Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/182/2025 du 01.04.2025 ( PLAINT ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/4146/2024-CS DCSO/182/25 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU JEUDI 13 MARS 2025 |
Plainte 17 LP (A/4146/2024-CS) formée en date du 13 décembre 2024 par A______, représentée par Me B______, avocat.
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Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :
- A______
c/o Me B______
Étude C______
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- D______
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- E______
c/o D______
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______.
- Office cantonal des poursuites.
A. a. E______ est une association dont le siège est à Genève.
D______ en est l'animateur.
Elle est propriétaire d'un chalet à F______ (Vaud).
b. E______ et D______ sont en litige avec le centre équestre voisin, G______ SARL (ci-après le Centre équestre).
Me A______ assure la défense des intérêts du Centre équestre dans le litige qui l'oppose à E______ et D______.
c. Les rapports dégradés de voisinage ont conduit à diverses procédures, dont une procédure pénale qui a abouti à la condamnation de D______ à une peine pécuniaire de 200 jours-amende pour violation grave des règles de la circulation routière, violation de domicile, violation de la loi fédérale sur la protection des animaux, contrainte et dommages à la propriété par jugement du Tribunal de police de La Côte du 25 mars 2022, confirmé par arrêt de la Chambre pénale d'appel du Tribunal cantonal du 28 novembre 2022.
d. Une procédure de droit administratif a également opposé E______ et le Centre équestre, ayant conduit à une décision condamnant la première à des dépens et à une indemnisation des frais en faveur du second.
Sur la base de cette condamnation en paiement, qui n'a pas été honorée par E______, le Centre équestre a requis et obtenu du Tribunal de première instance (ci-après le Tribunal) le séquestre du chalet de E______ le 14 août 2023 à concurrence d'un montant de 10'800 fr. Sur opposition de E______, l'ordonnance de séquestre a été confirmée. La Cour de justice, saisie d'un recours de E______, a confirmé le séquestre, mais réduit la créance à l'appui du séquestre à 4'800 fr., E______ ayant valablement objecté de compensation avec une créance de 6'000 fr. devenue exigible pendant la procédure de recours.
Le Centre équestre a validé le séquestre par une poursuite n° 1______, portant sur un montant de 10'800 fr., à laquelle E______ a fait opposition. Le Centre équestre a requis la mainlevée définitive de l'opposition qui a été ordonnée par jugement du 13 décembre 2023. Saisie d'un recours de E______, la Cour de justice a réduit le montant de la mainlevée à 4'800 fr. pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à la réduction de la portée du séquestre susvisé.
e. D______ a déposé une plainte pénale et une plainte auprès de la Commission du barreau contre Me A______ les 6 et 28 septembre 2023. Il s'agit de textes confus, recourant à des termes excessifs pour qualifier l'activité de l'intéressée : tentative d'escroquerie et escroquerie en bande organise avec la complicité aggravée par abus de pouvoir du juge du séquestre, obtention frauduleuse d'un séquestre basée sur de fausses informations, tentative d'intimidation et de contrainte, chantage, extorsion, entrave à la liberté du commerce, prévarication de la magistrature, complot en bande organisée sexiste et discriminatoire inversé, instigation de magistrat à abus de pouvoir, complicité d'abus de pouvoir, etc. Ces plaintes ont été adressées en copie à de nombreuses personnes et autorités.
f. Par décision du 30 novembre 2023, la Commission du barreau n'a retenu aucun manquement de la part de Me A______, celle-ci s'étant limitée à défendre les intérêts de sa cliente, et a procédé au classement de la plainte de D______.
Ce dernier a déposé, le 3 décembre 2023, une plainte pénale à l'encontre du président de la Commission du barreau pour avoir rendu cette décision, qui relevait, selon lui, de l'abus de pouvoir, de la corruption, de l'entente délictueuse, du trafic d'influence, de l'entrave à l'exercice de la justice, de la prévarication, de la couverture des agissements de l'avocate, etc.
g. Le Ministère public a rendu le 13 juin 2024 une décision de non-entrée en matière sur la plainte pénale de D______ contre Me A______, aucun indice de prévention pénale n'ayant été décelé.
h. Par courriers des 6 mai 2024 et 30 octobre 2024, D______ s'est encore adressé au juge du Tribunal d'arrondissement de la Côte en charge de la procédure administrative opposant E______ et le Centre équestre ainsi qu'à diverses autorités (notamment le Conseil supérieur de la magistrature et le Procureur général de la Confédération) pour déposer une "plainte pénale" en lien avec son litige contre le Centre équestre. Il accusait, entre autres, la juge précitée et le Procureur général du canton de Vaud de complicité criminelle, aggravée par abus de pouvoir de crimes. Il y visait également Me A______ d'être l'instigatrice et directrice d'un odieux complot et machination en bande organisée.
Ces courriers, rédigés à l'aune des précédents, ont à nouveau été adressés en copie à de nombreuses personnes et autorités.
i. Me A______ a déposé plainte pénale en 2023 contre D______ pour diverses infractions contre l'honneur. Par courrier du 19 novembre 2024, elle a invité le Ministère public à étendre l'instruction pénale à l'infraction de tentative de contrainte.
j. Me A______ s'est vue notifier par l'Office les actes de poursuite suivants :
- le 11 avril 2024, un commandement de payer, poursuite n° 2______, sur réquisition de D______, pour un montant total de 280'000 fr. plus intérêts à 6 % dès diverses dates, à titre de "défense de mes intérêts contre les attaques de Me A______";
- le 13 mai 2024, un commandement de payer, poursuite n° 3______, sur réquisition de E______, représentée par D______, pour un montant de 10'800 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 6 février 2024, à titre de "défense des intérêts de E______ par son président contre une tentative d'escroquerie de la débitrice";
- le 6 juin 2024, un commandement de payer, poursuite n° 4______, sur réquisition de D______, pour un montant de 30'000 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 1er mars 2024, à titre de "défense des intérêts du créancier contre les attaques de Me A______ et tentatives d'escroquerie démasquées par la Cour de justice selon arrêt du 25 avril 2024".
- le 19 novembre 2024, un commandement de payer, poursuite n° 5______, sur réquisition de D______, pour un montant total de 1'412'070 fr. plus intérêts à 5 % l'an à diverses dates, à titre de "défense de nos droits dans le cadre d'une tentative d'escroquerie et escroquerie de la débitrice (art. 146 CPC) par séquestre frauduleux; défense de nos droits contre une tentative d'expropriation; défense de nos droits dans le cadre de tentative répétée de violation de nos droits de créancier, trafic d'influence, etc.; 200 heures à 450.- /heure ; rétention, séquestre et appropriation frauduleuse de caution; atteintes irréversibles à nos santés; plainte CEDH; tort moral".
La poursuivie a formé opposition aux commandements de payer.
B. a. Par acte expédié le 13 novembre 2024 à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance), Me A______ a formé une plainte contre la poursuite n° 5______, concluant à ce qu'elle soit annulée en raison de son caractère abusif.
b. Dans ses déterminations du 20 janvier 2025, l'Office s'en est rapporté à justice sur la plainte, mais a observé que le caractère abusif des poursuites visées était vraisemblable au vu des circonstances du cas d'espèce. De son point de vue, la plainte visait l'ensemble des poursuites susmentionnées et non pas uniquement contre la poursuite n° 5______.
c. D______ a déposé le 20 janvier 2025 des observations concluant en substance au maintien des poursuites attaquées et s'en prenant à la plaignante ainsi qu'aux autorités judiciaires en termes similaires à ceux déjà utilisés dans ses écritures antérieures, mentionnées ci-dessus.
d. Il a déposé le 11 février 2025 un "courrier constituant une plainte pénale adressée aux instances précitées déjà saisies de celle-ci". Il y accusait, notamment, la signataire des observations de l'Office d'entente criminelle avec Me A______, les juges et les avocats, ainsi que de prévarication.
e. Les parties ont été informées par avis de la Chambre de surveillance du 19 février 2025 que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de l'article 17 al. 1 LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre les mesures de l'Office ne pouvant être contestées par la voie judiciaire. L'autorité de surveillance doit par ailleurs constater, indépendamment de toute plainte (ATF 136 III 572 consid. 4), la nullité des mesures de l'Office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).
1.2 La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut également être déposée en tout temps en cas de nullité de l'acte contesté (art. 22 al. 1 LP), de retard à statuer et de déni de justice (art. 17 al. 3 LP).
1.3 En l'occurrence, la plainte été déposée dix jours après la notification de la poursuite expressément visée par les conclusions; elle est partant recevable ratione temporis. Les autres commandements de payer adressés par l'intimé à la plaignante ont été notifiés plus de dix jours avant le dépôt de la plainte et ne sont pas expressément visés par celle-ci. Leur caractère abusif entraînant toutefois leur nullité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1), la Chambre de surveillance peut le constater en tout temps, même en l'absence de plainte. La Chambre de céans examinera par conséquent la validité de l'ensemble des poursuites susvisées.
La plainte étant par ailleurs motivée à satisfaction, la Chambre de céans a été valablement saisie.
2. 2.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1).
La nullité d'une poursuite pour abus de droit ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, lorsque par esprit de chicane il requiert une poursuite pour un montant manifestement trop élevé, lorsqu'il reconnaît, devant l'Office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur, ou encore lorsqu'il requiert la poursuite en contradiction avec des attentes suscitées chez l'autre partie, par exemple en introduisant une nouvelle poursuite alors que des pourparlers sont sur le point d'aboutir en vue du retrait d'une poursuite précédente portant sur la même créance (venire contra factum proprium). L'existence d'un abus ne peut donc être reconnue que sur la base d'éléments ou d'un ensemble d'indices démontrant de façon patente que l'institution du droit de l'exécution forcée est détournée de sa finalité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1, JdT 2015 II 298; 130 II 270 consid. 3.2.2; 115 III 18 consid. 3b, JdT 1991 II 76; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019, 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3; décision de la Chambre de surveillance DCSO/321/10 du 8 juillet 2010 consid. 3.b).
2.2 En l'espèce, D______, agissant pour lui-même et pour une entité dont il est l'animateur, s'en prend personnellement à la plaignante qui est l'avocate d'une partie adverse dans un litige d'ampleur qui dure depuis plusieurs années.
L'intimé a ainsi entrepris contre la plaignante une campagne de dénigrement par le biais de courriers envoyés tous azimuts, rédigés en termes confus et excessifs, véhiculant des accusations extrêmement graves. Les dénonciations à des instances disciplinaire ou pénale ont toutefois été classées au motif qu'aucun manquement, ni aucune prévention pénale n'avaient été constatés à l'encontre de la plaignante.
Parallèlement, l'intimé a fait notifier à cette dernière des commandements de payer des sommes importantes, pour des créances en réparation d'un prétendu préjudice fondées sur les diverses accusations qu'il lui adresse.
On ne voit pas, dans l'ensemble des démarches de l'intimé à l'encontre de la plaignante, totalement inadéquates et disproportionnées, d'autre finalité que de lui nuire et de la tourmenter.
Les poursuites litigieuses participent de cette intention.
L'intimé n'ignore pas que l'existence de poursuites contre un avocat est susceptibles de lui être professionnellement préjudiciable, de sorte que ses poursuites à l'encontre de la plaignante ne sont pas non plus dénuées de contrainte, ce d'autant plus qu'elles sont nombreuses et portent sur des montants importants. De surcroît, ses griefs à l'encontre de la poursuivie n'ont pas été validés par les autorités pénale ou disciplinaire – lesquelles ont constaté que la plaignante se limitait à défendre les intérêts de ses clients dans leurs litiges avec l'intimé – de sorte que les fondements de ses prétentions en réparation ne sont à l'évidence pas solides. Par ailleurs, les diverses poursuites entreprises, dans la mesure où l'on comprend leur cause et leur portée, se recoupent en grande partie, faisant double emploi et amplifiant d'autant leur effet nuisible. En définitive, il n'apparaît pas que l'objectif poursuivi par l'intimé soit réellement d'obtenir le paiement des montants en poursuite, mais plutôt de manifester par ce biais son animosité à l'encontre de la plaignante.
L'intimé fait grand cas du fait que la Cour de justice, statuant sur recours contre la décision du Tribunal sur opposition à séquestre a sensiblement réduit l'assiette de ce dernier, preuve que les autorités de première instance et l'Office étaient dans l'erreur. Or, la Cour de justice a, au contraire, intégralement confirmé le raisonnement du Tribunal dans son arrêt. Il a simplement admis une compensation partielle de la créance en poursuite avec une contre créance du débiteur qui n'était devenue exigible qu'au stade du recours, ce qui a entraîné l'extinction partielle de la créance en poursuite. Ces circonstances ne permettent donc en rien de soutenir la position adoptée par l'intimé.
En tant qu'elles participent d'une opération globale d'intimidation de la plaignante, les poursuites entreprises doivent être qualifiées d'abusives et leur nullité sera constatée.
3. La procédure devant l'autorité de surveillance est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).
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La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevables la plainte du 13 novembre 2024 de Me A______ en vue de constater la nullité des poursuites n° 2______, n° 3______, n° 6______ et n° 5______ requises par D______, à titre personnel ou en qualité de représentant de [l'association] E______.
Au fond :
Constate la nullité desdites poursuites.
Siégeant :
Monsieur Jean REYMOND, président; Messieurs Alexandre BÖHLER et
Denis KELLER, juges assesseurs ; Madame Elise CAIRUS, greffière.
Le président : Jean REYMOND |
| La greffière : Elise CAIRUS |
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.