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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3764/2023

JTAPI/1197/2024 du 06.12.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

PARTIELMNT ADMIS par ATA/571/2025

Descripteurs : SOUSTRACTION D'IMPÔT;DÉCLARATION D'IMPÔT;NE BIS IN IDEM
Normes : LIDF.175; LPFisc.69; LIFD.124.al2; LPFisc.26.al3
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3764/2023 ICC/IFD

JTAPI/1197/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 novembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______ et Madame B______, représentés par l’Étude Streng SA, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) 2009-2016 et l’impôt fédéral direct (IFD) 2013-2016 de Monsieur A______ et de Madame B______.

2.             Lors des années fiscales en cause, le contribuable était à la tête d’un groupe actif dans le domaine du luxe. Il était actionnaire unique de la quasi-totalité des entités du groupe, et notamment de C______ SA (ci-après : la société), inscrite au registre du commerce genevois le ______ 2013, dont il était le seul administrateur avec signature individuelle ; il en avait ainsi signé les déclarations fiscales, les bilans et les comptes de pertes et profits.

3.             De 2009 à 2012, les contribuables ont été taxés d’office par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE). De 2013 à 2015, après avoir été taxés d’office, ils l’ont ensuite été sur la base de leurs déclarations fiscales remises en réclamation. En 2016, ils ont été taxés sur la base de leur déclaration fiscale. Ces bordereaux, non contestés, sont entrés en force.

4.             La société - à ce jour en liquidation suite au prononcé d’un jugement de faillite à son encontre le 22 août 2023 - a fait l’objet d’une procédure en rappel d’impôt, en soustraction d’impôt (années 2013-2015) et en tentative de soustraction d’impôt (années 2016-2017). Suite à un contrôle effectué dans le cadre des taxations 2016-2017, il était apparu que la société avait effectué, en faveur de son actionnaire (théorie du triangle), des distributions dissimulées de bénéfices en faisant bénéficier à des entités proches ou sœurs des prestations appréciables en argent par le biais de comptabilisation de charges excessives dans ses comptes, en consentant des prêts considérés comme simulés à des entités sœurs et en ne comptabilisant pas une partie des actifs.

Les éléments suivants sont notamment ressortis des pièces figurant au dossier et des explications fournies par Monsieur D______, directeur administratif de la société :

-       celle-ci faisait partie d’un groupe international, en constituait la direction et effectuait les tâches des entités du groupe tels que le marketing, la publicité, le développement des collections, le financement, l’acquisition et le suivi de la clientèle, la comptabilité ou encore la gestion du stock du groupe. Elle payait et comptabilisait les factures concernant le brevet au nom du contribuable ;

-       le contribuable, à la tête du groupe, était actionnaire unique de la plupart des entités le composant, dont la société. Il était la seule personne autorisée à obtenir les documents bancaires de plusieurs sociétés du groupe. Avec ses enfants, il était en charge d’établir la stratégie, de prendre les décisions et de piloter le groupe. Il prenait l’ensemble des décisions liées à la stratégie de développement et au marketing de la marque et supervisait les points de ventes. Il planifiait et coordonnait les achats et la production, effectuait le suivi de la clientèle, la facture et l’encaissement ;

-       le contribuable avait signé le contrat de consignation entre la société et E______ LTD (centrale d’achat pour les entités du groupe, hors Moyen-Orient) ainsi que les contrats de prêts entre la société et F______ SA (pour laquelle il avait également signé), entre la société et G______ (exploitant une boutique à H______(USA)) et entre la société et I______ ;

-       des factures étaient adressées au nom du contribuable pour le compte d’autres entités du groupe et plusieurs factures étaient directement payées par celui-ci au travers des entités filiales.

Par arrêt du 18 juillet 2023 (ATA/790/2023), la chambre administrative de la Cour de justice a confirmé que les organes de la société avaient intentionnellement commis une soustraction fiscale, dont les circonstances aggravantes - le montant des impôts soustraits, la périodicité de la soustraction et la faute grave de la société s’agissant de la négligence dans la gestion de ses affaires importantes - ne permettait pas d’atténuer la quotité des amendes.

