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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2869/2023

JTAPI/748/2025 du 09.07.2025 ( LCA ) , REJETE

Descripteurs : AA;ASSURANCE COMPLÉMENTAIRE;LOI FÉDÉRALE SUR LE CONTRAT D'ASSURANCE;PRESTATION D'ASSURANCE(AA);COMPÉTENCE RATIONE LOCI;PRESCRIPTION;INTERRUPTION DU DÉLAI
Normes : LOJ.116.al2; CPC.1.leta; LCA.46.al1; CO.135
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2869/2023 LCA

JTAPI/748/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 juillet 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Yvan JEANNERET, avocat, avec élection de domicile

 

contre

B______ SA, représentée par Me Pierre GABUS, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la demanderesse), domiciliée à C______, a travaillé comme éducatrice pour l’association D______ dès 2003.

2.             À ce titre, elle était assurée contre le risque accident selon la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20), tant à titre obligatoire (police n° 1______ ; ci-après : assurance LAA) que complémentaire (police n° 2______ ; ci-après : assurance LAAC), auprès de B______ SA (ci-après : l’assureur ou la défenderesse).

3.             Le 27 août 2009, Mme A______ a été victime d’un accident de la circulation.

4.             Dans la déclaration de sinistre LAA du 31 août 2009 adressé à l’assureur, l’employeur a annoncé un salaire annuel brut de CHF 67’108.80 pour un taux d’activité de 90 %.

5.             Selon expertise du 13 mai 2011, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en lien avec l’accident du 27 août 2009 a été fixée à 5 % pour le genou gauche.

6.             Par décision du 25 septembre 2014, l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI et AI) a rejeté la demande de rente AI déposée par l’assurée le 29 juillet 2010 pour les suites de son atteinte à la santé du 27 août 2009.

7.             Dès le 1er novembre 2014, l’assurée a réduit son taux d’activité à 45 %.

8.             Par décision du 12 novembre 2014, l’assureur a octroyé à l’assurée, au titre de l’assurance LAA, une indemnité de CHF 6’300.- pour l’atteinte à l’intégrité de 5 % consécutive à l’accident du 27 août 2009.

9.             Par convention d’indemnisation du même jour, signée par Mme A______ le 18 décembre 2014, l’assureur a octroyé à l’assurée, au titre de l’assurance LAAC, un montant de CHF 6’684.- à titre de capital-invalidité pour cette même atteinte. Cette indemnité était calculée sur la base d’un gain assuré de CHF 66’833.-.

10.         Le 20 novembre 2014, l’assurée a été victime d’un nouvel accident de la circulation.

11.         Dans la déclaration de sinistre LAA du 24 novembre 2014 adressée à l’assureur, l’employeur a annoncé un salaire annuel brut de CHF 39’160.28 pour un taux d’activité de 45 %.

12.         Le 5 mai 2015, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations AI.

13.         Parallèlement, dans le cadre de l’assurance LAA, l’assureur a mis sur pied une expertise bi-disciplinaire qu’elle a confiée au E______ (E______). Selon le rapport d’expertise du 17 octobre 2017, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en lien avec le nouvel accident a été fixée à 50 % pour la colonne vertébrale et à 10 % pour le pied droit, soit à 60 % au total.

14.         À l’occasion de cette expertise, il a été constaté que l’atteinte en lien avec l’accident du 27 août 2009, initialement fixée à 5 %, correspondait, après l’accident du 20 novembre 2014, à une atteinte de 10 %.

15.         Par projet de décision du 24 avril 2018 et décision du 6 juin 2019, l’OAI a alloué à l’assurée une rente AI avec effet au 1er novembre 2015.

Cette décision a fait l’objet d’un recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre des assurances sociales) qui a retenu, par arrêt du 27 avril 2020, que l’assurée avait droit à une rente AI entière dès le 1er novembre 2015 (ATAS/305/2020).

16.         Le 24 octobre 2019, l’assurée a fait notifier à l’assureur un commandement de payer interruptif de prescription pour les prestations d’assurance LAAC.

17.         Par la suite, sur demande de l’assurée, l’assureur a régulièrement renoncé à se prévaloir de l’exception de prescription, la dernière fois jusqu’au 31 mai 2023, ce pour autant que celle-ci ne soit pas déjà acquise.

