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Décisions | Chambre civile

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C/22931/2019

ACJC/273/2022 du 24.02.2022 sur ORTPI/1223/2021 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22931/2019 ACJC/273/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 24 FÉVRIER 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______[GE], recourant contre une ordonnance rendue par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 11 novembre 2011, représenté par Me Philippe JUVET, curateur, rue de la Fontaine 2, 1204 Genève,

et

B______, sise ______[GE], intimée, comparant par Me Serge FASEL, avocat, FBT AVOCATS SA, rue du 31-Décembre 47, case postale 6120, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Par demande, déclarée non conciliée le 4 décembre 2019, et expédiée le
15 janvier 2020 au Tribunal de première instance, A______, représenté par son curateur, a conclu principalement à la condamnation de la B______ à lui verser la somme de 73'723 fr., sous suite de frais et dépens.

Il fait grief à la B______ d'avoir violé ses obligations de mandataire en exécutant, d'août 2018 à mai 2019, des ordres de paiement insolites, car en faveur de destinataires se trouvant à l'étranger (Tunisie), sur la base d'instructions ne contenant pas de motif de paiement, alors qu'il était âgé de 87 ans au moment des ordres litigieux et n'avait jamais envoyé d'argent à des personnes à l'étranger, en particulier pour des montants aussi importants.

b. Par réponse du 15 juin 2020, la B______ (ci-après : la B______ ou la Banque) a conclu au déboutement de A______, sous suite de frais et dépens, contestant toute violation de ses obligations contractuelles.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Le 4 février 2021, le curateur de A______ a déposé une liste des mesures probatoires sollicitées, parmi lesquelles l'audition de nombreux employés de l'agence de C______ de la Banque fréquentée par son protégé, celle du
Dr D______ et de E______ (sœur jumelle de A______) (I), l'apport du dossier des HUG concernant l'hospitalisation de A______ en octobre 2018, ainsi que celui du dossier de l'Hôpital F______ concernant l'hospitalisation de celui-ci en janvier 2019 (III).

L'audition du Dr D______ et de E______ devait essentiellement porter sur les mêmes allégués. Celle de la sœur de A______ devait en sus permettre d'établir que celui-ci avait versé les montants litigieux à concurrence de 12'000 fr., dans l'espoir d'en toucher 93'000 fr., qu'il ne connaissait pas les destinataires des versements, qu'avant cela, il n'avait jamais procédé à des virements à l'étranger, en particulier en Tunisie et qu'il n'avait pas pour habitude de prélever des sommes importantes en espèces.

e. Lors de l'audience de débats d'instruction, de débats principaux et de premières plaidoiries du 4 février 2021, le Tribunal a imparti un délai à la Banque pour lui fournir les coordonnées complètes des employés dont A______ sollicitait le témoignage, en indiquant s'ils avaient eu ou non un contact avec ce dernier. Une ordonnance de preuve serait rendue à réception de ces éléments.

f. Par ordonnance du 31 mars 2021, le Tribunal a admis l'audition du Dr D______, des employés G______ et H______ (ch. 2 du dispositif), réservé en l'état l'audition de E______ et l'apport des dossiers médicaux des HUG et de l'Hôpital F______ (ch. 3).

g. Par courrier du 9 avril 2021, le curateur de A______ a contesté le refus du Tribunal d'auditionner les autres employés de la Banque, mentionnés dans son offre de preuve du 4 février 2021 et a, partant, réitéré sa demande qu'ils le soient.

h. Le Tribunal a maintenu son ordonnance du 31 mars 2021 par décision du
19 avril 2021.

i. Le 2 septembre 2021, le Tribunal a procédé à l'audition du Dr D______, lequel a déclaré avoir sollicité l'établissement d'un rapport neuropsychologique de son patient, établi le 16 septembre 2019 par I______, de J______, responsable de l'agence de C______ de la B______ depuis le 1er juin 2015, et de K______, employée de la Banque à l'agence de C______ entre 2015 et 2019.

A l'issue de l'audience, le curateur de A______ a persisté à solliciter, outre la production du rapport neuropsychologique précité, les moyens de preuve réservés au chiffre 3 de l'ordonnance de preuve du 31 mars 2021, ce à quoi la B______ s'est opposée.

j. Par ordonnance ORTPI/1223/2021 du 11 novembre 2021, le Tribunal a rejeté les moyens de preuve sollicités (ch. 1 du dispositif), clôturé l'administration des preuves (ch. 2) et imparti un délai aux parties pour lui indiquer si elles entendaient solliciter des plaidoiries orales ou écrites.

Le Tribunal a retenu que, au-delà de la recevabilité du rapport neuropsychologique du 16 septembre 2019, sa production n'apparaissait pas nécessaire au vu de la date de son établissement et des déclarations du Dr D______. L'audition de E______ n'apparaissait pas non plus nécessaire, car portant sur les mêmes allégués que ceux sur lesquels le Dr D______ avait été entendu. S'agissant des rapports en mains des HUG ou de l'hôpital F______, le curateur aurait pu les obtenir et les produire antérieurement, voire à tout le moins démontrer qu'il avait essayé de le faire. En tout état, ces rapports n'apparaissaient pas pertinents pour la solution du litige, car la question n'était pas de déterminer si A______ était partiellement ou totalement incapable de discernement lors de ses hospitalisations, mais si une éventuelle incapacité était alors visible pour les tiers à ces périodes-là, ce que ces rapports ne permettraient pas de dire.

