Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1216/2024 du 12.12.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 12 décembre 2024
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dans la cause
Monsieur A______ et Madame B______, ainsi que C______ SA, représentés par Me Samuel BRÜCKNER, avocat, avec élection de domicile
Contre
Monsieur D______ et Madame E______, représentés par Me Julien PACOT, avocat, avec élection de domicile
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. Monsieur A______ et Madame B______ (ci-après : les époux A______) sont copropriétaires des parcelles nos 1______ et 2______ de la commune de F______.
2. C______ SA (ci-après : la société) souhaite acquérir ces deux parcelles et des droits d’emption jusqu’au 27 juillet 2024 ont ainsi été inscrits en sa faveur au registre foncier.
Elle a par ailleurs obtenu l’autorisation de démolir M 3______ deux habitations, un atelier, un hangar, un garage et quatre annexes ainsi que l’autorisation de construire DD 4______ afin d’édifier trois bâtiments d’habitat groupé (46% THPE) avec un garage souterrain commun et un atelier, pour poser des sondes géothermiques et pour abattre et/ou élaguer des arbres hors forêt sur ces parcelles. Ces autorisations, délivrées en février 2024, ont été contestées en justice et la cause (A/5______) est actuellement pendante par devant le Tribunal administratif de première instance
(ci-après : le tribunal).
3. Monsieur D______ et Madame E______ (ci-après : les époux D______) sont copropriétaires de la parcelle n° 6______ de la commune de F______. Sise en zone de construction 5 (zone villa), celle-ci est contigüe à la parcelle n° 2______.
4. En avril 2017, les époux D______ ont déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande d’autorisation de construire en procédure accélérée pour édifier une cabane de jardin sur leur parcelle.
5. Par décision du ______ 2017, le département a refusé d’entrée en matière sur cette demande, enregistrée sous la référence APA 7______, notamment en raison du fait que l’implantation cadastrale projetée devait être fournie et que la surface totale de la construction ne devait pas excédée 50 m2 ainsi que 8% de la surface de la parcelle.
6. En juillet 2017, ils ont déposé une nouvelle demande d’autorisation de construire en procédure accélérée, enregistrée sous la référence APA 8______, ayant le même objet que l’APA 7______, à savoir la construction d’une cabane de jardin.
À teneur des plans visés ne varietur, la cabane de jardin projetée serait accolée à la façade nord-ouest du garage existant, qui jouxtait la villa, et l’accès serait située du côté sud-ouest. Ces plans faisaient état de façades sans fenêtre ni baie vitrée.
7. Par décision du ______ 2017, le département a accordé l’autorisation sollicitée qui, le chantier n’ayant jamais été ouvert, est toutefois devenue caduque.
8. En juillet 2018, par le biais d’un mandataire, les époux D______ ont déposé une nouvelle demande d’autorisation de construire en procédure accélérée. Cette demande, enregistrée sous la référence APA 9______, portait sur le même objet que les deux précédentes requêtes, à savoir un abri de jardin. Le projet était identique au précédent.
9. Le 12 septembre 2019, le département a accordé l’autorisation de construire APA 9______, sur la base des plans visés ne varietur de l’APA 8______ acceptés en 2017.
10. L’ouverture du chantier n’ayant jamais été annoncée au département malgré le fait que les travaux (non entièrement conformes à l’autorisation précitée puisque deux fenêtres avaient été posées en hauteur, sous l’avant-toit, sur la façade nord-ouest et qu’un mur avait été construit sur la limite de propriété séparant les parcelles nos 2______ et 6______) ont été réalisés, l’APA 9______ est aussi devenue caduque.
11. Le 11 octobre 2023, sous la plume de son conseil, la société a interpellé les époux D______ dans le but de régulariser, sur le plan du droit du voisinage, la présence des fenêtres et du mur précités, vu le projet de construction en cours sur les parcelles nos 1______ et 2_______. Elle a relevé que l’abri de jardin effectivement construit ne correspondrait a priori pas à l’autorisation de construire APA 9______.