5.             En parallèle à la procédure précitée, l’AFC-GE a ouvert une procédure à l’encontre du contribuable pour instigation, complicité et participation à une procédure en soustraction d’impôt pour les années 2014-2015, respectivement en tentative, pour l’année 2016, de la société. Il lui était reproché d’avoir intentionnellement prêté son assistance à la société pour commettre des soustractions ainsi que des tentatives de soustractions d’impôt. Il les avait également commises en tant que représentant de la société ou y avait en tout cas prêté assistance.

Par jugement du ______ 2023 (JTAPI 1______), entré en force, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) a jugé que le contribuable ne pouvait ignorer la manière dont les affaires de la société étaient gérées, ce d’autant plus qu’il la qualifiait lui-même de petite organisation familiale. Il signait les contrats de celle-ci avec les entités du groupe ainsi que ses états financiers et ses déclarations fiscales. La structure de son groupe, comprenant de nombreuses sociétés offshores dont il détenait la totalité du capital social, tendait à démontrer ses capacités à mettre en place des stratégies commerciales visant à réduire ses charges fiscales. Dans ces circonstances, l’on pouvait considérer avec une sécurité suffisante que le contribuable avait conscience que diverses opérations et écritures comptables de la société n’étaient pas justifiées commercialement et fiscalement et que les informations données à l’AFC-GE étaient incorrectes ou incomplètes. En sa qualité d’organe de la société, il avait donc contribué intentionnellement ou du moins par dol éventuel à la soustraction d’impôt en 2014-2015 et à la tentative de soustraction d’impôt en 2016 commises par cette dernière.

6.             Le 25 septembre 2020, l’AFC-GE a informé les contribuables de l’ouverture à leur encontre de procédures en rappel et soustraction d’impôt pour les années 2009-2016. Dans le cadre du contrôle auprès de la société, il avait été mis en évidence que le contribuable avait bénéficié de prestations appréciables en argent sous la forme de prêts simulés, octroyés par cette dernière à des entités sœurs et sous la forme de charges non justifiées commercialement. Il ressortait aussi que tous les éléments mobiliers n’avaient pas été déclarés dans les états des titres. Un certain nombre de documents leur était demandé afin de vérifier leur imposition.

7.             Les parties ont ensuite échangé divers courriers. Le 26 octobre 2020, notamment, le contribuable a indiqué être prêt à collaborer « complètement », mais qu’il serait physiquement incapable de travailler, voyager et suivre de près ses affaires en raison d’un traitement médical à partir du lendemain. Par contre, M. D______, domicilié à J______ et qui venait parfois à Genève, pourrait, lorsque la quarantaine [du Covid-19] serait levée, aider en ce qui concernait les informations sur les diverses entités du groupe. Le nombre de ces dernières pouvait sembler impression-nant, mais la majorité étaient des coquilles vides, sans activité quelconque ni comptes bancaires ou autres actifs importants ; elles n’existaient d’ailleurs plus aujourd’hui. Après avoir fourni diverses précisions, le contribuable a ajouté être conscient qu’il ne répondait pas complètement aux demandes formulées, mais il lui était fort difficile de réunir la documentation concernant ces entités, puisque la plupart avaient été liquidés et qu’il devait de plus se rendre en personne au Liban pour obtenir « quoi que ce soit ».

8.             Le 11 novembre 2022, à la fin de l’instruction du dossier, l’AFC-GE a notifié aux contribuables des bordereaux de rappel d’impôt pour les années fiscales 2009-2016 et des bordereaux amendes pour les années 2012-2016, les procédures pénales pour soustraction des années 2009-2011 étant prescrites. Les reprises concernaient principalement des distributions dissimulées de bénéfice par la société ainsi que des comptes bancaires et des actions non cotées en bourse. La quotité des amendes était fixée à une fois le montant de l’impôt soustrait.

9.             Par écritures du 12 décembre 2022, complétée les 28 février et 14 septembre 2023, les contribuables ont formé réclamation contre ces bordereaux.

