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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1283/2025

JTAPI/407/2025 du 15.04.2025 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8.al1; LVD.11.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1283/2025 LVD

JTAPI/407/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 14 avril 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Chris MONNEY, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Madame B______, représentée par Me Annette MICUCCI, avocate, avec élection de domicile

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 10 avril 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de 20 jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse Madame B______, située 1______ chemin C______, D______ et de contacter ou de s'approcher d'elle ainsi que de leurs enfants mineurs E______, né le ______ 2012, F______, née le ______ 2013 et G______, née le ______ 2017. Il lui est également interdit de s'approcher ou de pénétrer dans l'école H______, 2______ I______, J______, lieu de travail de Mme B______, à l'école K______, 3______ avenue K______, D______ et au cycle L______, 4______ chemin M______, D______.

Entre septembre 2019 et avril 2025, M. A______ avait eu des relations sexuelles non consenties avec son épouse, à plusieurs reprises. A plusieurs reprises, il l'avait contrainte à rester au domicile alors qu'elle voulait sortir pour se rendre à des rendez-vous professionnels. Il l'avait poussée afin d'éviter qu'elle ne sorte. Le 8 avril 2025, M. A______ avait agressé sexuellement son épouse en lui touchant les fesses, les seins et en éjaculant sur son corps. Il l'avait empêchée d'appeler les secours et l'avait menacée de la retrouver s'il allait en prison. Précédemment, il avait menacé et injurié son épouse et avait également été mis en cause pour des voies de fait. Par son comportement violent, il démontrait qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             M. A______ a fait opposition immédiate à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 10 avril 2025.

3.             Il ressort du rapport de renseignements du 10 avril 2025 que Mme B______ avait déposé plainte pénale à l'encontre de M. A______ le 10 avril 2025.

Auditionnée dans la foulée, Mme B______ a en substance déclaré que deux procédure pour violences conjugales avaient déjà été traitées par le Ministère public de Genève. Suite à ces procédures, son mari et elle-même avaient entamé une thérapie de couple. En 2019, son époux avait déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement qu'il n'avait pas trop respectée. Grâce à son suivi psychologique, elle souhaitait dénoncer des nouveaux faits, à savoir que depuis 2019, son époux exerçait constamment des pressions psychologiques à son égard, notamment par des rapports sexuels non consentis, à raison d'une fois par semaine environ. Elle cédait lorsqu'il lui en demandait, pour avoir la paix. Par contre, il n'avait jamais usé de la force. Depuis une année environ, il ne cessait de la questionner lorsqu'elle sortait du domicile, se plaçait devant la porte d'entrée ou la fermait à clé afin de l'empêcher de sortir. Il la poussait également dans le but de l'empêcher de quitter le domicile conjugal. Depuis mars 2024, il avait commencé à la suivre. Des fois, elle le traitait de "con". Par contre, son époux ne l'injuriait pas. Il lui avait dit que même s'il allait en prison, il en ressortirait et la retrouverait. Les enfants n'étaient pas inclus dans ces affaires de couple. Il était gentil avec eux. Le 8 avril 2025, de forces, il s'était frotté avec son sexe en érection entre ses jambes et avait éjaculé sur elle. Il lui avait également touché les seins et la poitrine, sous la contrainte physique. Elle avait dû le frapper avec son téléphone et le mordre pour qu'il cesse ses agissements. Enfin, elle avait souhaité appeler la police mais il s'était saisi de son téléphone portable pour l'en empêcher.

