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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1281/2025

JTAPI/405/2025 du 14.04.2025 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : MESURE D'ÉLOIGNEMENT(DROIT DES ÉTRANGERS);VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1281/2025 LVD

JTAPI/405/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 14 avril 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

Madame B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 10 avril 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de onze jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, située rue de ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci. Les deux enfants du couple, nés en 2009 et 2013, n’étaient pas visés par la mesure.

2.             Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. A______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :

« Description des dernières violences :

En date du 10.04.2025, M. A______ a asséné, selon son épouse, deux gifles au visage de cette dernière

Description des violences précédentes :

Le 08.01.2022 voies de fait et le 07.10.2022 contrainte sexuelle et injure à l’encontre de son épouse ».

3.             M. A______ a immédiatement fait opposition à cette décision devant le commissaire de police.

4.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 10 avril 2025 que ce jour une patrouille de police avait été requise afin de se rendre au domicile des précités concernant des violences conjugales. A son arrivée, Mme B______ avait expliqué avoir eu un conflit verbal sur fond de litige financier avec son conjoint M. A______ , la veille au soir. Ce conflit avait repris ce jour, lorsqu’elle était rentrée du travail vers 17H00, et M. A______ lui aurait asséné deux gifles au visage. Le précité avait confirmé le conflit verbal mais sans échange de coups. Mme B______ était rentrée du travail avec un peu de retard et lorsqu’il l’avait questionnée à ce sujet, elle lui aurait répondu qu'elle était allée coucher avec un homme afin d'obtenir de l’argent, ce qui avait généré le conflit. Son épouse l’avait saisi par le col de son pull. Les contrôles d'usage leur avaient permis de constater que deux procédures pour violences conjugales avaient été ouvertes en 2022, l’une pour des voies de faits et l’autre pour contrainte sexuelle et injure.

5.             Il ressort de l’audition des intéressés le 10 avril 2025 les éléments suivants :

Mme B______ a expliqué avoir rencontré son mari en 2008 à Genève. Ils s’étaient mariés en 2012 et de leur union étaient nés deux enfants. Les tensions avaient commencé à apparaître en 2022. À cette période, son mari fréquentait des consommateurs de crack et il s'était mis consommer ce produit. Il devenait alors agressif verbalement. Pour financer sa consommation, il lui arrivait de vendre certaines de ses affaires dans des magasins de type « Cash Converter », ce qui générait des conflits au sein du couple. Il n’avait jamais consommé de drogue à la maison ni en présence des enfants. Il consommait beaucoup. En 2022, il avait été violent physiquement envers elle. Il avait été éloigné du domicile et condamné. Suite à cela, la situation s’était améliorée et ils avaient pris la décision qu'il ne devait pas gérer les finances pour lutter contre son addiction. Tout s’était bien passé jusqu’au 9 avril 2025. Son mari ne travaillant pas cela générait toutefois des problèmes. Il y avait environ 3 semaines, les services sociaux leur avait remis CHF 800.- à titre d'aide exceptionnelle. Son mari avait transféré l'argent sur son compte bancaire. Lorsqu’elle lui avait demandé cet argent, il lui avait dit qu’il ne l’avait pas d’un ton très agressif et elle avait immédiatement compris qu'il avait consommé du crack, car son attitude ressemblait à celle de 2022. Elle n’avait pas pu encaissé l’argent car elle travaillait le jour du rendez-vous. Elle avait été très énervée car elle devait payer le loyer et certaines factures. Il était ensuite parti dans sa chambre et elle avait dormi au salon. Le lendemain, après son travail, vers 15h, elle s’était rendue à l’aide-sociale pour expliquer la situation. Elle était arrivée à la maison à 15h50, soit 15 minutes plus tard que d’habitude, et son mari était devenu agressif verbalement lui disant « t’es partie faire la pute ? », ce à quoi elle avait répondu, rentrant dans son jeu, « oui, afin de gagner de l'argent pour payer le loyer ». Il s’était ensuite levé, lui avait crié dessus et lui avait mis une gifle de la main droite sur la joue gauche et une gifle de la main gauche sur la joue droite. Ceci main ouverte. Elle était sortie de l’appartement et avait immédiatement appelé la police. Il s’était alors calmé. Elle n’avait pas d'ecchymoses ni de douleurs. Hormis les évènements de 2022, il n’y avait pas eu de violence dans leur couple. Elle n’avait jamais menacé ou frappé son mari mais il lui était arrivé de l’injurier dans le cadre de dispute. Elle ne souhaitait pas que son mari soit éloigné du domicile ni déposer plainte contre lui.

M. A______ a confirmé que son épouse gérait les finances. Ces derniers jours, il lui arrivait de lui refuser de l’argent lorsqu’il en demandait, ce qui lui posait problème. Ils avaient perdu leurs emplois en 2023 suite à un accident en rentrant d’une fête. Le 9 avril 2025, il avait reçu de CHF 800.- de l’aide sociale sur son compte bancaire. Son épouse lui avait demandé d'aller chercher cette somme au guichet et, à peine rentré à domicile, la lui avait demandée. Il restait CHF 500.- sur le compte, le reste ayant été débité pour ouvrir le compte ou utilisé pour divers achats (essence, fournitures ou de l'argent de poche pour son fils). Il lui avait dit devoir absolument garder CHF 150.- pour régler une facture et avait finalement bloqué la carte pour ne pas être coincé financièrement. Il a confirmé l’échange verbal tel que décrit par son épouse. Il lui avait dit qu’elle ne pouvait pas lui parler comme ça mais ne l’avait pas agressée. C’était elle qui l’avait empoigné par le col de son t-shirt. Elle avait fait appel à la police sachant qu’il avait des antécédents et que cela pouvait lui nuire. Il avait perdu son emploi et arrêté ses études à cause d’elle. C’était grâce à lui qu’elle était ce qu’elle était aujourd’hui. Il contestait l’avoir giflée et avoir acheté du crack avec l’argent. Il avait effectivement consommé ce produit à l’époque mais n’y touchait plus. Son épouse revenait souvent sur le sujet. Lors de la dispute, son épouse l’avait poussé et traité d’idiot, insinuant qu’il ne faisait rien pour le foyer. Il ne souhaitait pas être éloigné du domicile. Il n’était pas violent et avait besoin de son domicile pour faire ses démarches au fin de trouver un emploi. Il ne touchait actuellement que des aides sociales.

6.             A l'audience du 14 avril 2025 devant le tribunal, M. A______ a maintenu son opposition, du fait de l'absence de risques de réitération de violence. D'ailleurs, lors de son audition par la police, son épouse n'avait pas souhaité son éloignement. Il s’opposait également à son éloignement car c'était lui qui s'occupait des enfants à la maison lorsque son épouse travaillait et il devait également pouvoir constituer son dossier en vue de retrouver un emploi, ce qu’il ne pourrait pas faire s’il était éloigné du domicile, car tous ses documents s'y trouvaient. Il n’avait pas encore pris contact avec l'association VIRES car il ne voyait pas le besoin d'un entretien socio-thérapeutique. Il souhaiterait pouvoir annuler cette exigence. Il n’avait pas contacté son épouse depuis le 10 avril 2025 et logeait chez son frère. Il maintenait ses déclarations à la police. Il n’avait pas giflé à deux reprises son épouse au visage le 10 avril 2025. Il confirmait également ne plus du tout consommer de crack. Il avait eu un entretien qui s’était bien passé et l'employeur l’avait déjà recontacté en lui demandant de compléter son dossier en vue de signer un contrat.

Mme B______ a confirmé ses déclarations à la police du 10 avril 2025 à savoir que le jour en question, M. A______ l’avait giflée à deux reprises au visage. Elle ne voulait pas que son mari soit éloigné du domicile et souhaitait qu'il puisse continuer à s'occuper des enfants pendant qu’elle travaillait. Lorsqu’elle avait appelé la police le 10 avril 2025, c'était afin qu'il soit éloigné du domicile pour la journée. Elle ne pensait pas que ça irait si loin. Elle a confirmé qu'hormis les trois épisodes signalés à la police, M. A______ n'avait jamais été violent à son encontre. Pour elle, il pouvait rentrer à la maison et elle ne pensait pas qu’il serait à nouveau violent avec elle en cas de nouvelle dispute. C'était uniquement la problématique liée à l'argent qui avait généré un différend entre eux. Si son mari trouvait du travail, la situation s'apaiserait et ils n'auraient plus ce type de différend.

Après que la présidente ait fait remarquer à M. A______ que sa version des fait était diamétralement opposée de celle de son épouse, ce qui signifiait que l’un d’eux ne disait pas la vérité, celui-ci a confirmé ne pas avoir giflé son épouse et ne pas avoir touché sa joue avec sa main. Ils s’étaient effectivement disputé verbalement ce jour-là, car elle lui avait mal parlé. Il a confirmé son opposition à la mesure d'éloignement, expliquant ne pas comprendre pour quelles raisons il avait été éloigné alors même que ce n'était pas le souhait de son épouse.

Le représentant du commissaire de police a versé à la procédure le dossier de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. A______ en janvier 2022. A sa connaissance, ce dernier avait fait l'objet de condamnations pénales mais en lien avec la circulation routière. Il a demandé la confirmation de la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de M. A______, vu les antécédents de violence au sein du couple.

Mme B______ a confirmé ne pas souhaiter l'éloignement de son époux.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les intéressés ont tous deux confirmé la survenance d’une dispute, en raison d’un différend financier, le 10 avril 2024. Leurs déclarations divergent en revanche s’agissant des violences physiques qui auraient été échangées dans ce cadre, Mme B______ expliquant avoir été giflée à deux reprises, ce que M. A______ conteste, et ce dernier indiquant que son épouse lui aurait saisi le col de son t-shirt. Il ressort néanmoins de leurs déclarations qu’ils en sont venu aux mains, ce qui correspond manifestement à la notion de violence domestique. La réalité des comportements que Mme B______ dénonce apparaît pour le surplus crédible étant relevé que l’intéressée avait déjà appelé la police à deux reprises en 2022, pour des faits de violence domestique.

Cela étant, lors de l’audience de ce jour, Mme B______ a exprimé de manière calme et posée son absence de crainte de violence en cas de retour de son mari au domicile conjugal et ne pas souhaiter le maintien de son éloignement, ce qu’elle avait déjà formulé lors de son audition par la police.

Dans ces conditions, et dès lors que le souhait exprimé par Mme B______ apparait réfléchi, il apparait inopportun aujourd’hui de maintenir la mesure d'éloignement du 10 avril 2025, tout en précisant que cette dernière était, jusqu'ici, parfaitement fondée sous l'angle de la légalité et de la proportionnalité. Cette solution tient également compte de l’intérêt des enfants du couple.

Le tribunal invitera toutefois instamment les intéressés, et en particulier M. A______, à réfléchir à la manière de régler sereinement la question de la gestion des finances au sein de leur couple, étant souligné qu’il n’est pas normal que la police ait déjà eu à intervenir à trois reprises au sein du domicile familial pour des faits de violence domestique.

Au vu de ce qui précède, faisant usage de son pouvoir en opportunité (art. 11 al. 3 LVD), le tribunal annulera dès lors la mesure d’éloignement du 10 avril 2025 afin qu'elle cesse de déployer ses effets dès communication du présent jugement, laquelle sera anticipée par courriel électronique de ce jour. L’obligation faite à M. A______ de prendre contact avec l'association VIRES, dans un délai de trois jours ouvrables, afin de convenir d’un entretien socio-thérapeutique et juridique est en revanche maintenue et il appartiendra à ce dernier d’informer immédiatement le tribunal de la date dudit rendez-vous.

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 10 avril 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 10 avril 2025 pour une durée de onze jours ;

2.             l'admet au sens des considérants ;

3.             dit que la mesure d’éloignement prise à l'encontre de Monsieur A______ par le commissaire de police le 10 avril 2025 cessera de déployer ses effets dès communication du présent jugement, laquelle sera anticipée par courriel électronique ;

4.             maintient l’obligation faite à M. A______ de prendre contact avec l'association VIRES, dans un délai de trois jours ouvrables, afin de convenir d’un entretien socio-thérapeutique et juridique et l’invite à immédiatement informer le tribunal de la date dudit rendez-vous ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties ainsi qu’au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

La greffière