10.         Le 10 octobre 2023, l’AFC-GE a notifié sa décision sur réclamation concernant les ICC/IFD 2009-2016, y joignant les bordereaux de rappel d’impôt ICC 2009-2016 et IFD 2016, ainsi que les bordereaux amendes ICC 2009-2016 et IFD 2016.

Elle a partiellement modifié les bordereaux de rappel d’impôt ICC 2009-2016 et IFD 2016, a maintenu ceux IFD 2013-2015 ainsi que le principe et la quotité des amendes et a ajusté les bordereaux amende ICC 2009-2016 et IFD 2016 pour tenir compte des modifications opérées sur les bordereaux de rappel d’impôt. La quotité de l’amende (à savoir une fois le montant de l’impôt soustrait) tenait compte du caractère répétitif et des montants en jeu (circonstances aggravantes) et de l’incidence financière de la peine (circonstance atténuante). Le critère de la bonne collaboration n’avait pas été retenu compte tenu des nombreuses relances et report de certains délais pour obtenir des informations, parfois incomplètes.

11.         Par acte du 9 novembre 2023, par l’intermédiaire de leur conseil, les contribuables ont interjeté recours contre cette décision auprès du tribunal. Ils ont conclu, d’une part, à ce que les dettes de rappel d’impôt soient déduites de la fortune imposable et à ce que les intérêts sur rappel d’impôt soient déduits du revenu imposable, et d’autre part, à ce que la quotité des amendes soit réduite à la moitié du montant des rappels d’impôts, le tout sous suite de frais et dépens.

De manière générale, les années 2020-2022 avaient été particulièrement difficiles, le recourant ayant vu ses affaires compromises par la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Les troubles régnant au Liban (où il détenait des avoirs bancaires et une part d’immeuble abritant une boutique) depuis 2020, et plus particulièrement la crise bancaire traversée par ce pays, avaient de plus fortement compliqué l’accès aux informations bancaires. Outre l’opération et le traitement médical qu’il avait dû subir entre 2020 et 2021, le recourant avait été confronté, au début de l’année 2022, à d’importants problèmes de santé de son fils, puis au décès de celui-ci en juillet de la même année.

La pratique genevoise, validée par le Tribunal fédéral, admettait la déduction non seulement de la dette d’impôt générée par un rappel, mais aussi des intérêts liés à celle-ci : la déduction de ces intérêts s’opérait d’abord du revenu objet du rappel sur l’année fiscale concernée par le rappel, puis sur l’année suivant celle du rappel. Partant, l’AFC-GE aurait dû pour chaque année objet du rappel déduire tant la dette fiscale supplémentaire liée au rappel portant sur l’année en cours et, le cas échéant, les années précédentes, que les intérêts sur les dettes fiscales liées au rappel de ou des années précédant celle du rappel.

