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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1437/2025

JTAPI/438/2025 du 28.04.2025 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8.al2; LVD.11.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1437/2025 LVD

JTAPI/438/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 avril 2025

 

dans la cause

 

 

Madame A______

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 18 avril 2025 le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située, ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

2.             Selon cette décision, M. B______ était présumé, le 15 avril 2025, avoir menacé sa compagne de l’empoisonner pour la tuer et, antérieurement et à des dates inconnues, avoir exercé des pressions psychologiques sur sa compagne et l’avoir insultée. Il était encore présumé, durant l'année 2020, l'avoir frappée et menacée de la poignarder.

3.             Selon rapport d'interpellation rédigée par la police en date du 17 avril 2025, Mme A______ s'est rendue ce jour-là au poste de police de C______ pour annoncer qu'elle était victime de violences conjugales de la part de son compagnon. Il découle du procès-verbal de son audition effectuée sur le moment même, que le couple s'était rencontré en 2009 en Ukraine, dont elle-même et son compagnon étaient tous deux ressortissants, et qu'ils avaient eu deux fils, nés en 2011 et en 2014. Leur relation était devenue compliquée à partir de 2016, lorsqu'il avait commencé à avoir des problèmes de santé mentale. Ils avaient alors commencé à beaucoup se disputer. Il la rabaissait en lui disant qu'elle était une moins que rien et une nulle. Il suffisait qu'elle dise ou fasse quelque chose qui ne lui plaisait pas pour qu'il déclenche une attaque de harcèlement et d'insultes. Elle se souvenait qu'en 2017, alors qu'elle tenait son bébé dans ses bras, il lui criait dessus et avait lancé la télécommande dans sa direction. Lorsqu'ils étaient arrivés en Suisse en 2022, fuyant la guerre en Ukraine, leur relation avait empiré, car il avait perdu les maîtresses qu'il avait dans leur pays d'origine. C'était à ce moment-là qu'il avait commencé à vouloir à nouveau des relations sexuelles avec elle. Elle avait déjà fait le deuil de leur relation et ne voulait plus de rapports sexuels avec lui. Il insistait et c'était selon elle au moment de ces refus qu'il avait commencé ses attaques psychologiques. Avant que la situation d'empire, elle pouvait sortir avec ses copines de temps en temps le samedi soir et rentrer à la maison vers minuit ou une heure du matin. Au printemps 2024, il lui avait dit que ses sorties nocturnes étaient terminées. Il lui avait interdit de rentrer à la maison après 21 heures. Après cela, elle était rentrée seulement deux fois à 22 heures avec son autorisation. Il lui avait dit que si elle ne respectait pas cela, elle allait voir ce qu'il allait lui faire, et que sa vie allait être cauchemardesque. Elle n'avait jamais osé enfreindre cette règle.

4.             Il lui avait interdit de sécher ses sous-vêtements à la vue des enfants, disant que cela pouvait leur créer un traumatisme psychologique. Lorsqu'il parlait d'elle aux enfants, il disait juste « elle » ; il ne disait jamais « votre maman ». En 2020, le père de M. B______ avait poignardé sa femme en Ukraine et elle avait failli mourir. Après cela, son compagnon avait menacé de lui faire la même chose. Il l'avait d'ailleurs frappée durant cette période mais cela avait été la seule fois. Ils n'étaient pas d'accord sur la façon d'éduquer leurs enfants et cela avait provoqué plusieurs disputes. C'était elle qui devait être la figure d'autorité et de ce fait, il passait pour le gentil auprès des enfants. Son compagnon n'avait pas d'amis hommes et ne sortait jamais. Un dimanche, il avait sorti la Bible et des bougies. Elle avait entendu qu'il était devenu agressif verbalement avec les enfants. De ce fait, elle s'était rendue dans la pièce où il se trouvait pour comprendre la raison de ces cris. Il l'avait alors poussée, lui disant « qu'est-ce que tu cherches ici, va te faire foutre, dégage ». Son compagnon passait beaucoup de temps avec les enfants et elle l'entendait souvent leur dire qu'elle avait une maladie mentale et qu'ils ne devaient pas l'écouter. Il leur disait aussi qu'elle passait sa vie des bouteilles à la main et qu'elle fumait, ce qui était faux. À la question de savoir si elle avait été menacée par son compagnon, Mme A______ a indiqué qu'il avait menacé de créer un dossier pour l'interner dans un hôpital psychiatrique. Le 15 avril 2025, il lui avait dit qu'il avait trouvé un poison afin de la tuer. À la question de savoir si elle avait été injuriée par son compagnon, elle a expliqué qu'il lui disait qu'elle était nulle et ne servait à rien. Il la rabaissait tout le temps devant les enfants. Il avait un problème avec l'âge qu'elle avait, disant qu'elle était vieille. Il l'insultait aussi dans leur langue, mais cela ne pouvait pas être traduit en français. Elle avait tellement l'habitude d'être insultée que cela était devenu normal. Elle ne l'écoutait plus. De ce fait, elle était tout le temps stressée et sur les nerfs. À la question de savoir si elle avait été contrainte par son compagnon, il lui avait souvent demandé d'avoir des rapports sexuels avec elle, mais elle avait toujours réussi à dire non et il ne l'avait jamais forcée. Ils avaient un appartement payé par l'Hospice général. C'était lui qui percevait l'argent et il reversait la moitié sur son compte. Ils faisaient 50/50 pour les courses. Il lui disait que si elle ne faisait pas ce qu'il disait, il ne lui donnerait pas d'argent. Elle ne savait cependant pas ce qu'il voulait dire par là. C'était selon son appréciation. À ce jour, il lui avait toujours donné l'argent qu'elle devait percevoir. Sur la question de savoir s'il avait déjà été violent envers les enfants, elle a répondu que parfois, il leur criait dessus, mais c'était normal dans le cadre de l'éducation. Il n'avait jamais été violent physiquement envers eux. Il autorisait leur fils de 13 ans à sortir tout seul de la maison et à rentrer à 23 heures. Elle n'était pas d'accord avec cela, mais son opinion ne comptait pas. Leur fils de 10 ans jouait au football et avait beaucoup d'entraînement. Son père lui avait dit qu'il avait des grosses joues et qu'il devait arrêter de manger du sucre et des chips. Le problème, c'était que leur fils avait diminué de manière considérable sa nourriture et ne mangeait pas assez. Cela avait entraîné une grosse dispute avec M. B______. Il lui avait crié dessus durant une heure, jusqu'à ce qu'elle quitte l'appartement. A la question de savoir si elle avait eu autre chose à ajouter, elle a indiqué qu'elle craignait M. B______. Elle avait peur d'être avec lui lorsque les enfants n'étaient pas là et même lorsqu'ils étaient là, elle essayait de l'éviter. Elle souhaitait qu'il soit éloigné du domicile.

