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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/151/2002

ACOM/100/2002 du 02.09.2002 ( CRUNI ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs

RÉPUBLIQUE ET

 

CANTON DE GENÈVE

 

DÉCISION

DE

LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITE

Du 2 septembre 2002

 

Dans la cause

 

Monsieur M. L. C.

représenté par Me Anne-Christine Favre, avocate

 

contre

 

FACULTE DE DROIT

 

et

 

UNIVERSITE DE GENEVE

 

 

 

 

A/151/2002-CRUNI (Elimination – circonstances exceptionnelles )

EN FAIT

1. Monsieur M.L.C., né le 22 mars 1962, est de nationalité tunisienne. En février 1999, lui et son épouse se sont vu accorder l'asile en Suisse.

 

2. Monsieur M.L.C. a demandé son inscription en faculté de droit dès le semestre d'hiver 2000, pour le programme de licence. Ayant déjà obtenu, en 1991, une licence en droit en Algérie, Monsieur M.L.C. a été mis au bénéfice du programme spécial de licence pour étudiants titulaires d'un diplôme en droit de l'étranger. Ce cursus prévoit, pour la première série, une équivalence pour trois matières générales, le candidat devant se présenter aux seuls trois examens de droit positif suisse (droit constitutionnel, droit des personnes et de la famille, droit pénal général). Ces trois matières doivent être présentées au moins une fois dans un délai de deux semestres; seule une moyenne supérieure ou égale à 3 permet de redoubler la première année.

 

3. Lors de la première session possible, soit celle de juin 2001, Monsieur M.L.C. s'est uniquement présenté à l'examen de droit pénal général, auquel il a obtenu la note de 2,75.

 

4. En vue de la session de septembre 2001, Monsieur M.L.C. s'est inscrit aux trois examens, ce qui impliquait l'annulation de la note obtenue lors de sa session de juin. Les examens auxquels Monsieur M.L.C. s'était inscrit devaient avoir lieu les 25, 26 et 27 septembre 2001.

 

5. Le jeudi 20 septembre 2001, Monsieur M.L.C. a adressé par télécopie un courrier au doyen de la faculté, dans lequel il indiquait qu'il avait passé par une période très difficile sur le plan personnel, qui avait influé sur sa préparation aux examens, et qu'il avait reçu la nouvelle du décès de son père, qu'il n'avait pas revu depuis dix ans, ce qui l'avait d'autant plus touché qu'il ne pouvait revenir au pays pour assister à ses funérailles. Il déclarait en outre ne pas se sentir prêt à passer les examens, et demandait au doyen de bien vouloir «accepter sa demande». Monsieur M.L.C. a renouvelé l'envoi de cette télécopie en date du 24 septembre 2001.

 

6. Monsieur M.L.C. ne s'est pas présenté aux examens auxquels il s'était inscrit.

 

7. Par courrier du 5 octobre, le doyen a rejeté la demande de Monsieur M.L.C., au motif notamment «qu'il incombe aux étudiants d'organiser leurs examens en fonction des éventuels problèmes, d'ordre personnel ou autres, auxquels ils peuvent être confrontés».

 

8. Monsieur M.L.C. a fait l'objet d'une décision d'élimination en date du 23 octobre 2001, sous forme du procès-verbal d'examens.

 

9. Par courriers des 15 et 23 octobre 2001, transmis par télécopie, Monsieur M.L.C. a demandé l'annulation de la décision d'élimination. Il s'est en outre entretenu, en personne et par le biais de courriers électroniques, avec la conseillère aux études, Madame Caterina Gidari Wassmer.

 

10. Lors de l'un de ces entretiens, il a évoqué la possibilité de s'inscrire à la faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, ayant compris que la faculté renoncerait à l'éliminer.

 

11. Lors de son inscription à la faculté de Neuchâtel, il fut demandé à Monsieur M.L.C. de démontrer qu'il n'avait pas été éliminé à Genève. Monsieur M.L.C. a donc demandé, par courrier électronique du 30 octobre 2001, la confirmation de ce que la faculté renonçait à l'éliminer.

 

12. Par courrier électronique du même jour, la conseillère aux études a répondu à Monsieur M.L.C. dans les termes suivants: «La décision d'élimination va être annulée. Vous allez recevoir une lettre qui dit que la faculté de droit de l'Université de Genève renonce à vous éliminer, compte tenu de votre décision d'interrompre vos études à Genève et vu les faits exposés».

 

13. Le 2 novembre 2001, Monsieur M.L.C. a été immatriculé à la faculté de droit de Neuchâtel.

 

14. Par courrier du 13 novembre 2001, le doyen a notifié à Monsieur M.L.C. une décision confirmant son élimination, au motif notamment qu'il avait annoncé deux jours avant le début de la session de septembre ne pas pouvoir y prendre part «pour des raisons pas explicitées», et que le règlement d'études de la faculté (ci-après le règlement) prévoyait sans dérogation possible l'impossibilité de redoubler pour l'étudiant dont la moyenne était inférieure à 3. La décision indiquait qu'elle était susceptible d'opposition dans les 30 jours.

