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Décisions | Chambre civile

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C/6847/2017

ACJC/731/2017 du 15.06.2017 ( IUS ) , REJETE

Normes : LPM.59; CPC.261; LCD.1; LDes.38;
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6847/2017 ACJC/731/2017

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du JEUDI 15 JUIN 2017

 

Entre

A______ Sàrl, sise ______(GE), requérante, comparant par Me Alain Tripod, avocat, 15, rue Général-Dufour, case postale 5556, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______ (VS), citée, comparant par Me Guillaume Grand, avocat, 33, avenue Ritz, case postale 2135, 1950 Sion 2 (VS), en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : la requérante), ayant son siège à ______, a pour but l'achat, la vente et la commercialisation de produits dans le domaine de la mode, notamment d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires, ainsi que tous types de bijoux.

b. La requérante est titulaire de la marque "C______", enregistrée sous la référence ______ de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) depuis le ______ 2009, en lien, entre autres, avec la joaillerie, la bijouterie et les pierres précieuses.

Les produits de la marque "C______" sont diffusés en Suisse et à l'étranger, notamment dans des boutiques à Genève, en France, en Belgique, au Liban et aux Etats-Unis, ainsi que sur Internet, et font l’objet de publicité dans des journaux de mode depuis plusieurs années.

Dans la boutique genevoise, les bijoux sont exposés sur des présentoirs en bois clair en forme de bustes pour les colliers et en forme de cônes ou de "T" pour les bracelets.

Les bijoux de la marque précitée sont vendus entre 110 fr. et 170 fr. pour les bracelets de perles avec pendentifs et entre 300 fr. et 475 fr. pour les sautoirs de perles avec pendentif.

c. Il résulte du site Internet de "C______" que D______, qui a créé la marque en question en 2006, est très vite devenue la référence des "bijoux ______" avec ses charms de protection et d’amour universels et multiculturels. En 2011, elle a sorti sa première ligne de petite joaillerie à la suite d’une demande de clientes, déclinant ainsi ses symboles best sellers tels que le S______, le crâne ou le triangle, en or gris ou rose, avec des diamants noirs ou blancs.

d. Le ______ 2011, la requérante a enregistré 44 designs auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), sous la forme de 14 bagues avec pendentif, 6 boucles d'oreilles, 4 bracelets, 5 bracelets manchettes et 11 pendentifs (ces bijoux comportant les motifs suivants: crâne, papillon, trèfle, Om lotus, camélia, tigre, cerf, main, flocon, ancre, étrier, serpent, arbre, S______ et cheval) et 4 sautoirs, ledit enregistrement désignant la Suisse comme territoire de protection.

Les designs enregistrés présentent notamment les formes suivantes :

[Image de pendentif représentant une tête de mort], [papillon], [trèfle à quatre feuilles avec feuilles vides], [trèfle à quatre feuilles avec feuilles pleines], [tigre], [camélia], [arbre], [om lotus].

Le modèle n° 14 de l'enregistrement susmentionné consiste en une bague pleine avec un pendentif représentant un trèfle à quatre feuilles tel que figurant sur la 4ème image ci-dessus.

e. Le ______ 2012, la requérante a également déposé en tant que marque auprès de l'IPI et de l'OMPI son symbole intitulé "S______", reproduit ci-après, dont elle allègue qu'il s'est élevé, au fil des années, au rang de signe distinctif de la marque "C______".

[symbole S______]

Ce symbole figure sur divers bijoux, accessoires et articles de maison, ainsi que sur le site Internet de la marque, juste au-dessous du nom.

f. B______ (ci-après : la citée) est créatrice de bijoux, qu'elle commercialise sous la dénomination "E______".

Elle vend ses produits sur son site Internet www.e______.ch, ainsi que dans un showroom situé à ______ (VS). Elle les expose par ailleurs sur divers réseaux sociaux, tels que Facebook et Instagram, soit sur des présentoirs en bois clair similaires à ceux de "C______", soit sur une branche d'arbre, sur une tige horizontale ou sur divers tissus.

La citée vend, entre autres, des sautoirs et des bracelets de perles, en bois ou semi-précieuses, comportant notamment l'un des pendentifs suivants :

[image de pendentif représentant une tête de mort],[papillon],[trèfle à quatre feuilles avec feuilles pleines], [camélia], [tigre], [arbre], [symbole ressemblant à l'Om lotus ci-dessus], [peace], [plume], [taureau], [tête de Bouddha], [cœur taillé dans un disque rond], [cœur], [loup], [fleur], [soleil avec cœur au centre], [encre].

En moyenne, les bracelets de la citée sont vendus entre 45 fr. et 69 fr. et les sautoirs entre 89 fr. et 169 fr.

Selon le compte de pertes et profits produit, la citée aurait réalisé un chiffre d'affaires de 76'237 fr. en 2015, pour un bénéfice de 15'156 fr.

Jusqu'au mois de mars 2017, les pochons dans lesquels la citée emballait les bijoux vendus comportaient, juste sous le nom "E______", un symbole similaire au "S______" de la marque "C______".

g. La requérante allègue que les bijoux commercialisés par la citée reprennent l'ensemble des traits caractéristiques de la marque "C______" (tant dans l'ensemble des objets et accessoires que dans leur présentation physique et conceptuelle), fait qu'elle aurait découvert courant février 2017.

En particulier, les bijoux créés par la citée comporteraient des formes et des symboles similaires à "C______" – soit : "S______", trèfle, cœur, peace, flocon, boule, tête de mort (2D et 3D), tête de Bouddha rieur (2D et 3D), papillon, Om lotus, arbre de vie, camélia, lion, loup, indien ajouré et croix –, tant du point de vue de la forme, de la taille, du remplissage et de l'emplacement de l'inscription de la marque. La citée aurait également copié les matériaux utilisés, la disposition des perles (utilisation des mêmes couleurs, insertion de mini perles ou de perles ovales entre les perles en bois ou en pierres semi-précieuses) ainsi que la longueur des sautoirs. Pour le surplus, la citée imiterait l'ambiance "boho chic" et "gypset" qui aurait été créée par la marque "C______", en exposant les bijoux sur des présentoirs en bois identiques à ceux qui sont utilisés par ladite marque (bustes en bois clair pour les sautoirs, cônes en bois et présentoirs en forme de "T" pour les bracelets). Enfin, la description de B______ figurant sur le site Internet de "E______" serait hautement inspirée de la présentation de D______ sur le site de "C______".

h. Par courrier du 13 février 2017, la requérante a enjoint la citée de cesser immédiatement la fabrication et la diffusion de bijoux constituant des copies de modèles protégés par la marque "C______".

i. Par pli du 14 février 2017, la citée s'est engagée à retirer du site Internet www.e______.ch, avec effet immédiat, les bijoux comportant le symbole "S______" et à ne plus exposer et offrir à la vente des modèles ou supports comportant ledit symbole. Elle a ajouté qu'elle avait recréé un nouveau symbole "S______" (reproduit ci-dessous) avec cinq différences par rapport à celui de la marque "C______".

[symbole S______ modifié]

j. Par lettre du 20 février 2017, la requérante a persisté dans les termes de son précédent courrier, précisant que le retrait du symbole "S______" était insuffisant. Un ultime délai au 24 février 2017 a donc été imparti à la citée pour se conformer à son injonction, ce que cette dernière a refusé.

k. A une date indéterminée, la citée a retiré de son site Internet la bague pleine avec un pendentif en forme de trèfle, qui ressemblait au modèle n° 14 enregistré par la requérante auprès de l'OMPI. La citée avait mis ce bijou en vente au prix de 69 fr., en précisant qu'il s'agissait d'une pièce unique.

B. a. Par requête de mesures provisionnelles déposée le 28 mars 2017 devant la Cour de justice, A______ conclut, avec suite de frais et dépens, à ce que, sous la menace de la peine d'amende prévue à l'art. 292 CP, il soit fait interdiction à B______, de faire usage, de quelque manière que ce soit, notamment par la fabrication, l'entreposage, l'offre, la mise en circulation, la commercialisation, l'importation et l'exportation, du symbole "S______" – faisant l'objet de l'enregistrement n° ______ auprès de l'IPI et l'OMPI (chiffre 2 des conclusions) – et de la bague pleine avec un pendentif représentant un trèfle – soit le modèle n° 14 de l'enregistrement n° DM/______ auprès de l'OMPI – (ch. 3), qu'il soit ordonné à la précitée de cesser, directement ou par l'enseigne "E______", d'entretenir la confusion avec les créations et l'atmosphère de la marque "C______", respectivement d'exploiter de manière parasitaire la renommée de celle-ci, cela notamment en cessant de faire usage cumulativement de plusieurs éléments distinctifs suivants, propres à ladite marque (ch. 4) :

