Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/170/2019 du 04.04.2019 ( PLAINT ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/10/2019-CS DCSO/170/19 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU jeudi 4 avril 2019 |
Plainte 17 LP (A/10/2019-CS) formée en date du 3 janvier 2019 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Diane SCHASCA, avocate.
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Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :
- A______
c/o Me SCHASCA Diane
d.avocats SA
Rue Pedro-Meylan 1
1208 Genève.
- B______ SA
c/o Me Van LOON J. Potter
Rue de la Scie 4
1207 Genève.
- Office cantonal des faillites.
A. a. SOCIETE IMMOBILIERE C______ SA (ci-après: SI C______ SA), ayant son siège à Genève et dont le dernier administrateur unique était D______, était propriétaire d'une parcelle n° 1______ de la commune de E______ [GE], sise au [chemin] 2______, pour laquelle une autorisation définitive de construire un immeuble industriel et administratif avait été délivrée par l'intermédiaire notamment de l'architecte A______, auteur des plans. La société a ensuite acquis la parcelle n° 3______ de la commune de E______, sise [route] 4______, sur laquelle un second immeuble devait être construit, ainsi que deux autres bien-fonds, l'un sis à E______ l'autre [à] F______ [GE].
b. En septembre 2006, SI C______ SA a vendu à G______ SA, pour un montant total de 55'577'000 fr., les quatre parcelles, alors que la construction venait de débuter sur la parcelle n° 3______. L'acquisition de cette dernière parcelle a été liée à la conclusion simultanée d'un contrat d'entreprise entre les parties, selon lequel SI C______ SA était chargée de la construction et des finitions de l'immeuble pour un prix de 36'700'000 fr.; la direction des travaux a été confiée à une société appartenant à D______.
Le prix de vente a servi au remboursement des crédits hypothécaires (18'482'747 fr. 25) et au règlement de la commission de courtage (1'076'000 fr.), de l'impôt immobilier (340'874 fr. 55), de la facture du notaire (5'027 fr. 05), ainsi que d'une créance de l'entreprise H______ (2'958'248 fr. 80). Un montant de 42'000'000 fr. a été payé à I______, lequel avait été l'ayant droit économique de SI C______ SA jusqu'en août 2006.
c. La poursuite des chantiers sur les parcelles n° 1______ et n° 3______ a été marquée par la dégradation des relations entre SI C______ SA, G______ SA, J______ SA, locataire des immeubles, et le bureau d'architecte qui avait remplacé A______.
Les travaux ont été achevés entre fin 2007 et fin 2008. SI C______ SA a été confrontée à de nombreux créanciers impayés.
B. a. Sur requête de A______, créancier à hauteur de 4'253'223 fr. 65, la faillite de
SI C______ SA a été prononcée le ______ 2010 (cf. arrêt du Tribunal fédéral du même jour dans la cause 5F______/2010).
b. Selon l'état de collocation, la créance de A______ a été admise et colloquée en 3ème classe.
La créance de la société B______ SA a aussi été admise à hauteur de
21'178 fr. 85. Il s'agissait de prétentions en lien avec la fourniture et pose de miroirs, par l'entreprise K______ SA, laquelle avait cédé sa créance à
B______ SA le 24 août 2009.
c. Le 1er mars 2012, A______, B______ SA et d'autres créanciers ont obtenu la cession des droits de la masse pour agir en responsabilité contre les organes de
SI C______ SA inscrits au registre du commerce, à savoir D______, L______, M______ SA et N______ SA, en application de l'art. 260 LP.
d. Le 10 mars 2014, A______ a déposé plainte pénale notamment contre D______. Il lui reprochait d'avoir utilisé le produit de la vente des immeubles de propriété de SI C______ SA pour acquitter le montant dû à I______ plutôt
que de désintéresser les créanciers de la société. Une procédure pénale P/5______/2014 a été ouverte et est en cours d'instruction (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B______/2017 du ______ 2018).
e. La faillite de SI C______ SA a été clôturée le 7 août 2014.
f. Par courriers des 18 et 21 décembre 2018, A______ a sollicité de l'Office cantonal des faillites (ci-après: l'Office) qu'il révoque, avec effet immédiat, la cession à B______ SA des droits de la masse, en raison d'un conflit d'intérêts.