 

15. Par décision du 22 novembre 2001, la faculté de droit de Neuchâtel a révoqué avec effet rétroactif l'immatriculation de Monsieur M.L.C..

 

16. Le 11 décembre 2001, Monsieur M.L.C. a fait opposition à la décision du doyen de la faculté de droit de Genève du 13 novembre 2001. Parmi ses arguments, il renouvelait celui selon lequel la nouvelle du décès de son père l'avait beaucoup touché. Monsieur M.L.C. invoquait en droit le principe de la bonne foi et celui de la proportionnalité. Il présentait en outre deux certificats médicaux rédigés en décembre 2001 et indiquant qu'il était en incapacité totale de travail dès le 15 septembre 2001.

 

17. Par acte déposé le même jour, Monsieur M.L.C. a également recouru contre la décision de la faculté de Neuchâtel.

 

18. Le doyen de la faculté a rendu le 14 janvier 2002 sa décision sur opposition. Celle-ci a été rejetée. Les certificats médicaux étaient non circonstanciés et surtout tardifs. Si elle avait été envisagée dans un premier temps, la révocation de l'élimination n'était finalement pas justifiée, et le courrier électronique de la conseillère aux études n'engageait pas le décanat. Enfin, l'invocation du principe de la proportionnalité était déplacée, dans la mesure où Monsieur M.L.C. était seul responsable de ses prestations insuffisantes au sein de la faculté. La décision ne mentionnait pas les voies et délais de recours.

 

19. Le 5 février 2002, le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel a rejeté le recours de Monsieur M.L.C.. Celui-ci a alors recouru au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel le 25 février 2002. Le recours déployant un effet suspensif, Monsieur M.L.C. a été admis à poursuivre son année à Neuchâtel jusqu'à droit jugé.

 

20. Monsieur M.L.C. a fait recours, par-devant la Commission de recours de l'Université de Genève (ci-après la CRUNI), contre la décision du doyen du 14 janvier 2002 par acte posté le 14 février 2002. Il invoquait une violation de l'art. 22 al. 3 du Règlement de l'Université, et des principes de célérité et de la bonne foi, et concluait à l'annulation de la décision attaquée.

 

20. Invitée à répondre, la faculté a conclu, dans son écriture du 28 mars 2002, au rejet du recours.

 

21. Ayant demandé à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions dans son écriture du 22 mai 2002.

 

22. Invitée à dupliquer, la faculté a persisté dans les siennes en date du 19 juin 2002.

 

EN DROIT

 

1. Dirigé contre la décision sur opposition du 14 janvier 2002 et interjeté dans les formes prescrites, le recours doit être déclaré recevable (art. 62 de la loi sur l'Université du 26 mai 1973 - C 1 30 - ci-après LU; art. 87 du Règlement de l'Université du 7 septembre 1988 - C 1 30 06 - ci-après RU; art. 26 et 27 RIOR).

 

2. Le recourant invoque tout d'abord une violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable. S'agissant d'un grief de forme, il y a lieu de l'examiner d'entrée de cause.

 

3. L'art. 29 al. 1 Cst. prévoit que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable. Il y a lieu en l'espèce d'examiner ce grief sous l'angle de cette seule disposition, l'art. 6 CEDH n'étant pas applicable au contentieux portant sur l'enseignement universitaire (Ruth Herzog, Art. 6 EMRK und kantonale Verwaltungsrechtspflege, Berne 1995, 260 ss, avec réf.).

 

4. Pour juger du respect du délai raisonnable, il convient de prendre en compte l'ensemble de la procédure, y compris les voies de recours (cf. Jörg Paul Müller, Grundrechte in der Schweiz, Berne 1999, 504-505; Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. II, par. 1249). En ce qui concerne la demande de dispense formulée le recourant le 20 septembre 2001, à laquelle la faculté a répondu le 5 octobre, il ne s'agit pas d'une procédure distincte, mais bien d'un volet de la question plus globale de l'élimination du recourant. En l'absence d'un délai fixé par le règlement pour répondre à une requête de ce genre, d'une part, et de mise en cause de la durée de la procédure d'élimination dans sa globalité, d'autre part, le grief doit être tenu pour infondé.

 

5. Selon l'art. 63D al. 3 LU, les conditions d'élimination des étudiants sont fixées par le RU. L'art. 22 al. 2 lit. b RU dispose qu'est éliminé l'étudiant qui ne subit pas ses examens et ne termine pas ses études dans les délais fixés par le règlement d'études.

 

Aux termes des art. 14 ch. 6 et 22 ch. 1 du règlement, les étudiants doivent présenter la série complète au cours des deux sessions qui suivent les deux premiers semestres d'études. L'étudiant dont la moyenne est inférieure à 3 à l'échéance d'octobre est éliminé.

 

6. Il est constant que le recourant, tenu à se présenter à trois examens seulement compte tenu des équivalences accordées, n'a passé qu'un seul d'entre eux à la session de juin 2002, examen qu'il a du reste annulé en se réinscrivant à la session d’automne. Le recourant ne s'étant présenté dans aucune matière lors de cette dernière session, sans par ailleurs justifier son absence par la production immédiate d'un certificat médical - selon les exigences posées par l'art. 37 RU -, c'est à juste titre qu'il a été considéré par la faculté comme susceptible d'être éliminé.

 

7. L'art. 22 al. 3 RU précise néanmoins que la décision d'élimination prise par le doyen de la faculté doit tenir compte des circonstances exceptionnelles. De jurisprudence constante, une situation ne peut être qualifiée d'exceptionnelle que lorsqu'elle est particulièrement grave pour l'étudiant. Lorsque des circonstances particulières sont retenues, la situation ne revêt un caractère exceptionnel que si les effets perturbateurs ont été dûment prouvés par le recourant. En outre, les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont la CRUNI ne censure que l'abus (décisions CRUNI du XX août 2002 en la cause Z.; du 17 mai 2002 en la cause L.).

 

8. La pratique constante de la CRUNI reconnaît que le décès d'un proche entre dans la catégorie des circonstances exceptionnelles (décisions CRUNI du 6 août 2002 en la cause D.; du 22 mai 2002 en la cause M.). Le recourant a perdu son père quelque trois semaines avant la session d'examens à laquelle il ne s'est pas présentée; sa situation entre dès lors bien dans celles visées à l'art. 22 al. 3 RU.

 

9. Dans la décision du 6 août 2002 en la cause D. précitée, la CRUNI a considéré que, s'il n'était pas admissible qu'un étudiant diffère abusivement l'invocation d'une circonstance exceptionnelle, le fait de se présenter à une session d'examens sans avoir mentionné cette circonstance, et de ne la faire valoir qu'après un échec à ladite session, ne relevait pas de l'abus, car la subordination de la prise en compte d'une circonstance exceptionnelle à une annonce immédiate viderait l'art. 22 al. 3 RU de son sens, et découragerait les candidats qui tenteraient malgré tout de poursuivre leur cursus dans les délais.

 

Force est de constater qu'en l'espèce, le recourant a quant à lui mentionné ce fait perturbateur avant même le début de la session. On ne saurait dès lors suivre l'intimée lorsque celle-ci considère, dans sa réponse au recours, la communication de cette circonstance deux semaines après sa survenance comme tardive.

 

10. Il convient enfin d'examiner si l'effet perturbateur a été suffisamment prouvé par le recourant. Celui-ci n'a certes pas d'emblée donné tous les détails concernant l'événement lui-même. Dans sa télécopie du 20 septembre 2001, il mentionne son incapacité de prendre part aux examens pour des raisons personnelles, en ajoutant avoir eu la nouvelle du décès de son père et ne pas pouvoir, en tant que réfugié politique, se rendre à l'enterrement, ce qui avait eu des répercussions sur son état psychique. Dans son opposition du 11 décembre 2001, le recourant reprend cet élément, en y ajoutant un certificat médical, signé par un psychologue, et considérant le recourant en incapacité de travail totale dès le 15 septembre.

 

L'ensemble de ces divers éléments permettait largement au décanat de se rendre compte de la présence d'une circonstance à même d'être qualifiée d'exceptionnelle, et de demander au besoin un complément d'information. Il sied de rappeler que, même s'il appartient à l'étudiant de prouver l'effet perturbateur, l'organe chargé d'instruire l'opposition n'en est pas moins soumis à la maxime inquisitoire (art. 10 al. 1 RIOR). En outre, compte tenu de la qualité de réfugié politique reconnue au recourant, on ne saurait reprocher à celui-ci de ne pas avoir fourni de documents officiels tunisiens.

 

11. Il s'ensuit des considérations qui précèdent que le doyen a abusé de son pouvoir d'appréciation en ne retenant pas de circonstances exceptionnelles. Le recours doit ainsi être admis, et la décision attaquée annulée. Le recourant doit dès lors être admis, pour autant qu'il soit immatriculé à l'Université de Genève, à redoubler sa première année de licence lors de l'année académique 2002-2003.

 

12. Vu la nature de la cause et l'issue du litige, il n'y a pas lieu de percevoir un émolument (art. 33 RIOR). Le recourant ayant pris ses conclusions avec suite de frais et dépens, la somme de CHF 500.- lui sera allouée à titre d’indemnité au sens de l’article 87 alinéa 2 LPA.

PAR CES MOTIFS

La commission de recours

de l’Université

A la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 14 février 2002 par Monsieur Mohamed Lamjed M.L.C. contre la décision sur opposition de la faculté de droit du 14 janvier 2002;

 

Au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision attaquée;

 

renvoie le dossier à la faculté de droit pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

 

dit qu'aucun émolument n'est perçu;

 

alloue au recourant, à titre d’ndemnité pour les frais nécessaires au recours, la somme de CHF 500.- ;

 

communique la présente décision, en copie, à la mandataire du recourant, à la faculté de droit, au service juridique de l'université, ainsi qu'au département de l'instruction publique.

 

 

Siégeant : Madame Bovy, présidente

Monsieur Verniory et Madame Fleischmann, membres

 

 

 

 

Au nom de la commission de recours de l'université :

 

 

la greffière : la présidente :

 

C. Marinheiro L. Bovy

 

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le p.o. la greffière :

 

Mme N. Mega