18.         Le 26 novembre 2020, l’assureur a versé à l’assurée, au titre de l’assurance LAAC, un acompte de CHF 23’030.- en lien avec l’accident du 20 novembre 2014.

19.         Par décision du 15 juillet 2021 (303.877.603.00 et 304.435.315.00), l’assureur a notamment octroyé à l’assurée, au titre de l’assurance LAA, une indemnité de CHF 75’600.- pour l’atteinte à l’intégrité de 60 % consécutive à l’accident du 20 novembre 2014, et une indemnité complémentaire de CHF 6’300.- pour l’atteinte à l’intégrité augmentée de 5 % en relation avec l’accident du 27 août 2009.

Dans cette décision, l’assurée s’est également vu octroyer une rente complémentaire d’invalidité, calculée sur la base d’un gain assuré de CHF 84’855.35, prenant en considération le gain qu’elle aurait pu réaliser à 90 % au cours de l’année précédant l’ouverture du droit à la rente, et pour un degré d’invalidité de 86 %.

20.         Par courrier du même jour (303.653.716.00), l’assureur a proposé à l’assurée de lui verser, au titre de l’assurance LAAC, un montant de CHF 46’992.35, sous déduction de l’acompte déjà versé, à titre de capital-invalidité en lien avec l’accident du 24 novembre 2014. Cette indemnité était calculée sur la base du gain annuel contractuel réalisé dans l’entreprise au moment de l’accident, soit CHF 39’160.28, et d’une atteinte à l’intégrité de 60 %. Le calcul de l’indemnité était le suivant : CHF 39’160.28 x 2 x 60 %.

21.         Par courriel du 23 novembre 2022, sous la plume de son conseil, l’assurée a refusé l’offre de l’assureur, estimant que le gain assuré, calculé selon les dispositions de la LAA, devait être arrêté à CHF 84’856.- (et non CHF 39’160.28) et l’atteinte à l’intégrité s’élever à 65 % (et non 60 %), conformément à la décision du 15 juillet 2021 rendue dans le cadre de l’assurance LAA.

22.         Par courrier du 30 novembre 2022, l’assureur a persisté dans son offre du 15 juillet 2022, considérant que le premier accident avait déjà fait l’objet d’une indemnisation définitive par le versement d’un capital en janvier 2015 et que les éléments retenus pour le calcul de l’indemnité liée au second accident au titre de l’assurance LAAC étaient corrects.

23.         Le 8 mars 2023, l’assurée a déposé une requête en conciliation auprès du Tribunal de première instance (ci-après : TPI) qui, en date du 8 mai 2023, lui a délivré l’autorisation de procéder dans un délai de trois mois.

24.         En date du 6 septembre 2023, sous la plume de son conseil, l’assurée a déposé auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après :  le tribunal) une demande en paiement à l’encontre de l’assureur, concluant, sous suite de frais et dépens, à ce que celui-ci soit condamné à lui payer la somme de CHF 87’282.- plus intérêts à 5 % dès le 20 novembre 2014.

Étant domiciliée dans le canton de Genève, les juridictions genevoises étaient compétentes pour connaître de sa demande.

Les CGA prévoyaient, d’une part, que le gain réalisé dans l’entreprise assurée, calculé selon les dispositions de la LAA, était déterminant pour le calcul des prestations d’assurance et, d’autre part, que le degré d’invalidité se calculait selon les dispositions de la LAA relatives aux indemnité pour atteinte à l’intégrité. En l’occurrence, l’assureur avait retenu, sur le volet obligatoire, que le gain assuré s’élevait à CHF 84’855.34, prenant en considération le gain qu’elle aurait pu réaliser à 90 % au cours de l’année précédant l’ouverture du droit à la rente, soit du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, conformément aux informations fournies par son ancien employeur, et l’atteinte à l’intégrité consécutive à l’accident du 20 novembre 2014 à 65 %. Sur le volet complémentaire, il avait toutefois considéré que le gain assuré s’élevait à CHF 39’160.28 et l’atteinte à l’intégrité à 60 %. Or, rien ne justifiait que l’assureur s’écarte des éléments retenus sur le volet obligatoire pour le calcul de l’indemnité complémentaire.

Les dispositions des CGA étaient claires et univoques, de telle sorte qu’elles ne pouvaient de bonne foi être comprises autrement. Cas échéant, l’interprétation des clauses selon le principe de confiance, respectivement selon la règle in dubio contra assicuratorem, imposait de retenir qu’elle avait droit à une indemnité fondée sur un gain assuré de CHF 84’855.35 et une atteinte à l’intégrité de 65 %. L’indemnité pour invalidité se montait ainsi à CHF 110’312.- (CHF 84’855.34 x 2 x 65 %), sous déduction de l’acompte de CHF 23’030.- versé le 26 octobre 2020.

25.         Dans ses observations du 12 décembre 2023, l’assureur a conclu à l’irrecevabilité de la demande en paiement.

L’art. 116 al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ ‑ E 2 05) n’était pas conforme au droit fédéral, de sorte que le tribunal n’était pas compétent à raison de la matière pour connaître du litige. Il sollicitait que les débats soient limités dans un premier temps à la compétence du tribunal, jusqu’à droit jugé définitivement sur cette question.

26.         Dans ses plaidoiries du 23 janvier 2024, la demanderesse s’est opposée à une limitation des débats à la question de la compétence du tribunal de céans et sollicité que cette question soit traitée avec le fond du litige, une fois la cause instruite.

27.         Dans ses plaidoiries du 24 janvier 2024, la défenderesse s’en est rapportée à justice sur cette question, qui pouvait donc être tranchée avec le fond du litige, la compétence du tribunal n’apparaissant finalement pas problématique au regard de l’art. 4 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272). Elle sollicitait en conséquence qu’un délai lui soit accordé pour répondre à la demande sur le fond.

28.         Dans sa réponse sur le fond du 30 avril 2024, la défenderesse a conclu, principalement, au rejet de la demande et, subsidiairement, à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle s’engageait à payer à la demanderesse le solde du capital-invalidité à hauteur de CHF 23’962.35, plus intérêts à 5 % dès l’entrée en force du jugement à venir, sous suite de frais et dépens.

Les prétentions de la demanderesse étaient prescrites en application de l’art. 46 al. 1 de la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA - RS 221.229.1) dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. La demanderesse souffrait en effet d’une invalidité depuis le 1er novembre 2015, date à compter de laquelle son statut d’invalide était reconnu, lui donnant droit à une rente AI. La date de survenance de l’invalidité, dans son principe, était donc le 1er novembre 2015. Or, la demanderesse avait interrompu la prescription pour la première fois par l’envoi d’un commandement de payer le 24 octobre 2019, soit bien plus de deux ans dès le jour où il était acquis qu’il existait une invalidité. Les pourparlers qui s’étaient tenus après le délai de prescription n’avaient aucun impact. Il en allait de même du paiement de l’acompte le 26 octobre 2020, lequel ne faisait par renaître un nouveau délai de prescription qui était d’ores et déjà échu.

La demanderesse n’avait pas démontré la quotité de ses prétentions. En particulier, elle n’avait produit aucune pièce relative à son revenu pour la période pertinente. Elle n’avait pas non plus prouvé son domicile dans le canton de Genève.

Conformément à l’art. 5.1 let. a des CGA et à l’art. 15 al. 2 LAA, c’était le dernier salaire assuré avant l’accident, soit CHF 39’160.28, qui devait servir de base pour le calcul des prestations d’assurance. À cet égard, c’était à tort que la demanderesse invoquait l’art. 24 al. 2 et 4 de l’ordonnance sur l’assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202) pour le calcul du gain assuré. Ces bases légales constituaient des exceptions au principe, qui étaient exclusivement applicables au calcul des rentes.

De plus, la demanderesse ne pouvait prétendre au versement d’un capital complémentaire en relation avec le taux de 5 %, qui résultait de l’aggravation d’une atteinte à la santé antérieure (soit le premier accident), dont les conséquences avaient été définitivement réglées par une convention d’indemnisation signée par la demanderesse le 18 décembre 2014, qui ne prévoyait ni révision ni modification en cas d’aggravation.

29.         Le 24 mai 2024 s’est tenue une audience de débats d’instruction, de débats principaux et de premières plaidoiries, lors de laquelle les parties ont confirmé qu’elles n’avaient pas de nouveaux moyens de preuve à offrir, hormis, pour la demanderesse, une attestation de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) pour ce qui concernait son domicile. Pour le surplus, elles ont persisté dans leurs conclusions respectives.

30.         Par ordonnance de preuve du 24 mai 2024, le tribunal a imparti à la demanderesse un délai pour produire une attestation de domicile de l’OCPM, ce qu’elle a fait par courrier du 28 mai 2024.

