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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/27924/1996

ACJC/902/1998 du 07.09.1998 sur JTBL/1295/1997 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 20.10.1998, rendu le 18.03.1999, DROIT PUBLIC
Descripteurs : --

COUR DE JUSTICE

Case postale 3108

1211 Genève 3

Chambre d'appel en matière de

Réf. C/27924/96 Baux et Loyers

Entre

ACJC/--

 

SI A______, p.a. [régie] B______, ______ à Genève, élisant domicile en l'étude de Me E______, avocate, ______, Genève, partie appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 18 septembre 1997,

 

d'une part,

 

et

 

 

Monsieur C______, ______, Vaud, élisant domicile en l'étude de Me Alain KOSTENBAUM, avocat, rue de la Tour de l'Ile 1, 1204 Genève, partie intimée,

 

d'autre part,

 




- E N F A I T -

 

1. Un bail à loyer portant sur un studio, sis au n° 1______ de la route 2______, a été conclu entre D______ et SI A______, pour un loyer mensuel de 870 fr., charges comprises.

 

Le contrat a débuté le 1er juin 1993, et son échéance était fixée au 31 mai 1994.

Le bail était tacitement reconductible d'année en année, en application des Conditions générales et règles et usages locatifs appliqués dans le canton de Genève.

 

2. Sur un feuillet séparé, signé par les parties et intitulé "clauses particulières", la locataire s'est engagée à fournir un certificat de dépôt de 2'400 fr., à titre de garantie de trois mois de loyer.

 

3. L'art. 10 des "clauses particulières" stipule : "intervient au présent bail en tant que porté fort de toutes les conditions du présent bail ainsi que de sa bonne exécution et paiement régulier du loyer et des charges Monsieur C______".

Ce dernier a apposé sa signature sous cette clause.

 

Il est précisé sur le même document que "les parties déclarent connaître et accepter les conditions générales et règles et usages locatifs appliqués dans le canton de Genève qui font partie intégrante du présent bail (Édition 1991)".

 

4. Le 10 juillet 1995, SI A______ a mis D______ en demeure avec menaces de résiliation du bail, suite au défaut de paiement des loyers pour les mois de juin et juillet 1995. Par avis recommandé du 21 août 1995, SI A______ a résilié le bail au 30 septembre 1995.

 

5. Le 22 janvier 1996, le Tribunal des baux et loyer a prononcé l'évacuation de D______. Celle-ci a quitté le studio à la fin du mois d'avril 1996, laissant impayés des arriérés de loyer de 7'850 fr.

 

6. Par courrier du 21 mai 1996, SI A______, agissant par l'intermédiaire de son conseil, a réclamé à C______ la somme de 7'850 fr., ainsi qu'un montant de 2'512 fr. à titre de réparation du dommage correspondant aux frais d'avocats occasionnés par les procédures en évacuation et en poursuite de D______.

 

7. C______ ne s'étant pas exécuté, SI A______ lui a fait notifier un commandement de payer à concurrence de 10'362 fr. plus intérêts à 5% du 1er juin 1996, auquel C______ a fait opposition.

 

8. Le 30 septembre 1996, SI A______ a introduit une demande en paiement et en mainlevée d'opposition par devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.

 

9. Non conciliée, la cause a été introduite devant le Tribunal des baux et loyers le 9 janvier 1997.

 

10. C______ s'est opposé à la demande, soutenant que son engagement était en réalité un cautionnement, nul pour n'avoir pas été établi dans la forme authentique.

 

11. Par jugement du 18 septembre 1997, le Tribunal des baux et loyers a débouté SI A______ de toutes ses conclusions, estimant que la Loi genevoise protégeant les garanties fournies par les locataires du 18 avril 1975 excluait un porte-fort en matière de garantie liée à l'exécution d'un contrat de bail.

 

12. Par acte déposé au greffe de la Cour de Justice, le 23 octobre 1997, SI A______ fait appel de ce jugement.

 

13. C______ conclut à la confirmation du jugement entrepris.

 

14. L'argumentation des parties sera reprise dans la partie en droit en tant que besoin.

 

- E N D R O I T -

 

 

Recevabilité :

 

1. Interjeté dans les forme et délai prévus par le loi, l'appel est recevable à la forme.

 

Compte tenu de la matière et du montant litigieux, le jugement entrepris a été rendu en premier ressort (art. 56 D LOJ). La Cour dispose donc d'un pouvoir de cognition complet.

