions informatiques les plus diverses (smartphones, ordinateur personnel, adresses électroniques), non sans que la recourante eût été préalablement avisée que les accusations portées par ses anciens employeurs, les intimés, étaient le vol, la soustraction de données, la violation du secret commercial, la détérioration de données et l'accès indu à un système informatique.

Dans ces circonstances, il ne pouvait lui échapper que les contenus d'un E______, des deux ordinateurs portables, de la tablette numérique, des deux clés USB et des deux disques durs – que la police avait tous emportés au vu et au su de la recourante, laquelle a aussi signé l'inventaire établi sur place – seraient, à leur tour, perquisitionnés au sens de l'art. 246 CPP, c'est-à-dire inspectés, lus et vus pour la recherche d'indices étayant les accusations susmentionnées. Si elle avait des raisons de s'y opposer ou de vouloir en limiter la prise de connaissance, la recourante pouvait les exprimer sans difficulté sur-le-champ. Elle pouvait encore se manifester pendant son audition subséquente, d'autant plus qu'elle avait son avocat à ses côtés. À la rigueur, quelques heures après la fin de l'audition eussent encore été admissibles, le temps d'obtenir aide et conseil de son défenseur, par exemple en fonction du contenu de la déposition qu'elle venait de faire. Il n'en a rien été.

En ne se manifestant que le 21 avril 2022, la recourante a donc perdu la protection de l'art. 248 CPP. La loi impose sans ambiguïté au détenteur des données, ou à l'ayant droit de celles-ci, de se manifester, puisque, par définition, il en connaît le contenu avant l'autorité pénale.

4.             Reste à savoir si la recourante est fondée à invoquer une violation de l'art. 108 al. 1 let. a CPP.

4.1.       L’accès au dossier pénal (art. 101 al. 1 CPP) n'est pas absolu. Il peut être restreint, lorsqu'il y a de bonnes raisons de penser que la partie requérante abuse de ses droits (art. 108 al. 1 let. a CPP). Tel est le cas lorsqu’une partie fait usage de son droit de consulter le dossier à des fins étrangères à celles pour lequel ce droit est prévu, par exemple lorsque la consultation du dossier comporte un risque d'empêcher la manifestation de la vérité, par exemple en distrayant ou en détruisant des moyens de preuve, d’orienter des participants à des procédures civiles ou pénales parallèles, d’instrumentaliser des témoins ou la procédure, voire de perturber le travail des autorités de poursuite pénale, notions qui correspondent, en somme au danger concret de collusion (ACPR/52/2022 du 25 janvier 2022 consid. 2.3. et la référence).

4.2.       En l'espèce, la recourante, dans sa lettre du 21 avril 2022 au Ministère public, n'a soulevé que des arguments relevant de la protection de sa sphère secrète ou privée. Comme on l'a vu, ces arguments avaient à être soulevés rapidement en vue d'une mise sous scellés – et ne l'ont pas été.

Ce n'est que dans son mémoire de recours que la recourante a soudain invoqué la crainte d'abus, au sens de l'art. 108 al. 1 let. a CPP.

Elle voyait un tel risque pour l'issue de la procédure prud'homale à laquelle elle était demanderesse.

Le grief – qui est celui d'une utilisation d'informations au dossier à des fins étrangères à la procédure pénale – est cependant sans objet, puisque l'issue de cette instance est connue – et l'était même avant l'ordonnance attaquée (28 avril 2022), dans la mesure où la transaction que la recourante a passée avec les intimés (6 avril 2022) et la ratification de cet accord par les juges du travail (20 avril 2022) sont antérieures à l'ordonnance attaquée.

5.             En résumé, la décision querellée ne conférera pas aux intimés un accès libre et indistinct à tous les fichiers contenus dans les divers supports séquestrés et perquisitionnés. Le droit des intimés de prendre connaissance des pièces à conviction et de les examiner ne peut aller au-delà de l'accès au résultat proprement dit de la perquisition des appareils concernés, tel qu'il y est fait allusion dans le rapport de police du 6 août 2021.

En d'autres termes, le "n'empêche" du Procureur porte sur les données brutes telles qu'elles sont issues des recherches entreprises par la police après avoir été circonscrites avec le concoursd'ordre technique (les "hash D______/C______") ou lexical (les mots-clés) – des intimés. C'est dans ce cadre aussi que devra s'élucider le sort des données enregistrées sur d'autres supports informatiques et qui, à teneur du rapport de police du 6 août 2021, ont été simplement transmises à l'enquêteur, i.e. d'informations qui n'ont apparemment pas été analysées à l'aune des critères précités.

Ce n'est qu'à ces conditions que les intimés seront en situation de proposer leurs éventuelles réquisitions de preuve, puisque leur demande d'accès intervient pendant le délai, prolongé, que le Ministère public leur a imparti pour ce faire.

6.             De ce qui précède, il résulte que le recours s'avère infondé, dans la mesure où il est recevable.

7.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

8.             Les intimés, parties plaignantes qui ont gain de cause, ont conclu à une indemnité de CHF 3'000.- pour leurs frais de défense en instance de recours, correspondant à deux heures au tarif de chef d'étude (CHF 450.-/h.) et à six heures au tarif de collaborateurs (CHF 350.-/h.).

Ces tarifs correspondent à la pratique de la Cour pénale (ACPR/284/2022 du 28 avril 2022 consid. 4.), et le montant réclamé semble en adéquation avec l'ensemble des écritures produites par les intimés.

Conformément à l'art. 433 al. 1 CPP, il sera mis à la charge de la recourante.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure où il est recevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés à CHF 1'000.-.

Alloue à D______, B______ et C______, créanciers solidaires, une indemnité de CHF 3'000.-, à la charge de A______, pour leurs frais de défense.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, aux parties plaignantes, soit pour elles leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/16739/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

905.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00