B. a. Par acte déposé le 23 novembre 2021 à la Cour de justice, A______, représenté par son curateur, a formé recours contre cette ordonnance, qu'il a reçue le 16 novembre 2021, sollicitant son annulation, et, cela fait, concluant à l'audition de E______, et, par économie de procédure, à ce que soit ordonnée la production du rapport neuropsychologique et l'apport des rapports médicaux des HUG et de l'Hôpital F______, sous suite de frais et dépens.

b. Par arrêt présidentiel du 1er décembre 2021, la Cour a admis la requête de A______ tendant à suspendre le caractère exécutoire de l'ordonnance entreprise et dit qu'il serait statué sur les frais liés à la décision dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Par réponse du 3 décembre 2021, la B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, sous suite de frais et dépens.

d. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du
5 janvier 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 La Cour examine d'office si les conditions de recevabilité du recours sont remplies (art. 60 CPC).

Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319
let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in CPC, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2019, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (Jeandin,
op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

En l'espèce, l'ordonnance entreprise est une ordonnance d'instruction, relevant de l'administration des preuves, au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.2 Cette ordonnance est susceptible d'un recours immédiat dans les dix jours à compter de sa notification (art. 321 al. 1 et 2 CPC), délai qui a été respecté en l'espèce.

1.3 Il reste à déterminer si la décision querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées (cf. Jeandin, op. cit., n. 18 ad art. 319 CPC).

2. Le recourant soutient que si le recours était déclaré irrecevable, l'audition de sa sœur jumelle, âgée de 90 ans, pourrait s'avérer impossible à l'issue d'une procédure d'appel, de sorte qu'il subirait un dommage irréparable. La production des pièces sollicitées devrait être ordonnée, par économie de procédure.

L'intimée fait valoir que le recourant ne se prononce pas sur l'étendue ou la nature du dommage que le refus d'entendre sa sœur lui causerait. L'audition de celle-ci ne vise pas des faits qui n'auraient pas été élucidés. La Cour pourrait ordonner le témoignage de la sœur du recourant, dans le cadre d'un appel dont elle serait saisie. Le recourant ne fait valoir aucun dommage irréparable relatif à la production des pièces sollicitée.

2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 77; arrêt du Tribunal fédéral 5D_211/2011 du 30 mars 2012 consid. 6.3; ACJC/615/2014 du 23 mai 2014 consid. 1.4.1).

Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette condition. Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (ACJC/615/2014 du 23 mai 2014
consid. 1.4.1).

Ainsi, l'admissibilité d'un recours contre une ordonnance d'instruction doit demeurer exceptionnelle et le seul fait que le recourant ne puisse se plaindre d'une violation des dispositions en matière de preuve qu'à l'occasion d'un appel sur le fond ne constitue pas en soi un préjudice difficilement réparable (ACJC/351/2014 du 14 mars 2014 consid. 2.3.1; Message du Conseil fédéral, op. cit., FF 2006 6841, p. 6884; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, l'âge avancé du témoin dont l'audition est sollicitée pourrait rendre impossible celle-ci, dans le cadre d'un appel ou après l'admission de celui-ci et renvoi de la cause au Tribunal. Cependant, le recourant n'expose pas en quoi l'impossibilité d'entendre sa sœur lui causerait un dommage difficilement réparable, en détaillant, par exemple, les faits qui ne pourraient être prouvés que par ce biais et en démontrant en quoi ces faits pourraient avoir une incidence sur la solution du litige.

Il n'est ainsi pas rendu vraisemblable que le refus d'audition de E______ causerait un dommage difficilement réparable au recourant, de sorte que le recours sera déclaré irrecevable.

Serait-il recevable, qu'il devrait être rejeté. En effet, les faits que l'audition de E______ était censée prouver, et sur lesquels les témoignages du
Dr D______ et des employés de la Banque n'auraient pas porté ou que les pièces n'auraient pas permis d'établir, ne sont pas pertinents pour l'issue du litige. Comme l'a justement relevé le Tribunal, ce qui est relevant c'est de savoir si une éventuelle incapacité de A______ était visible pour les tiers au moment des ordres litigieux, ce que les faits sur lesquels le recourant voudrait entendre E______ ne permettraient pas d'établir. De plus, compte tenu de l'âge du témoin et de ses liens avec le recourant, ses déclarations n'auraient qu'une faible force probante. C'est ainsi à bon droit que le Tribunal a renoncé à cette audition, par appréciation anticipée des preuves.

Enfin, s'agissant des pièces dont la production est sollicitée, le recourant ne fait valoir aucun préjudice difficilement réparable et l'allongement de la procédure est à cet égard insuffisant, de sorte que le recours est également irrecevable sur ce point.

3. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires, arrêtés à
1'000 fr., y compris la décision sur effet suspensif, compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Il sera en outre condamné à verser à l'intimée, la somme de 1'500 fr. à titre de dépens de recours, au vu de travail de l'avocat et de l'absence de complexité de la cause.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance ORTPI/1223/2021 rendue le 11 novembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22931/2019.

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______, et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à la B______, la somme de 1'500 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.