 

2. Selon l'art. 56 A LOJ, le Tribunal des baux et loyers est compétent pour statuer sur tout litige relatif au contrat de bail à loyer portant sur une chose immobilière. Cette disposition a toujours été interprétée en ce sens, que seuls les litiges opposant bailleurs et preneurs et découlant du contrat de bail étaient du ressort du Tribunal des baux et loyers, à l'exclusion de tous autres (SJ 1983 p. 94; SJ 1979 p. 568).

 

Ce Tribunal connaît également des litiges relevant de la Loi genevoise du 18 avril 1975 protégeant les garanties fournies par le locataire (I 4 10, ci-après LGL).

 

En l'absence de toute autre précision dans la norme précitée, il a déjà été jugé, dans ce domaine particulier, que la juridiction des baux et loyers était compétente pour statuer sur les différends qui mettent en cause non seulement des bailleurs et des locataires ou fermiers, mais encore des tiers, en particulier les personnes qui ont émis des garanties en rapport avec des contrats de bail (ACE f. c/ G. N° 157 du 27.5.1991 et ACJ K c/ SI P N°1193 du 6 octobre 1997).

En l'espèce, le litige oppose un bailleur à un tiers, qui s'est porté fort des obligations du locataire et garantit ainsi la bonne exécution du contrat de bail. La compétence du Tribunal des baux et loyers doit par conséquent être admise.

 

Au fond :

 

3. En vertu de l'art. 275 e CO, si le locataire d'habitations ou de locaux commerciaux fournit des sûretés en espèces ou sous la forme de papiers-valeur, le bailleur doit les déposer auprès d'une banque, sur un compte d'épargne ou de dépôt au nom du locataire. Lorsqu'il s'agit de baux d'habitations, le bailleur ne peut exiger des sûretés dont le montant dépasse trois mois de loyer.

 

L'alinéa 4 de cette disposition prévoit la faculté pour les cantons d'édicter des dispositions complémentaires, ce qu'a fait Genève en adoptant la loi du 18 avril 1975, protégeant les garanties fournies par les locataires.

Selon la doctrine, l'art. 257 e CO ne s'applique pas aux garanties fournies par des tiers, telles un cautionnement ou un porte-fort, qui suivent le régime légal qui leur est propre, sous réserve de dispositions cantonales contraires (Lachat/Micheli, Le nouveau droit du bail 1996, chapitre 15; Zürcher Kommentar p. 281 et 282).

 

4. L'article 1 LGL prévoit que "toute garantie en espèces ou en valeur fournie par un locataire ou par une tierce personne au profit d'un locataire, doit être constituée sous la forme d'un dépôt bloqué auprès de la caisse des consignations de l'Etat, ou dans un établissement bancaire reconnu comme office de consignation au sens de l'art. 633 al. 3 du code des obligations.

Le recours au cautionnement simple est toutefois autorisé pour les baux à usage d'habitation, à la demande du locataire. Ce dernier peut en tout temps se mettre au bénéfice de l'alinéa 1".

 

5. Par la conclusion d'un contrat de porte-fort, celui qui promet à autrui le fait d'un tiers, est tenu à des dommages et intérêts pour cause d'inexécution de la part de ce tiers (art. 111 CO).

 

Reste à déterminer si la LGL autorise la constitution d'un contrat de porte-fort qui garantirait en faveur d'un bailleur la bonne exécution d'un contrat de bail.

 

6. Selon le Tribunal Fédéral "la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre" (ATF 100 II p. 189). Toutefois si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il y a lieu de rechercher quelle est la véritable portée de la norme en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose (ATF 103 Ia p. 290). Le sens qu'elle prend dans son contexte est également important (ATF 101 Ia p. 320). Ce n'est que si l'interprétation littérale d'une norme de droit conduit à des résultats que le législateur n'a pas pu avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice ou les principes d'égalité de traitement qu'il convient de l'interpréter selon son esprit (ATF 103 Ia p. 225).

 

Dans le cas d'espèce, le texte de l'art. 1 LGL est clair et se comprend de lui-même. Interprétée selon sa lettre, la LGL exclut toutes autres formes de garanties données par le locataire et des tiers en faveur d'un bailleur, autres que les deux formes de garanties mentionnées, à savoir celles en espèces ou en valeurs fournies par le locataire lui-même ou par une tierce personne, ainsi que le recours au cautionnement simple. Elle exclut par conséquent la constitution d'un contrat de porte-fort visant à garantir l'exécution d'un contrat de bail.

7. Une interprétation téléologique de la LGL aboutit à la même solution. En effet la LGL vise en premier lieu de protéger les locataires contre des engagements excessivement favorables aux bailleurs et à fixer une limite aux exigences de ces derniers en matière de garanties (ACJ Frammolini c/ Gennari du 27 mai 1991).

L'étude des travaux préparatoires de la LGL démontre que la restriction concernant le cautionnement solidaire a été spécifiquement dictée par les abus de certains établissements bancaires qui préparaient les formulaires de cautionnement leur permettant de verser aux régies, sur simple demande de celles-ci, toute somme réclamée, jusqu'à trois mois de loyer, sans aucune vérification du bien-fondé des réclamations et sans faire valoir les éventuelles exceptions du débiteur principal. Etant donné que la caution se trouvait dès le paiement subrogé aux droits du créancier, elle débitait immédiatement le compte du locataire qui se trouvait ainsi touché de la même manière que s'il avait fourni la garantie lui-même (Mémorial du Grand Conseil 1975 p. 1282, 1977 p. 3477 ss).

 

Le cautionnement simple a par contre été admis, car la responsabilité de la caution est accessoire et subsidiaire. Ce n'est qu'en cas d'insolvabilité du locataire, soit par faillite, obtention d'un sursis concordataire ou délivrance d'un acte de défaut de biens définitif au bailleur, et en l'absence d'un gage mobilier réalisable, que la caution peut être actionnée en paiement du montant garanti. Le cautionnement simple assure au locataire la possibilité faire valoir tous ses droits contre le bailleur, avant que celui-ci ne puisse réclamer le paiement à la caution.

 

La garantie donnée à un bailleur à travers un porte-fort constitué par un tiers est extrêmement large puisque le porte-fort répond des dommages et intérêts en cas d'inexécution des obligations du locataire, quelles qu'elles soient.

 

Le porte-fort n'a aucun droit de recours contre le tiers dont il promet la prestation. Cependant, rien ne l'empêche de prévoir, par un contrat conclu avec le locataire, que celui-ci lui sera redevable de toutes sommes qu'il paierait en faveur du bailleur, sur base de l'accord de porte-fort, ou encore d'exiger des garanties de la part du locataire. Un tel accord apparaît comme le pendant logique d'un engagement de porte-fort exclusivement conclu dans l'intérêt d'un locataire. Contrairement à la caution, le porte-fort n'a, de par la loi, pas la possibilité de faire valoir les exceptions du locataire à l'encontre du bailleur (Kommentar zum schweizerischen Privatrecht I, Christophe M. Pestalozzi, ad art. 111 CO, n° 14, Bâle 1996).

 

Le porte-fort pourrait ainsi être amené à verser une somme d'argent au bailleur sur la base de son engagement, alors même que le locataire pouvait exciper d'un droit ou d'une exception personnelle le libérant dudit paiement. En vertu de l'accord contractuel passé avec le locataire, le porte-fort serait ensuite fondé à obtenir le remboursement de ce montant. Le locataire se trouverait débiteur économique d'un montant en faveur de son bailleur, sans avoir pu faire valoir ses droits, de la même manière que dans l'hypothèse du cautionnement solidaire exclu par la LGL. Or, c'est précisément ce genre de situation que le législateur cantonal a voulu éviter en édictant cette loi.

 

Par conséquent, il faut admettre, avec le premier juge, que la LGL énumère de manière exhaustive les formes de garantie admissibles et qu'elle exclut le porte-fort en matière de garantie liée à l'exécution d'un contrat de bail.

 

8. L'appelant fait également valoir qu'il entendait en réalité conclure un contrat de cautionnement en lieu et place d'un engagement de porte-fort. Ce contrat de cautionnement serait nul pour n'avoir pas été conclu dans la forme impérativement prévue par l'art. 493 CO.

 

En l'espèce, point n'est besoin de trancher la question de la qualification juridique de l'engagement souscrit par C______. La Cour se limitera à relever que si l'engagement pris par l'appelant devait être qualifié de cautionnement, il serait effectivement nul pour vice de forme. En effet, le cautionnement qui ne saurait dépasser trois mois de loyer, représente un montant de 2'400 fr., et à été conclu par une personne physique. Il aurait par conséquent dû être conclu dans la forme authentique en application de l'art. 493 al. 2 CO.

 

9. Qu'il soit qualifié de porte-fort ou de cautionnement, l'engagement souscrit par C______ est nul. Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé.

 

 

P A R C E S M O T I F S

 

L A C O U R

 

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par la SI A______ contre le jugement JTBL/1295/1997 rendu le 18 septembre 1997 par la Tribunal des baux et loyers dans la cause C/27924/1996-1-D.

Au fond:

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Condamne la SI A______ a verser à l'Etat de Genève un émolument de 300 fr.

 

Siégeant :

M. Stéphane Geiger, président; M. Pierre-Yves Demeule, M. Pierre Heyer, juges; M. Pierre Sidler, Mme Yasmine Djabri, juges assesseurs; Mme Julia Fuentes, greffière.