Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/515/2024 du 07.11.2024 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/2282/2024-CS DCSO/515/24 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU JEUDI 7 NOVEMBRE 2024 |
Plainte 17 LP (A/2282/2024-CS) formée en date du 4 juillet 2024 par A______, représenté par Me Thierry Ulmann, avocat.
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Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 7 novembre 2024
à :
- A______
c/o Me ULMANN Thierry
Ulmann & Associés
Route des Jeunes 4
1227 Les Acacias.
- ETAT DE GENEVE, ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
Rue du Stand 26
Case postale 3937
1211 Genève 3.
- Office cantonal des poursuites.
A. a. Dans le cadre des opérations de saisie dans la série n° 1______, à laquelle participent les poursuites n° 2______ et n° 3______ engagées par F______ contre A______, l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office) a invité la débitrice à se présenter le 30 mai 2024 en vue d'établir sa situation financière.
b. Le 30 mai 2024, B______, concubin de A______ avec laquelle il était associé pour l'exploitation de la librairie C______, a été auditionné par l'Office, en qualité de représentant de la débitrice. Selon ces déclarations, A______ tirait de son activité de libraire un gain mensuel de l'ordre de 1'000 fr. Lui-même réalisait des revenus mensuels nets de 2'310 fr. 95, 180 fr. et 833 fr. générés par des activités salariées auprès de divers employeurs (D______, E______ et F______) ainsi qu'un gain mensuel de 1'891 fr. 90 généré par l'activité de la librairie. Le loyer de l'appartement était de 1'934 fr., les frais de transport de 350 fr. et les frais de repas à l'extérieur de 286 fr.
c. Le 17 juin 2024, l'Office a adressé un avis concernant la saisie de gains d'indépendant à A______, laquelle était invitée à retenir sur ses revenus une somme mensuelle de 518 fr. dès le mois de juin 2024.
B. a. Par acte posté le 4 juillet 2024, A______ a formé plainte auprès de la Chambre de surveillance, avec requête d'effet suspensif, contre l'avis de saisie de gains d'indépendant. Elle reproche à l'Office de ne pas avoir tenu compte de l'intégralité de ses charges effectives, lesquelles s'élevaient à 2'309 fr. 95 et comprenaient 850 fr. d'entretien de base (moitié du montant de base d'un couple), 967 fr. au titre de loyer (moitié du loyer de l'appartement), 451 fr. 95 de prime d'assurance-maladie et 41 fr. de frais de téléphonie. Ses revenus totalisaient 1'549 fr. 15, de sorte qu'elle était entièrement insaisissable.
b. Par ordonnance du 15 juillet 2024, la Chambre de céans a accordé l'effet suspensif à la plainte.
c. Dans sa détermination du 23 juillet 2024, F______ a fait savoir qu'il n'avait pas d'observations à formuler.
d. Dans son rapport du 16 août 2024, l'Office a exposé que dès lors que la débitrice et son compagnon vivaient en concubinage depuis une trentaine d'années, leur situation était assimilée à celle d'un couple marié. Les gains mensuels réalisés auprès de la Librairie C______ par A______ et B______ se montaient respectivement à 1'794 fr. 55 et à 661 fr. 99. Les salaires perçus par B______ se montaient à 2'335 fr. 20 en moyenne auprès de la D______ à 584 fr. 85 auprès de E______ et à 330 fr. 85 auprès de F______.
Dans les charges du ménage, l'Office a retenu la base mensuelle pour un couple, en 1'700 fr., le loyer de 1'934 fr., des frais de transport de 70 fr. par mois pour chacun et des frais de repas de 286 fr. pour B______. Aucune preuve de paiement de la prime d'assurance-maladie n'ayant été fournie, l'Office n'en a pas tenu compte. Le minimum vital de A______ se montait à 1'276 fr. 55 et la quotité saisissable à 518 fr. par mois.
e. Aux termes de sa réplique expédiée le 9 septembre 2024, A______ a exposé sa situation financière difficile. Elle avait fait l'objet de taxations d'office de la part de l'administration fiscale et s'acquittait des arriérés d'impôts. Elle ne pouvait donc pas régler les primes d'assurance-maladie. Elle concluait à ce que cette charge, ou à tout le moins la moitié de celle-ci, soit intégrée dans son minimum vital.
f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. 1.1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).
