Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/7392/2018

ACPR/402/2018 du 23.07.2018 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ADMINISTRATION DES PREUVES ; QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR ; POLICE ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : CPP.309.al2; CPP.312.al2; CPP.101; CPP.108; CPP.147

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7392/2018ACPR/402/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 23 juillet 2018

Entre

A______, actuellement détenu à B______, comparant par Me Ludivine DELALOYE, avocate, LHA Avocats, rue du Rhône 100, case postale 3403, 1211 Genève 3,

C______, actuellement détenu à B______, comparant par Me Charles ARCHINARD, avocat, Etude E.R.& A., boulevard Helvétique 19, 1207 Genève,

recourants,

contre le mandat d'actes d'enquête ordonné le 17 mai 2018 par le Ministère public,

et

D______, actuellement détenu à B______, comparant par Me Nicholas ANTENEN, avocat, Bonnant & Associés, chemin Kermely 5, case postale 473, 1211 Genève 12,

E______, actuellement détenu à B______, comparant par Me Damien TOURNAIRE, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève,

F______, domicilié avenue de Châtelaine 91, 1219 Châtelaine, comparant en personne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 1er juin 2018, C______ recourt contre le mandat d'actes d'enquête du 17 mai 2018, notifié par pli simple, par lequel le Ministère public a exclu la présence des parties et de leurs conseils aux auditions, par la Brigade criminelle, des protagonistes ou témoins de l'agression dont a été victime F______.

Le recourant conclut, préalablement, à la "suspension" du mandat précité, et, principalement, à ce qu'il soit modifié en ce sens que les parties et leurs conseils, subsidiairement les conseils seulement, soient autorisés à assister à l'administration des preuves et poser des questions aux comparants. Il demande que les "frais et dépens" soient mis à la charge de l'État.

b. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 1er juin 2018, A______ recourt également contre le mandat précité.

Il conclut à l'annulation dudit mandat, dans la mesure où il lui interdit de participer à l'administration des preuves, et, principalement, à ce qu'il soit, avec son conseil, autorisé à y participer, subsidiairement à ce que son conseil, seul, y soit autorisé.

c. Par ordonnance présidentielle du 11 juin 2018, l'effet suspensif a été accordé au recours formé par C______. Le Ministère public et, en tant que de besoin, la police, ont été enjoints à s'abstenir, jusqu'à droit connu sur le recours, de procéder aux auditions visées par le mandat d'actes d'enquête du 17 mai 2018.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Les 15 et 16 avril 2018, F______ et C______ en sont venus aux mains, apparemment pour une histoire de regard.

b. Le 20 avril 2018, F______ a été agressé par plusieurs personnes, dans le quartier de la G______.

Il ressort en l'état de la procédure de forts soupçons que A______ l'a frappé avec une matraque ou une barre en fer, que D______ lui a tiré dans le dos avec un pistolet air soft, que C______ lui a donné plusieurs coups de pied à la tête, alors que la victime était au sol, et que E______ lui a donné un coup de couteau dans le ventre.

c. Dans l'après-midi du 21 avril 2018, E______ s'est spontanément présenté à la police, expliquant être l'auteur du coup de couteau sur F______. Il a expliqué que, la veille, alors qu'il se trouvait à un barbecue dans les jardins de la G______ auquel participaient une vingtaine de jeunes du quartier, qu'il n'a pas souhaité nommer, C______ avait annoncé l'arrivée de F______ et dit qu'il fallait "s'armer". E______ s'était alors emparé d'un couteau à viande et "tout le groupe" s'était acheminé vers le kiosque, où F______ et C______ se battaient déjà. E______ était arrivé en courant contre F______, qui "bougeait dans tous les sens", et la lame du couteau avait traversé le T-shirt du précité, qui était tombé au sol. E______ ne s'était pas rendu compte qu'il avait "planté" F______ avec le couteau. C'était en voyant le trou dans le T-shirt de ce dernier qu'il avait compris. Il s'était alors enfui et avait jeté le couteau dans des buissons.

d. Le soir du 21 avril 2018, C______ et A______ se sont rendus à la police, ensemble. Entendus séparément, ils ont fait des déclarations grosso modo similaires. Le rapport d'arrestation, établi le lendemain, souligne d'ailleurs que les déclarations des précités démontraient qu'ils s'étaient mis d'accord sur la version des faits à donner à la police, version qui ne correspondait pas aux déclarations des témoins.