Entendu le même jour, M. A______ a nié avoir eu des rapports non consentis avec son épouse. Lorsqu'elle le rejetait, il n'insistait pas. Il a contesté les faits du 8 avril 2025 mais admis avoir eu du liquide pré séminal dans son caleçon ce jour-là. Il avait exprimé à son épouse l'envie de lui faire l'amour mais comme elle l'avait repoussé, il avait arrêté. Elle lui avait donné un coup avec son téléphone mais ce n'était pas pour se dégager mais car elle était énervée. Il en allait de même s'agissant de la morsure. Il lui était arrivé de maintenir son épouse pour la calmer et ne pas la laisser partir du domicile énervée. Il se plaçait simplement devant la porte d'entrée pour l'empêcher de quitter le domicile. A une reprise uniquement, il l'avait suivie alors qu'il l'avait vue accidentellement dans la rue. Son épouse le menaçait de se sauver avec les enfants s'il ne faisait pas ce qu'elle voulait. Elle avait pris une avocate et voulait l'éloigner du domicile. Elle lui avait même dit qu'elle était prête à s'auto infliger des coups pour lui faire porter le chapeau. Elle le frappait et l'injuriait.

4.             A l'audience du 14 avril 2025 devant le tribunal, Mme B______ a expliqué avoir discuté durant le week-end précédent avec ses enfants, son père et son beau-frère, et en avoir conclu qu'il était préférable que son mari puisse revenir au domicile conjugal, quand bien même ni les uns ni les autres, hormis peut-être son père, ne connaissaient les problématiques liées aux rapports intimes du couple.

5.             La jalousie de son mari à son égard avait commencé à se manifester à partir du décès du père de ce dernier, le 1er mars 2025, et peut-être aussi parce qu'à ce moment-là, elle en avait tellement assez qu'elle avait commencé à se refuser complètement à lui sur le plan intime. Cela étant, son mari avait respecté ce refus, sauf en ce qui concernait l'épisode récent dont elle avait parlé à la police. Après relecture des déclarations qu'elle avait faite à la police au sujet des pressions qu'elle vivait depuis 2019 de la part de son mari pour obtenir des rapports sexuels, il y avait des fois où elle était d'accord, et des fois où elle n'y était pas disposée et où elle le lui accordait malgré tout pour lui faire plaisir ou pour avoir la paix, et finalement elle disait oui. Il était vrai, par ailleurs, qu'elle avait commencé à avoir peur de son mari suite au fait qu'il avait commencé à la suivre.

6.             M. A______ a déclaré qu'il s'était senti très inquiet et pas rassuré après avoir surpris son épouse, vers le 22 mars 2025, en compagnie d'un autre homme qui s'était enfui à son approche, et en n'obtenant de son épouse qu'un silence pour toute explication. Plus tard, ce sujet l'avait tout de suite mise sur les nerfs. Il avait finalement accepté sa position consistant à ne rien dire, comme il avait accepté qu'elle refuse tout rapport intime à peu près à partir de l'enterrement de son père au début du mois de mars 2025. Par ailleurs, durant les deux mois qui avaient précédé le décès de son père, il avait veillé ce dernier toutes les nuits et très peu dormi durant toute cette période. Par le passé, il lui était arrivé de dormir quelques temps au salon pour détendre l'atmosphère. Il était tout à fait disposé à entamer avec son épouse une thérapie conjugale et à ce que, dans l'immédiat, en cas de retour à la maison, il dorme dans le salon. Sur question de son conseil de savoir comment il réagirait si, au terme d'une thérapie conjugale, son épouse confirmait son intention de séparation, il l'accepterait. Il était prêt à ne plus solliciter aucun rapport sexuel avec son épouse pour le moment.

Par l'intermédiaire de son conseil, M. A______ a conclu à la levée de la mesure d'éloignement

Par l'intermédiaire de son conseil, Mme B______ a pris la même conclusion.

7.             Le représentant du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision.

.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

Enfin, le pouvoir d'examen du tribunal s'étend à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

5.             En l'espèce, le tribunal retient tout d'abord que Mme B______ a tenté de se rétracter durant l'audience devant le tribunal, sans doute suite aux demandes que ses enfants, son père et son beau-frère lui ont tout récemment adressée afin qu'elle accepte le retour de son mari au domicile conjugal. Il convient donc de retenir comme plus crédibles les explications qu'elle a données lors de son audition à la police, ce d'autant que lorsque le tribunal s'est montré plus insistant à son égard, Mme B______ a fini par confirmer, même si elles étaient atténuées, ses déclarations précédentes au sujet des violences sexuelles qu'elle subit de la part de son mari depuis plusieurs années.

6.             A cet égard, le tribunal estime nécessaire de souligner de manière très claire à l'attention des deux époux, et en particulier de M. A______, que les rapports sexuels (au sein d'un couple ou entre partenaires occasionnels) doivent toujours être consentis et que lorsque ce n'est pas le cas, ils s'inscrivent dans une gradation de sévérité qui, dans les cas les plus graves, constitue le viol. Le consentement donné par l'un des partenaires à celui qui sollicite un rapprochement sexuel n'est véritablement un consentement que lorsque ce rapprochement est souhaité des deux côtés, et non pas lorsqu'il est simplement accepté. En effet, le consentement ne consiste pas à "se laisser faire", par exemple lorsque le partenaire concerné considère que c'est son devoir conjugal, ou qu'il accepte pour ne pas se disputer, ou parce qu'il craint ce qui pourrait arriver en cas de refus (sur la zone grise du consentement libre dans la sexualité entre partenaires intimes : https://www.prevention-violence.ch/2024/05/17/la-zone-grise-du-consentement-libre-dans-la-sexualite-conjugale/#:~:text=Le%20consentement%20sexuel% 20peut%20etre,representer%20un%20lieu%20de%20securite; consulté le 14 avril 2025).

7.             Ainsi, du point de vue qui était le sien lorsqu'il a prononcé la mesure d'éloignement à l'encontre de M. A______, le commissaire de police était parfaitement légitimé à retenir l'existence de violences sexuelles ou à tout le moins de violences psychologiques, et ainsi à prononcer cet éloignement.

8.             La situation a cependant évolué depuis lors, ne serait-ce que du simple fait du prononcé de cette décision et de la procédure judiciaire qu'elle a forcé M. A______ à engager. L'audience tenue ce jour durant deux heures, dont le procès-verbal ne constitue qu'un très bref résumé, et les échanges que le tribunal a pu avoir avec les deux époux, ont permis à ce dernier de se convaincre que le retour de M. A______ au domicile conjugal est dès à présent possible, sans qu'il soit à craindre que de nouvelles violences ne surgissent à court terme. A cet égard, il convient de rappeler que l'éloignement prévu par LVD n'a vocation à empêcher la réitération d'actes de violence qu'à relativement court terme, puisqu'une telle mesure ne peut dépasser une durée maximum de 90 jours. Il n'y a donc pas lieu de se demander si, en cas de retour au domicile du couple, des violences risquent de réapparaître un jour ou l'autre, mais seulement si les violences sont susceptibles de se reproduire dans un laps de temps assez rapproché. Tel ne paraît pas être le cas en l'occurrence, M. A______ donnant plutôt l'impression d'avoir jusqu'ici sous-estimé l'impact extrêmement négatif de son comportement sur son épouse, tout en exprimant devant le tribunal une volonté sincère de s'améliorer et de sauver son couple.

9.             Certes, il s'agit de ne pas confondre la sincérité exprimée par M. A______ et sa réelle capacité à améliorer son comportement. Seule une démarche de thérapie conjugale, que les deux époux ont indiqué vouloir entamer, permettra de tester concrètement l'aptitude de M. A______ à opérer les changements nécessaires. En attendant, le fait qu'il s'agisse pour l'instant d'une simple hypothèse ne justifie pas de maintenir la mesure d'éloignement, dès lors qu'un risque immédiat ne paraît plus d'actualité.

10.         Par conséquent, faisant usage du pouvoir en opportunité qui est le sien (art. 11 al. 3 LVD), le tribunal admettra l'opposition et lèvera la mesure d'éloignement.

11.         Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

12.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 10 avril 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 10 avril 2025 pour une durée de vingt jours ;

2.             l'admet ;

3.             lève avec effet immédiat la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. A______ par le commissaire de police le 10 avril 2025 ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier