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Décisions | Chambre pénale

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P/12241/2004

ACJP/254/2007 (3) du 17.12.2007 sur JTP/563/2007 ( CHOIX )

Descripteurs : ; CONCLUSIONS ; PARTIE CIVILE ; CONDITION DE RECEVABILITÉ ; PAIEMENT ; ÉMOLUMENT
Normes : aCP.173; CPP.229.6; CC.28.1; CC.28a.3; CO.41.1; CO.49; CO.50.1
Résumé : appel de la partie civile suite au rejet des conclusions civiles non taxées et admission de la réserve de ses droits ; responsabilité civile admise sur le principe par le juge pénal et renvoi au juge civil pour quotité du dommage et / ou tort moral
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12241/2004 ACJP/254/2007

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre pénale

Audience du lundi 17 décembre 2007

 

Entre

Monsieur W______, comparant par Me Pierre SCHERB, avocat, rue de Lausanne 36, 1201 Genève, avec élection de domicile en son étude, partie appelante d'un jugement rendu par le Tribunal de police le 5 février 2007,

et

Monsieur G______, domicilié rue ______, à Vernier, comparant en personne,

Monsieur M______, domicilié rue ______, à Genève, comparant en personne,

LE PROCUREUR GéNéRAL de la République et canton de Genève, en son Parquet, Palais de justice, place du Bourg-de-Four à Genève,

parties intimées.

 


EN FAIT

A. Selon jugement du 5 février 2007, communiqué le 6 juin 2007 à W______, partie civile, le Tribunal de police a reconnu G______, prévenu ayant fait défaut, et M______ coupables de diffamation (art. 173 aCP) et les a condamnés l’un et l’autre à une amende de 1'000 fr. Il a réservé les droits de W______ et a mis à la charge des condamnés, conjointement et solidairement, les frais de la procédure, taxés à 630 fr., y compris un émolument de 400 fr.

Il était reproché à G______, qui exploitait l’établissement public « X______ » au Petit-Lancy (Genève) en association avec S______, d’avoir, en 2004, déclaré à M______ que W______, agent public, avait sollicité le versement d’une somme de 500 fr. pour lui-même en contrepartie d’une prolongation du délai de fermeture du susdit établissement.

M______ était accusé, pour sa part, d’avoir remis à l’autorité administrative dont dépendait W______ une déclaration écrite datée du 2 juillet 2004 et comportant les mêmes accusations.

B. Par déclaration du 20 juin 2007, W______ a appelé de cette décision dans la mesure où l’autorité de première instance n’avait pas donné suite à ses conclusions civiles portant sur 100'000 fr., dont une indemnité pour tort moral de 70'000 fr.

Devant la Chambre pénale, le 28 août 2007, l’appelant a fait valoir que la diffamation, dont il avait fait l’objet pour avoir été accusé de corruption passive en sa qualité d’agent public, avait entraîné pour lui un état dépressif sévère, ce qui lui avait fait perdre deux cents heures, qu’il en était résulté une enquête administrative dirigée contre lui et qu’il avait dû subir les quolibets de ses collègues de travail.

Ainsi, les conclusions civiles prises devant les premiers juges avaient été déclarées à tort irrecevables et W______ a persisté dans celles-ci.

Bien que dûment convoqués, G______ et M______ n’ont pas comparu devant la Cour.

Le Procureur général a conclu à la confirmation du jugement attaqué avec suite de frais.

C. Les faits pertinents résultant du dossier et non contestés devant la Cour sont les suivants :

a. S______, fille de M______, et G______, en qualité d’associés, exploitaient le restaurant « X______» au Petit-Lancy, alors qu’ils n’étaient pas en possession de l’autorisation nécessaire à cette fin.

L’établissement, qui avait été repris par M______ au cours du mois d’octobre 2001, a fait l’objet de plusieurs contrôles, le dernier étant intervenu en date du 18 mai 2004, par l’intermédiaire de W______, inspecteur auprès du Service des autorisations et patentes (SAP) dépendant du Département de justice et police (aujourd’hui : Département des institutions). Dans ce cadre, il avait été fixé aux responsables du fonds de commerce un délai pour qu’ils retrouvent un exploitant au bénéfice d’une patente (déclaration manuscrite du 2.07.2004; plainte du 30.07.2004, p. 2; p.v. d’audience du 25.09.2006, p. 1 et 3).

Tel n’ayant pas été le cas, le restaurant « X______ » a été fermé le 1er juillet 2004 par les soins de C______, autre inspecteur du SAP, W______ étant alors en vacances (plainte, p. 2; déclaration de M______ du 13.09.2004 lors de l’enquête de police, p. 2; p.v. du 5.02.2007, p. 1 et 2).

b. Dans ces circonstances, M______ a expliqué à C______ que G______ lui avait dit avoir soudoyé W______ pour que le restaurant ne soit pas fermé, moyennant le versement d’une somme de 500 fr., et, le 2 juillet 2004, M______ a dicté à une serveuse, en présence de C______ qui s’était rendu dans l’établissement pour contrôler sa fermeture, un texte présentant la teneur suivante :

« Je soussigné, Mr M______, confirme des propos de Mr G______. L’associé de ma fille S______ prétend que Mr W______, inspecteur SAP, en échange d’une prolongation de patente non autorisée, [à] monnaye[r] ce délai à raison de 500 fr.

Malheureusement, le restaurant paie les conséquences de cette transaction malhonnête ».

Ce document a ensuite été remis à C______ (écrit incriminé; p.v. du 25.09.2006, p. 3; p.v. du 5.02. 2007, p. 1 à 3).

c. La déclaration écrite du 2 juillet 2004 a été transmise le 5 juillet 2004 à B______, directeur ad intérim du SAP. Celui-ci a pris au sérieux ce document, raison pour laquelle il a été procédé à une enquête diligentée par B______ et la directrice des ressources humaines du Département de justice et police.

W______ a mal vécu cette accusation et il a été absent de son lieu de travail pendant une certaine période pour cause de maladie (p.v. du 25.09.2006, p. 2).

d. Pour sa part, C______ a été surpris, voire « estomaqué » par la façon de procéder de M______, laquelle ne cadrait pas du tout avec la personnalité de W______. Ce dernier a souffert du contenu du document incriminé et C______ a pensé que ces circonstances l’avaient même détruit sur le plan professionnel (p.v. du 5.02.2007, p. 2).

A raison de celles-ci, W______ a été en proie à un état dépressif sévère notamment avec des insomnies et un sentiment d’injustice. Dès le 5 août 2004, il a été en traitement médical et celui-ci se poursuivait en date du 2 novembre 2005 (certificat médical du 2.11.2005).

e. W______ a déposé plainte pénale par courrier du 30 juillet 2004.

L’instruction de la cause s’est limitée à une enquête de police et, par feuille d’envoi du 18 janvier 2006, le Procureur général a demandé que G______ et M______ soient cités à comparaître devant le Tribunal de police du chef de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) dans le sens décrit ci-dessus (voir supra A).

f.a Dans le procès-verbal de l’audience tenue le 25 septembre 2006 devant le Tribunal de police, il a été noté la constitution de partie civile de W______.

Ce dernier a produit un chargé de pièces comportant six certificats médicaux attestant une incapacité totale de travail du 13 au 26 juillet 2004, du 4 août au 10 septembre 2004, puis réduite à 50 % du 13 au 27 septembre 2004. Il y figurait en outre un certain nombre de relevés de prestations émanant de la Caisse-maladie CSS, documents établis du 17 septembre 2004 au 12 septembre 2006.

Lors des plaidoiries en date du 5 février 2007, la partie civile a en particulier conclu au versement d’une indemnité de 30'000 fr. quant à son dommage matériel et d’une somme de 70'000 fr. à titre de réparation du tort moral.

f.b. Le comportement délictueux incriminé étant antérieur au 1er janvier 2007, les premiers juges ont considéré, sur le plan du droit, que la modification de la partie générale du Code pénal en vigueur depuis le 1er janvier 2007 n’aboutissait pas à un résultat plus favorable pour les intimés, de sorte qu’ils se sont référés à l’ancien droit.

Cela étant, il a été admis que l’acte reproché à G______ et à M______ était constitutif de diffamation au sens de l’art. 173 ch. 1 CP et une amende à l’encontre de chacun d’eux a été prononcée.

f.c Du point de vue des prétentions civiles formulées par W______, le Tribunal a retenu qu’il ne pouvait y donner suite en l’absence de paiement d’un émolument de mise au rôle et devait se limiter à réserver les droits de la partie civile.

EN DROIT

1. Sous réserve de sa recevabilité sur le plan matériel, l’appel a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 241 et 242 CPP).

2. 2.1 Conformément à l’art. 239 al. 2 CPP, les jugements du Tribunal de police peuvent également être attaqués par la voie de l’appel par le condamné ou la partie civile dans les cas prévus par les art. 291 et 292 LPC (Loi de procédure civile).

A teneur de l’art. 239 al. 3 CPP, la partie civile peut en outre appeler des jugements du Tribunal de police dans la mesure où ils peuvent avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles.

Cette dernière disposition ne concerne que l’aspect pénal de l’affaire dans l’hypothèse où l’infraction à l’origine de la constitution de partie civile n’a pas été retenue par l’autorité de première instance, cette situation pouvant donc avoir une incidence sur les prétentions civiles, et cette faculté ne vise que le prononcé pénal, à l’exclusion du sort comme tel des conclusions civiles en cas de condamnation ou constatation de l’irresponsabilité de l’auteur de l’infraction (cf. ATF 128 IV 137 consid. 2b/cc p. 141/142; Grégoire Rey, Procédure pénale genevoise, n. 1.1.3.1 ad art. 338 CPP et n. 3.1 ad art. 239 CPP).

En revanche, le sort comme tel des conclusions civiles prises devant le Tribunal de police est donc sujet à appel dans les limites des art. 291 et 292 LPC, solution conforme au droit fédéral dans la mesure où la Cour statue en dernière instance cantonale (ATF 128 IV précité consid. 3a p. 143 et consid. 3b p. 144; Rey, op. cit., eod. loc. ad art. 338 CPP).

2.2 Dans le cas particulier, les conclusions civiles prises par W______ à hauteur de 100'000 fr. au total sont donc supérieures à 8'000 fr. en capital, de sorte que le jugement déféré a été rendu en premier ressort (art. 22 LOJ) et que l’art. 291 LPC est applicable.

2.3 En réservant les droits de la partie civile, les premiers juges se sont abstenus de statuer sur le mérite de la demande formulée par l’appelant, considérant en substance que celle-ci était irrecevable, faute du paiement d’un émolument de mise au rôle.

Cette approche est erronée, la recevabilité des conclusions de la partie civile n’étant pas subordonnée au versement préalable d’un émolument de mise au rôle (voir SJ 2006 I 553/557).

Ce faisant, les juges de première instance semblent avoir admis à tort une fin de non-recevoir dilatoire. Celle-ci relève d’un obstacle de procédure et doit aboutir à une déclaration d’irrecevabilité pour ce motif, la partie demanderesse n’étant pas privée définitivement de son droit de déposer à nouveau sa demande lorsque l’empêchement de procédure a disparu. Par l’admission de cette fin de non-recevoir, un jugement final est rendu (cf. Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 2 let. bb ad art. 97 LPC et n. 8 let. aa ad art. 291 LPC).

Cependant, d’après la jurisprudence, l’irrecevabilité pour défaut de versement de l’émolument de mise au rôle est de nature administrative, en ce sens qu’elle relève des rapports entre l’Etat et le justiciable, et non de la situation des parties dans la procédure, et qu’elle est prise sans débat contradictoire par le président de la juridiction concernée (SJ 1994 518/519 consid. a et b).

Dans cette perspective, elle ne constitue donc pas un jugement dont on peut appeler en application des art. 291 et 292 LPC (Bertossa/Gaillard/Guyet/ Schmidt, op. cit., n. 5 ad art. 291 LPC).

Néanmoins, dans le dispositif de sa décision, le Tribunal de police n’a pas formellement déclaré les prétentions de la partie civile irrecevables pour ce motif et a réservé les droits de cette dernière. Par le recours à une telle solution, il est donc entré finalement en matière sur les prétentions de la partie civile en se limitant à inviter W______ à saisir les Tribunaux civils d’une nouvelle demande sans examiner le mérite de ses prétentions.

En définitive, on est ainsi bien en présence d’une décision finale emportant le dessaisissement des premiers juges et assimilable à une fin de non-recevoir dilatoire, l’appelant n’étant pas privé de la faculté de déposer à nouveau sa demande devant les juridictions civiles compétentes (cf. Bertossa/Gaillard/ Guyet/Schmidt, op. cit., eod. loc. ad art. 97 LPC).

2.4 L’appel interjeté par la partie civile est dès lors recevable sur le fond, le pouvoir de cognition de la Cour étant toutefois délimité par les prescriptions de l’art. 229 al. 6 CPP.

3. 3.1 En vertu de cette dernière disposition légale, le Tribunal de police, en cas de condamnation ou de constatation de l’irresponsabilité, statue sur les demandes de la partie civile. Pour le cas où l’examen complet des prétentions civiles exigerait un travail disproportionné, le Tribunal peut se limiter à adjuger l’action civile dans son principe et renvoyer la partie civile demanderesse pour le reste devant les juridictions civiles. Dans la mesure du possible, il doit cependant juger complètement les prétentions de faible importance.

En l’espèce, les premiers juges en sont restés, du point de vue des prétentions en dommages et intérêts de l’appelant, à prononcer la réserve de ses droits.

Or, en matière civile, une réserve de droits est inopérante, en ce sens que ceux-ci existent ou n’existent pas. Ainsi, de telles réserves sont superflues et inopérantes (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 5 ad art. 2 LPC).

Il en découle que le juge civil n’est pas habilité à prononcer une réserve de droits dans le dispositif de sa décision (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 6 ad art. 146 LPC).

Ce qui précède vaut également en matière pénale pour le Tribunal de police et la Cour de justice qui ne peuvent se contenter de recourir à cette solution de réserve des droits, en ce sens que ces deux juridictions doivent au moins se prononcer sur le principe même de la responsabilité civile, tout en pouvant renvoyer la partie civile à agir par la voie civile pour la détermination du montant de l’indemnité. En revanche devant la Cour d’assises et la Cour correctionnelle, le juge pénal a l’obligation de statuer sur l’ensemble des prétentions civiles, quitte à fixer à cette fin une audience ultérieure, le juge n’étant pas obligé de trancher seulement en matière d’ordonnance de condamnation (Rey, op. cit., n. 1.3 ad art. 8 CPP).

La Chambre pénale n’est donc pas tenue, en application de l’art. 229 al. 6 CPP, de statuer de manière complète sur les prétentions émises par W______ sur le vu de leur importance et de la question de leur adéquation par rapport à la nature et à la gravité de l’atteinte subie. Elle peut se limiter à décider s’il y a matière, sur le plan des principes, à réparation du préjudice sans déterminer son étendue et sa quotité.

3.2 La décision qui adjuge l’action civile dans son principe lie le juge civil, contrairement à la règle énoncée par l’art. 53 al. 2 CO, mais dans la mesure seulement où il fixe la part des responsabilités du condamné. L’autorité de chose jugée de ce prononcé est cependant relative, le juge pénal abandonnant à la juridiction civile la compétence pour statuer sur le montant de la prétention civile. Ainsi, le juge civil est certes lié par les constatations de fait et les principes établis dans la décision pénale du point de vue du dispositif concernant l’action civile, mais il ne l’est pas en ce qui concerne la détermination et la fixation du dommage. C’est pourquoi la juridiction civile peut tenir compte de faits intervenus ultérieurement; elle peut aussi rejeter la demande pour inexistence du dommage ou pour le motif que, par exemple, la compensation a été invoquée avec succès. Le jugement statuant sur l’action civile dans son principe est dans ce contexte une décision finale susceptible de recours et, en présence d’un jugement rendu en dernière instance cantonale, d’un recours pénal auprès du Tribunal fédéral. En conséquence, le juge civil ne peut se prononcer avant l’entrée en force de la décision de principe. Celle-ci a la valeur d’un jugement en constatation de droit au sujet du degré de responsabilité de l’auteur de l’acte pénal et, pour statuer sur le principe des prétentions civiles, le juge pénal doit appliquer les règles ordinaires de la responsabilité civile, tels notamment les facteurs de réduction, la faute de tiers et la faute concomitante, à l’exclusion de la fixation du dommage qui relève de la juridiction civile (Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, 2e éd., n. 1040).

3.3 Il en découle que le Tribunal de police a prononcé à tort une réserve des droits de W______, en ce sens qu’il aurait dû à tout le moins statuer sur le principe de l’admission de l’action civile comme l’art. 229 al. 6 CPP lui en faisait l’obligation.

Dès lors, le jugement déféré doit être annulé sur ce point et il incombe à la Cour d’entrer en matière sur le fond, dans les limites tracées par cette disposition légale.

4. 4.1 Le droit à l’honneur est l’un des droits de la personnalité et il constitue un bien juridiquement protégé. Une atteinte à ce droit absolu constitue un acte illicite susceptible d’entraîner des conséquences civiles et pénales (corboz, Les infractions en droit suisse, 2002, volume I, n. 1 ad art. 173 CP).

A teneur de l’art. 28 al. 1 CC, le lésé peut agir contre toute personne qui participe à l’atteinte, telle notamment l’auteur ou toute autre personne qui prend part à la diffusion du propos attentatoire à l’honneur, et la victime dispose ainsi d’un cumul d’actions, les responsables étant tenus solidairement de réparer le préjudice selon l’art. 50 al. 1 CO (cf. ATF 131 II 26 consid. 12.1 p. 29).

En application de l’art. 28a al. 3 CO, les actions en dommages et intérêts et en réparation du tort moral sont régies respectivement par les art. 41 al. 1 et 49 CO ou par une autre disposition du Code des obligations selon la responsabilité encourue, telle, par exemple, l’art. 55 CO, et les conditions de ces normes légales doivent être réalisées (ATF 131 III 26 consid. 12.1 p. 29).

Chacun est donc tenu de réparer le dommage qu’il cause à autrui d’une manière illicite, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence (art. 41 al. 1 CO). En outre, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut demander, pour autant que la gravité de l’atteinte le permette et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement, une réparation du tort moral en vertu de l’art. 49 al. 1 CO, celle-ci supposant également l’existence d’une faute (ATF 126 III 161 = JdT 2000 I 292 consid. 5b/aa p. 298; ATF 131 III 26 consid. 12.1 p. 29).

4.2 La responsabilité délictuelle instituée par l’art. 41 al. 1 CO requiert que soient réalisées cumulativement quatre conditions, soit un acte illicite, une faute de l’auteur, un dommage et un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’acte fautif et le dommage (ATF 132 III 122 consid. 4.1 p. 130).

Le dommage réparable comprend les conséquences économiques d’un acte dommageable pour le lésé, la diminution involontaire du patrimoine ou le gain manqué, alors que l’atteinte à des biens juridiques personnels idéaux ne constitue pas en soi un dommage patrimonial. Le dommage au sens juridique du terme est la différence entre le patrimoine actuel, mesuré après l’événement dommageable, et son état hypothétique sans l’événement dommageable, respectivement entre les revenus effectivement perçus après l’événement dommageable et ceux qui l’auraient été sans cet événement (ATF 127 III 403 = SJ 2001 I 605 consid. 4a p. 606 et les références citées; ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 564 consid. 6.2 p. 575/576).

Le préjudice peut consister dans une diminution de l’actif, dans une augmentation du passif, dans une non-augmentation de l’actif ou dans une non-diminution du passif (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471) ou dans le gain manqué (ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366).

Du point de vue du lien de causalité, un fait est la causalité naturelle d’un résultat s’il en constitue l’une des conditions sine qua non. En d’autres termes, il existe un lien de causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit; il n’est pas nécessaire que l’événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 470).

Constitue la cause adéquate d’un dommage tout fait qui, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, est propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, en ce sens que la survenance de ce résultat paraît de façon générale favorisé par l’événement considéré (ATF 123 III 110 = JdT 1997 I 791 consid. 3a p. 793/794).

A teneur de l’art. 42 al. 1 CO, la preuve du dommage incombe à la partie demanderesse.

4.3 Pour qu’une indemnité pour tort moral soit due, il faut donc que la victime ait subi un tort moral, que celui-ci soit en relation de causalité adéquate avec l’atteinte, que celle-ci soit illicite et qu’elle soit imputable à son auteur, que la gravité du tort moral le justifie et que l’auteur n’ait pas donné satisfaction à la victime autrement (ATF 132 III 26 consid. 12.1 p. 29).

Dans cette perspective, l’ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par la victime et de la possibilité d’adoucir sensiblement, par le versement d’une somme d’argent, la douleur morale qui en résulte (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 p. 36).

Il n’est pas nécessaire que la faute de l’auteur responsable soit particulièrement grave (ATF 131 III 26 consid. 12.1 p. 29).

5. 5.1.1 Sur le vu du verdict de culpabilité résultant du jugement attaqué, il appert que G______ et M______ ont commis un acte illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO pour avoir diffamé sur le plan professionnel W______ et porté atteinte à sa personnalité.

L’infraction réprimée par l’art. 173 aCP étant constitutive d’un délit intentionnel, le dol éventuel étant suffisant (corboz, op. cit., n. 48 à 50 ad art. 173 CP), force est de constater que les intimés ont dès lors agi avec conscience et volonté, commettant ainsi une faute intentionnelle sur le plan civil.

Sur la base de la jurisprudence précitée (ATF 131 III 26 consid. 12.1 p. 29), G______ et M______ sont donc solidairement responsables du dommage en vertu d’une solidarité parfaite selon l’art. 50 al. 1 CO, le premier ayant proféré le propos attentatoire à l’honneur destiné au second et celui-ci l’ayant diffusé à l’autorité dont dépendait l’appelant en sa qualité d’agent public.

Les intimés sont exclusivement responsables de cet état de choses et il n’y a matière ni à une faute concomitante de la victime ni à la faute d’un tiers.

5.1.2 Il en découle que, sous réserve de l’étendue et de la quotité du dommage, ainsi que du lien de causalité adéquate par rapport à l’ampleur de l’indemnité réclamée à hauteur de 30'000 fr., W______ a droit à une indemnisation fondée sur l’art. 41 al. 1 CO et pouvant consister, le cas échéant, dans une perte de gain consécutive à l’atteinte subie et due à une incapacité de travail, dans ses frais de défense ou dans le découvert qu’il a dû assumer du point de vue de ses frais médicaux.

5.2 Par rapport au tort moral, il est manifeste que l’appelant a subi une grave atteinte à sa personnalité par le fait qu’il a été accusé par les intimés d’être un agent public corrompu, qu’il en a été suspecté par sa hiérarchie, qu’il a fait l’objet d’une enquête au sein du département qui l’employait, qu’il a été en proie aux sarcasmes de ses collègues de travail et qu’il en est résulté un état dépressif qui a abouti à des incapacités de travail et qui, d’après un collègue, l’a même détruit sur le plan professionnel.

Sur ce plan, la Cour retient les explications données par W______ et non démenties par G______ et M______ qui n’ont pas cru bon de comparaître au stade de l’appel, les dires du lésé étant par ailleurs logiques et de ce fait crédibles.

A cet égard, une indemnité pour tort moral est de nature à diminuer de manière sensible les souffrances de l’intéressé par la reconnaissance judiciaire de leur bien-fondé et de leur caractère totalement injustifié.

Ainsi, l’appelant est en droit de prétendre à l’octroi d’une indemnité pour tort moral dont le montant en rapport de causalité adéquate avec l’atteinte reste à fixer.

5.3 Il faut dès lors déterminer ce qu’il en est du point de vue de la réparation proprement dite du préjudice matériel, du tort moral et de la causalité adéquate entre le comportement délictueux des intimés et le dommage.

6. Par rapport à la demande qu’il a formulée à concurrence de 100'000 fr., l’appelant n’a pas déposé de conclusions écrites. Il est vrai que, s’il n’y est pas tenu, il n’en demeure pas moins que le recours à la forme écrite est souhaitable à des fins de preuve (SJ 2006 I 553 consid. 2.2 p. 555/556) et pour permettre à l’autorité pénale d’être en possession d’allégués précis formulés à l’appui des prétentions civiles.

Dans le cas particulier, W______ s’est contenté de déposer devant les premiers juges, sans présenter de décomptes, un chargé de pièces attestant l’existence de frais médicaux sous forme de relevés de sa caisse-maladie indiquant notamment la participation à sa charge et le fait qu’il a été en incapacité de travail, ce qui pourrait laisser penser qu’il a peut-être subi, indépendamment du tort moral, une perte de gain à la suite des conséquences médicales faisant suite aux agissements des intimés et qu’il a encouru des frais médicaux qui ne lui ont pas été remboursés intégralement par sa caisse-maladie.

Pour le surplus, il s’est borné à alléguer que la diffamation dont il avait été victime avait engendré à son détriment un état dépressif sévère, qu’il en était résulté une enquête administrative dirigée contre lui, ce qui lui avait fait perdre deux cents heures, et qu’il avait dû subir les quolibets de ses collègues de travail.

Par rapport aux 30'000 fr. réclamés à titre de dommage matériel et aux 70'000 fr. concernant le tort moral subi, force est de constater que ces éléments sont insuffisants pour qu’il soit possible d’entrer en matière sur l’étendue et la quotité de la réparation, ce d’autant qu’il se pose la question du lien de causalité adéquate entre l’atteinte à la personnalité et l’ampleur du dommage invoqué pour des faits qui ne sont pas en soi d’une gravité rendant d’emblée vraisemblable un tel préjudice.

Ainsi, il faut considérer que le juge pénal n’est pas en mesure de statuer et que W______ doit être renvoyé à procéder devant la juridiction civile compétente, une instruction en bonne et due forme des faits de la cause étant nécessaire du point de vue du montant des indemnités à allouer.

7. En conséquence, l’appel est partiellement admis dans le sens qui précède.

Les intimés, qui succombent sur le plan des principes, prendront solidairement à leur charge les dépens de la partie civile pour les deux instances et les frais d’appel. En effet, une condamnation solidaire est justifiée sur le plan pénal en présence d’une situation identique sur le plan du droit des obligations.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

A la forme :

Reçoit l'appel interjeté par W______ contre le jugement JTP/563/2007 (Chambre 2) rendu le 5 février 2007 par le Tribunal de police dans la cause P/12241/2004.

Au fond :

Annule ce jugement en ce qui concerne la réserve des droits de la partie civile.

Et statuant à nouveau sur ce point :

Constate que G______ et M______ encourent une responsabilité civile solidaire selon l’art. 50 al. 1 CO et exclusive, donnant lieu à application des art. 28 al. 1 CC, 41 al. 1 et 49 CO pour atteinte à la personnalité du lésé, qu’il n’y a pas matière à une faute concomitante de la victime ou à une faute imputable à un tiers et que les prétentions en dommages et intérêts formulées par W______ sont fondées du point de vue du principe de la réparation de son préjudice matériel et de l’octroi d’une indemnité pour tort moral.

Renvoie, dans le sens des considérants, W______ à agir devant la juridiction civile compétente en vue de la fixation des indemnités qui lui reviennent.

Confirme le jugement attaqué pour le surplus.

Condamne solidairement G______ et M______ aux frais de la procédure d'appel, qui comprennent un émolument de 800 fr.

Condamne solidairement G______ et M______ aux dépens de première instance et d’appel de la partie civile, lesdits dépens englobant une participation aux honoraires d’avocat globale de 2'000 fr.

Siégeant :

Monsieur Pierre MARQUIS, président; Madame Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, juge; Monsieur Jean-Pierre PAGAN, juge suppléant; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le président :

Pierre MARQUIS

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.