Il était en effet apparu, lors de l'audience d'instruction du 22 février 2017
dans la procédure pénale P/5______/2014, que B______ SA appartenait à I______, ancien propriétaire de la faillie. L'intéressé était par ailleurs ayant droit économique de O______ LTD, dont le compte bancaire avait été séquestré par le Ministère public dans la procédure pénale.
g. Par courrier du 20 décembre 2018, l'Office a répondu qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur un éventuel conflit d'intérêts, la question étant du ressort du juge.
h. Par courriers des 21 décembre 2018 et 16 janvier 2019, A______ a
invité B______ SA, en sa qualité de créancière cessionnaire de la masse en faillite, à intervenir dans la procédure pénale ouverte à l'encontre des organes de SI C______ SA. Dans le cas contraire, les autres créanciers cessionnaires seraient en droit de considérer que B______ SA avait renoncé à faire valoir la créance qui lui avait été cédée par la masse en faillite.
C. a. Par acte du 3 janvier 2019, A______ a formé une plainte au sens de
l'art. 17 LP contre le refus de l'Office d'annuler la cession de créance en faveur de B______ SA.
b. Dans ses observations datées du 8 février 2019, l'Office a conclu au rejet de la plainte. En sa qualité de créancière de la masse, dont la production avait été admise définitivement à l'état de collocation, B______ SA était en droit d'obtenir la cession des droits en application de l'art. 260 LP. Il n'appartenait pas à l'Office de statuer sur un éventuel conflit d'intérêts, qui relevait de la compétence du juge. Par ailleurs, la qualité de lésé du plaignant dans la procédure pénale ne dépendait pas de la cession des droits de la masse, dès lors que A______ était lésé directe-ment, en tant que créancier de la faillie.
c. Par détermination datée du 15 février 2019, B______ SA a elle aussi conclu au rejet de la plainte, relevant que c'était au juge civil, et non à l'Office ou à l'autorité de surveillance, d'examiner sous l'angle de l'interdiction de l'abus de droit si la cessionnaire était proche de la débitrice. L'Office n'avait le devoir de refuser une telle cession que si le créancier cessionnaire était formellement le débiteur lui-même de la prétention portée à l'inventaire de la faillite.
d. La cause a été gardée à juger le 15 février 2019, ce dont les parties ont été informées par avis du même jour.
1. 1.1. La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP).
A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). C'est en principe toujours le cas du débiteur poursuivi et du créancier poursuivant (Erard, in CR LP, 2005, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], n° 25 et 26 ad art. 17 LP; Dieth/Wohl, in KUKO SchKG, 2ème édition, 2014, Hunkeler [éd.], n° 11 et 12 ad art. 17 LP).
La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).
1.2 La plainte a en l'espèce été déposée en temps utile et dans les formes prévues par la loi contre un acte pouvant être contesté par cette voie.
La qualité pour former une plainte doit par ailleurs être reconnue au plaignant, dont la créance a été admise à l'état de collocation.
2. 2.1.1. Selon l'art. 260 LP, si l'ensemble des créanciers renonce à faire valoir une prétention, chacun d'eux peut en demander la cession à la masse; le produit, déduction faite des frais, sert à couvrir les créances des cessionnaires dans l'ordre de leur rang et l'excédent est versé à la masse.
La cession prévue par cette disposition est une institution du droit de la faillite et du droit de procédure "sui generis" qui peut être considérée comme une "Prozess-standschaft", permettant au cessionnaire d'entamer un procès en son propre nom ou de reprendre celui-ci dans les mêmes conditions, sans qu'il devienne pour autant, par la cession, le titulaire de la prétention litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 5A_344/2018 du 18 septembre 2018 consid. 4.1.1 et références citées).
