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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1264/2025

JTAPI/392/2025 du 11.04.2025 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1264/2025 LVD

JTAPI/392/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 avril 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

Madame B______, en son nom et pour le compte de ses enfants mineurs, C______ et D______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 9 avril 2025, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de Monsieur A______ une mesure d'éloignement valable jusqu'au 22 avril 2025 à 17 h 00, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer aux adresses privée et professionnelle de Madame B______, située au 1______ rue E______ F______ (GE) et à la rue G______, H______ (GE), et de contacter ou de s'approcher d’elle et de leurs enfants mineurs C______ et D______ ainsi que des écoles de ces derniers respectivement l’École I______, chemin J______, F______ (GE) et l’École K______, rue L______ 2______, F______ (GE).

2.             Selon cette décision, M. A______ était présumé s'être rendu le 9 avril 2025 au domicile familial et avoir endommagé le tiroir d'une commode, puis avoir dispersé des vêtements appartenant à son épouse, et ce en la présence des deux enfants mineurs. Il était également présumé s'être ensuite emparé d'un couteau de cuisine en demandant à son fils, âgé de 14 ans, de contacter téléphoniquement sa mère et de lui demander de venir au domicile avec ses collègues de travail pour en découdre, en lui demandant de spécifier à sa mère qu'il l'attendait avec un couteau.

Il était également présumé, dans le courant du mois de janvier 2024, avoir donné une gifle à son épouse. Précédemment, durant leur union, il était présumé avoir à une reprise craché au visage de son épouse et, à une autre occasion, l'avoir saisie par les épaules et l'avoir plaquée sur le lit conjugal lors d'une dispute.

3.             Ces différents éléments résultent des déclarations faites à la police par Mme B______ lors de son audition le 9 avril 2025. À cette occasion, la précitée, qui a notamment exprimé son opposition à une mesure d'éloignement, a également indiqué que le couple vivait ensemble depuis 2009 et que leurs enfants étaient nés en 2010 et 2016. Depuis environ trois ans, elle lui faisait des crises de jalousie par rapport à l'une de ses collègues féminines. Elle avait eu l'occasion de fréquenter cette femme lors de réunions de famille et avait constaté que son mari avait avec elle avait des intimités et des façons de se parler avec complicité. Elle en avait parlé à son mari et il lui avait dit qu'elle était folle et l'avait envoyée chez un psychologue. Tout avait finalement dégénéré entre son compagnon et elle. Elle le soupçonnait d'avoir une liaison avec cette femme, sans en avoir la preuve. Son mari lui avait avoué avoir eu des sentiments pour cette femme, sans plus.

4.             De son côté, également entendu par la police à cette date, M. A______ a reconnu en substance l'ensemble des faits mentionnés ci-dessus. Il a expliqué notamment qu'il avait saisi le couteau de cuisine afin d'intimider les motards s'ils se présentaient au domicile. Il avait attendu environ 30 minutes que sa femme et ses amis motards viennent. Ils les attendaient dans le but de se battre avec eux et de régler ses comptes. Son fils était choqué par son comportement et pleurait. Voyant que personne ne venait, il avait quitté les lieux afin de se rendre à son travail. Pour finir, il a expliqué que sa conjointe l'avait déjà menacé de s'en prendre physiquement à lui avec l'aide de ses amis motards, dont certains devaient compter parmi ses collègues de travail. Il était par ailleurs suivi et photographié à son insu par des inconnus et il était certain que son épouse était derrière tout cela. Il n'en voulait cependant pas à son épouse d'agir ainsi à son égard, mais il en voulait aux personnes qui l'aidaient dans cette démarche.

5.             Il souhaitait donner une seconde chance à son couple et ne souhaitait pas se séparer de son épouse. Jusque-là, il avait dormi dans différents hôtels et dans sa voiture, de même que, durant trois semaines, au domicile de sa mère. Cela faisait environ deux mois qu'il avait quitté le domicile familial, mais il lui était arrivé de revenir occasionnellement avec l'accord de sa conjointe. Il n'avait d'ailleurs plus les clés du logement. Il était opposé à une mesure d'éloignement, car il souhaitait retourner au domicile conjugal.

6.             M. A______ a fait opposition à la mesure d'éloignement susmentionné le 9 avril 2025.

7.             A l'audience du 10 avril 2025, devant le tribunal, M. A______ et Mme B______ ont pour l'essentiel réitéré les explications qu'ils avaient données à la police. La précitée a en outre expliqué que hormis un collègue qui était motard, elle ne connaissait pas plusieurs personnes dans ce cas et qu'à une occasion, dans la colère, elle avait évoqué la menace d'une bande de motards, qui n'était fondée sur rien.

M. A______ a expliqué qu'il était opposé à la mesure d'éloignement, car elle l'empêchait de retrouver sa famille. Il pouvait à la rigueur comprendre que cela concerne son épouse, puisqu'ils étaient actuellement en crise, mais pas s'agissant des enfants. Il ne leur avait jamais fait de mal et ils étaient très importants pour lui.

Mme B______ a déclaré qu'elle ne se faisait aucun souci à l'idée que son mari puisse voir leurs enfants. Ceux-ci souffraient beaucoup de la situation actuelle. Ils s'étaient senti un peu inquiets en raison des événements qui s'étaient déroulés à la maison le 9 avril 2025, mais ils étaient beaucoup plus inquiets à l'idée de ne pas pouvoir voir leur père en ce moment.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition de M. A______ en tant qu'elle concernait son épouse et le domicile familial, et s'en est rapportée en ce qui concernait les enfants

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les violences commises à l'encontre de Mme B______ par son mari, M. A______, ont été admises par ce dernier, de sorte que la première condition prévue par l'art. 8 al. 1 LVD, à savoir l'existence d'actes violents, est réalisée. S'agissant de la deuxième condition, qui exige que la mesure d'éloignement soit propre à empêcher la réitération de tels actes, elle est manifestement remplie dans le cas d'espèce. En effet, les époux ont expliqué que le lien conjugal était en souffrance depuis trois ans, ce qui a abouti, il y a environ deux mois, à ce que M. A______ quitte le domicile conjugal à la demande de son épouse. Le 9 avril 2025, le précité revenu au domicile conjugal et s'y est comporté de manière violente, s'en prenant aux affaires de son épouse et se munissant d'un couteau en demandant à son fils d'appeler sa mère à son travail afin de lui demander de rentrer à la maison, tout en précisant qu'il était muni de cette arme. Indépendamment du fait que ce comportement pouvait gravement porter atteinte à son enfant, notamment quant à l'image parentale de ce dernier, M. A______ a montré par ce comportement une progression inquiétante dans l'expression de sa violence.

6.             L'audience tenue par le tribunal a par ailleurs démontré qu'à défaut d'un travail thérapeutique entamé ensemble, les époux auront vraisemblablement les plus grandes difficultés à renouer une communication respectueuse et à se faire à nouveau confiance. Dans ces conditions, un retour immédiat de M. A______ au domicile conjugal entraîne un risque élevé de réitération de la violence à l'encontre de son épouse. Sous cet angle, la décision litigieuse est parfaitement fondée.

7.             En revanche, quand bien même M. A______ s'est montré particulièrement inadéquat vis-à-vis de son fils lorsqu'il s'est rendu au domicile familial le 9 avril 2025, faisant peser tout le poids de ses émotions sur un être innocent et sans défense, il apparaît qu'il ne s'est jamais montré violent à l'encontre de ses enfants. Dans cette mesure, la décision litigieuse sera réformée en ce sens qu'elle ne déploiera plus d'effets à l'égard de ces derniers.

8.             Par conséquent, l'opposition sera partiellement admise dans le sens du considérant précédent.

9.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

10.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 9 avril 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police du 9 au 22 avril 2025 à 17h00 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             dit que dès le prononcé du présent jugement, la mesure d'éloignement ne produit plus d'effet à l'égard des enfants C______ et D______, ni à l'égard des écoles fréquentées par ces derniers ;

4.             confirme la mesure d'éloignement pour le surplus ;

5.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

7.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier