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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1142/2002

ACOM/58/2003 du 02.05.2003 ( CRUNI ) , ADMIS

Descripteurs : UNIVERSITE; IMMATRICULATION; POUVOIR D'APPRECIATION; PROPORTIONALITE
Normes : RU.15; RU.20; CST.20
Résumé : Refus d'immatriculation d'un étudiant s'étant inscrit à l'occasion de 6 semestres à l'EPFL sans réussir une année d'études. L'art.20 RU et les directives adoptés par l'université sur cette base ont pour objectif principal d'éviter le "tourisme estudiantin". Celà étant, en l'espèce, le refus pur et simple d'inscrire le recourant, fût-ce conditonnnellement, ce qui aurait permis à cette dernière d'apprécier la réalité de la réorientation des études du recourant, transgresse le principe de la proportionnalité. Reconnue comme étant au nombre des libertés individuelles incluses dans la liberté de la science (art. 20 CST), la liberté d'étudier ne saurait être limitée de cette façon sans violer le principe rappellé plus haut.
En fait
En droit
Par ces motifs

RÉPUBLIQUE ET

 

CANTON DE GENÈVE

 

DÉCISION

DE

LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITE

Du 2 mai 2003

 

Dans la cause

 

Monsieur L. S.

 

contre

 

DIVISION ADMINISTRATIVE ET SOCIALE DES ETUDIANTS

et

UNIVERSITE DE GENEVE

 

 

 

 

A/1142/2002-CRUNI

EN FAIT

1. Monsieur L. S., né en 1981, de nationalité suisse, était inscrit depuis le semestre d’hiver 1999-2000 auprès de l’EPFL, en section Microtechnique.

2. Le 27 septembre 2002, il a formé une demande d’immatriculation auprès de l’Université de Genève, faculté des sciences économiques et sociales (ci-après : la faculté SES), l’accompagnant d’un courrier de la même date dans lequel il expliquait qu’il avait décidé de s’inscrire tardivement en SES « étant sûrement en échec définitif à l’EPFL ».

3. Sa décision procédait d’une réorientation de ses études, motivée non seulement par son échec dans la filière choisie, mais aussi par le fait qu’ayant travaillé parallèlement à ses études dans le cadre de la Sàrl ST., dont il était le fondateur, il avait pris conscience de ne pas pouvoir assumer ces deux activités de front. Il s’était donc désengagé de ses responsabilités dans ST. et comptait se diriger vers l’économie, fort de son expérience professionnelle.

4. Selon ses dires, il se serait renseigné préalablement auprès de la division administrative et sociale des étudiants (ci-après : la DASE) pour s’assurer des chances de voir son dossier être accepté. Il lui aurait été répondu qu’il lui fallait simplement s’exmatriculer de l’EPFL, dont l’attestation constitue un document devant être joint à la demande d’immatriculation, formalité accomplie le 24 septembre 2002.

5. En dépit de son caractère tardif, la DASE a transmis la demande de M. S. le jour même à la faculté des SES, car dépendant de l’octroi d’une autorisation de la compétence du doyen.

6. Ce dernier n’a toutefois pas accordé l’autorisation sollicitée, ce qui a été communiqué à M. S. par lettre du 21 octobre 2002.

7. Opposition ayant été formée, la DASE l’a rejetée en date du 6 novembre, car la faculté SES n’avait pas autorisé l’inscription de M. S., ce dernier ayant été inscrit pendant sept semestres à l’EPFL sans obtention d’un quelconque titre. Une rectification ultérieure a ramené cette période à six semestres, sans modification pour le surplus.

8. Contre cette décision, M. S. interjette recours auprès de la commission de recours de l’Université (ci-après : CRUNI). Rappelant les conditions entourant sa demande d’immatriculation, il se plaint d’avoir été faussement renseigné par la DASE sur ses chances d’être admis en faculté des SES, ce qui l’a conduit à s’exmatriculer vainement de l’EPFL avec pour effet de lui faire perdre son statut d’étudiant.

9. Il s’étonne en outre que le refus qui lui a été signifié se fonde sur des directives émises par la faculté, qu’il n’a pu se procurer que difficilement et tardivement auprès de la conseillère aux études, ainsi que de s’être vu refuser un rendez-vous, tant de cette dernière que du doyen de la faculté.

10. Ses conclusions tendent en conséquence à son admission en faculté des SES, avec effet suspensif, demandant de surcroît à être entendu oralement.

11. Dans ses écritures, l’Université s’est opposée au recours. Elle fait notamment valoir que le texte clair des directives de la faculté visant les candidats en études irrégulières, afin d’éviter le « tourisme universitaire », ne laisse aucune marge de manœuvre à la DASE, contestant pour le surplus les griefs adressés à celle-ci par M. S..