12. Un courrier de relance, daté du 6 décembre 2023, a été adressé par la société aux époux D______.
13. En janvier 2024, par le biais du mandataire les ayant assistés en juillet 2018, les époux D______ ont sollicité auprès du département une mise en conformité de leur abri de jardin. Ils ont exposé avoir constaté par hasard que leur projet de local de jardin ne semblait pas finalisé. Après discussion avec un collaborateur du département, ils avaient appris que l’annonce d’ouverture de chantier n’avait pas été effectuée alors que les travaux avaient eu lieu courant 2019 et s’étaient achevés début 2020. Ils souhaitaient régulariser leur démarche et la finaliser pour que tout rentre en ordre.
14. Lors de l’instruction de cette demande, enregistrée sous la référence APA 10______, toutes les instances consultées se sont prononcées favorablement au projet, avec ou sans conditions.
Il sied de relever que les plans datés du 8 mai 2018 versés à l’APA 10______, ensuite visés ne varietur, ne faisaient état ni du mur construit en limite de propriété de la parcelle n° 2______ ni des fenêtres présentes sous l’avant-toit sur la façade nord-ouest.
15. Par décision du ______ 2024, publiée dans la Feuille d’avis officielle du même jour, le département a délivré l’autorisation de construire APA 10______.
16. Par acte du 8 mai 2024, par l’intermédiaire de leur conseil, les époux A______ et la société ont recouru contre cette décision par devant le tribunal, concluant, sous suite de frais et dépens, à ce que leur recours soit déclaré recevable et admis ainsi qu’à l’annulation de l’autorisation de construire APA 10______. Préalablement, ils ont requis que soient ordonnés un transport sur place et l’apport des dossiers APA 7______, APA 8______ et APA 9______ à la présente procédure.
Ils disposaient de la qualité pour recourir. Les époux A______ étaient propriétaires des parcelles nos 1______ et 2______ jouxtant directement la parcelle de l’objet de l’autorisation litigieuse. La société était au bénéfice tant de droits d’emption grevant les parcelles précitées que de deux autorisations de démolition et de construction sur ces parcelles. Elle en deviendrait propriétaire et rencontrerait des problèmes avec les futures constructions qu’elle réaliserait dans la mesure où les deux fenêtres posées par les intimés donneraient sur les jardins des futurs appartements du
rez-de-chaussée. Ils se trouvaient donc dans une relation spéciale, étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation puisque la construction autorisée empiétait sur la limite de propriété de la parcelle n° 2______ et ne respectait pas les dispositions de vues droites. La construction réalisée par les intimés mais non contrôlée par le département concernait un mur violant les dispositions sur les constructions à la limite de propriétés et deux fenêtres posées contrairement aux dispositions relatives aux vues droites. Ils disposaient dès lors d’un intérêt digne de protection à ce que la décision querellée soit annulée.
Au fond, ladite décision violait les art. 67 (relatif aux limites de propriété) et 72-73 (relatifs aux vues droites) de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et contrevenait à l’art. 10B du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01) puisque les plans visés ne varietur le ______ 2024 ne correspondaient aucunement à la cabane de jardin effectivement réalisée par les intimés en 2019. En effet, ces plans, visant à une mise en conformité de la cabane déjà construite, ne faisaient état ni des fenêtres posées sur la façade nord-ouest ni du mur construit en limite de propriété de la parcelle n° 2______.
17. Dans leurs observations du 15 juillet 2024, sous la plume de leur conseil, les époux D______ ont, sous suite de frais et dépens, conclu, principalement, à ce que le recours du 8 mai 2024 soit déclaré irrecevable, subsidiairement, à ce qu’il soit rejeté et l’autorisation de construire APA 10______ confirmée.