1.1.2 A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). L'exercice d'une voie de recours suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3), l'existence d'un intérêt actuel s'appréciant non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2; 136 II 101 consid. 1.1). Si l'intérêt s'éteint pendant la procédure, le recours devient sans objet (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 p. 143).
1.1.3 Lorsque la plainte est dirigée contre la saisie, le délai de dix jours prévu par l'art. 17 al. 2 LP commence à courir avec la communication du procès-verbal de saisie (ATF 107 III 7 consid. 2), avec pour conséquence qu'il ne pourrait être entré en matière sur une plainte déposée avant cette communication (en ce sens : Jent-Sorensen, in BSK SchKG I, 3ème édition, 2021, N 19 ad art. 112 LP; Zondler, in Kommentar SchKG, 2017, Kren Kostkiewicz/Vock [éd.], N 4 ad art. 114 LP).
Selon la jurisprudence de la Chambre de céans, les plaintes formées par le débiteur avant la communication du procès-verbal de saisie contre une saisie ou une mesure de sûreté sont toutefois recevables lorsque ce dernier fait valoir une atteinte à son minimum vital. Dans cette hypothèse en effet, l'impossibilité de contester la mesure litigieuse avant la communication du procès-verbal de saisie pourrait conduire à priver le débiteur pendant plusieurs semaines des moyens nécessaires à son existence.
1.2 En l'espèce, la plaignante a attaqué l'avis de saisie de gains d'indépendant du 17 juin 2024 dans les délais et la forme prévue par la loi. Elle se plaint par ailleurs d'une violation de son minimum vital. Sa plainte est donc recevable, quand bien même elle a été déposée avant la communication du procès-verbal de saisie.
2. 2.1.1 Selon l'art. 93 al. 1 LP, tous les revenus du travail peuvent être saisis, déduction faite de ce que le préposé estime indispensable au débiteur et à sa famille (minimum vital).
Pour fixer le montant saisissable – en fonction des circonstances de fait existant lors de l'exécution de la saisie (ATF 115 III 103 consid. 1c) – l'office doit d'abord tenir compte de toutes les ressources du débiteur; puis, après avoir déterminé le revenu global brut, il évalue le revenu net en opérant les déductions correspondant aux charges sociales et aux frais d'acquisition du revenu; enfin, il déduit du revenu net les dépenses nécessaires à l'entretien du débiteur et de sa famille, en s'appuyant pour cela sur les directives de la Conférence des préposés aux poursuites et faillites de Suisse (BlSchK 2009, p. 196 ss), respectivement, à Genève, sur les Normes d'insaisissabilité édictées par l'autorité de surveillance (ci-après: NI-2024, RS/GE E 3 60.04).
Les dépenses nécessaires à l'entretien du débiteur se composent en premier lieu d'une base mensuelle d'entretien, fixée selon la situation familiale du débiteur, qui doit lui permettre de couvrir ses dépenses élémentaires, parmi lesquelles l'alimentation, les vêtements et le linge y compris leur entretien, les soins corporels et de santé, l'entretien du logement, les assurances privées, les frais culturels et les dépenses pour l'éclairage, le courant électrique ou le gaz pour cuisiner (art. I NI-2024). D'autres charges indispensables, comme les frais de logement y compris les frais de chauffage et charges accessoires (art. II.1 et II.3 NI-2018), les dépenses indispensables à l'exercice d'une profession (art. II.4 NI-2018) ou encore les primes d'assurance-maladie obligatoire (art. II.3 NI-2018) doivent être ajoutées à cette base mensuelle d'entretien, pour autant qu'elles soient effectivement et régulièrement payées (Ochsner, in CR-LP, n. 82 et n° 83 ad art. 93 LP).