12. Par décision du 22 mars 2003, la CRUNI a rejeté la demande de restitution de l’effet suspensif, traité en tant que demande de mesures provisionnelles.

EN DROIT

1. Dirigé contre la décision sur opposition du 6 novembre 2002 et interjeté dans le délai légal et la forme prescrite auprès de l’autorité compétente, le recours est recevable (art. 62 de la loi sur l’Université du 26 mai 1973 - LU – C 1 30 ; art. 87 du règlement de l’Université du 7 septembre 1988 - RU – C 1 30.06; art. 26 et 27 du règlement interne relatif aux procédures d’opposition et de recours du 25 février 1977 - RIOR).

2. Se fondant sur les directives émises par la faculté des SES relatives à l’admission en études de licence d’étudiants préalablement inscrits dans d’autres facultés, Universités ou hautes écoles, valables pour l’année académique 2002-2003, l’Université soutient, à l’instar de la faculté, que le recourant ne peut être admis en SES en raison de son inscription antérieure de six semestres au sein de l’EPFL.

3. La question de savoir si ces directives constituent une base légale suffisante a été tranchée affirmativement par la CRUNI.

Etant rappelé que la compétence en matière universitaire appartient aux cantons (art. 62 et 63 Cst. Féd.), la LU prévoit que les conditions d’immatriculation sont fixées par le règlement de l’Université (art. 63 D al. 3), lequel règlement réserve l’application des règlements d’études propres à chaque faculté (art. 3, 20 et 22).

4. Les conditions d’immatriculation étant déterminées par l’article 15 RU, l’article 20 fixe les limites propres au changement de facultés des étudiants.

Dans cette perspective, le conseil décanal a adopté les directives mentionnées plus haut, lesquelles ont été reconnues valables par la CRUNI selon une jurisprudence constante (décisions CRUNI Z. du 19 juin 1996 ; P. du 8 mars 2001 et F. du 10 juillet 2002).

On ne saurait en conséquence faire grief à l’Université de s’y référer pour trancher le cas de M. S..

5. Au sens de l’article 3 desdites directives, les étudiants qui se sont inscrits à l’occasion de six semestres dans une ou plusieurs facultés, Universités ou hautes écoles, sans réussir une année d’études ne sont pas admis en faculté SES.

M. S. se trouvant exactement dans cette éventualité, il était donc loisible pour la faculté de se réclamer de cette disposition.

6. Le recourant déplore avoir été induit en erreur par la DASE, et n’avoir été informé suffisamment tôt des mesures prises par la faculté en semblable situation.

Ce faisant, il perd de vue qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même si sa décision de s’inscrire à l’Université de Genève a été prise tardivement.

Il n’invoque du reste à cet égard aucune circonstance pouvant être de nature à justifier cette démarche hors délai, et l’Université aurait été parfaitement à même de refuser d’entrer en matière.

L’ayant fait toutefois, M. S. est mal venu de lui reprocher de n’avoir pas pu disposer à temps des directives de la faculté, à disposition chez la conseillère aux études.

7. Il y a lieu toutefois de constater que l’article 20 RU donne compétence aux autorités académiques pour réglementer le droit de changer de faculté ou d’école, c’est-à-dire sur un plan interne à l’institution.

L’Université n’en disconvient d’ailleurs pas lorsqu’elle affirme qu’elle applique en l’espèce l’article 20 RU par analogie.

L’interprétation d’une norme par analogie ne saurait être exclue à priori, dès l’instant où cette norme peut être étendue aux situations comparables à celles qu’elle régit expressément (cf. P. MOOR, Droit administratif I, p. 145).

Néanmoins, la question se pose de savoir si la faculté des SES était en mesure de procéder ainsi dans les directives qu’elle a édictées, ou plus précisément encore si elle était habilitée à interpréter extensivement le champ d’action de l’article 20 RU.

8. La question peut toutefois rester indécise pour les motifs qui suivent.

Selon l’article 87 alinéa 3 RU, le recours ne peut être fondé, lorsque l’autorité universitaire fait usage de son pouvoir d’appréciation, que sur l’excès ou l’abus de celui-ci.

La jurisprudence constante de la CRUNI reconnaît que celle-ci ne peut substituer sa propre appréciation à celle de l’autorité universitaire, mais qu’elle doit vérifier si cette dernière n’est pas tombée dans l’arbitraire ou si les principes de droit administratif au nombre desquels figure le principe de proportionnalité, n’ont pas été violés (décision CRUNI F. du 10 juillet 2002).

9. Une décision est arbitraire lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu’elle contredit d’une manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité (SJ 2002, 101).

