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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1098/2024

JTAPI/282/2025 du 17.03.2025 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Rectification d'erreur matérielle : Noms des juges assesseurs manquants.
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1098/2024 ICC

JTAPI/282/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 17 mars 2025

 

dans la cause

 

Madame A______

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Par un acte notarié du 30 juillet 2021, Madame A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante) et sa fille, née le ______ 2003, ont acquis la copropriété à raison de, respectivement, de 3/4 et 1/4, d'un appartement sis au ______[GE] au B______ pour le prix de CHF 1'670'000.-. L'acte prévoyait en outre la constitution d'un usufruit réciproque sur les parts de copropriété de chacune des acquéreuses, conjoint avec la nue-propriétaire du vivant de cette dernière et exclusif en cas de décès de celle-ci.

2.             Ce bien immobilier est grevé de prêts hypothécaires totalisant, au 31 décembre 2021, CHF 1'240'000.-.

3.             Dans sa déclaration fiscale 2021, la contribuable a notamment mentionné sa part de l'appartement, soit CHF 1'312'500.-, et les 75% des crédits hypothécaires, soit CHF 930'000.-. Elle a également revendiqué la déduction d'une charge de famille pour sa fille, mentionnant qu'elle était étudiante. La déclaration ne contient aucune mention de sa fortune nette, ni de ses revenus bruts.

Elle a enfin mentionné une valeur locative nulle et des frais d'entretien s'élevant à CHF 130'710.-, la majorité de ceux-ci, soit CHF 126'945.- étant constituée de frais de rénovation de l'appartement. Il ressort des factures annexées à la déclaration qu'il s'est agi notamment du remplacement de tous les revêtements de sol (parquet et carrelage), d'une rénovation de la cuisine (changement de tout le mobilier et appareils) et des salles de bains (y compris changement de la baignoire, du lavabo et des WC), de la révision complète de l'installation électrique, du changement des stores et de la peinture de l'ensemble de l'appartement.

4.             Dans ses bordereaux émis le 2 février 2024, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a admis une charge de famille pour l'impôt fédéral direct (IFD), mais refusé celle-ci pour l'impôt cantonal et communal (ICC). L'avis de taxation mentionne que l'enfant "ne remplit plus les conditions pour être considéré fiscalement à votre charge".

La valeur en fortune de l'appartement était fixée à CHF 417'500.- et les frais d'entretien admis en déduction s'élevaient à CHF 53'058.-, l'avis de taxation mentionnant qu'il s'agissait d'une part de 25%.

5.             Par un courrier recommandé du 15 février 2024, la contribuable a formé une réclamation contre ces bordereaux. Elle indique que sa fille, âgée de 18 ans en 2021, n'a jamais eu de revenu, ce qui ressort des déclarations qu'elle a elle-même déposées. Elle est étudiante à l'Université de C______(FRANCE), ce qui est justifié par des attestations qu'elle a produit et a été entièrement à sa charge, en se référant notamment à des relevés d'assurance maladie, qui lui sont adressés. La contribuable indique par ailleurs recevoir des allocations familiales qui n'ont pas changé.

La contribuable allègue que l'appartement avait été financé entièrement et exclusivement par son épargne, y compris un retrait de son avoir de prévoyance professionnelle. Il en a été de même des travaux qui ont été exécutés après l'acquisition. Pour l'usufruit de sa fille, elle a procédé à une donation en sa faveur, qui a été dûment déclarée. Retenir qu'un enfant disposant d'une petite fortune, mais sans revenu, et restant à la charge de ses parents ne constitue pas une charge de famille contrevient à l'esprit et au bon sens. Elle demande par conséquent qu'une charge lui soit accordée.

6.             Par une décision du 1er mars 2024 notifiée le 12 mars 2024, l'AFC-GE a rejeté la réclamation déposée sur ce point et maintenu son refus d'admettre une charge de famille. Le même jour, une décision a été émise pour l'IFD sur un point qui n'est plus litigieux aujourd'hui.

7.             Par un courrier daté du 4 avril 2024, mais déposé au greffe du Tribunal administratif de première instance le 3 avril 2024 (ci-après : le tribunal), la contribuable a formé un recours contre ces décisions et conclut à ce qu'une charge de famille lui soit accordée pour sa fille et à la correction des frais d'entretien de son bien immobilier.

Rappelant le déroulement des faits, elle souligne être la seule source de revenus d'une famille monoparentale comprenant elle-même et sa fille, qui est entièrement à sa charge.

