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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1103/2025

JTAPI/353/2025 du 03.04.2025 ( LVD ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1103/2025 LVD

JTAPI/353/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 3 avril 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Andreia RIBEIRO, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______, représenté par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, avec élection de domicile

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 24 mars 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse, Madame A______, située, 1______[GE], et de la contacter ou de s'approcher d'elle.

M. B______ avait étranglé son épouse en la saisissant par le cou, avait menacé de la brûler et avait endommagé ses habits en les déchirant. Il démontrait ainsi qu'il était nécessaire de prononcer une mesure d'éloignement afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             Le 23 mars 2025, Mme A______ s'est rendue au poste de police des C______ pour déposer plainte pénale à l'encontre de son époux.

Auditionnée dans la foulée, elle a déclaré avoir rencontré son époux, d'avec lequel elle avait un enfant âgé de quinze ans, en 2004. Dès la quatrième année de leur relation, il avait commencé à devenir agressif et colérique, la rabaissant constamment et usant de violences physiques, verbales et psychologiques à son encontre. En 2009, il l'avait saisie par le cou alors qu'elle était enceinte de trois mois. En 2011, il l'avait giflée et lui avait donné des coups sur le corps à une reprise. Entre 2013 et 2018, régulièrement, il l'insultait et la rabaissait en lui disant qu'elle ne servait à rien. En 2018, il lui avait arraché les cheveux et l'avait giflée à une reprise. Entre 2018 et 2022, période où ils vivaient chez sa mère, ils avaient essentiellement des conflits verbaux. Le 17 novembre 2024 lors d'une dispute, il l'avait traitée de "pute", "t'es qu'une merde" et "tu ne sers à rien". En janvier 2025, il avait fermé la porte à clé de leur chambre, l'empêchant de la sorte de dormir.

Le même jour, vers 18h00, une dispute avait éclaté au domicile conjugal lors de laquelle il l'avait saisie par le bras et par le cou. Elle l'avait alors repoussé en lui donnant un coup de pied sur le ventre. Il l'avait alors légèrement propulsée sur la fenêtre de la chambre avant de lui saisir le cou avec ses deux mains, ce qui l'avait empêchée de respirer durant quelques secondes. Le mari de sa cousine était alors entré dans la chambre où ils se trouvaient et avait supplié son époux de la lâcher, ce qu'il avait finalement fait. Durant les événements, il l'avait menacée en lui disant que s'il la voyait dans la rue, il lui mettrait le feu.

3.             Auditionné en qualité de personne appelée à donner des renseignements, le 24 mars 2025, Monsieur D______ a expliqué vivre chez les intéressés depuis janvier 2024, avec sa famille. La veille, il avait entendu du bruit dans la chambre à coucher où il s'était alors rendu. Il avait alors vu M. B______ étrangler son épouse avec ses deux mains.

4.             Entendu par la police après M. D______, M. B______ a admis avoir saisi Mme A______ par le cou et l'avoir jetée sur le lit en le lui serrant, la veille. Lorsqu'il tenait son épouse par le cou, elle lui demandait d'arrêter et suffoquait. S'agissant des autres faits de violences, il les a niés, relevant soit qu'il s'agissait de mensonges, soit qu'il ne s'en souvenait pas, soit qu'il n'avait plus rien à dire. Il ne buvait pas beaucoup en semaine, soit une bière en soirée. Par contre, il abusait un peu le week-end.
Le 23 mars 2025, il avait passablement bu, soit trois à quatre bières, avant la dispute avec son épouse.

5.             Par acte du 28 mars 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 31 mars 2025, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours.

Malgré la mesure d'éloignement, son époux s'était rendu au domicile conjugal et l'avait menacée de mort devant leur fils et sa cousine. Elle avait peur et craignait pour sa vie.

Elle a notamment produit un certificat médical de la Dre E______ daté du 24 mars 2025 faisant état d'un fond de gorge érythémateux sans œdème de la luette, de pétéchies et dermabrasions multiples au niveau cervical, antérieur latéral et postérieur et d'un léger œdème palpéral.

6.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties, par téléphone du 31 mars 2025, de l'audience qui se tiendrait le 3 avril 2025.

7.             Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé les déclarations faites à la police. Son mari s'était rendu en bas de l'immeuble pour chercher un document le 24 mars 2025 vers 18h00. Il était resté au bas de l'immeuble alors qu'elle se trouvait avec son fils dans l'appartement sis au 1er étage. Il avait demandé, par téléphone, des documents à leur enfant et elle avait répondu qu'elle ne les trouvait pas. Son fils avait mis le téléphone sous haut-parleur. Son époux l'avait alors traitée de "pute de merde" et lui avait dit qu'il n'avait pas peur de la police et que s'il allait en prison, il la mettrait sous terre au préalable. Il ne l'avait plus contactée depuis lors. Son mari buvait beaucoup, environ trois à quatre packs de bière, de 2,5 dl, par semaine. Il buvait quotidiennement et l'alcool avait un effet sur son comportement. Elle avait peur de lui. Il n'y avait jamais eu de violences physiques envers leur fils. Des fois, il était un peu brusque verbalement avec lui, mais rien de grave. Elle souhaitait se séparer et avait d'ores et déjà quitté le domicile conjugal où elle ne comptait plus retourner. Son époux pouvait se le voir attribuer. Dès lors, elle sollicitait la prolongation de la mesure d'éloignement à son égard uniquement et non-plus afin qu'il ne se rende plus au domicile conjugal.

M. B______ a, quant à lui, admis que le 24 mars 2025, vers 18h00, il avait traité son épouse de "pute". Par contre, il ne l'avait pas menacée. La police lui avait dit qu'il n'avait pas le droit d'entrer dans l'appartement, il n'avait pas compris qu'il ne pouvait pas s'approcher de l'immeuble également. Il souhaitait s'excuser auprès de son épouse. Ils avaient perdu le respect l'un envers l'autre. Il respecterait la mesure d'éloignement et ne s'opposait pas à sa prolongation. Il avait rendez-vous chez Vires le 8 mai prochain. Il était d'accord avec le principe d'une séparation. Ce n'était pas l'alcool qui le rendait agressif, mais tout ce qui s'était passé entre son épouse et lui depuis des années. Il y avait de l'accumulation. Ils avaient eu beaucoup de disputes. Par contre, il contestait avoir giflé et tiré les cheveux de son épouse durant leur vie conjugale comme elle l'avait déclaré à la police.

Le conseil de Mme A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement à l'égard de sa cliente uniquement, pour une durée de trente jours.

Le conseil de M. B______ s'en est rapportée à justice.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, seule la prolongation de l'interdiction de contacter ou de s'approcher de Mme A______ a été requise, de sorte que seule cette question sera examinée. À cet effet, le tribunal prend acte que les parties sont toutes deux d'accord avec la prolongation de celle-ci et que cette prolongation apparaît adéquate et mesurée. En effet, il existe un risque de récidive concret au vu des événements récents s'étant déroulés le 23 mars 2025, du certificat médical produit, des déclarations des parties et de la situation conflictuelle entre eux qui résulte d'une accumulation de disputes sur plusieurs années.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 28 mars 2025 tendant à la prolongation de l'interdiction de la contacter ou de s'approcher d'elle, prononcée par le commissaire de police le 24 mars 2025, à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge l'interdiction de contacter ou de s'approcher de Madame A______, prise à l'égard de Monsieur B______, pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 3 mai 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le 3 avril 2025

 

Le greffier