- symboles XXL, ajourés ou pleins, couleur or, or rose ou argent, représentant les symboles "S______", trèfle, cœur, peace, flocon, boule, tête de mort, tête de Bouddha, papillon, Om lotus, arbre de vie, camélia, lion, loup, indien ou croix;

- sautoirs en perles, bracelets en perles et/ou bagues pleines avec pendentif;

- assemblages spécifiques des perles, copiant systématiquement, avec des matériaux identiques, les insertions des modèles de la marque "C______";

- inscription gravée de la marque sur la bordure du symbole;

- présentoirs en bois clair en forme de cône, de buste ou de "T";

- descriptif sur le site Internet www.e______.ch reprenant les termes de celui figurant sur le site www.c______.com.

b. Dans sa détermination expédiée le 24 avril 2017, B______ conclut, sous suite de frais et dépens, à ce que les chiffres 2 et 3 des conclusions de la requête soient déclarés irrecevables, subsidiairement soient rejetés, car devenus sans objet. Elle conclut également à l'irrecevabilité du chiffre 4 desdites conclusions, subsidiairement à son rejet.

c. Par réplique du 15 mai 2017 et duplique du 29 mai 2017, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1.              1.1 Aux termes de l'art. 5 al. 1 CPC, la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 1 let. a LOJ) connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle (let. a) ou relevant de la loi contre la concurrence déloyale lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (let. d). Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

En l'occurrence, la requérante fonde ses conclusions sur la loi sur les marques (LPM), la loi sur les designs (LDes) et la loi contre la concurrence déloyale (LCD). Il n'y a pas lieu de trancher la question de savoir si la valeur litigieuse de 30'000 fr. est atteinte en matière de concurrence déloyale, puisque l'économie de procédure commande, en raison du cumul objectif d'actions présentant un lien étroit ("in einem engen sachlichen Zusammenhang"), d'admettre une compétence matérielle unique (Berger, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozess-ordnung, Band I, Berne 2012, n° 32 ad art. 5 CPC).

La compétence ratione materiae de la Cour est ainsi donnée.

1.2 En matière provisionnelle, est impérativement compétent le tribunal compétent pour statuer sur l'action principale ou le tribunal du lieu où la mesure doit être exécutée (art. 13 CPC).

Le tribunal du domicile ou du siège du lésé ou du défendeur ou le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat de celui-ci est compétent pour statuer sur les actions fondées sur un acte illicite (art. 36 CPC). La notion d'acte illicite doit être interprétée de manière large, ce qui signifie que le for de l'art. 36 CPC est notamment ouvert en ce qui concerne les actions fondées sur la LPM ou la LCD (Haldy, Code de procédure civile commenté, 2011, n. 2 ad art. 36 CPC).

Au regard de ce qui précède et du fait que la requérante a son siège à Genève, la compétence ratione loci de la Cour est également acquise.

1.3 Les conclusions de la requête doivent être précises, c'est-à-dire désigner avec exactitude les comportements que l'on veut interdire au défendeur (Schlosser, La mise en œuvre de la protection en droit des marques: aperçu à la lumière de la jurisprudence récente, in SJ 2004 II p. 4).

En l'occurrence, malgré ce que soutient la citée, les conclusions de la requérante sont recevables, puisqu'elles sont suffisamment précises, étant relevé qu'il n'était pas nécessaire de conclure à ce que l'illicéité du comportement reproché à la première nommée soit constatée.

2. De manière générale, le tribunal ordonne toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment en prononçant une interdiction ou en ordonnant la cessation d'un état de fait illicite (art. 262 let. a et b CPC). S'agissant de la protection des marques et des designs, des mesures provisionnelles peuvent être ordonnées notamment pour assurer à titre provisoire la prévention ou la cessation du trouble (art. 59 let. d LPM et 38 let. d LDes).

Pour obtenir des mesures provisionnelles, le requérant doit rendre vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

En principe, ce n'est qu'en présence d'un engagement écrit sans réserve et dénué d'équivoque que l'on admettra qu'il n'y a pas de risque de réitération (Schlosser, op. cit., in SJ 2004 II p. 4).