5.             Convoqué par la police, M. B______ a été entendu le 18 avril 2025. Selon le procès-verbal de son audition, celui-ci a déclaré qu'après le début de la guerre en Ukraine, il avait remarqué que sa compagne avait des problèmes psychologiques. Elle lui disait souvent de retourner en Russie, où il était né. Au début de leur séjour à Genève, le personnel social donnait des calmants à Mme A______. Celle-ci consommait de l'alcool et de la drogue, mais il ignorait de quelle drogue il s'agissait. Par exemple, deux semaines auparavant, elle lui avait demandé où étaient les enfants et il avait répondu qu'ils étaient à l'école. Lorsqu'il se déplaçait avec les enfants, il était toujours seul et sa compagne ne venait jamais. Lorsqu'elle rentrait tard le soir, elle était alcoolisée. Ces derniers temps, son état avait empiré et elle frappait les enfants ou leur criait dessus. La seule chose qui pouvait la calmer était qu'il lui crie dessus. Il ne l'avait en revanche jamais frappée. Elle rentrait tous les soirs tard et restait avec ses copines. Les enfants lui demandaient où se trouvait leur maman. De ce fait, il avait dû imposer des heures de rentrée. Il lui demandait de rentrer à 21 heures le soir, ce qu'elle faisait désormais. Lorsque la famille se trouvait encore au foyer situé à l'avenue D______, les gens du foyer lui disaient que Mme A______ buvait beaucoup d'alcool et que lorsqu'il n'était pas là, d'autres hommes rentraient dans leur chambre. Mme A______ faisait un lavage de cerveau aux enfants en leur disant que les citoyens russes étaient des ennemis et qu'il fallait les détester. Ainsi, lorsque leur fils aîné avait 12 ans, il avait insulté l'une de ses enseignantes d'origine russe, qui vivait en Suisse depuis 30 ans. Par ailleurs, Mme A______ avait un besoin maladif de propreté qui rendait fou tout le monde. Si elle remarquait un papier ou une saleté, elle s'énervait et criait. Ce jour-même, elle pleurait toute seule dans son lit. Lorsqu'il lui en avait demandé la raison, elle n'avait pas répondu. De ce fait, il était parti seul avec les deux enfants. Deux jours auparavant, ils avaient eu une grosse dispute. Leur fils cadet avait remarqué avoir pris du poids. « On a[vait] décidé avec lui » qui n'allait plus manger de sucre, plus de fruits, et faire un régime alimentaire. Grâce à cela, il avait perdu environ 2½ kg en un mois et demi. Sa compagne faisait des problèmes et des histoires en disant qu'il était pâle et malade et qu'il n'y arrivait plus. Sur la question de savoir quelle était sa relation avec ses enfants, il a répondu qu'il avait avec eux une magnifique relation. Leur mère ne venait jamais avec eux. Lorsqu'ils étaient en famille et qu'il prenait les transports publics, elle disait qu'elle allait s'asseoir seule devant car elle avait honte d'eux. Il avait plusieurs fois proposée une séparation, ce qu'elle refusait. Il pensait qu'elle préparait un plan, comme celui-ci par exemple. Sur la question de savoir s'il avait déjà été violent physiquement ou verbalement avec elle, il a répondu qu'il l'avait déjà été, mais seulement verbalement, car c'était le seul moyen de la stopper. Il devait utiliser des paroles fortes pour qu'elle comprenne. Elle était comme dans un nuage et lorsqu'il criait, elle comprenait. Les enfants ne devraient pas entendre ceci, car cela les effrayait. Elle lui avait dit qu'il ne l'intéressait plus comme homme et qu'elle ne voulait plus avoir de relations sexuelles avec lui. Elle lui avait dit qu'il la dégoûtait. Il n'y avait pas ce genre de signal lorsqu'ils vivaient en Ukraine, et comprenait qu'elle avait des problèmes psychologiques. Il lui avait demandé plusieurs fois d'aller consulter un psychologue pour se faire soigner, mais elle n'était jamais allée. Elle disait que c'était lui qui devrait le faire. Il était faux d'affirmer qu'il la harcelait ou l'insultait dans la vie courante. Il lui criait dessus uniquement en réaction lorsqu'elle insultait les enfants ou l'attaquait personnellement. Lorsqu'elle était calme, il n'y avait pas de souci. Il réagissait très mal si elle embêtait les enfants. Il était arrivé quelquefois qu'il la rabaisse, notamment en lui disant qu'elle était nulle. En présence des enfants, elle disait à ces derniers que leur père n'était pas un homme et qu'il était zéro. Il était donc vrai qu'il l'avait également rabaissée. À la maison, il interdisait l'alcool afin que les enfants ne voient pas ceci. Elle buvait quand même de l'alcool à la maison, mais il lui avait dit qu'il ne le tolérerait pas. Il lui conseillait d'aller boire de l'alcool avec ses amis à l'extérieur. Il était faux qu'il ait lancé une télécommande dans sa direction en 2017. Sur la question de savoir s'il était vrai qu'il faisait subir à Mme A______ des attaques psychologiques pour avoir des relations sexuelles avec elle, il a répondu que ce n'était pas du tout le cas. Il ne voulait pas non plus lors de relations sexuelles avec elle, elle ne l'intéressait pas et ne l'excitait pas. À la question de savoir s'il admettait avoir menacé sa compagne en 2020 de la poignarder et l'avoir frappée, il a contesté l'un et l'autre. Il était également inexact qu'il l'ait menacée, le 15 avril 2025, de l'empoisonner pour la tuer. Il savait que Mme A______ voulait ouvrir une procédure contre lui afin qu'il soit expulsé de Suisse et qu'elle puisse continuer à vivre seul dans ce pays avec les enfants. Sur question de savoir quelles étaient les violences commises par Mme A______ à l'encontre de leurs enfants, il a expliqué que lorsqu'il rentrait à la maison, il voyait leur fils cadet caché derrière les rideaux en train de pleurer. L'enfant avait expliqué s'être fait frapper par sa mère. Elle le tapait avec sa main et peut-être une fois avec un balai. Il ne pouvait pas dire que cela était arrivé souvent, peut-être deux ou trois fois. Dans sa famille, c'était l'homme qui dirigeait la maison.

6.             Par acte du 24 avril 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 25 avril 2025, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours jours, en expliquant avoir extrêmement peur de M. B______ suite à ses menaces de morts.

7.             Vu l'urgence, le tribunal a informé par téléphone du 25 avril 2025 de l'audience qui se tiendrait le 28 avril 2025.

8.             Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé pour l'essentiel les déclarations qu'elle avait faites à la police, tout en revenant, sur questions du tribunal, sur la manière dont la relation de couple avec M. B______ avait évolué au fil du temps. En substance, elle n'avait subi que deux agressions physiques de sa part, en 2017, lorsqu'il avait violemment jeté une télécommande de télévision dans sa direction, ce qui aurait pu occasionner une blessure à leur fils cadet qu'elle tenait dans ses bras, et au début de l'année 2022, lorsque M. B______ l'avait frappée. Elle corrigeait en ce sens les déclarations protocolées à la police, selon lesquelles cet épisode serait survenu en 2020. En dehors de ces violences physiques, elle avait, très rapidement après le début de la vie commune, commencé à subir des moqueries et des humiliations de la part de M. B______, au sein de la famille élargie, puis devant des connaissances et amis. Elle a évoqué un épisode survenu deux ans après la naissance de leur fils aîné, lorsque, après qu'un homme l'eût complimentée sur son physique durant une fête, M. B______ avait déclaré, de manière à ce que tout le monde l'entende, qu'en réalité, le physique de Mme A______ était plutôt moyen et qu'il avait lui-même dans son entourage, des jeunes femmes dont le physique la surpassait nettement. Elle a également évoqué deux épisodes durant lesquels, alors qu'ils se trouvaient encore en Ukraine, M. B______ avait eu un comportement étrange, qu'elle mettait en lien avec le fait que M. B______ avait lui-même évoqué des épisodes de schizophrénie dans son passé. Les emportements de M. B______ étaient la plupart du temps tout à fait imprévisibles, même s'il arrivait qu'ils surviennent également dans le cadre de disputes relatives notamment à l'éducation des enfants. Ces disputes étaient souvent extrêmement fortes et elle se souvenait qu'à une reprise, M. B______ avait crié tellement fort qu'elle était sûre que tout le voisinage l'avait entendu. Pendant deux semaines, elle n'avait presque pas osé sortir, par honte vis-à-vis des voisins. Il arrivait également que M. B______ l'insulte en la traitant de nulle, de chienne ou de bétail. Il lui disait qu'elle devait lui obéir, sans quoi elle verrait ce qui arriverait. Elle considérait cela comme des menaces.

À l'arrivée de la famille à Genève, durant la période où ils avaient séjourné après l'expo, puis en foyer, le comportement de M. B______ n'avait pas posé de problème. Son agressivité avait cependant repris lorsqu'ils avaient pu obtenir un appartement. Cela se manifestait d'abord une à deux fois par mois, mais depuis environ deux mois, cela tendait à devenir quotidien. À force, elle commençait à s'y habituer et à ne presque plus le remarquer. M. B______ avait commencé également à ordonner aux enfants de ne plus parler à leur mère. Lorsque que la famille était réunie, il n'adressait pas directement la parole à sa compagne, mais parler aux enfants en évoquant leur mère à la troisième personne. Actuellement, elle cherchait à rester le plus possible isolée et avait commencé à demeurer dans une petite chambre de l'appartement afin d'éviter de le croiser.

Le tribunal a porté à plusieurs reprises au procès-verbal l'indication des pleurs manifestés par Mme A______ à l'évocation de certains des épisodes susmentionnés, ainsi que de signes d'angoisse au moment de ses dernières déclarations susmentionnées.

M. B______ a admis que des disputes très intenses étaient intervenues au sein du couple au sujet de l'idée de Mme A______ de retourner en Ukraine avec les enfants, cela quoi il était tout à fait opposé étant donné les dangers de la guerre. Actuellement, il vivait avec son fils E______ qui disait qu'il avait très peur de sa mère, revenant constamment sur un épisode qui avait eu lieu environ un mois auparavant, où Mme A______ s'était acharnée à coups de ceinture contre son fils aîné, ce à quoi leur fils cadet avait assisté. Ce dernier avait également raconté que lorsque la famille se trouvait encore en Ukraine, il avait été forcé par sa mère à manger un plat dont il avait tout d'abord tenté de se débarrasser aux toilettes et que sa mère l'avait forcé à aller récupérer dans la cuvette. Mme A______ avait un comportement qui devenait de plus en plus inquiétant. Elle sortait régulièrement le soir et revenait après minuit, sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue. Elle n'arrêtait pas de crier en disant qu'elle ne voulait plus voir son compagnon, ni ses enfants.

Le tribunal a porté au procès-verbal l'indication qu'au moment de l'accusation portée contre elle de violence physique contre son fils aîné, Mme A______ s'est mise à pleurer fortement en manifestant son incompréhension.

Il n'avait jamais été violent physiquement à l'encontre de Mme A______, mais il souhaitait à présent se séparer d'elle, car il ne voulait plus risquer de nouvelles incriminations de sa part. Il ne pouvait pas se prononcer sur les épisodes du passé évoqués par Mme A______, car il ne s'en souvenait pas. Il était vrai que lorsqu'il se trouvait encore en Ukraine, il avait eu une consommation d'alcool problématique que son médecin lui avait prescrit des antidépresseurs. En revanche, il n'était pas schizophrène, sans quoi il aurait sans doute été suivi.

Sur question du tribunal de savoir comment il se positionnait sur la demande de prolongation d'éloignement déposée par Mme A______, il était hors de question qu'il retourne auprès d'elle, car on l'avait averti que si elle renouvelait ses déclarations, il pourrait avoir de gros problèmes judiciaires. Depuis son éloignement, il s'était tout d'abord rendu à l'hôtel, puis, sur intervention de l'Hospice général, à F______, puis à nouveau à l'hôtel. L'Hospice général lui avait récemment dit qu'il obtiendrait le plus tôt possible une chambre en foyer. Par conséquent, il avait dorénavant ses propres projets et pouvait acquiescer à la demande de prolongation de Mme A______. Il souhaitait que les autorités fassent interdiction à cette dernière de quitter le territoire suisse avec leurs enfants sans son consentement.

Pour finir, Mme A______ a indiqué n'avoir absolument aucune intention de retourner en Ukraine, pour la simple raison que si M. B______ l'y rejoignait, elle se retrouverait sans aucune protection. Il lui arrivait de consommer de l'alcool une fois par mois pendant des fêtes, mais jamais jusqu'à l'ivresse. Elle n'avait aucune consommation de stupéfiants.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, même s'ils sont anciens, les deux épisodes de violence physique évoqués par Mme A______ apparaissent plausibles, étant donné qu'il s'agit de deux événements tout à fait ponctuels et que la précitée a été en mesure de les inscrire dans un contexte très précis. En outre, M. B______, qui a déclaré durant l'audience qu'il avait de la peine à se souvenir des événements qui avaient pu se dérouler en Ukraine et n'a ainsi aucunement commenté les autres formes de violence dont sa compagne l'a accusé, peine à convaincre lorsqu'il conteste spécifiquement ces deux épisodes de violence physique. À cet égard, M. B______ a surtout convaincu le tribunal du fait que pour lui, le seuil de la violence n'apparaît qu'avec la violence physique, qu'il éprouve dès lors le besoin de contester. Il n'a ainsi pas manifesté de réaction particulière concernant les accusations portées contre lui par Mme A______, s'agissant de celles qui concernaient des humiliations, des menaces, des insultes, c'est-à-dire toute forme de violence verbale ou psychologique. Là aussi, plusieurs déclarations de Mme A______ emportent conviction sur leur crédibilité, étant donné leur degré de précision et l'absence de réaction de M. B______. Parmi les épisodes les plus récents, il convie de mettre l'accent sur la tentative mise en œuvre par M. B______ d'isoler sa compagne au sein même de la famille, interdisant aux enfants de s'adresser à elle et, en leur présence, faisant mine qu'elle n'existe pas. La réaction de Mme A______, qui a expliqué avoir commencé à s'isoler dans une pièce de l'appartement pour éviter de croiser son M. B______, dénote la violence psychologique qui s'est récemment accrue à son encontre.

5.             Pour toutes ces raisons, indépendamment du fait que M. B______ a déclaré en audience qu'il acquiesçait à la demande de prolongation formulée par Mme A______, il s'impose, afin d'éviter que Mme A______ soit à nouveau exposée à diverses formes de violence, que la prolongation de la mesure d'éloignement prononcé à l'encontre de M. B______ par la police le 18 avril 2025 soit prolongée pour 30 jours. Elle arrivera ainsi à échéance le 28 mai à 17 heures.

6.             À toutes fins utiles, il sera précisé à l'attention des parties que le tribunal n'a pas compétence pour intervenir concernant la garde des enfants, ni les relations parentales.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 24 avril 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 18 avril 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 28 mai 2025 à 17h, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

La greffière