A______ a, pour sa part, déclaré que, voyant les personnes s'équiper d'objets divers, il avait pris une barre qui trainait vers les poubelles. Il avait senti qu'il y avait quelque chose de dangereux et voulait se protéger. En courant, il s'était retrouvé "face à un type [qu'il] ne connaissai[t] pas" ou plus exactement ne connaissait que de vue, soit F______. Le précité et lui-même avaient commencé à se battre, la foule se tenant autour d'eux. Il ne savait pas qui avait donné le premier coup, les faits s'étant déroulés très vite. Après quelques secondes, il s'était retrouvé au sol et F______ avait essayé de prendre quelque chose dans sa chaussette. Il avait suspecté qu'il s'agissait d'un couteau. Se sentant en danger de mort, il avait pris la barre et avait donné un coup sur les jambes de son opposant, qui n'était pas tombé. C______ était alors arrivé et avait pris sa défense, en donnant un coup de pied à son agresseur, qui avait chuté. Il avait alors pu s'enfuir, se débarrassant de la barre.

C______ a, quant à lui, déclaré que le 20 avril 2018 F______ l'avait averti de son arrivée dans le quartier où il organisait, avec A______, des grillades. Après qu'un attroupement, d'une vingtaine de personnes, s'était formé autour de F______, il s'était approché et avait vu F______ mettre à terre A______, puis fouiller dans sa chaussette. En se relevant, A______ avait porté un coup au niveau de la cuisse de son opposant, avec un bout de bois ou une barre de fer. Il était alors intervenu, en mettant un premier coup de pied au visage de F______, car il avait craint que ce dernier ne se munisse d'une arme blanche, puis un second, l'avait fait chuter. A______ et lui-même étaient alors partis.

e. E______, C______ et A______ ont été placés en détention provisoire et font l'objet d'une mesure d'isolement. Ils sont prévenus d'agression (art. 134 CP) et tentative de meurtre (art. 22 cum 111 CP) en relation avec les faits du 20 avril 2018. Ils ont été confrontés par le Ministère public.

f. À teneur des déclarations de témoins entendus par le Ministère public, F______ avait été frappé par A______ à l'aide d'une matraque télescopique, puis par plusieurs personnes alors qu'il se trouvait au sol. A______ avait porté des coups à F______ au niveau des côtes, qui faisaient penser à des coups de couteau.

Selon E______, une "quinzaine" de personnes auraient participé ou assisté à l'agression de F______.

C. Par le mandat querellé, le Ministère public a chargé les inspecteurs de la Brigade criminelle de procéder à l'identification de tous les protagonistes ou témoins de l'agression dont avait été victime F______. Au vu de la nécessité d'administrer des preuves principales, les auditions devaient se faire en l'absence des autres parties et de leurs conseils (art. 101 et 147 CPP ; cf. ATF 139 IV 25 = JdT 2013 IV 226). En effet, ces témoins, prévenus potentiels ou personnes appelées à donner des renseignements n'avaient fait l'objet d'aucune audition préalable. Il était important d'exclure tout risque de collusion, en particulier pour éviter que les trois prévenus d'ores et déjà interpellés ne puissent adapter leur version des faits aux déclarations de ces témoins ou prévenus potentiels.

D. Le 24 mai 2018, la police a arrêté D______, qui a été prévenu d'agression et tentative de meurtre pour les événements du 20 avril 2018 et placé en détention provisoire. Il a contesté avoir tiré sur F______ avec un pistolet air soft. Il s'était contenté de regarder la scène et était parti avant la fin de la bagarre. Il avait vu quelqu'un tirer sur la victime au moyen d'un pistolet à plomb, mais ne connaissait pas cette personne et ne souhaitait pas en dire plus à ce sujet.

Après l'arrivée de D______ à la prison, et sa mise à l'isolement, une lettre qu'il destinait à C______ a été trouvée par les gardiens à l'extérieur de sa cellule, au-dessus du cadre de la fenêtre, emballée dans du plastique. Le contenu détaillait ses auditions à la police et au Ministère public.

E. a.i. Dans son recours, C______ invoque une violation des art. 101, 108 et 147 CPP. Les prévenus ayant tous été entendus par le Ministère public, ce dernier avait autorisé la consultation du dossier, dès le 25 avril 2018. Par conséquent, les preuves principales avaient été administrées. Or, il ne ressortait pas du déroulement de la procédure que des actes de collusion abusifs pourraient résulter de sa participation aux auditions déléguées à la police par le Ministère public. L'autorité n'expliquait pas non plus les raisons pour lesquelles elle soupçonnerait que le comportement de son conseil pourrait constituer un abus de droit justifiant le maintien du secret. Selon le Tribunal fédéral, des restrictions de participer à l'administration des preuves au sens de l'art. 101 al. 1 CPP ne se justifiaient pas pour les accusés qui, comme en l'espèce, avaient déjà été auditionnés (ATF 134 [recte : 139] IV 25 consid. 5.5.4.2 et arrêt du Tribunal fédéral 6B_321/2017 consid. 1.5.1).

ii. A______ se fonde également, dans son recours, sur la jurisprudence précitée. Seuls des motifs objectifs, autres que la simple éventualité d'un risque de collusion, permettraient de restreindre son droit de participer et collaborer à l'administration des preuves, découlant de son droit d'être entendu. Par ailleurs, son conseil juridique ne pouvait être exclu que du fait de son propre comportement. En l'occurrence, son exclusion, et celle de son conseil, des auditions déléguées étaient parfaitement illicites, car elles ne reposaient sur aucune exception légale. Il avait déjà été entendu par le Ministère public, en audience de confrontation. Il n'existait donc aucune raison de le soupçonner d'un abus de ses droits. A fortiori, cette mesure ne pouvait s'étendre à son conseil.

b. D______ appuie les recours précités.

c. E______ s'en rapporte à justice, mais demande que l'éventuelle admission du recours lui soit profitable.

d. F______, agissant en personne, n'a pas répondu.

e. Dans une prise de position du 25 juin 2018, identique pour les deux recours, le Ministère public conclut à leur rejet.

Il était faux d'affirmer que la consultation du dossier avait, en l'espèce, été autorisée. Elle était, en début d'instruction, limitée aux propres déclarations des prévenus. Le droit de consultation était, donc, partiel. Les trois premiers prévenus, arrêtés en avril 2018, n'avaient, ainsi, pas accès aux déclarations de D______, et vice-versa. Le mandat querellé ne violait donc pas l'art. 101 al. 1 CPP.

Par ailleurs, dans l'arrêt 6B_321/2017 cité par les recourants, le Tribunal fédéral considérait admissible de restreindre, sur la base de l'art. 101 al. 1 CPP, la présence des parties à l'administration des preuves fixée par l'art. 147 al. 1 CPP.

Si les prévenus ayant d'ores et déjà fait l'objet d'une ouverture d'instruction, soit les "anciens prévenus", étaient autorisés à assister à l'audition, par la police, de tous les autres participants identifiés postérieurement, soit les "nouveaux prévenus", cela viderait l'art. 101 al. 1 CPP de sa substance. En effet, dans cette hypothèse, lors de la première audition contradictoire, devant le Ministère public, entre les "nouveaux prévenus" et les "anciens prévenus", ces derniers seraient parfaitement au courant des versions apportées par ces nouvelles parties et pourraient ainsi adapter leur version. Cette manière de procéder permettait une collusion évidente entre co-prévenus et galvaudait une confrontation des prévenus aux éléments de preuve nouvellement recueillis. Cette collusion était un motif objectif permettant de restreindre la présence des parties à l'administration des preuves, au sens de l'art. 101 al. 1 CPP, tel que l'admettait le Tribunal fédéral dans l'arrêt précité.

f. A______ a répliqué, précisant que selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les restrictions au sens de l'art. 101 CPP ne se justifiaient pas s'agissant de prévenus déjà auditionnés.

F. Le 3 juillet 2018, le Ministère public a confronté les quatre prévenus et, le 12 suivant, il a autorisé le conseil de A______ à consulter le dossier de la procédure, sans restriction.

EN DROIT :

1.             En tant qu'ils ont été interjetés par deux prévenus contre le même acte de procédure et ont trait au même complexe de faits, il se justifie de joindre les deux recours, sur lesquels la Chambre de céans statuera par un seul et même arrêt.

2.             2.1. Les recours ont été déposés selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émanent de prévenus, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et 111 CPP).

2.2. Il convient toutefois d’examiner si cette voie est ouverte contre l'acte visé et si les recourants disposent, à cet égard, d'un intérêt juridiquement protégé à agir.

2.2.1. À teneur de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours est recevable, en particulier, contre les décisions et les actes de procédure du Ministère public.

Il n'est toutefois pas possible de recourir contre un mandat de délégation du Ministère public à la police au sens des art. 309 al. 2 et 312 CPP, puisqu'il s'agit d'un acte intervenant exclusivement entre autorités (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, Bâle 2016, n. 8 ad art. 393 et les références citées (ACPR/381/2014 du 27 août 2014).

En revanche, en tant que cet acte contient une interdiction faite aux parties, en l'occurrence les prévenus, de participer à l'administration des preuves, les destinataires de la décision disposent d'un intérêt juridique à recourir contre cette décision (art. 382 al. 1 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_329/2014 du 1er décembre 2014 consid. 2.3 ; ACPR/270/2016 du 10 mai 2016).

2.2.2. Partant, les recours sont recevables.

3.             Les recourants reprochent au Ministère public une violation de leur droit de participer à l'administration des preuves.

3.1. Même après l’ouverture de l’instruction, le Ministère public peut charger la police d’investigations complémentaires (art. 312 al. 1 ab initio CPP). Lorsqu’il charge la police d’effectuer des interrogatoires, les participants à la procédure jouissent des droits accordés dans le cadre des auditions effectuées par le Ministère public (art. 312 al. 2 CPP).

3.2. L'art. 147 al. 1 1ère phrase CPP consacre le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats. Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP). Il ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi (cf. art. 108, 146 al. 4 et 149 al. 2 let. b CPP; cf. aussi art. 101 al. 1 CPP et Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1166 s. ch. 2.4.1.3).

Les preuves administrées en violation de l'art. 147 al. 1 CPP ne sont pas exploitables à la charge de la partie qui n'était pas présente (art. 147 al. 4 CPP; cf. ATF 140 IV 172 consid. 1.2.1 p. 175; 139 IV 25 consid. 4.2 p. 29 s. et arrêt du Tribunal fédéral 6B_321/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.5.2).

Le droit de participer à l'administration des preuves durant l'instruction et les débats vaut également pour l'audition des coprévenus (ATF 141 IV 220 consid. 4.3.1 p. 228; 140 IV 172 consid. 1.2.2 p. 175; 139 IV 25 consid. 5.1-5.3 p. 30 ss).

3.3. Le principe de la présence des parties lors de l'audition de coprévenus peut, dans certaines circonstances, conduire à une perte d'efficience et à une certaine inégalité de traitement entre les coprévenus. Le CPP contient cependant certains correctifs à cet égard (cf. ATF 139 IV 25consid. 5.4 p. 33 ss = JdT 2013 IV p. 233). Ainsi, par analogie avec l'art. 101 al. 1 CPP, le ministère public peut examiner de cas en cas s'il existe des motifs objectifs pour restreindre momentanément la présence des parties à l'administration des preuves. Des restrictions au sens de cette dernière disposition ne se justifient cependant pas s'agissant de prévenus qui ont déjà été auditionnés (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.4.2 p. 37 = JdT 2013 IV 236).

Le législateur a tenu compte de l’éventualité que les accusés qui ont déjà été auditionnés pourraient par la suite conformer leur comportement en procédure aux déclarations faites par les autres coaccusés, étant donné qu’il a reconnu aux parties le droit de participer à l’administration de toutes les preuves (art. 147 al. 1er CPP) et que les points de vue de l’art. 101 CPP ne sont pas applicables. Il a toutefois largement admis le principe de l’administration des preuves en présence des parties. La simple possibilité d’une "mise en péril abstraite des intérêts de la procédure" – au terme des premières auditions – ne constitue pas encore un motif d’exclusion (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.7 = JdT 2013 IV p. 238).

3.4. Des soupçons d’un abus de droit au sens de l’art. 108 al. 1er let. a CPP ne peuvent reposer sur le seul motif qu'une détention provisoire de l'accusé a déjà été ordonnée en raison du risque de collusion de l’art. 221 al. 1er let. b CPP. Une restriction "automatique" des droits des parties de l’art. 147 al. 1er CPP dans les cas de détention serait inadmissible. Une exclusion reposant sur l’art. 108 al. 1er CPP exige, aussi pour les détenus, des indices d’un comportement abusif lors de l’administration des preuves en question. La simple éventualité que le détenu (qui a obligatoirement déjà été auditionné sur la base de l’art. 224 al. 1er CPP) conforme par la suite son comportement durant les auditions à celui des coaccusés ne constitue ni un motif de détention, ni un motif général pour exclure le détenu de ces auditions (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.8 = JdT 2013 IV 239).

3.5. Le conseil juridique d'une partie ne peut faire l'objet de restrictions, sur la base de l'art. 108 al. 2 CPP, que du fait de son comportement.

3.6. En l'espèce, le Ministère public a ouvert une instruction pour agression et tentative de meurtre.

Les recourants, prévenus, ont déjà été entendus ès qualité, par le Ministère public, de même les deux autres co-prévenus, et tous ont été confrontés. Le Procureur a par ailleurs autorisé l'accès intégral au dossier de la procédure. Partant, l'autorité ne peut plus se prévaloir d'un accès partiel des parties au dossier, au sens de l'art. 101 CPP, pour restreindre leur droit d'accès à l'administration des preuves.

Le Procureur a fait le choix, en application de l'art. 312 al. 1 CPP, de déléguer à la police l'audition des éventuels autres participants ou spectateurs de l'agression du 20 avril 2018, plutôt que de procéder lui-même aux confrontations envisagées. L'art. 147 al. 1 CPP est dès lors applicable aux auditions visées par ce mandat. Il s'ensuit que, les recourants et leurs co-prévenus ayant déjà été auditionnés par le Ministère public, l'application de l'art. 101 CPP est également exclue pour cette raison et que seule une restriction au sens de l’art. 108 CPP pourrait entrer en considération (ACPR/270/2016 du 9 novembre 2016 ; ACPR/158/2014 du 20 mars 2014).

En l'occurrence, la restriction du droit des prévenus et de leurs conseils de participer aux actes d'enquête, décidée par le Ministère public, repose sur le fait que les personnes à entendre n'ont encore fait l'objet d'aucune audition préalable et qu'il serait important d'exclure tout risque de collusion, pour éviter que les prévenus d'ores et déjà interpellés ne puissent adapter leur version des faits aux déclarations recueillies. Dans ses observations sur les recours, le Procureur fait une distinction entre les "anciens prévenus" – dont font partie les recourants – et les "nouveaux prévenus", en soulignant que l'audition des seconds, à la police, en présence des premiers, constituerait "une collusion évidente entre co-prévenus et galvaude[rait] une confrontation aux éléments de preuve nouvellement recueillis".

Or, il résulte de la jurisprudence sus-citée que le législateur a bel et bien tenu compte de l'éventualité que les prévenus déjà auditionnés – les "anciens prévenus" – pourraient par la suite conformer leur comportement en procédure aux déclarations faites par les autres prévenus – les "nouveaux prévenus" –, mais a néanmoins largement admis le principe de l'administration des preuves en présence des parties (cf. consid. 3.3. supra).

Dans le cas présent, le Ministère public n'allègue, à titre de motif d'exclusion, aucun risque de collusion particulier, se limitant à des considérations toutes générales.

Au surplus, on ne saurait voir, dans la tentative du prévenu D______ de communiquer à C______ le contenu de ses déclarations à la police, des pressions ou intimidations telles qu'elles feraient craindre un risque de collusion si grave qu'il justifierait de restreindre le droit des prévenus, déjà entendus par le Ministère public, à participer à l'administration des preuves. Comme relevé par la jurisprudence précitée, le risque de collusion retenu pour prononcer la détention provisoire ne suffit pas à justifier, à lui seul, une restriction du droit de participer à l'administration des preuves.

Au vu de ces éléments, on ne décèle aucun indice concret d’un comportement abusif à craindre des recourants, ou des deux autres co-prévenus, lors de l’administration des preuves en question.

3.7. Le Procureur est muet, dans ses observations, sur les restrictions imposées aux conseils des recourants par la décision querellée. Force est ainsi de constater qu'il ne démontre aucunement que les conseils des recourants, de par leur propre comportement, abuseraient de leur droit.

3.8. Il résulte de ce qui précède que la présence des recourants et de leurs conseils doit être autorisée dans le cadre des auditions déléguées par le mandat d'actes d'enquête querellé. Cela vaut également pour les autres prévenus et leurs conseils.

4.             Fondés, les recours seront admis. Le mandat d'acte d'enquête du 17 mai 2018 sera donc annulé en tant qu'il restreint l'accès des parties aux auditions déléguées à la police, les recourants et les autres prévenus devant, en tant que de besoin, être admis à participer à l’administration de ces preuves, sauf fait nouveau.

5.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6. Les recourants étant au bénéfice d'une défense d'office, il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade les défenseurs d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les admet et annule le mandat d'actes d'enquête du 17 mai 2018 en tant qu'il restreint le droit des parties de participer à l'administration des preuves.

Autorise, en tant que de besoin, les prévenus et leurs conseils à assister aux auditions menées par la police dans le cadre du mandat d'actes d'enquête du 17 mai 2018, sauf fait nouveau.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants (soit pour eux leurs conseils respectifs), à D______ et E______ (soit pour eux leurs conseils respectifs), à F______ et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président ; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).