31.         Dans ses plaidoiries finales du 20 août 2024, la défenderesse a persisté dans ses conclusions, reprenant pour l’essentiel les arguments précédemment exposés.

L’invalidité de la demanderesse existait depuis le 1er novembre 2015, comme cela découlait de l’arrêt de la chambre des assurances sociales du 27 avril 2020.

La prescription avait été interrompue la première fois le 24 octobre 2019, soit bien après l’échéance du délai de prescription qui courait depuis le 1er novembre 2015. Le fait que le taux d’invalidité n’était pas définitivement connu à cette date n’y changeait rien. Qui plus était, le taux d’invalidité résultait d’une expertise, dont les rapports étaient datés des 22 juin et 12 juillet 2017. Là encore, la prescription était interrompue après l’échéance du délai de deux ans.

Le salaire perçu par la demanderesse avant son accident était un fait pertinent et déterminant pour statuer sur son droit aux prestations. Or, cette dernière n’avait formulé aucun allégué, ni produit aucune pièce attestant du montant de son salaire. Faute d’avoir prouvé son dommage, elle devait être déboutée de ses prétentions.

32.         Dans ses plaidoiries finales du 30 août 2024, déposées dans le délai prolongé accordé par le tribunal, la demanderesse a persisté dans ses conclusions.

L’art. 46 al. 1 LCA n’était pas la base légale applicable dans le cas d’espèce. La prescription n’était acquise que le 20 novembre 2021, soit sept années après l’accident, en application de l’art. 10.6 des CGA. Contrairement à ce qu’affirmait la défenderesse, aucun des actes interruptifs ou de renonciation n’avait été émis alors que la prescription – dont le délai avait été porté à cinq ans avec le nouvel art. 46 LCA – était acquise, si bien que ses prétentions n’étaient pas prescrites.

À cela s’ajoutait que l’assureur se basait sur la décision rendue en matière de LAA pour fixer les prestations dues au titre de l’assurance LAAC et que le montant du capital-invalidité n’était pas déterminable selon les CGA avant que la LAA n’ait statué sur le taux applicable à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Aussi, le délai de prescription n’avait pas commencé à courir avant le 15 juillet 2021, date à laquelle la défenderesse disposait pour la première fois des données nécessaires au calcul des prestations LAAC à lui allouer. L’application isolée de l’art. 46 LCA ne conduisait pas à un autre résultat, étant relevé qu’en matière de capital d’invalidité, l’assureur prenait appui non pas sur la notion d’invalidité qui serait déterminée par les règles de l’AI, mais sur la notion d’indemnité pour atteinte à l’intégrité, réglée aux art. 24 et ss LAA.

S’agissant du salaire assuré, il ressortait clairement de la déclaration de sinistre LAA du 24 novembre 2014 signée par son ancien employeur. La défenderesse elle-même, dans son courrier concernant le calcul de l’indemnité LAAC du 15 juillet 2021, retenait le montant qui y figurait. Ainsi, elle peinait à comprendre en quoi le salaire perçu au moment de son deuxième accident n’aurait pas été établi. De plus, c’était à tort que la défenderesse prétendait être fondée à retenir au gain assuré différent en LAA et en LAAC.

33.         Par courriers des 11 septembre, 2 octobre et 11 octobre 2024, la demanderesse a renoncé à répliquer, tout en se réservant le droit d’exercer son droit inconditionnel à la réplique dans l’hypothèse où la défenderesse devait déposer de nouvelles déterminations.

34.         Par courriers des 11 septembre et 2 octobre 2024, la défenderesse a demandé à pouvoir se déterminer sur les plaidoiries finales de la demanderesse.

35.         Dans ses déterminations du 30 octobre 2024, la défenderesse a persisté dans ses conclusions, reprenant en substance les arguments développés dans ses précédentes écritures.

36.         Invitée à se déterminer, par courrier du tribunal du 5 novembre 2024, la demanderesse n’a pas donné suite dans le délai imparti pour ce faire.

37.         En date du 20 février 2025, le tribunal a informé les parties que la cause était gardée à juger.

38.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît en première instance des litiges portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-accidents obligatoire prévue par la LAA (art. 116 al. 2 LOJ).

2.             De telles procédures sont soumises aux règles prévues par le Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272 ; art. 1 let. a CPC).

3.             Le tribunal examine d’office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC) et n’entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l’action (art. 59 al. 1 CPC). Parmi ces conditions figure la compétence du tribunal à raison de la matière et du lieu (art. 59 al. 2 let. b CPC).

4.             En l’occurrence, le litige porte sur un accident et les prestations découlant d’une assurance complémentaire à l’assurance-accidents obligatoire selon la LAA. Partant, le tribunal est compétent ratione materiae pour statuer sur le litige.

S’agissant de la compétence ratione loci, l’art. 34 des CGA prévoit qu’en cas de litige, l’ayant droit aux prestations peut choisir son lieu de domicile comme for, étant précisé que les élections de for sont admissibles en vertu de l’art. 17 CPC, par renvoi de l’art. 46a LCA – même si cet article n’a pas été modifié en conséquence (ATAS/355/2016 du 2 mai 2016 consid. 2b). La demanderesse ayant son domicile à Genève, le tribunal est également compétent à raison du lieu pour juger du cas d’espèce.

Dans ces conditions, la demande, préalablement soumise à une tentative de conciliation devant le TPI (cf. art. 86 al. 2 let. b LOJ), est recevable.

5.             La maxime des débats et le principe de disposition sont applicables (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

6.             Les parties ne remettent pas en cause, à juste titre, l'application de la LCA au contrat d’assurance LAAC (régi par les conditions du contrat pour assurance complémentaire à la LAA édition 1/2007 - ci-après : CGA), à laquelle renvoie du reste l'art. 16 let. a des CGA. Ce contrat prévoit notamment l’octroi d’un capital en cas d’invalidité, qui fait l’objet du présent litige.

La LCA a fait l’objet d’une révision entrée en vigueur le 1er janvier 2022 (modification du 19 juin 2020 ; RO 2020 4969 ; RO 2021 357 ; FF 2017 4767). Selon la disposition transitoire relative à cette modification, seules les prescriptions en matière de forme (let. a) et le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b (let. b) s’appliquent aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de cette modification. S’agissant des autres dispositions modifiées de la LCA, elles s’appliquent uniquement aux nouveaux contrats (art. 103a LCA ; Message concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4812).

Dès lors qu’en l’espèce, le contrat d’assurance LAAC a été conclu avant le 1er janvier 2022 et que l’objet du litige ne porte ni sur des prescriptions en matière de forme, ni sur le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b LCA, les dispositions de la LCA antérieures à la modification du 19 juin 2020 sont applicables. C’est donc la LCA dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 qui sera citée ci-après.

Au surplus, la LCA renvoie au code des obligations pour toutes les questions qu’elle ne règle pas (art. 100 al. 1 LCA). 

7.             Selon l’art. 46 al. 1 LCA, les créances qui découlent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation.

L’imprécision de cette disposition a donné lieu à une abondante jurisprudence. Au terme de son évolution, celle-ci a précisé que le fait d'où naît l'obligation ne se confond pas nécessairement avec la survenance du sinistre, même s'il s'agit de la cause première de l'obligation d'indemnisation. Selon le type d'assurance envisagée, la prestation de l'assureur n'est due que si le sinistre engendre un autre fait précis. Ainsi, en matière d'assurance accident, le contrat peut prévoir une couverture en cas d'invalidité ; ce n'est alors pas l'accident comme tel, mais la survenance de l'invalidité qui donne lieu à l'obligation de payer des prestations (ATF 126 III 278 consid. 7a ; 118 II 447 consid. 2b ; arrêt du tribunal fédéral 4A_702/2012 du 18 mars 2013 consid. 1.2, publié, non dans son intégralité, in ATF 139 III 263). Seule une prétention qui a déjà pris naissance peut être atteinte par la prescription (ATF 100 II 42 consid. 2d). Le moment déterminant pour le départ de la prescription est donc celui où sont réunis tous les éléments constitutifs fondant le devoir de prestation (Leistungspflicht) de l'assureur (ATF 127 III 268 consid. 2b). Il s'ensuit que la notion de « fait d'où naît l'obligation » varie selon les diverses catégories d'assurances, et selon le type de prétention en cause (ATF 127 III 268 consid. 2b ; arrêt du tribunal fédéral 4A_645/2010 du 23 février 2011 consid. 2.2.2, rés. in JdT 2012 II 135).

Ainsi, pour connaître le « fait d'où naît l'obligation », et partant le point de départ de la prescription, il faut analyser le contrat d'assurance et déterminer quel est le sinistre assuré, respectivement quels éléments constitutifs doivent être réunis pour que l'assureur ait l'obligation d'indemniser l'assuré - sans égard aux déclarations et actes que doit faire la partie qui invoque une prétention (arrêt 4A_702/2012 précité consid. 1.2 et les références).

Dans l'assurance-invalidité, la prescription commence à courir au moment où l'invalidité qui s'est manifestée peut objectivement être acquise, sans égard au moment où l'assuré en a eu connaissance (ATF 118 II 447 consid. 2b ; arrêt 4A_702/2012 précité consid. 1.2). Le départ du délai de prescription correspond ainsi au moment où l'invalidité est permanente et durable (ATF 126 III 278 ; 127 III 268 ; arrêt du tribunal fédéral 5C.61/2003 du 23 octobre 2003 consid. 3.3).

Dans l'assurance privée contre les accidents, l'invalidité se définit, si les parties n'ont rien convenu d'autre, comme une atteinte définitive à l'intégrité corporelle diminuant la capacité de travail, sans qu'il soit nécessaire que l'assuré éprouve effectivement un préjudice économique ensuite de l'accident (cf. art. 88 LCA; ATF 118 II 447 consid. 2b ; arrêt 5C.61/2003 précité consid. 3.3 ; arrêt 4A_644/2014 du 27 avril 2015 consid. 2.1).

S'agissant d'une indemnité pour invalidité, la prescription court dès le jour où il est acquis qu'il existe une invalidité, à savoir généralement lorsqu'il faut admettre que les mesures thérapeutiques destinées à conjurer le mal ou, du moins, à limiter les effets de l'atteinte dommageable, ont échoué, c'est-à-dire dès que l'on ne peut plus attendre du traitement médical une sensible amélioration de l'état de santé de l'assuré et qu'il en résulte une incapacité de travail permanente et durable. Par contre, il n'est pas nécessaire que le taux d'invalidité soit définitivement déterminé; c'est l'invalidité dans son principe, et non dans son ampleur, qui doit être acquise, à moins que le contrat d'assurance ne prévoie qu'un taux minimal d'invalidité doit être atteint pour que le cas d'assurance soit réalisé (arrêts du tribunal fédéral 4A_228/2016 du 16 janvier 2017 consid. 2.1 ; 4A_644/2014  précité consid. 2.3 et les références). Peu importe le moment où l'assuré a eu connaissance de son invalidité, le point de départ du délai de prescription de l'art. 46 al. 1 LCA étant fixé de manière objective (ATF 127 III 268 consid. 2b et 2c; 118 II 447 consid. 3b et 4c; arrêts 5C.61/2003 précité consid. 3.3 et 3.5; 4A_702/2012 précité consid. 1.2).

Enfin, le point de départ de la prescription n'est pas lié à l'exigibilité de la créance. En effet, dans la LCA, l'exigibilité dépend des renseignements donnés par l'assuré (art. 41 LCA), et le législateur ne voulait pas que celui-ci puisse influer sur le départ de la prescription. La prescription peut ainsi courir avant que la prestation ne soit devenue exigible (ATF 139 III 263 consid. 1.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_488/2017 du 9 octobre 2018 consid. 4.1 ; 4A_228/2016 du 16 janvier 2017 consid 2.1 ; 4A_122/2014 du 16 décembre 2014 consid. 3.4.2). En revanche, une fois la prestation d'assurance devenue exigible, la prescription, bien évidemment, court (art. 130 al. 1 CO).

8.             En l’occurrence, le contrat d’assurance LAAC prévoit l’octroi d’un capital en cas d’invalidité.

Selon l’art. 10.1 des CGA, l’assureur paie l’indemnité pour invalidité convenue lorsque l’assuré souffre d’une atteinte durable à son intégrité physique ou mentale. Selon l’art. 10.3 des CGA, le degré d’invalidité se calcule selon les dispositions de la LAA relatives aux indemnités pour atteinte à l’intégrité

L’art. 10.6 des CGA, intitulé « Paiement des prestations », précise que l’indemnité pour invalidité est payée dès que l’importance de l’invalidité permanente peut être déterminée, mais au plus tard cinq ans après le jour de l’accident.