Les mesures provisionnelles sont prises, dans le cadre de la procédure sommaire, selon la vraisemblance des faits, afin de protéger les droits d'une ou des parties ou de régler la situation entre elles jusqu'à décision définitive; elles supposent en particulier, l'existence du droit qu'elles préfigurent (SJ 2001 I 4 consid. 3).

En matière de mesures provisionnelles, il faut seulement se demander, sur la base d'un examen sommaire de la question fondé sur la vraisemblance, si les prétentions de la partie requérante n'apparaissent pas vouées à l'échec (ATF 108 II 69, JdT 1982 I 528 consid. 2a). Le requérant doit ainsi rendre vraisemblable l'existence du droit qu'il invoque, le risque d'une atteinte illicite, imminente ou actuelle à ce droit et la menace d'un préjudice difficilement réparable. Sur ce dernier point, la menace du préjudice doit être immédiate (Barbey, Mesures provisionnelles devant la Cour de justice dans le droit de la propriété intellectuelle, de la concurrence déloyale et des cartels in SJ 2005 II 335, p. 342; Schlosser, Les conditions d'octroi des mesures provisionnelles en matière de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale in sic ! 2005 p. 339 ss, not. p. 342). La vraisemblance se situe entre la certitude fondée sur des preuves et la simple allégation; elle est réalisée lorsque qu'un fait peut être admis comme vrai sur la base de simples indices, alors même que le tribunal n'exclut pas la possibilité que ce fait pourrait ne pas s'être réalisé (ATF 130 III 321 = SJ 2005 I 514 consid. 3.3). Le critère de la vraisemblance, valable pour les deux parties, concerne tant les faits que le droit (ATF 120 II 393, JdT 1995 I 571 consid. 4c p. 574 et 575).

Enfin, les mesures provisionnelles doivent être soumises au principe de la proportionnalité, en ce sens que le caractère de la mesure doit être adéquat - c'est-à-dire propre à atteindre le but recherché - et nécessaire - elle doit consister parmi les mesures possibles, en la moins incisive -, étant rappelé que si une mesure provisionnelle est justifiée, elle doit être ordonnée, quelle que soit la gravité des conséquences pour la citée (Barbey, op. cit., p. 342; Troller, Précis de droit suisse des biens immatériels, 2001, p. 403).

3. 3.1 Le droit à la marque confère au titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d'en disposer. Le titulaire peut interdire à des tiers l'usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l'art. 3 al. 1 LPM. Il peut en particulier interdire à des tiers d'apposer le signe concerné sur des produits ou des emballages, de l'utiliser pour offrir des produits, les mettre dans le commerce ou les détenir à cette fin, de l'utiliser pour offrir ou fournir des services et de l'apposer sur des papiers d'affaires, de l'utiliser à des fins publicitaires ou d'en faire usage de quelqu'autre manière dans les affaires (art. 13 al. 1 et al. 2 let. a, b, c et e LPM).

3.2 La loi protège en tant que designs la création de produits ou de parties de produits caractérisés notamment par la disposition de lignes, de surfaces, de contours ou de couleurs, ou par le matériau utilisé (art. 1 LDes). Un design peut être protégé à condition d'être nouveau et original (art. 2 al. 1 LDes).

Un design n'est pas nouveau si un design identique, qui pouvait être connu des milieux spécialisés du secteur concerné en Suisse, a été divulgué au public avant la date de dépôt ou de priorité (art. 2 al. 2 LDes). Cependant, la divulgation n'est pas opposable à l'ayant droit si elle est le fait de celui-ci et qu'elle s'est produite dans les douze mois précédents (art. 3 let. b LDes). La nouveauté d'un design n'est exclue que par l'existence de designs antérieurs identiques. Pour juger de la nouveauté, les facultés d'appréciation du public cible, soit celles des personnes potentiellement intéressées à une acquisition, sont déterminantes (arrêt du Tribunal fédéral 4A_288/2007 du 4 février 2008 consid. 5.1).

Un design n'est pas original si, par l'impression générale qu'il dégage, il ne se distingue pas, sinon par des caractéristiques mineures, d'un design qui pouvait être connu des milieux spécialisés du secteur concerné en Suisse (art. 2 al. 3 LDes).

L'art. 8 LDes prévoit que la protection d'un design enregistré s'étend aux designs qui présentent les mêmes caractéristiques essentielles et qui, de ce fait, produisent la même impression générale. Les critères de cette disposition sont aussi valables pour apprécier le caractère d'originalité exigé par l'art. 2 al. 3 LDes. L'impression générale ne résulte pas des détails du design à examiner mais de ses caractéristiques essentielles. L'originalité est ainsi niée même si un nombre significatif de détails diffèrent par rapport à un design antérieur, quand les designs comparés produisent une impression générale de similitude (arrêt du Tribunal fédéral 4A_288/2007 du 4 février 2008 consid. 6.1).

Le droit sur un design confère à son titulaire le droit d'interdire à des tiers d'utiliser le design à des fins industrielles. Par utilisation, on entend notamment la fabrication, l'entreposage, l'offre, la mise en circulation, l'importation, l'exportation, le transit ainsi que la possession à ces fins (art. 9 al. 1 LDes).

3.3 Est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients (art. 2 LCD).

Agit de façon déloyale celui qui, notamment, prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d'autrui (art. 3 al. 1 let. d LCD).

Une interdiction générale d’imiter les produits d’autrui ne peut se déduire de ces dispositions. L’imitation est bien plutôt permise en principe, dans la mesure où elle n’est pas prohibée au titre du droit des brevets, des dessins et modèles (designs) ou du droit d’auteur. En soi, l’utilisation de l’idée technique ou esthétique d’autrui ne suffit donc pas pour qu’il y ait violation des règles relatives à la concurrence. Pour que l’on soit en présence d’une telle violation, il faut bien plutôt que le concurrent utilise une prestation d’autrui d’une manière qui ne soit pas conciliable avec les règles de la bonne foi et que d’autres circonstances fassent apparaître le comportement de l’imitateur comme étant déloyal (ATF 116 II 471, JdT 1991 p. 596).

Un comportement est jugé systématique et déloyal lorsqu’un concurrent cherche à imiter un grand nombre de modèles ou une ligne entière de produits ou qu’il imite une quantité de détails, faisant naître un risque de confusion lorsqu’on les considère dans leur ensemble, à moins que l’imitateur ne prenne simultanément des mesures pour éviter ce risque de confusion. Selon la jurisprudence, l’apposition d’une marque sur le produit constitue le plus souvent une indication claire permettant d’éviter tout risque de confusion quant à la provenance des produits. Ce raisonnement s’applique avec d’autant plus de rigueur en présence de produits de l’horlogerie et de la bijouterie auxquels l’acquéreur intéressé porte une attention en général élevée. Partant, appliquée dans toute sa rigueur, la loi contre la concurrence déloyale n’est d’aucune aide pour lutter contre l’imitation de la forme d’un produit lorsqu’une marque distinctive est apposée sur le produit d’imitation (Siffert,La pratique du droit du design dans l’horlogerie et la bijouterie, in Le droit du design, 2015, p. 157 s., à titre de comparaison, cf. notamment ATF 116 II 365 concernant l'imitation de la présentation de produits cosmétiques).

On entend par concurrence parasitaire l’acte ou les actes d’un commerçant ou d’un industriel qui tire ou s’efforce de tirer profit des réalisations personnelles d’autrui et du renom acquis légitimement par un tiers, même s’il n’a pas toujours l’intention de nuire à ce dernier. Le concept de concurrence parasitaire englobe principalement des actes visant soit le renom du concurrent ou de ses produits, soit le résultat de son travail, en d’autres termes l’imitation servile ou une reprise directe des prestations (Dutoit, Réflexions comparatives sur la concurrence parasitaire en droit de la concurrence déloyale, in JdT 1982 p. 259).

Il faut toujours tenir compte des intérêts légitimes des concurrents à pouvoir librement accéder aux techniques et aux formes du domaine public. L’imitateur ne peut en principe pas être empêché d’utiliser les techniques et les formes connues que les consommateurs jugent essentielles à la destination de la marchandise. Il doit également être en principe libre de choisir des formes semblables correspondant à la mode du moment. La frontière entre l’utilisation licite des prestations d’autrui, d’une part, et la tromperie déloyale du consommateur ou l’exploitation parasitaire d’un concurrent, d’autre part, ne peut être tracée de façon générale, mais doit être déterminée en tenant compte de toutes les circonstances du cas et en procédant à une pesée des intérêts (ATF 116 II 471, JdT 1991 p. 597 598).

3.4. En l'occurrence, la requérante fait valoir que la citée commercialise des bijoux en violant à de nombreux égards ses droits de propriété intellectuelle et qu'elle lui nuit en adoptant un comportement manifestement déloyal, en exploitant sa renommée, et en vendant ses créations à des prix bien inférieurs aux siens.

3.4.1 Elle sollicite des mesures provisionnelles fondées sur la protection de la marque, tendant à ce qu'il soit fait interdiction à la citée de faire usage de quelque manière que ce soit du symbole "S______", qu'elle a enregistré en tant que marque auprès de l'IPI.

La citée s'est engagée, déjà avant le dépôt de la requête de mesures provisionnelles, à cesser de commercialiser des bijoux comportant ce symbole et à ne plus l'apposer sur d'autres supports (tels que les pochons utilisés pour emballer les bijoux). Ledit symbole n'apparaît d'ailleurs plus sur le site Internet de la citée. Cette dernière a en outre créé un nouveau symbole, très différent, destiné à remplacer celui qu'elle a retiré des ventes. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le risque que la citée recommence à utiliser le symbole "S______" enregistré comme marque par la requérante ne paraît dès lors pas vraisemblable.

En conséquence, la condition d'un danger imminent menaçant les droits de la requérante n'est pas rendu vraisemblable en ce qui concerne l'usage du symbole "S______", de sorte qu'il ne sera pas fait droit au chef de conclusion n° 2 de la requête.

3.4.2 La requérante demande par ailleurs d'interdire à la citée de faire usage de quelque manière que ce soit de la bague pleine avec le pendentif en forme de trèfle (modèle n° 14 de l'enregistrement auprès de l'OMPI), en se fondant sur la protection des designs.

A supposer que l'on retienne que les critères d'originalité et de nouveauté sont remplis en ce qui concerne ce bijou, un danger imminent menaçant les droits de la requérante n'est pas rendu vraisemblable : la citée a déclaré ne plus faire usage de quelque manière que ce soit de la bague similaire qu'elle commercialisait précédemment, le bijou en question a été retiré de son site Internet et aucun élément du dossier ne laisse penser que l'intéressée va réitérer le comportement qui lui est reproché. Pour le surplus, la mise en vente d'un bijou au prix de 69 fr. comme pièce unique ne permet pas de retenir, même sous l'angle de la vraisemblance, qu'il existe un risque de survenance d'un préjudice irréparable.

Il ne sera donc pas fait droit au chef de conclusion n° 3 de la requête.

3.4.3 La requérante prétend enfin à ce qu'interdiction soit faite à la citée d'entretenir la confusion avec les créations et l'atmosphère de la marque "C______", et d'exploiter de manière parasitaire la renommée de celle-ci, en utilisant des éléments distinctifs de cette marque, comme les pendentifs XXL représentant les symboles "S______", trèfle, cœur, peace, flocon, boule, tête de mort, tête de Bouddha, papillon, Om lotus, arbre de vie, camélia, lion, loup, indien ou croix, les sautoirs en perles, bracelets en perles et/ou bagues pleines avec pendentif, les assemblages spécifiques des perles copiant des modèles de la marque "C______", l'inscription gravée de la marque sur la bordure du symbole, les présentoirs en bois clair en forme de cône, de buste ou de "T", ainsi que le descriptif du site Internet.

Au vu des nombreux designs enregistrés par la requérante auprès de l'OMPI en 2011, il convient en premier lieu d'examiner l'éventuelle protection conférée par la loi sur les designs.

Hormis la bague dont il a été question ci-dessus, les autres bijoux et pendentifs enregistrés par la requérante ne semblent, a priori, pas remplir les critères de nouveauté et d'originalité exigés par la loi. D'ailleurs, la requérante ne s'en prévaut pas.

En effet, il résulte du site Internet de cette dernière que la créatrice des bijoux de la marque "C______" a commencé à réaliser en 2006 déjà les bijoux comportant des charms symboles de protection et d’amour. Puis, en 2011, elle a décliné ses symboles best sellers tels que le "S______", le crâne ou le triangle, en or gris ou rose. La requérante avait donc commercialisé les charms litigieux avec des designs apparemment identiques (les best sellers ayant simplement été déclinés en différentes matières) déjà plusieurs années avant de les enregistrer auprès de l’OMPI.

Ces bijoux n'apparaissent ainsi pas, à première vue, bénéficier de la protection des designs.

Reste donc à déterminer si l'existence d'une atteinte a été rendue vraisemblable sous l'angle de la concurrence déloyale.

3.4.4 Lorsque l'on compare les produits commercialisés par chacune des parties, il paraît vraisemblable que la citée s'est inspirée de la marque "C______" – qui bénéficie d'une certaine renommée, au vu notamment des nombreuses publicités dont elle a fait l'objet dans divers catalogues de mode –, tant dans le style de bijoux (soit des sautoirs ou bracelets de perles avec un pendentif de grande taille) que dans leur présentation. La reprise du symbole "S______" par la citée (tant pour les bijoux que sur les pochons) constitue, par exemple, un fort indice en ce sens, de même que la création, comme elle l'a déclaré elle-même, d'un nouveau symbole "S______" avec cinq différences par rapport à celui de la marque susvisée.

Cela étant, l'assemblage de perles (éventuellement de tailles différentes) pour former des sautoirs ou des bracelets, de même que les enchaînements de couleurs choisis, ne sont pas propres à la marque "C______" et n'ont donc aucune force distinctive. Le fait que la citée commercialise également ce genre de bijoux, actuellement à la mode, ne peut être considéré comme un acte parasitaire.

Par ailleurs, malgré les similitudes soulignées par la requérante en ce qui concerne les charms utilisés par la citée, cette dernière a pris le soin d'apporter des modifications aux symboles dont elle s'est inspirée, étant pour le surplus relevé que certains desdits charms représentent des formes qui, par leur simplicité, appartiennent au domaine public et sont à l'usage de tous (cœur, trèfle, boule, peace, etc.). En outre, la citée crée et commercialise également des bijoux comportant des pendentifs n'ayant aucune similarité avec ceux proposés par "C______", ni dans la taille, ni dans la forme, notamment une ancre, une étoile, un soleil, une marguerite ou une plume. Ainsi, prise dans son ensemble, la collection de bijoux de la citée ne paraît pas susceptible de créer un risque de confusion avec la marque de la requérante.

Au demeurant, le fait que la citée appose la signature "E______" sur les pendentifs des bijoux qu'elle commercialise (ou sur une petite plaquette suspendue aux bijoux) permet, a priori, d'éviter tout risque de confusion avec les produits de la marque "C______".

Pour le surplus, il n'a pas été rendu vraisemblable que la présentation des produits "C______" sur des présentoirs en bois clair en forme de bustes, de cônes ou de "T" aurait acquis une certaine force distinctive et il ne paraît pas déloyal que la citée emploie des supports du même genre trouvés dans le commerce.

Enfin, même si, par certaines phrases, la description personnelle de la citée figurant sur sa page Internet peut paraître inspirée de la présentation de D______ sur le site de "C______", la requérante ne rend pas vraisemblable que cette circonstance serait de nature à tromper le consommateur ou constitutif d'un comportement déloyal ou parasitaire, étant pour le surplus relevé, par exemple, qu'il n'y a rien de particulièrement original dans le fait de se qualifier de "passionnée de mode" pour une créatrice de bijoux.

Au regard de ce qui précède et des principes rappelés ci-dessus, l'atteinte ou le risque d'atteinte aux droits de la requérante n'ont pas été rendus plausibles. Dans ces conditions, en l'absence de vraisemblance des droits invoqués, la requérante sera déboutée de son dernier chef de conclusion.

3.5 En conséquence, la requête de mesures provisionnelles sera rejetée.

4. Les frais judiciaires seront arrêtés à 3'000 fr. (art. 95, 96 et 105 CPC; art. 26 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile - RTFMC - E 1 05.10), et entièrement compensés par l'avance de frais effectuée par la requérante (art. 111 al. 1 CPC).

Compte tenu de l’issue du litige, notamment du fait qu’une partie des prétentions de la requérante ont été rejetées car la citée a cessé de commercialiser certains produits litigieux, les frais judiciaires seront partagés par moitié entre les parties.

La citée sera donc condamnée à rembourser 1'500 fr. à la requérante à ce titre.

Par ailleurs, pour le même motif, les parties conserveront à leur charge leurs propres dépens.

* * * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile

Statuant sur mesures provisionnelles :

A la forme :

Déclare recevable la requête de mesures provisionnelles formée le 28 mars 2017 par A______ Sàrl contre B______.

Au fond :

La rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 3'000 fr., les met à la charge de A______ Sàrl et B______ à concurrence de la moitié chacune, et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat.

Condamne B______ à verser 1'500 fr. à A______ Sàrl.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Monsieur Ivo BUETTI, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.