La recourante indique notamment que, dans le cadre de la taxation de sa fille, il lui a été demandé de produire des justificatifs des frais d'entretien de l'appartement. Les bordereaux émis le 27 janvier 2023 retenaient une valeur en fortune de CHF 1'252'500.- et des frais d'entretien de CHF 159'173.-, correspondant à une part de 75%. Après déduction d'une part de l'emprunt hypothécaire et de la déduction sociale, la fortune nette s'élevait à CHF 874'741.-, le revenu taxé étant nul.

Par une décision sur réclamation du 11 août 2023, cette taxation a été modifiée en admettant la déduction du 75% de l'hypothèque, ramenant la fortune nette à CHF 254'741.-. La part taxée de l'appartement et des frais restait inchangée. L'AFC-GE relevait que cette proportion découle de l'usufruit octroyé en sa faveur.

La recourante considère que le texte de l'article 39 alinéa 2 lettre b LIPP laisse ouverte la question de savoir si les conditions de revenu et fortune sont alternatives ou cumulatives. Elle considère que leur interprétation doit conduire à l'admission d'une charge pour sa fille.

Elle conclut enfin à ce que la somme déductible des travaux effectués dans l'appartement soit recalculée en prenant en compte le fait qu'il n'y a qu'une seule source de revenu.

8.             La recourante a ultérieurement transmis au tribunal la copie d'un courrier recommandé qu'elle a envoyé le 17 avril 2024 au Service de l'immobilier de l'AFC-GE rappelant divers entretiens qu'elle a eus au guichet et demandant qu'une réunion soit fixée.

9.             Dans sa réponse du 30 juillet 2024, l'AFC-GE conclut au rejet du recours. Après avoir rappelé le déroulement des faits, elle souligne que la fortune de la fille de la recourante dépasse le montant de CHF 88'776.-, de sorte que l'une des conditions cumulatives posée par la loi n'est pas réunie. En ce qui concerne les frais d'entretien de l'immeuble, elle rappelle que la fortune est imposable auprès de l'usufruitière et que cette dernière doit supporter les frais ordinaires d'entretien. C'est en respectant ce principe que les taxations ont été émises.

10.         Par une réplique du 16 août 2024, la recourante souligne en premier lieu qu'elle n'a pas reçu d'explications cohérentes de la part des employés de l'AFC-GE qu'elle a rencontrés au guichet. Elle relève par ailleurs avoir reçu le 25 mars 2024 pour la période fiscale 2022, une demande qu'elle qualifie de curieuse l'invitant à justifier la provenance des fonds permettant le remboursement de ses dettes, ce qui révèle le refus de traiter de manière connectée sa déclaration et celle de sa fille. Elle produit les procès-verbaux d'entretiens qu'elle a eus au guichet du Service de l'immobilier desquels il ressort notamment qu'elle avait demandé la qualification d'extraordinaire des frais d'entretien de son bien immobilier. Considérant que sa taxation est arbitraire, elle maintient pour le surplus les termes et conclusions de son recours.

11.         Par une duplique du 29 août 2024, l'AFC-GE indique que les documents produits ne font que protocoler les entretiens qui ont eu lieu et qu'aucun collaborateur de l'AFC-GE n'a jamais admis l'existence d'un malentendu au niveau des dettes, ni le principe de la déduction de frais extraordinaires. Elle persistait dès lors dans les considérants et conclusions de sa réponse du 30 juillet 2024.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le présent litige a trait en premier lieu à la déduction d'une charge de famille relative à la fille majeure de la recourante, qui était étudiante au 31 décembre 2021.

4.             Le tribunal relève en premier lieu que cette question n'est litigieuse que pour l'ICC, puisque cette charge a été admise dans la taxation IFD de la recourante, le texte de la loi étant différent.

5.             Conformément à l'article 39 alinéa 2 lettre b LIPP, dans sa teneur en vigueur en 2021, et en tenant compte du règlement relatif à la compensation des effets de la progression à froid, constitue une charge de famille, chaque enfant majeur, jusqu'à l'âge de 25 ans révolu, qui, durant l'année civile, est étudiant régulièrement inscrit dans un établissement d'enseignement supérieur, et dont la fortune ne dépasse pas CHF 88'776.-, lorsqu'il n'a pas un revenu supérieur à CHF 15'577.- (charge entière) ou CHF  23'335.- (demi-charge), pour celui des parents qui pourvoit à son entretien.

6.             Contrairement à ce que soutient la recourante, les seuils fixés par la loi ne constituent pas des conditions alternatives, mais cumulatives. En d'autres termes, il suffit qu'un seul de ceux-ci soit dépassé pour qu'une charge de famille ne soit pas admise (dans ce sens : DCCR/31/2007 du 22.07.2007).

7.             Il ressort du bordereau rectificatif 2021 du 11 août 2023 produit par la recourante que sa fille disposait d'une fortune nette de CHF 254'741.-, montant largement supérieur au seuil fixé par la loi.

8.             Ce montant suffit à lui seul pour retenir qu'elle ne peut pas être considérée comme une charge de famille au sens de la disposition légale précitée. Le recours sera rejeté sur ce point.

9.             La recourante conclut pas ailleurs à ce que la déduction des travaux de rénovation de son appartement soit recalculée. Il ressort notamment du procès-verbal de l'entretien qu'elle a eu au guichet du Service de l'immobilier de l'AFC-GE le 8 avril 2024 qu'elle a demandé la prise en considération de l'intégralité de ceux-ci au motif qu'il s'agit de frais extraordinaires.

10.         L'appartement litigieux est détenu en propriété, à raison de 75% par la recourante et 25% pour sa fille, chacune d'entre elle bénéficiant d'un usufruit sur la part de l'autre. Il en découle que la recourante n'est usufruitière que du 25% de ce bien immobilier.

11.         Conformément aux articles 21 alinéa 1 LIFD et 24 LIPP, les revenus provenant de l'usufruit font partie des rendements de la fortune immobilière. En contrepartie, sont déductibles tous les frais d'entretien, y compris de remise en état d'immeubles acquis récemment (art. 32 al. 2 LIFD et 34 let. d LIPP).

12.         Dans le système prévu par la loi, il doit exister un lien entre revenu imposable et charge déductible. Toutefois, on peut exceptionnellement renoncer à cette exigence notamment en cas d'usufruit pour les travaux extraordinaires que doit supporter le nu-propriétaire conformément au droit civil (Commentaire romand, art. 32 LIFD N 40 ; dans le même sens : JTAPI/392/2012 du 23.03.2012).

13.         Conformément à l'article 765 CC, l'usufruitier supporte les frais ordinaires d'entretien alors que les autres charges incombent au propriétaire. La doctrine donne comme exemple de travaux à la charge de l'usufruitier ceux auxquels un propriétaire doit normalement procéder à intervalles plus ou moins réguliers tel que le remplacement d'objets ou d'installations cassés, se référant également au droit du bail et aux obligations du locataire découlant de l'article 259 CO. Quant aux travaux plus importants, comme les grosses rénovations, l'usufruitier n'a pas le devoir de les entreprendre (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, tome III 5ème éd. Berne 2021 ch. 3665 et 3666).

14.         En l'espèce, il a été procédé à la rénovation complète de l'appartement acquis par la recourante et sa fille, le coût total des travaux s'élevant à plus de CHF 200'000.-. Au vu de l'importance de ceux-ci, ils dépassent clairement la notion de frais ordinaires d'entretien qui incombent à l'usufruitier. C'est donc à tort que l'AFC-GE a réparti ces frais en fonction de la proportion de l'usufruit et non pas de la nue-propriété et la recourante a droit à la déduction des 75% des frais de rénovation, dont le montant n'est pas contesté et qui a manifestement était retenu en taxation sur la base des justificatifs produits.

15.         Le recours sera admis dans ce sens.

16.         Le tribunal précise à toutes fins utiles que le fait que la taxation de la fille de la recourante soit entrée en force n'a pas une portée préjudicielle en l'espèce, puisqu'il s'agit de contribuables distincts (ATA/543/2012 du 21.08.2012 consid. 5c). En outre, et en l'absence de tout revenu, la déduction qui lui a été accordée à tort n'a aucune portée pratique.

17.         Le tribunal relève enfin qu'il n'est pas saisi de la question de la répartition de la dette hypothécaire et de ses intérêts, qui aurait pourtant mérité un examen sous l'angle des règles sur la solidarité (JATPI/308/2022 du 25.03.2022).

18.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, dont le recours n'est que partiellement admis, est condamnée au paiement d’un émolument réduit s'élevant à CHF 300- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

19.         La recourante qui plaide en personne n'a pas droit à une indemnité de procédure.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 3 avril 2024 par Madame A______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 1er mars 2024 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions de taxation 2021 dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 300.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 400.- ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Antoine BERTHOUD, président, Jean-Marie HAINAUT et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

Le président

Antoine BERTHOUD

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier