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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13897/2015

ACPR/286/2018 du 24.05.2018 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : POUVOIR DE REPRÉSENTATION ; PLAIGNANT ; TÉMOIN
Normes : CPP.382; CPP.106; CPP.162; CPP.178

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13897/2015ACPR/286/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 24 mai 2018

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

recourant,

contre la décision du 16 mars 2018 du Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 26 mars 2018, A______ recourt contre la décision du Ministère public du 16 mars 2018 d'entendre, à l'audience du même jour, C______ en qualité de représentant de la partie plaignante.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite décision et à ce qu'il soit ordonné que C______ a été entendu le 16 mars 2018 en qualité de témoin, subsidiairement soit reconvoqué en cette qualité afin de se déterminer "sur le maintien de ses déclarations protocolées par le Ministère public le 16 mars 2018".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Dans le cadre de la conduite d'un audit relatif au processus de facturation et recouvrement en vigueur chez D______, la Cour des comptes a adressé au Procureur général, le 24 juin 2015, une note de synthèse, dont il ressort en particulier que ledit processus, impliquant l'externalisation partielle du processus de facturation et de recouvrement en faveur d'un avocat, A______, était particulièrement coûteux pour l'institution, sans mesures correctives prises ou sollicitées par E______, chef du service comptable, ce qui était susceptible d'avoir lésé les intérêts publics. La Cour des comptes précisait aussi n'avoir pas les moyens de déterminer si E______ et/ou A______ en avaient retiré un enrichissement illégitime.

b. Le 17 juillet 2015, D______ a déposé plainte pénale contre E______ et toute autre personne ayant participé aux éventuelles infractions commises et une instruction pénale a aussitôt été ouverte.

c. Le 16 septembre 2015, le Ministère public a mis E______ en prévention du chef de gestion déloyale des intérêts publics pour avoir, entre 2008 et 2015, externalisé tout le recouvrement de D______ à A______, respectivement sa société F______ SA, dans le dessein de procurer à l'intéressé un avantage indu au préjudice de D______, étant précisé que seuls 40% du coût effectif de cette externalisation apparaissaient dans la comptabilité, qu'une rémunération de CHF 42.- par sommation envoyée avait été convenue avec l'avocat, ce qui correspondait à un tarif horaire totalement disproportionné de CHF 5'000.-, compte tenu du temps que ce dernier consacrait à cette activité, et que le dommage en résultant pour D______ s'élevait au minimum à CHF 12 millions.

d. Le même jour, le Ministère public a prévenu A______ de complicité, subsidiairement d'instigation de gestion déloyale des intérêts publics, pour avoir collaboré avec E______ afin d'obtenir pour son étude, respectivement sa société, tout le recouvrement de D______, dans le dessein de se procurer un avantage indu.

e. Dans le cadre de cette procédure, C______, chef de service a.i. de la comptabilité chez D______ depuis le 1er juillet 2015, a été entendu comme témoin par le Ministère public les 10 février 2016 et 2 juin 2017.

f. Une audience a été appointée au 16 mars 2018 à 14h00 pour l'audition de D______, partie plaignante.

g. Par courrier du 1er mars 2018, D______ a informé le Ministère public qu'ils seraient représentés à cette audience par C______ avant l'arrivée de G______, directeur général chez D______, à 16h00.

Ce courrier a été suivi de l'envoi, au Ministère public, d'une procuration en bonne et due forme conférée par la direction de D______ à C______ ainsi que d'un extrait du registre du commerce.

h. Par courrier du 7 mars 2018 adressé au Ministère public, A______, par l'intermédiaire de son conseil, s'est opposé à l'audition de C______ en qualité de représentant de D______ au motif qu'il n'était pas un organe de cette institution et avait déjà été entendu comme témoin dans la procédure.

i. C______ a comparu à l'audience du 16 mars 2018 en qualité de représentant de D______ et été interrogé à ce titre par le conseil de E______ et par le conseil de D______.

Le procès-verbal d'audience comporte, à l'issue de cette audition, la note du Procureur suivante : "Le Conseil de Me A______ précise qu'il estime que Monsieur C______ ne peut pas représenter D______ et n'entend dès lors pas lui poser de question aujourd'hui".

Après une suspension de 15h30 à 16h00, l'audience a repris avec la suite de l'interrogatoire de C______ et celui de G______ par les conseils des prévenus.

Selon une deuxième note du Procureur figurant au procès-verbal : "Me B______ ne souhaite pas poser la question à Monsieur C______ aujourd'hui. Il souhaite que ce dernier soit reconvoqué comme témoin".

C. a. À l'appui de son recours, A______ considère que la modification du statut de C______ en cours de procédure était illégale. Il disposait d'un intérêt à recourir en ce sens qu'il ne pouvait pas exclure remettre en cause certaines déclarations de C______ à l'audience du 16 mars 2018 relatives au nombre de réquisitions de continuer la poursuite envoyées en 2017 et 2018, de sorte que son statut procédural avait une grande importance sous l'angle de l'obligation de dire la vérité et des conséquences de l'éventuelle violation de cette obligation.

Au fond, C______ était un employé de D______ et ne participait pas à la prise de décision de l'institution, de sorte qu'il ne pouvait la représenter. À cela s'ajoutait que le changement de statut de témoin à celui de personne appelée à donner des renseignements, par la seule volonté de la partie plaignante, n'était pas possible, un tel changement créant de surcroît une insécurité juridique pour la suite de la procédure si ladite personne devait être réentendue. En outre, le rôle des avocats en amont était limité par rapport à un témoin puisqu'ils ne pouvaient communiquer avec lui que de manière restrictive.

b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             2.1. Le recours a été déposé dans la forme et le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) dès lors qu'elle porte sur le statut de la personne entendue (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, N. 32 ad art. 178).

2.2.1. S'il émane certes du prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), partie à la procédure, se pose toutefois la question de savoir si celui-ci est lésé dans ses intérêts juridiquement protégés par l'audition de C______, le 16 mars 2018, en qualité de personne appelée à donner des renseignements, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP.

Le recourant doit en effet avoir un intérêt à l'élimination de cette atteinte, c'est-à-dire à l'annulation ou à la modification de la décision dont provient l'atteinte (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., N. 2 ad art. 382 CPP). Cet intérêt doit être actuel et pratique (ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299), un intérêt de pur fait ou un intérêt juridique futur ne suffisant pas (ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53, 488 consid. 1a p. 490 et les arrêts cités).

2.2.2. Or, l'audition critiquée a eu lieu et le recourant ne conclut pas au retrait du procès-verbal litigieux du dossier, ce qui fait douter de son intérêt actuel.

Il en va de même de la possible future remise en cause de certaines déclarations faites par C______ à l'audience du 16 mars 2018 en relation avec le nombre de réquisitions de continuer la poursuite envoyées en 2017 et 2018, en tant que cela concerne, cas échéant, un intérêt futur.

Quant à la question de savoir en quelle qualité C______ sera éventuellement entendu dans la suite de la procédure, elle n'apparaît pas non plus actuelle, de sorte que, là aussi, le recourant invoque un intérêt futur.

Partant, faute d'intérêt actuel, le recours est irrecevable.

Même recevable, il devrait de toute manière être rejeté au fond.

3.             Le recourant considère en effet tout d'abord que C______ n'était pas habilité à représenter D______ à l'audience du 16 mars 2018, n'étant pas un organe de cette institution.

3.1. À teneur de l’art. 106 al. 1 CPP, une partie ne peut valablement accomplir des actes de procédure que si elle a l’exercice des droits civils. S’agissant des personnes morales, elles ont l'exercice des droits civils dès qu'elles possèdent les organes que la loi et les statuts exigent à cet effet (art. 54 CC). La volonté d’une personne morale s’exprime par ses organes (art. 55 al. 1 CC).

Il y a lieu d’entendre par là les organes exécutifs, et non l’organe législatif ou l’organe de contrôle. Les organes exécutifs, mais aussi toutes les personnes qui peuvent valablement représenter la société anonyme dans les actes juridiques avec des tiers en vertu des règles du droit civil, peuvent accomplir des actes judiciaires en son nom, comme signer des écritures, donner procuration à un avocat et comparaître aux audiences. Sont en premier lieu légitimés à représenter la société en justice les membres du conseil d’administration et, à moins que les statuts ou le règlement d’organisation ne l’exclue, un seul des membres de celui-ci (art. 718 al. 1 CO). En second lieu, la société peut être représentée en justice par un ou plusieurs des membres du conseil d’administration (délégués) ou par des tiers (directeurs), auxquels le conseil d’administration a délégué son pouvoir de représentation (art. 718 al. 2 CO). Toutes ces personnes sont organes, expriment directement la volonté de la société et sont inscrites au registre du commerce (art. 720 CO). En troisième lieu, sans avoir la qualité d’organes, en vertu de leurs pouvoirs de représentation, peuvent représenter la société en justice les fondés de procuration (art. 458 CO), qui sont inscrits au registre du commerce et n’ont pas besoin de pouvoir spécial pour plaider, à moins que leur procuration n’ait été restreinte (art. 460 al. 3 CO), ainsi que les mandataires commerciaux (art. 462 CO), qui ne sont pas inscrits au registre du commerce, à condition qu’ils aient reçu le pouvoir exprès de plaider (art. 462 al. 2 CO). Chacune des personnes habilitées à représenter la société en justice doit justifier de sa qualité et de son pouvoir en produisant soit un extrait du registre du commerce, soit l’autorisation qui lui a été délivrée pour plaider et transiger dans l’affaire concrète dont le tribunal est saisi (ATF 141 III 80 consid. 1.3).

3.2. En l'espèce, une procuration exprès et valable a été conférée à C______, chef comptable a.i., par la direction de D______ pour représenter cette institution à l'audience du 16 mars 2018, étant précisé qu'il n'est nullement contesté au demeurant que C______ avait personnellement et suffisamment connaissance des faits de la cause.

Partant, ce grief est infondé.

4.             Le recourant qualifie ensuite l'audition de C______, en qualité de personne appelée à donner des renseignements, d'illégale au motif qu'il aurait déjà été entendu comme témoin dans la procédure.

4.1. À teneur de l'art. 162 CPP, on entend par témoin toute personne qui n'a pas participé à l'infraction, qui est susceptible de faire des déclarations utiles à l'élucidation des faits et qui n'est pas entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Au début de chaque audition, l'autorité qui entend le témoin lui signale son obligation de témoigner et de répondre conformément à la vérité et l'avertit de la punissabilité d'un faux témoignage au sens de l'art. 307 CP (art. 177 al. 1 CPP).

Selon l'art. 178 let. a CPP, la partie plaignante doit être entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

L'obligation de la partie plaignante de déposer, prévue à l'art. 180 al. 2 CPP, tient compte de ce que sa position est proche de celle du témoin. Il en résulte que lui sont appliquées par analogie les dispositions applicables aux témoins, notamment le droit de refuser de témoigner (art. 180 al. 2 in fine CPP). À l'inverse du témoin, la partie plaignante n'encourt toutefois pas les sanctions prévues par l'art. 176 CPP dans l'hypothèse où elle refuserait de déposer, comme elle n'est pas non plus soumise à l'obligation de dire la vérité (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, N. 10 ad art. 180).

Il n'y pas de hiérarchie per se entre le témoignage et les renseignements, qui ont une valeur probante identique. Le principe de la libre appréciation des preuves consacré à l'art. 10 CPP reste applicable (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., N. 9 ad art. 178).

Avant la constitution de partie plaignante, le lésé est entendu comme témoin. Les déclarations faites en tant que tel gardent leur validité même si le lésé se constitue partie plaignante et doit par la suite être entendu comme personne appelée à donner des renseignements (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 12 ad art. 178).

Un témoin entendu comme tel peut aussi, à raison d'un changement de circonstances, être par la suite entendu en tant que personne appelée à donner des renseignements. Ce faisant, son témoignage reste exploitable (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., N. 35 ad art. 178; cf. aussi sur ce point l'arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2016.90 du 14 mars 2017 consid. 3.6).

Enfin, les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (art. 141 al. 2 CPP). Dans ce cadre, il convient d'effectuer une pesée des intérêts entre l'intérêt à poursuivre et la sauvegarde des droits personnels du prévenu (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., N. 10 ad art. 141).

4.2. En l'occurrence, conformément aux principes développés ci-dessus, si les statuts de témoin et de personne appelée à donner des renseignements s'excluent, un changement de statut du premier vers le second, en cours de procédure, reste toujours possible.

Les déclarations de la personne entendue au départ comme témoin resteront exploitables par le juge du fond en vertu du principe de la libre appréciation des preuves.

Dès lors, on ne voit pas quel désavantage procédural pourrait souffrir ici le recourant.

Partant, la répétition de l'audition de C______ au titre de témoin ne répond à aucun intérêt digne de protection, le recourant tentant, par ce biais, de détourner à son profit les dispositions interdisant l'exploitation de preuves illicites et régissant l'audition des personnes appelées à donner des renseignements, alors qu'elles n'ont nullement pour but de le protéger.

5. Justifiée, la décision querellée sera confirmée et le recours, rejeté.

6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprennent un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Le communique, pour information, à D______.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Sandrine JOURNET EL MANTIH, greffière.

 

La greffière :

Sandrine JOURNET EL MANTIH

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13897/2015

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'005.00