Dans le cas d’espèce, au vu des dispositions évoquées ci-dessus, on ne saurait reprocher à la DASE d’avoir procédé arbitrairement en refusant l’immatriculation, dans la mesure où le recourant a été inscrit six semestres à l’EPFL sans réussir une année d’études.

10. En revanche, il n’en va pas de même s’agissant de l’observation du principe de proportionnalité. Ce principe postule une relation adéquate entre la gravité de la décision et les résultats visés et oblige l’autorité à prendre en considération l’ensemble des circonstances, y compris les intérêts propres et autonomes des personnes qu’elle pourrait affecter (P. MOOR, op. cit., p. 418, décisions CRUNI C. du 12 juillet 1994 ; F. du 10 juillet 2002).

Comme le dit l’Université, l’article 20 RU est appliqué par analogie dès l’instant où un candidat à l’immatriculation a déjà effectué des études universitaires sans aboutir pour autant à la moindre réussite, et il s’ensuit que les directives dont s’est dotée la faculté ont pour objectif principal d’empêcher ce qu’il est convenu d’appeler le tourisme estudiantin.

Cette métaphore traduit fort bien ce que les facultés cherchent à éviter, à savoir l’étudiant qui passe de faculté en faculté ou d’école en école, au gré de ses humeurs ou du moment, sans avoir la volonté ou les capacités de mener ses études à terme.

11. Dans ce sens, la CRUNI a effectivement confirmé le refus d’immatriculation d’étudiants ayant déjà fréquenté l’Université pendant dix semestres (décision CRUNI B. du 14 septembre 1994), ou à leur troisième faculté après échec aux examens et désintérêt de leurs études (décision CRUNI Z. du 19 juin 1996), ou encore ne se présentant à aucun examen prévu, dans deux facultés différentes (décision CRUNI M. du 23 juin 1997), ou encore en échec dans une première filière et ne suivant aucun cours et ne passant aucun examen dans une autre faculté (décision CRUNI F. du 10 juillet 2002).

12. Il en va différemment concernant M. S..

Certes a-t-il été inscrit pendant six semestres à l’EPFL sans résultats, et il aurait sans doute dû lui apparaître opportun de s’exmatriculer dès qu’il se rendit compte qu’il ne pouvait mener en parallèle études et activité professionnelle indépendante.

Il y a lieu toutefois de constater que le refus pur et simple d’inscrire le recourant, fût-ce conditionnellement puisque les directives de la faculté réservent expressément cette possibilité, ce qui aurait permis à cette dernière d’apprécier la réalité de la réorientation des études du recourant, transgresse le principe de proportionnalité, étant encore précisé que la mesure prise doit être propre à atteindre le but recherché tout en respectant le plus possible la liberté de l’individu (B. KNAPP, Précis de droit administratif, ad. 533).

Le seul reproche que l’on puisse adresser à M. S. est d’avoir négligé, comme déjà dit, de s’exmatriculer de l’EPFL, sans attendre inutilement un constat d’échec définitif.

A supposer que toutes les facultés aient adopté des directives semblables à celles de la faculté SES, dont on a vu qu’elles constituent une base légale admissible, on réduirait ainsi définitivement la liberté d’étudier de l’étudiant négligent, dans le cadre de sa première immatriculation.

Reconnue comme étant au nombre des libertés individuelles incluse dans la liberté de la science, consacrée par la nouvelle Constitution fédérale (art. 20 ; cf. J.-P. MULLER, Commentaire anc. Cst. Féd. III, ad. art. 55), la liberté d’étudier ne saurait être limitée de cette façon sans violer le principe rappelé plus haut (décision CRUNI T. du 11 juin 1990).

13. En conséquence, le recours sera admis.

Vu la nature de la cause et l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument.

Il n’y a par ailleurs pas lieu d’allouer d’indemnité au recourant, qui n’a pas exposé de frais en assurant seul sa défense.

 

 

PAR CES MOTIFS

La commission de recours

de l’Université

A la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 2 décembre 2002 par Monsieur L. S. contre la décision sur opposition de la division administrative et sociale des étudiants du 6 novembre 2002;

 

Au fond :

 

l’admet;

 

annule la décision de la DASE du 6 novembre 2002 ;

 

renvoie le dossier à l’Université pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

 

dit qu'aucun émolument n'est perçu, ni aucune indemnité allouée;

 

communique la présente décision, en copie, au recourant, à la division administrative et sociale des étudiants, au service juridique de l'Université, ainsi qu'au département de l'instruction publique.

 

 

Siégeant : Madame Bovy, présidente

Messieurs Schulthess et Verniory, membres

 

 

 

 

Au nom de la commission de recours de l'Université :

 

 

la greffière : la présidente :

 

C. Marinheiro L. Bovy

 

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le p.o. la greffière :

 

Mme M. Oranci