2.1.3 Selon la jurisprudence (ATF 130 III 765 consid. 2.4; 128 III 159 consid. 3b), le minimum vital d'un concubin doit, en l'absence d'enfants communs aux deux partenaires, être calculé séparément de celui de l'autre concubin, contrairement à ce qui est le cas pour un couple marié, des partenaires enregistrés ou des concubins ayant des enfants communs. La vie commune permettant de réaliser des économies, le montant de l'entretien de base sera, en principe, de la moitié de celui d'un couple marié. Les concubins n'assumant aucune obligation de soutien à l'égard de leur partenaire, la contribution du concubin non saisi aux charges communes ne pourra par ailleurs excéder la moitié de celles-ci. Inversement, une contribution de la part du concubin saisi aux charges communes excédant la moitié de celles-ci revêtirait le caractère d'une libéralité, de telle sorte que sa prise en compte dans les dépenses nécessaires du poursuivi léserait les créanciers poursuivants (sur l'ensemble de la problématique : Ochsner, op. cit., n° 92 et ss ad art. 93 LP; vonder Mühll, BSK SchKG, n° 24a ad art. 93 LP). Le minimum vital du concubin saisi devrait donc se calculer en ajoutant à la moitié de l'entretien de base pour un couple (soit 850 fr.) la moitié des charges communes, soit essentiellement des frais de logement, et les dépenses nécessaires du débiteur lui-même (Ochsner, op. cit., n° 96 ad art. 93 LP).
2.2 En l’espèce, l'Office a considéré, sur la base des prélèvements des associés relatifs aux mois de janvier à mai 2024, que la débitrice réalise des gains mensuels moyens de 1'794 fr. 55. Cette dernière a produit un tableau des prélèvements mensuels d'avril à juin 2024, soit une période différente et plus brève, qui ferait apparaître des gains mensuels moyens inférieurs (1'549 fr.). Or, en ajoutant aux prélèvements de janvier à mai 2024, le prélèvement du mois de juin 2024 (1'400 fr.), les gains mensuels moyens de la débitrice s'élèvent à un montant arrondi à 1'728 fr.
La débitrice et son concubin n’ayant pas d’enfant en commun, il y a lieu, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral susrappelée (cf. ATF
130 III 765 et ATF 128 III 159 cités) de retenir dans ses charges la moitié du montant de base pour un couple (850 fr.), ainsi que la moitié du loyer (967 fr.), soit des charges mensuelles de 1'817 fr. Il n'y a en revanche pas lieu de tenir compte des revenus et des charges de son concubin.
C'est à raison que l'Office a écarté la prime d'assurance-maladie de la plaignante, qui n'est pas effectivement et régulièrement payée. Il en va de même des frais de téléphonie, pour lesquels la plaignante n'établit pas leur paiement.
Le minimum vital de la débitrice, ainsi calculé, s'élève à 1'817 fr. Il est supérieur aux revenus de la plaignante tels que calculés par l'Office (1'794 fr. 55); celle-ci est donc insaisissable.
La plainte sera donc partiellement admise et l'avis de saisie de gains attaqué annulé.
4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 lit. a OELP) et il n'est pas alloué de dépens (art. 62 al. 2 OELP).
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La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable la plainte formée le 4 juillet 2024 par A______ contre l'avis concernant la saisie de gains d'indépendant du 17 juin 2024 dans la série n° 1______.
Au fond :
L'admet partiellement.
Annule l'avis de saisie de gains attaqué.
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Madame Alisa RAMELET-TELQIU et Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Elise CAIRUS, greffière.
La présidente : Verena PEDRAZZINI RIZZI |
| La greffière : Elise CAIRUS |
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.