Le droit d'obtenir une cession des droits de la masse au sens de l'art. 260 LP est lié ex lege à la qualité d'intervenant du créancier colloqué. Ainsi, chaque créancier porté à l'état de collocation a le droit de requérir et d'obtenir la cession des droits de la masse aussi longtemps que sa créance n'a pas été définitivement écartée de l'état de collocation à la suite d'un procès intenté conformément à l'art. 250 LP (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2).
De jurisprudence constante (ATF 39 I 461 consid. 1), la cession des droits
de la masse à un cessionnaire qui est lui-même débiteur des droits cédés est inadmissible. Dans une telle hypothèse en effet, l'exécution par le créancier cessionnaire du mandat procédural qui lui est délivré serait impossible et ce dernier ne pourrait prétendre à un droit de préférence sur l'éventuel produit d'un procès.
2.1.2 La cession est une mesure de liquidation de la faillite, qui relève de la compétence de l'administration de la faillite puis, sur plainte, de l'autorité de surveillance. Il s'agit d'une décision de procédure, rendue sur la base de la teneur de l'état de collocation, qui détermine les créanciers, et de l'inventaire, qui constate l'étendue de la masse active. Elle porte sur le droit d'un créancier
à conduire ou poursuivre un procès concernant un droit de la masse, mais
pas sur sa légitimation, qui relève du droit matériel et doit être examinée
par le juge. C'est ainsi au juge civil qu'il appartient, par exemple, de déterminer
si une société mère peut faire valoir une prétention contre sa société fille
(ATF 138 III 628 consid. 5.5), ni l'administration de la faillite ni l'autorité de surveillance ne pouvant, dans un tel cas, refuser de délivrer un acte de cession et faire ainsi obstacle à l'exécution de prétentions fondées sur le droit matériel
(ATF 107 III 91 consid. 2).
Ainsi, l'administration de la faillite ne peut - et ne doit - refuser la cession en raison d'une confusion entre les qualités de créancier et de débiteur que si le créancier requérant la cession est, selon l'inventaire et l'état de collocation, formellement la même personne juridique que le débiteur du droit cédé. Si en revanche le créancier requérant la cession et le débiteur du droit cédé sont deux entités juridiques distinctes, l'administration de la faillite devra délivrer un acte de cession. Celui-ci liera le juge civil quant à l'existence d'un mandat procédural conféré par la masse mais ne le dispensera pas d'examiner, en se fondant sur le droit matériel, la légitimation du cessionnaire. Si cet examen le conduit à nier, en application des règles sur l'abus de droit, cette légitimation, il rendra une
décision constatant l'impossibilité d'exécuter le mandat procédural conféré par l'acte de cession (arrêt du Tribunal fédéral 5A_445/2018 du 21 décembre 2018 consid. 4.2.3).
2.2. En l'espèce, le plaignant soutient que l'Office aurait dû annuler la cession des droits de la masse à l'intimée, au motif que cette dernière en serait elle-même la débitrice.
Cet argument tombe à faux. En effet, dans le cas d'espèce, B______ SA
n'est pas la débitrice des droits dont elle a requis la cession, puisque ceux-ci
sont dirigés contre les anciens organes la faillie, d'ailleurs expressément désignés, soit D______, L______, M______ SA et N______ SA, qui sont des entités formellement distinctes.
A cela s'ajoute que le plaignant n'avance aucun élément permettant de retenir que l'intimée chercherait concrètement à l'entraver dans l'exercice de ses prétentions.
C'est pour le surplus au juge du fond qu'il incombera, le cas échéant, de déterminer si, au regard du droit matériel et en particulier de l'art. 2 CC, l'intimée est légitimée à agir en responsabilité.
La plainte doit donc être rejetée.
3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens (art. 62 al. 2 OELP).
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La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable la plainte formée le 3 janvier 2019 par A______ contre le courrier de l'Office cantonal des faillites du 20 décembre 2018.
Au fond :
La rejette.
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Messieurs Michel BERTSCHY et Mathieu HOWALD, juges assesseurs ; Madame Sylvie SCHNEWLIN, greffière.
La présidente : Verena PEDRAZZINI RIZZI |
| La greffière : Sylvie SCHNEWLIN |
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l'art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1
et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.