En 2017, en accord avec les époux A______, ils avaient érigé un mur séparatif en limite de propriété. Non-initiés en matière de droit de la construction, ils ignoraient qu’une telle construction était soumise à autorisation de construire. Suite à l’octroi de l’autorisation de construire APA 9______, les travaux avaient été exécutés par leur mandataire : la cabane de jardin avait été construite avec deux étroites fenêtres de ventilation situées à environ 2,30 m de hauteur sur la façade nord-ouest donnant sur la parcelle n° 2______. De bonne foi, ils pensaient que ce type de fenêtres, dont la hauteur était hors vue d’homme, ne nécessitait pas une approbation préalable de la part du département. Leur mandataire, qui n’était pas architecte, ne les avait pas rendus attentifs à ce sujet et avait en outre omis d’annoncer l’ouverture du chantier puis de fournir l’attestation globale de conformité à l’issue de celui-ci. Ayant été interpellés par la société en octobre 2023, ils avaient approché le département qui les avait informés que l’APA 9______ était caduque, faute d’annonce d’ouverture de chantier, et qui leur avait expliqué qu’il fallait réitérer le processus de demande d’autorisation de construire pour régulariser la situation. Ils avaient alors déposé le dossier APA 10______ sur la base des plans antérieurs. Ignorant que le mur en limite de propriété et les fenêtres de l’abri de jardin étaient des éléments devant être soumis au département, ceux-ci ne faisaient pas l’objet de leur demande APA 10______. Suite à la délivrance de l’autorisation querellée, ils avaient informé les recourants qu’ils étaient d’accord de supprimer le mur et n’étaient pas opposés à effectuer des travaux s’agissant des fenêtres de la cabane de jardin. Les recourants n’avaient pas répondu et avaient interjeté recours contre l’autorisation du ______ 2024. En consultant leur avocat, ils avaient alors compris que les éléments litigieux étaient illicites et non susceptibles d’être régularisés. Ils avaient alors déposé une nouvelle demande de régularisation en juillet 2024 (APA 11_____). Il ressortait des plans produits dans ce cadre que les fenêtres étaient supprimées ; le mur, aussi supprimé, n’était pas dessiné en jaune sur les plans puisqu’il était, sous l’angle juridique, inexistant.
Le recours était irrecevable. Les griefs formulés par les recourants en lien avec le mur en limite de propriété, les fenêtres de la cabane à jardin et les plans y relatifs étaient exorbitants à la présente procédure afférant à l’autorisation de construire APA 10______. En effet, cette autorisation ne portait pas sur ces éléments puisqu’ils pensaient de bonne foi qu’il n’était pas nécessaire de les soumettre à l’appréciation du département. Dans la mesure où le procès était circonscrit par l’objet du litige, à savoir l’APA 10______ portant sur un abri de jardin dépourvu de mur en limite de propriété et de fenêtres en façade, les recourants ne disposaient d’aucun intérêt digne de protection à son annulation.
En tout état, le recours devrait être rejeté sur le fond.
18. Dans ses observations du 16 juillet 2024, le département a conclu, principalement, à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet ; les recourants devaient être condamnés aux dépens de l’instance.
Les recourants ne faisaient valoir aucun intérêt digne de protection à recourir contre l’autorisation litigieuse. Ils critiquaient des éléments d’une construction réalisée qui ne faisaient pas l’objet de l’APA 10______ et n’étaient pas autorisés par celle-ci. Les plans visés ne varietur de l’APA en cause ne faisaient en effet état ni d’un mur en limite de propriété, ni de fenêtres sous l’avant-toit de la façade qui donnait sur la parcelle n° 2______. Ils démontraient aussi que l’art. 68 LCI permettant l’édification de constructions de peu d’importance en deçà des limites imposées par l’art. 69 LCI était respecté. Les recourants l’admettaient d’ailleurs dans leur recours. Afin de tenter de justifier un intérêt digne de protection à recourir, ils se contredisaient plus loin dans leurs écritures et affirmaient, à tort, que la décision querellée empiéterait sur la limite de propriété de la parcelle n° 2______ et ne respecterait pas les normes régissant les vues droites. Ces critiques portaient sur des éléments aucunement visés par l’autorisation de construire objet du recours. La modification ou l’annulation de cette décision ne permettrait nullement de supprimer ou de modifier les éléments litigieux qu’ils évoquaient ni, par conséquent, de résoudre ou d’améliorer leur situation. Ils n’en tireraient donc aucun avantage pratique, de sorte que leur qualité pour recourir devait être niée et leur recours déclaré irrecevable.
Compte tenu de l’irrecevabilité du recours, les réquisitions de preuve des recourants devaient être rejetées. En tout état, leurs griefs étaient exorbitants à la présente cause et donc irrecevables.
19. Dans leur réplique du 21 août 2024, les recourants ont persisté dans leurs écritures du 8 mai 2024.
L’allégation des intimés, non prouvée, faisant état d’un accord des époux A______ quant à la construction du mur en limite de propriété était fermement contestée. Au surplus, suite au courrier du 11 octobre 2023, les intimés ne pouvaient se prévaloir de leur bonne foi.
Dans la mesure où les constructions érigées par les intimés n’avaient pas été contrôlées par le département dans le cadre de la demande de régularisation alors même qu’elles concernaient un mur violant les dispositions sur les constructions à la limite de propriété (art. 67 ss LCI) et des fenêtres posées contrairement aux dispositions relatives aux vues droites (art. 72 ss LCI), ils disposaient d’un intérêt digne de protection à ce que la décision entreprise soit annulée, la violation de ces dispositions touchant directement les parcelles 1______ et 2______.
Le département concluait au rejet du recours au motif que ce n’était pas le bien-fondé de l’autorisation de construire qui était remis en cause, mais la conformité de la construction réalisée par rapport à l’autorisation de construire ; selon lui, cette question relèverait de la phase d’exécution de l’autorisation de construire et sortirait de l’objet du litige. Si cette approche était certes correcte s’agissant d’une procédure ordinaire d’autorisation de construire, elle ne pouvait pas être suivie s’agissant d’une procédure de régularisation tendant à l’octroi a posteriori d’une autorisation validant, ou non, la conformité de l’objet déjà construit aux normes applicables. La demande de régularisation des intimés visant à régulariser les constructions déjà érigées, il n’existait pas de phase d’exécution des travaux et la conformité de la construction réalisée par rapport à l’autorisation de construire, ne pouvant pas être contrôlée ultérieurement, devait l’être dans le cadre de la procédure d’autorisation de construire. Ceci était d’autant plus vrai que la construction érigée par les intimés formait un tout en termes de travaux, le mur ayant été construit en limite de propriété dans la continuation du garage et de l’abri de jardin. Il était donc patent que la demande de régularisation aurait dû porter sur l’ensemble des constructions réalisées sans autorisation et non uniquement sur certaines parties d’entre elles, sélectionnées par les intimés. En l’absence de saucissonnage des objets à régulariser, si l’examen du département avait porté sur l’ensemble des constructions, l’autorisation n’aurait à l’évidence pas été délivrée. À lire l’autorité intimée, une demande de régularisation devait être accordée dès lors que les plans et documents soumis étaient conformes aux dispositions légales, indépendamment de la question de savoir si lesdits plans et documents correspondaient effectivement à l’ouvrage réalisé sans autorisation. Une telle approche ne saurait être suivie.
En tout état, le recours devait être admis dès lors que les intimés avaient, de fait, renoncé au bénéfice de l’autorisation APA 10______ en déposant le 11 juillet 2024 une demande d’autorisation de construire APA 11_____ ayant pour description « mise en conformité - construction d’un abri de jardin ». Les plans produits montraient qu’il s’agissait strictement du même objet que celui de l’autorisation querellée, sous réserve que l’existence de baies vitrées côté ouest était maintenant mentionnée. Cela confirmait que la décision entreprise n’était pas conforme à la réalité des constructions et ne permettait pas leur régularisation. Elle n’était ainsi d’aucune utilité pour les intimés.
20. Par duplique du 11 septembre 2024, le département a persisté dans ses observations et conclusions du 16 juillet 2024.
Les fenêtres et le mur ne faisaient pas l’objet de l’APA 10______ et n’étaient donc pas autorisés par cette autorisation, de sorte que leur prétendue non-conformité aux art. 67 ss et 72 ss LCI était exorbitante à la cause. Ces griefs ne pouvaient donc pas fonder un éventuel intérêt digne de protection des recourants.
Sur le fond, ces derniers effectuaient une distinction entre une « procédure ordinaire » d’autorisation de construire et une « procédure de régularisation » où il n’y aurait pas de phase « d’exécution » des travaux, de sorte que le contrôle de la conformité de la construction réalisée devait s’effectuer lors de l’instruction de la requête en autorisation de construire. Un tel raisonnement résultait d’une confusion entre les procédures d’autorisation de construire (art. 2 ss LCI) et d’infraction (art. 129 ss LCI). Qu’il s’agisse ou non d’une régularisation, il instruisait la requête en autorisation de construire sur la base des plans et documents remis avec la requête. Par ailleurs, le contrôle de la conformité d’une construction existante par rapport à une autorisation de construire en force ou aux dispositions légales applicables relevait de la procédure d’infraction dans le cadre de laquelle il pouvait prononcer des mesures administratives (art. 129 s LCI). Or, la décision querellée n’avait pas été rendue dans le cadre d’une procédure d’infraction, mais dans celui d’une autorisation de construire.
S’agissant des remarques relatives à la prétendue renonciation des intimés à l’autorisation de construire APA 10______, on peinait à saisir dans quelle mesure elles viendraient remettre en cause la décision. Les recourants ne l’exposaient pas ni n’invoquaient de violation de dispositions légales précises.
21. Par duplique du 12 septembre 2024, les époux D______ ont intégralement persisté dans les développements et les conclusions figurant dans leur mémoire du 15 juillet 2024.
Ils ont ajouté qu’ils pensaient pouvoir transformer les fenêtres de l’abri de jardin en jours opaques, mais que leur architecte leur avait indiqué que cela était impossible. En outre, il aurait voulu poser une clôture en lieu et place du mur litigieux. Or, une clôture existait déjà. Partant, leur requête APA 11_____ n’avait plus d’objet puisqu’identique à la situation visée par l’autorisation querellée ; ils l’avaient donc abandonnée. En revanche, ils n’avaient nullement renoncé à l’autorisation de construire APA 10______.
22. Le 26 septembre 2024, les recourants ont transmis des écritures spontanées au tribunal.
Dans son approche, le département ne prenait pas en considération la jurisprudence qui avait déjà confirmé l’annulation d’autorisations de construire eu égard au fait que les plans joints aux dossiers étaient lacunaires ou erronés. La qualité pour agir des voisins contre une telle autorisation avait également été reconnue. En l’occurrence, les intimés avaient reconnu « dans le cadre de l’APA 10______ que les plans versés à l’APA 11_____ différaient de la réalité », notamment concernant le mur en limite de propriété et les fenêtres en cause. L’autorisation litigieuse, fondée sur des plans inexacts, empêchait donc une vérification adéquate de la conformité à la LCI. En tant que ces « erreurs » impactaient directement les parcelles nos 1______ et 2______, ils avaient qualité pour recourir.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue, au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10).
3. Se pose toutefois la question de savoir si les recourants possèdent la qualité pour recourir au sens de l’art. 60 LPA.
4. Selon l’art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.
Le voisin direct de la construction ou de l’installation litigieuse, s’il a en principe la qualité pour recourir, doit en outre retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée qui permette d’admettre qu’il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée de manière à exclure l’action populaire (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3). Le voisin ne peut ainsi pas présenter n’importe quel grief ; il ne se prévaut d’un intérêt digne de protection, lorsqu’il invoque des dispositions édictées dans l’intérêt général ou dans l’intérêt de tiers, que si ces normes peuvent avoir une influence sur sa situation de fait ou de droit (ATF 139 II 499 consid. 2.2). Tel est souvent le cas lorsqu’il est certain ou très vraisemblable que l’installation ou la construction litigieuse sera à l’origine d’immissions - bruit, poussières, vibrations, lumière, fumée - atteignant spéciale-ment les voisins. À défaut, il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur le grief soulevé (ATA/257/2024 du 27 février 2024 consid. 2.5 à 2.9 ; ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 5b).
5. L’objet du litige est défini par trois éléments : principalement par l’objet du recours (ou objet de la contestation) et les conclusions du recourant, et accessoirement par les griefs ou motifs qu’il invoque. Il correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/504/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2). Lorsque le recourant conclut uniquement à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée, il convient de se référer aux motifs de son recours afin de déterminer ce qui constitue l’objet du litige selon sa volonté déterminante (ATA/257/2024 du 27 février 2024 consid. 2.1).
Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/4418/2019 du 23 mars 2021 consid.10b).
Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative de la Cour de justice, l’objet d’une procédure administrative ne peut pas s’étendre ou se modifier qualitativement au fil des instances. Il peut uniquement se réduire, dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés devant l’autorité de recours. Si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions qui ont été traitées dans la procédure antérieure. Quant à l’autorité de recours, elle n’examine pas les prétentions et les griefs qui n’ont pas fait l’objet du prononcé de l’instance inférieure, sous peine de détourner sa mission de contrôle, de violer la compétence fonctionnelle de cette autorité-ci, d’enfreindre le principe de l’épuisement des voies de droit préalables et, en définitive, de priver les parties d’un degré de juridiction (ATA/688/2024 du 10 juin 2024 consid. 2.3).
6. La juridiction administrative est liée par les conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA ; ATA/1077/2024 du 10 septembre 2024 consid. 2.2).
7. En l’espèce, il ressort de la demande d’APA 10______ déposée par les intimés que celle-ci a pour objet la construction d’une cabane de jardin qui ne présente aucune fenêtre dans sa façade nord-ouest et qui ne prévoit pas de mur en limite de propriété. Selon la décision litigieuse résultant de cette requête, c’est bien, en toute logique, cette cabane qui a été autorisée par ce biais, à l’exclusion de toute autre éventuelle réalisation - déjà existante ou à exécuter - dans ce bâtiment. La décision attaquée ne porte donc ni sur les deux fenêtres existantes ni sur le mur en limite de propriété, ce qui n’est pas contesté par les recourants, qui se plaignent précisément de cette absence de prise en considération
Conformément à la jurisprudence susmentionnée, la construction autorisée par l’APA 10______, qui constitue l’acte attaqué, définit l’objet du litige et délimite le cadre matériel admissible du recours. Ainsi, la question à traiter ici ne peut être que celle de savoir si c’est à bon droit et sans abuser de son pouvoir d’appréciation que le département a autorisé la cabane de jardin selon les plans visés ne varietur du dossier d’APA en question.
Les recourants concluent à l’annulation de l’APA délivrée. Cependant, il ressort des motifs invoqués à l’appui de leur recours que leur volonté n’est pas de contester, en soi, la construction de la cabane de jardin, mais uniquement les deux fenêtres existantes ainsi que le mur en limite de propriété. Toutefois, comme vu ci-dessus, la décision attaquée - qui délimite principalement, au même titre que les conclusions des recourants, l’objet du litige - ne concerne ni ces fenêtres ni ce mur en limite de propriété. Ainsi, force est pour le tribunal de constater que les éléments dont se plaignent les recourants sont exorbitants à la présente procédure.
En conséquence, même si les époux A______ sont propriétaires de parcelles voisines de celle concernée par l’APA litigieuse et qu’ils se prévalent d’une violation de dispositions légales et réglementaires applicables en matière de droit de la construction, il faut constater que l’annulation de la décision attaquée n’aurait aucune conséquence sur les deux fenêtres existantes dans la façade nord-ouest et le mur en limite de propriété dont ils se plaignent, en l’état non autorisés. Ce raisonnement vaut mutatis mutandis pour la société, dont le droit d’emption n’était au demeurant valable que jusqu’au 27 juillet 2024. Par conséquent, la condition posée par la jurisprudence, selon laquelle un recourant doit retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée pour que la qualité pour recourir lui soit reconnue, n’apparaît ici pas remplie.
Eu égard au développement qui précède, les recourants ne peuvent se prévaloir d’aucun intérêt juridiquement protégé à l’admission de leur recours. Partant, les conditions posées par l’art. 60 LPA ne sont pas remplies.
8. À titre superfétatoire, il sera encore relevé que les griefs relatifs aux fenêtres existantes dans la façade nord-ouest et le mur en limite de propriété excédant, comme vu ci-dessus, l’objet du présent litige, ils sont donc irrecevables. Le tribunal ne serait ainsi pas entré en matière sur ces derniers.
9. En tout état, le département devra se déterminer sur les fenêtres et le mur précités, ne pouvant indéfiniment laisser subsister une situation contraire au droit dans la mesure où ces objets n’ont jamais été autorisés. À cet égard, le tribunal prend acte que les intimés sont conscients de leur illégalité et qu’ils se sont engagés, dans leur courrier du 1er mai 2024 adressé aux recourants, à corriger cette situation.
10. En conclusion, le recours sera déclaré irrecevable.
11. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de cette avance leur sera restitué.
Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge des recourants, à hauteur d’une moitié pour les époux A______ et d’une moitié pour la société, sera allouée aux intimés (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare irrecevable le recours interjeté le 8 mai 2024 par Monsieur A______ et Madame B______ ainsi que C______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;
2. met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;
3. ordonne la restitution aux recourants du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;
4. condamne les recourants à verser, selon la clé de répartition précisée au considérant 11, à Monsieur D______ et Madame E______ une indemnité de procédure de CHF 800.- ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Diane SCHASCA et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties
Genève, le |
| Le greffier |