9.             En l’occurrence, il n’est pas contesté que la demanderesse a subi une atteinte importante et durable à son intégrité physique suite à l’accident du 20 novembre 2014, lui permettant de prétendre à l’octroi d’un capital-invalidité au sens de l’art. 10.1 des CGA.

La défenderesse oppose toutefois l’exception de prescription, faisant valoir que le délai biennal de l’art. 46 al. 1 LCA a commencé à courir le 1er novembre 2015 et était donc déjà échu au moment du premier acte interruptif de prescription survenu le 24 octobre 2019.

La demanderesse soutient pour sa part que le délai de prescription n’aurait commencé à courir qu’au terme du délai de cinq ans prévu à l’art. 10.6 des CGA, soit le 20 novembre 2019. Elle renvoie à cet égard à l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_644/2014 du 27 avril 2015, lequel examine la portée d’une clause identique à l’art. 10.1 des CGA, et en conclut que par un raisonnement applicable mutatis mutandis, la prescription n’aurait été atteinte en l’espèce que sept ans après la survenance de l’accident, c’est-à-dire le 20 novembre 2021, et qu’elle aurait donc été valablement interrompue par le commandement de payer adressé à la défenderesse le 24 octobre 2019.

10.         La demanderesse ne peut être suivie.

En effet, dans l’arrêt 4A_644/2014 susmentionné le Tribunal fédéral a retenu que la règle des cinq ans mentionnée dans les CGA (identique à celle de l’art. 10.1 des CGA du cas d’espèce) devait être comprise dans le sens qu’elle déterminait le moment à partir duquel l’assureur avait la possibilité de régler le cas même si l’importance de l’invalidité permanente ne pouvait pas encore être définitivement chiffrée. Elle permettait à l'assureur de ne pas devoir garder un dossier indéfiniment ouvert en lui ménageant la possibilité de liquider le cas après cinq ans, sur la base de l'état de fait tel qu'il se présentait à ce moment-là, et à l'assuré ou au tiers bénéficiaire d'exiger le versement des prestations cinq ans après l'accident. Cette clause ne constituait donc pas un délai de péremption. Il s’agissait d’une clause d’exigibilité (consid. 1.4). Plus loin, le Tribunal fédéral retient d’ailleurs que la date où l’existence d’une atteinte à l’intégrité physique et d’une invalidité anatomique pouvait être tenue pour acquise (cf. consid. 2.1, 2ème § de l’arrêt) faisait débuter à la fois l’exigibilité de la prestation (à l’intérieur du délai maximum de cinq ans, encore non échu dans cette affaire) et le délai de prescription de deux ans prévu par l’art. 46 LCA (consid. 2.4), ce qui faisait du délai prévu par cette disposition et de celui prévu par les CGA deux notions indépendantes.

En d’autres termes, il découle de cet arrêt qu’une clause telle qu’en l’espèce l’art. 10.1 CGA ne modifie pas le dies a quo du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA et n’a aucune incidence sur la computation du délai de prescription, qui commence à courir à partir du fait d’où naît l’obligation de prestation, soit le moment où l’invalidité est acquise dans son principe.

11.         Reste donc à déterminer le point de départ du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA dans le cas d’espèce.

12.         L’OAI a reconnu, par projet de décision du 24 avril 2018 et décision du 6 juin 2019, une invalidité permanente en lien avec l’accident du 20 novembre 2014 dès le 1er novembre 2015, date à laquelle la demanderesse s’est trouvée en incapacité totale de travail et a commencé à percevoir une rente entière d’invalidité. La survenance de l’invalidité doit dès lors être tenue pour acquise au 1er novembre 2015.

Le fait que la décision reconnaissant cette invalidité est postérieure ou que le taux d’invalidité a été fixé plus tard est à cet égard sans pertinence. Le Tribunal fédéral l’a rappelé : c’est l’existence de l’invalidité, et non la connaissance qu’en a l’assuré ou la fixation définitive du taux, qui déclenche le délai de prescription (ATF 118 II 447 consid. 2b).

Dès lors, le « fait d’où nait l’obligation de prestation » est bien le 1er novembre 2015, date à laquelle a été situé le début de l’invalidité permanente de la demanderesse. C’est à cette date que l’obligation de prestation de l’assureur est née, bien qu’elle n’ait pas encore été exigible selon l’art. 10.1 des CGA. Le délai de prescription biennal a donc commencé à courir à cette date, pour échoir le 1er novembre 2017.

13.         Selon l'art. 135 du Code des obligations (CO – RS 220), applicable par renvoi de l'art. 100 LCA, la prescription est interrompue lorsque le débiteur reconnaît la dette, notamment en payant des intérêts ou des acomptes, en constituant un gage ou en fournissant une caution (ch. 1) ou lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites, par une requête de conciliation, par une action ou une exception devant un tribunal ou un tribunal arbitral ou par une intervention dans une faillite (ch. 2).

14.         La réquisition de poursuite interrompt la prescription dès sa remise à la poste (ATF 104 II 20 consid. 2). Conformément à l'art. 138 al. 2 CO, la prescription reprend ensuite son cours à compter de chaque acte de poursuite.

15.         La reconnaissance de l'art. 135 ch. 1 CO constitue la manifestation par laquelle le débiteur (ou son représentant) exprime au créancier (ou à son représentant) qu'il a conscience d'être tenu envers lui par une obligation juridique déterminée (arrêt 5C.41/2002 du 17 juin 2002 consid. 2.1). Elle doit ressortir des déclarations, orales ou écrites, du débiteur, interprétées, le cas échéant, d'après le principe de la confiance, ou d'actes concluants (arrêt 5C.112/2003 du 27 février 2004 consid. 4.1 et les références). Pour avoir un effet interruptif, la reconnaissance de dette ne doit pas nécessairement être émise par le débiteur aux fins d'exprimer sa volonté de s'obliger, ni d'interrompre la prescription; il suffit qu'il manifeste sa conviction que la dette existe encore (ATF 57 II 583). De même, il suffit que le débiteur reconnaisse l'obligation dans son principe; peu importe qu'il soit dans l'incertitude quant à son étendue, sa déclaration n'ayant pas à se rapporter à une somme déterminée (ATF 119 II 368 consid. 7b; arrêt 5C.112/2003 du 27 février 2004 consid. 4.1 et les références). Si le débiteur n'articule aucun chiffre, la reconnaissance de dette s'étend au montant qui s'avère ultérieurement dû au regard de l'obligation reconnue; s'il indique en revanche un montant déterminé, celui-ci constitue la limite supérieure de sa volonté de reconnaître la dette (arrêt 5C.112/2003 du 27 février 2004 consid. 4.1; arrêt 5A_269/2014 du 17 mars 2015 consid. 9.1.1).

La jurisprudence a eu l'occasion de juger qu'un paiement effectué «pour solde de tout compte» n'interrompt pas la prescription, de même lorsque l'assureur se borne à articuler une telle offre dans le cadre de pourparlers, sans reconnaissance de responsabilité (arrêt 5C.112/2003 précité, consid. 4.3 et les références).

Lorsque la prescription est interrompue, un nouveau délai court dès l'interruption (art. 137 al. 1 CO). Ce délai est d'une durée en principe égale à celle du délai interrompu (ATF 119 II 368 consid. 7a in fine).

16.         En l’espèce, - et ceci n’est pas contesté - la demanderesse a voulu interrompre pour la première fois la prescription par l’envoi d’un commandement de payer le 24 novembre 2019. Intervenu bien après l’échéance du délai de prescription, cet acte est sans effet interruptif. Quant aux propositions formulées par la défenderesse en vue de régler les conséquences de l’invalidité, elles l’ont été au-delà de cette échéance, et quelle que soit la manière de les interpréter, ne jouent donc aucun rôle par rapport à la prescription L’exception de prescription soulevée par la défenderesse est dès lors fondée.

17.         Au vu de ce qui précède, le tribunal retient que les prétentions de la demanderesse sont prescrites et, partant, que sa demande en paiement doit être rejetée.

18.         Vu qu'il s'agit d'une cause portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-accidents obligatoire prévue par la LAA, il n'est pas prélevé de frais judiciaires, ni alloué de dépens à la charge de l'assurée (art. 22 al. 3 let. a de la loi d'application du code civil suisse et autres lois fédérales en matière civile du 28 novembre 2010 - LaCC - E 1 05).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande en paiement déposée le 6 septembre 2023 par Madame A______ ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu’il n’est pas prélevé d’émolument, ni alloué de dépens ;

4.             déboute les parties de toutes autres conclusions ;

5.             dit que, conformément aux art. 134 al. 2 LOJ, 308 et 311 CPC, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1955, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière