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Décisions | Chambre civile

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C/11385/2014

ACJC/298/2015 du 10.03.2015 sur DTPI/13658/2014 ( OO ) , RENVOYE

Descripteurs : AVANCE DE FRAIS; FRAIS JUDICIAIRES
Normes : CPC.103
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11385/2014 ACJC/298/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 10 MARS 2015

 

 

A______ AG, sise ______ Zürich, recourante contre une décision rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 15 décembre 2014, comparant par Me Daniel Kinzer, avocat, 2, rue Bovy-Lysberg, case postale 5824, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile aux fins des présentes.

 


EN FAIT

A. Le 2 juin 2014, A______AG a déposé au greffe du Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) une action en réduction du prix de vente. Celle-ci s'inscrit dans le cadre de la vente de trois immeubles situés en ville de Genève. Selon la demanderesse, les immeubles ne posséderaient pas toutes les qualités promises. L'état locatif ferait mention de 22 places de parking alors qu'il en existerait seulement 19. De plus, les places existantes seraient louées à un prix moindre que celui prévu contractuellement. Selon les calculs de la société, ces éléments pris dans leur ensemble représenteraient un manque à gagner de 1'491'000 fr., constituant la valeur litigieuse.

La demande de A______AG comporte 38 pages et se réfère à 26 pièces.

B. Par décision DTPI/13658/2014 du 15 décembre 2014, notifiée le 17 décembre 2014, la Présidente du Tribunal a fixé le montant de l'avance de frais à 48'000 fr., en se référant aux art. 91ss, 98 et 101 CPC ainsi qu'aux art. 2, 13 et 17 du règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC - E 1 05.10).

C. Par recours expédié le 12 janvier 2015 au greffe de la Cour de justice contre cette décision, A______AG conclut principalement à ce que la décision entreprise soit annulée et à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal. Subsidiairement, elle conclut à ce que l'avance de frais soit fixée à 25'000 fr. et à ce qu'un délai d'un mois lui soit imparti pour procéder au paiement de celle-ci.

Dans sa détermination du 3 février 2015, la Présidente du Tribunal conclut au rejet du recours. Elle expose que le Tribunal s'est doté de directives internes, rendues publiques, afin que les justiciables en général et les avocats en particulier soient en mesure de connaître avant le dépôt d'une demande le montant de l'avance de frais qui leur sera demandée. Il était essentiel que les règles de fixation de l'avance de frais soient simples, d'application facile et aboutissant à un résultat déterminable. L'avance de frais fixée dans la décision querellée était conforme au CPC en ce qu'elle correspondait aux frais judiciaires prévisibles et en particulier à l'émolument de décision qui pourrait être fixé en fin de procédure en application, notamment, du Règlement cantonal.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC).

Interjeté dans le délai de dix jours requis (art. 142 al. 1 et 145 al. 1 let. c CPC) et selon la forme prévue par la loi, le recours est recevable (art. 321 al. 1 CPC).

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

2. La recourante invoque, en premier lieu, la violation de l'art. 53 al. 1 CPC en ce que la décision entreprise ne serait pas suffisamment motivée.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comporte le droit d'obtenir une décision motivée, permettant au justiciable d'en comprendre le raisonnement afin d'exercer ses droits de recours à bon escient. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 134 I 83 consid. 4.1 et les arrêts cités). Selon le Message du Conseil fédéral relatif au code de procédure civil (Message CPC, 6985), il n'y a pas lieu de motiver par écrit des ordonnances d'instruction, raison pour laquelle, s'agissant des décisions sujettes à recours (et non à appel), il est prévu que l'instance de recours peut inviter l'instance précédente à donner son avis (art. 324 CPC). Cette affirmation est nuancée par un auteur de doctrine, qui est d'avis qu'une telle ordonnance doit être au moins brièvement motivée lorsqu'il y a contestation et que le juge doit trancher en écartant la requête d'une des parties ou en départageant des points de vues divergents (Haldy, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n. 14b ad art. 53 CPC).

2.2 En l'espèce, la décision d'avance de frais querellée se réfère à la valeur litigieuse ainsi qu'aux art. 91ss, 98 et 101 al. 1 CPC et aux art. 2, 13 et 17 du RTFMC. Bien que cette décision soit ainsi succinctement motivée, on comprend que la Présidente du Tribunal s'est fondée sur la valeur litigieuse et le tarif qui lui est applicable. Ainsi, même brève, cette motivation est suffisante en ce qu'elle permet de comprendre les motifs sur lesquels la décision est fondée.

Dans ses observations, la Présidente du Tribunal a confirmé que l'avance de frais avait été calculée en tenant compte de la valeur litigieuse ainsi que de la pluralité de défendeurs. Elle a exposé qu'à ce stade de la procédure, rien ne permettait d'admettre que celle-ci serait courte et dénuée de complexité. Au surplus, elle a souligné que le montant de l'avance de frais litigieuse se trouvait dans la fourchette de l'émolument de décision prévisible dans l'abstrait selon l'art. 17 RTFMC.

Au vu de ce qui précède, le premier grief est donc mal fondé.

3. Dans ses autres griefs, la recourante fait valoir une double violation de l'art. 5 RTFMC, en ce que le greffe aurait appliqué "mécaniquement" un tarif interne au Tribunal fixant l'avance de frais en fonction de la seule valeur litigieuse. Le Tribunal aurait ainsi violé l'art. 5 RTFMC en ne prenant pas en compte les différents critères d'appréciation énoncés par celui-ci. La recourante expose encore que dans les causes pécuniaires d'une valeur litigieuse comprise entre 1'000'000 fr. et 10'000'000 fr., une avance de frais s'élevant entre 20'000 fr. et 100'000 fr. peut être perçue. En tenant compte de la valeur litigieuse de 1'491'000 fr. et en appliquant une règle de trois majorée de 20%, le résultat donnerait un montant moindre que celui retenu par le Tribunal.

3.1 Selon l'art. 98 CPC, le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés.

Cette base légale est une "Kann-Vorschrift", le tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire exceptionnellement renoncer à toute avance de frais. Par conséquent, la Cour qui ne dispose que d'une cognition restreinte dans le cadre d'un recours, examine la cause avec une certaine réserve; ainsi, seul un abus du pouvoir d'appréciation du juge constitue une violation de la loi (ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014; Tappy, op. cit., n. 8 ad art. 98 CPC).

Par ailleurs, le canton a la compétence exclusive d'édicter un tarif des frais judiciaires (art. 96 CPC). Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure. Le Conseil d'Etat établit et publie un tarif des frais et émoluments perçus pour les opérations conduites devant les juridictions (art. 19 al. 6 LaCC).

L'art. 5 RTFMC reprend les principes généraux énoncés à l'art. 19 al. 3 LaCC. En cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, les émoluments sont majorés de 20% (art. 13 RTFMC). Pour une valeur litigieuse comprise entre 1'000'000 fr. et 10'000'000 fr., une avance de frais allant de 20'000 fr. à 100'000 fr. peut être demandée (art. 17 RTFMC).

Les directives internes du Tribunal en matière de fixation des émoluments de décision, respectivement des avances de frais, n'apparaissent ni dans la loi d'application cantonale, ni dans le règlement qui en découle. Ainsi, qu'elles soient accessibles au public ou non, elles ne sont pas opposables aux plaideurs et ces derniers ne peuvent pas s'en prévaloir (ACJC/204/2014 du 6 février 2014; ACJC/1777/2012 du 3 décembre 2012).

3.2 En l'espèce, l'instruction présumable nécessaire pour établir les faits comprend notamment la détermination du rôle joué par chacun des intervenants dans les transactions immobilières (les trois parties, leurs administrateurs et leurs représentants), la compréhension de ce que chacun d'eux avaient de ce qui avait été convenu et les différents degrés de responsabilités qui s'y rattachent. Ainsi, contrairement à l'avis exprimé par la recourante, il ne peut être retenu à ce stade de la procédure que la cause sera dénuée de toute complexité. Il convient également de prendre en compte le montant important de la valeur litigieuse.

L'application d'une règle de trois afin de déterminer l'avance de frais ne ressort ni du CPC ni du règlement ni encore de la jurisprudence y relative. En outre, l'exécution d'un simple calcul proportionnel irait à l'encontre du principe énoncé à l'art. 5 RTFMC, qui prévoit également la prise en compte d'autres éléments aux fins de la fixation de l'avance de frais.

Il sera encore rappelé que l'avance de frais au sens de l'art. 98 CPC, n'arrête pas ceux-ci au sens de l'art. 104 al. 1 CPC. Comme l'a rappelé à juste titre le Tribunal, c'est seulement dans la décision finale que le montant définitif de l'émolument de décision sera fixé. Le cas échéant, le montant des frais pourra être contesté à ce moment-là.

Au vu de l'ampleur prévisible de la procédure, de la valeur litigieuse de 1'491'000 fr. et compte tenu de ce que le montant retenu par le Tribunal se trouve dans la fourchette prévue par le règlement, le premier juge n'a pas excédé son pouvoir d'appréciation en requérant une avance de frais de 48'000 fr. Partant, le recours sera rejeté.

Dans la mesure où l'effet suspensif a été accordé, la Présidente du Tribunal sera invitée à fixer à la recourante un nouveau délai pour s'acquitter de l'avance de frais.

4. La recourante, qui succombe, sera condamnée au paiement des frais judiciaires arrêtés à 600 fr. (art. 106 al. 1 CPC; art. 41 RTFMC) et couverts par l'avance de frais fournie par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ AG contre la décision DTPI/13658/2014 du 15 décembre 2014 rendue par le Tribunal de première instance dans la cause C/11385/2014.

Au fond :

Le rejette.

Invite la Présidente du Tribunal à impartir un nouveau délai à A______ AG pour s'acquitter de l'avance de frais.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 600 fr., les met à la charge de A______ AG et les compense avec l'avance de frais, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Ivo BUETTI, juges; Madame Nathalie DESCHAMPS, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Nathalie DESCHAMPS







Indication des voies de recours
:

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.