S’agissant de la quotité de l’amende, fixée à tort à une fois le montant de l’impôt soustrait, la décision querellée rappelait certes, de manière générale, que l’intention supposait que l’auteur d’une soustraction ait agi avec conscience et volonté, mais ne contenait aucune motivation sur les éléments qui permettraient de considérer que tel aurait été le cas du recourant, et pour cause puisqu’il n’y en avait pas. En effet, que ce soit dans le cadre des procédures de contrôle le concernant ou visant la société, ses explications avaient été constantes et cohérentes : accaparé par la conduite de ses affaires, il n’avait pas prêté une attention suffisante à ses affaires fiscales et à celles de la société, mais il n’avait pas cherché à se soustraire à ses obligations fiscales. Rien ne permettait de remettre en cause ses déclarations. Près de 80% des impôts repris étaient liés à des prestations appréciables en argent entre entités sœurs (« prêts simulés », « frais de représentation » et « prix d’achat des marchandises excessifs »). Or, le caractère de prestations appréciables en argent de transactions entre entités sœurs en application de la théorie du triangle était très difficilement identifiable pour une personne non rompue à la fiscalité ; il n’était pas aussi facilement reconnaissable que la prise en charge par une société de dépenses privées par exemple, puisque l’actionnaire n’en bénéficiait pas effectivement lui-même. Autrement dit, ce n’était pas parce qu’une prestation appréciable en argent entre entités sœurs était reconnaissable par les organes de la société prestataire, comme retenu dans la procédure concernant les rappels d’impôt visant la société, que l’obligation de déclarer un revenu correspondant par l’actionnaire commun de ces entités soit évidente au point qu’un défaut de déclaration doive nécessairement être attribué à un comportement intentionnel. Il avait méconnu, par négligence, la pratique fiscale, mais n’avait pas volontairement omis de déclarer des revenus. Les « prêts simulés », qui représentaient à eux seuls environ 50% de l’impôt concerné par les rappels, n’étaient pas non plus aisément identifiables en tant que prestations appréciables en sa faveur ; les prêts consentis par la société à d’autres entités du groupe lui étaient apparus comme la solution la plus simple pour financer les entités ayant besoin de fonds et n’étaient dictés que par des soucis économiques. La reprise relative aux « frais de représentation » relevait pour une grande part d’appréciation. Une prestation appréciable en argent aurait pu être suspectée si l’entier des frais de marketing du groupe avait été pris en charge par la société, mais tel n’était pas le cas puisque des frais importants avaient aussi été pris en charge par d’autres entités du groupe. À nouveau, il ne suffisait pas qu’une prestation de la société à des entités sœurs ait été identifiable comme prestation appréciable en argent pour en déduire qu’il aurait consciemment omis de déclarer, dans son propre chef, un revenu découlant de cette prestation.

Ces considérations concernant la théorie du triangle ne valaient certes pas pour l’omission de déclarer certaines entités, mais outre l’impact relativement faible de cette omission au regard de l’ensemble des reprises, rien ne permettait de considérer que ce défaut de déclaration relevait d’autre chose que de la simple négligence : pour la plupart sans activités et sans actifs notables, ces entités n’avaient pas d’importance réelle pour le recourant. S’il avait cherché à les cacher, il aurait très certainement fait en sorte que les paiements à ou de ces entités ne passent pas directement par les comptes de la société, ce qui les rendait facilement identifiables au premier contrôle fiscal. Au regard de ces éléments, il n’y avait pas lieu de lui imputer un comportement intentionnel.

Ne pas retenir sa bonne collaboration comme facteur d’atténuation de la peine ne rendait pas justice aux efforts qu’il avait consentis pour répondre aux demandes de l’AFC-GE dans un contexte particulièrement difficile. Malgré cette situation, il s’était toujours efforcé de répondre aux demandes de l’AFC-GE, s’était adjoint à cette fin les services d’un mandataire, dont il avait suivi de manière diligente l’activité, et avait transmis de manière transparente toutes les informations qu’il avait pu obtenir.

12.         Dans sa réponse du 15 mars 2024, l’AFC-GE a conclu qu’il lui soit donné acte qu’elle acceptait de déduire des revenus et fortunes les dettes de rappel d’impôt et les intérêts sur rappel d’impôt, conformément aux tableaux qu’elle produisait en pièces 45 à 47, et de recalculer les amendes en fonction des nouveaux bordereaux de rappel d’impôt tenant compte de la déduction des dettes de rappel d’impôt et des intérêts sur rappel d’impôt. Elle concluait au rejet du recours pour le surplus.

Les dettes des rappels d’impôt et les intérêts sur rappel d’impôt n’avaient en effet pas été pris en compte dans les bordereaux litigieux. Elle produisait trois pièces (45 à 47) calculant ces éléments en déduction (les reprises s’élevaient ainsi, en ICC, à CHF 341’589,25 et à CHF 109’401,45 en IFD).

Les recourants ne contestaient pas en tant que telles les reprises, et notamment pas l’application de la théorie du triangle, de sorte que le litige portait sur le principe et la quotité des amendes pour soustraction d’impôt. À cet égard, la différence entre le montant d’impôt des taxations définitives et celui qu’il aurait dû être avait fait l’objet de rappels d’impôt dont les reprises n’étaient plus contestées. Les recourants admettaient ainsi avoir causé un dommage financier au détriment de la collectivité publique. Ce dommage résultait du fait que le recourant n’avait pas déclaré des comptes bancaires, des valeurs mobilières et des participations détenues, et qu’il avait fait bénéficier d’avantages ses entités. En sa qualité d’administrateur de la société et en occupant une position dominante au sein du groupe, le recourant avait lui-même décidé de l’octroi de prêts et des facturations à des prix de faveur, dans des conditions s’écartant manifestement de celles qui prévaudraient entre tiers ; il serait économiquement inconcevable de consentir des transactions en faveur de tiers indépendants dans de pareilles conditions. Hommes d’affaires aguerri, rompu aux affaires, le recourant, de par ses connaissances professionnelles et sa fonction, ne pouvait pas ignorer les conséquences fiscales de tels procédés. Ainsi, en ne déclarant pas la prestation appréciable en argent fondée sur ses rapports de participations dans les entités du groupe, il avait agi de manière intentionnelle, c’est-à-dire avec pleine conscience et volonté. Sa participation à l’infraction de la société avait d’ailleurs été confirmée par le tribunal de céans. Il ne pouvait en outre pas ignorer avoir omis de déclarer, dans ses déclarations fiscales, des participations et des comptes bancaires qu’il détenait.

On ne pouvait par ailleurs pas retenir une bonne collaboration de sa part dans la mesure où de nombreuses relances avaient dû être effectuées pour obtenir les pièces demandées, sans les recueillir de manière complète. De plus, compte tenu du montant des reprises et de la périodicité de la soustraction, d’autres motifs d’atténuation de la peine ne pouvaient être pris en considération, autre que celui déjà retenu, à savoir l’incidence financière pour le contribuable.

13.         Par réplique du 10 mai 2024, les recourants ont pris acte que l’AFC-GE avait reconnu s’être trompée quant au calcul du rappel d’impôt en raison de l’omission de défalquer les dettes d’impôt et d’intérêts de leurs fortune et revenus imposables.

Le raisonnement de l’AFC-GE, selon laquelle le recourant aurait, de par sa position, dû s’apercevoir du fait que la société effectuait certaines prestations non conformes au principe de pleine concurrence, était contraire au droit. D’une part, il violait le principe ne bis in idem, le recourant ayant déjà été condamné pénalement pour ses agissements en tant qu’organe de la société. D’autre part, il violait un principe de base de droit civil, l’indépendance de la personne morale, qui exigeait de séparer les actes d’une société de ceux de son actionnaire. À moins de se trouver dans un cas où la théorie de la levée du voile corporatif (« Durchgriff ») trouvait application, il était contraire au droit de se fonder sur des actes commis par la personne morale (représentée par ses organes) pour en tirer des conséquences au niveau de son actionnaire. En l’espèce, il convenait de distinguer clairement entre, d’une part, les actes commis par la société (parfois représentée par le recourant), et, d’autre part, ceux réalisés par le recourant en sa qualité de personne physique. En motivant sa culpabilité exclusivement sur la base d’actes commis par la société, respectivement ses organes, et aucunement sur des actes commis par le recourant à titre privé, la décision entreprise violait le droit fédéral et cantonal.

La motivation pour refuser l’atténuante de la bonne collaboration était lacunaire et insuffisante. En outre, elle omettait de prendre en compte la situation personnelle du recourant et les circonstances particulières - telles qu’exposées dans le recours et le fait que son fils décédé l’épaulait grandement dans la gestion des affaires courantes de la société - l’ayant empêché de fournir les informations aussi vite qu’il l’aurait souhaité. Les pièces produites avaient permis à l’AFC-GE de clore le dossier et de procéder aux reprises d’impôt dans un délai de deux ans, lequel apparaissait raisonnable dans le contexte d’un tel dossier.

14.         Par duplique du 4 juin 2024, l’AFC-GE a persisté dans les considérants et les conclusions de sa réponse du 15 mars 2024. En l’occurrence, le recourant, en sa qualité d’organe, avait été poursuivi pour la soustraction et la tentative de soustraction en matière d’impôt sur le bénéfice et le capital de la société. Il était ainsi, dans le cadre de l’infraction commise par la personne morale, participant accessoire. Or, dans le cadre de la présente procédure, il était poursuivi en raison d’une soustraction en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune dont il était l’auteur principal. On était donc en présence de deux comportements distincts punissables, justifiant à chaque fois une sanction, sans que le principe ne bis in idem ne soit violé.

15.         Pour le surplus, les griefs et arguments formulés par les parties, ainsi que les éléments résultant des pièces versées à la procédure, seront repris et discutés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » ci-dessous (cf. à cet égard arrêt du Tribunal fédéral 2C_831/ 2019 du 8 juin 2020 consid. 2.1 et les références citées).


 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Dans sa réponse du 15 mars 2024, l’AFC-GE conclut à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle accepte, d’une part, de prendre en compte en déduction des revenus et fortunes les dettes de rappel d’impôt et les intérêts sur rappel d’impôt et, d’autre part, de recalculer les amendes ICC 2012-2016 et IFD 2013-2016 en fonction de ces nouveaux bordereaux de rappel d’impôt.

Le recours doit dès lors être admis partiellement sur ce point.

4.             Ainsi que cela ressort de l'argumentation développée par les recourants devant le tribunal de céans, le litige porte sur l'intentionnalité du comportement du contribuable et sur le bien-fondé d’une atténuation de la quotité des amendes en lien avec sa bonne collaboration.

5.             Quant aux reprises opérées, après la déduction des dettes de rappel d’impôt et les intérêts sur rappel d’impôt, elles ne sont pas contestées en tant que telles.

6.             À teneur des art. 175 LIFD et 69 LPFisc, est notamment puni d’une amende le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu’une taxation ne soit pas effectuée alors qu’elle devrait l’être, ou qu’une taxation entrée en force soit incomplète (al. 1).

Le bien juridiquement protégé par ces dispositions est le patrimoine de la collectivité publique, qui est lésé dès lors que les ressources financières n’augmentent pas conformément à ce que prévoit la loi fiscale. Ces dispositions protègent la créance fiscale en tant que fortune de la collectivité publique (ATF 121 II 257 consid. 5b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_907/2012 du 22 mai 2013 consid. 5.3). La soustraction fiscale suppose tout d’abord objectivement une insuffisance, totale ou partielle, dans le montant de l’impôt qui résulte d’une taxation. Le dommage porté aux intérêts pécuniaires de la collectivité correspond à la différence entre le montant de l’impôt fixé dans la décision définitive de taxation et le montant qui aurait été dû si le contribuable n’avait pas violé ses obligations. Dans ce contexte, le principe de périodicité prend une importance déterminante en raison du besoin de l’Etat d’assurer une source régulière de rentrées fiscales, afin de financer les tâches qui lui sont dévolues (arrêt du Tribunal fédéral 2C_907/2012 du 22 mai 2013 consid. 5.3.1 ; ATA/203/2014 du 1er avril 2014 consid. 5).

Le contribuable doit remplir la formule de déclaration d’impôt de manière conforme à la vérité et complète et y joindre les annexes (art. 124 al. 2 LIFD et 26 al. 2 LPFisc). Il doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte et, à la demande de l’autorité de taxation, fournir notamment des renseignements oraux ou écrits, présenter ses livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant ses relations d’affaires (art. 126 al. 1 et 2 LIFD et 31 al. 1 et 2 LPFisc). Le contribuable est garant de ses déclarations, sur lesquelles l’autorité de taxation est en principe en droit de se fonder sans les vérifier et d’en présumer l’exactitude (arrêt du Tribunal fédéral 2C_104/2008 du 20 juin 2008 consid. 3.3). Lorsque le contribuable se heurte à une incertitude quant à un élément de fait, il ne doit pas la dissimuler, mais bien la signaler dans sa déclaration. Dans tous les cas, il doit décrire les faits de manière complète et objective (arrêt du Tribunal fédéral 2C_879/2008 du 20 avril 2009 consid. 5.1).

7.             La soustraction est punissable aussi bien intentionnellement que par négligence. La notion de négligence de l’art. 175 LIFD et de l’art. 56 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) est identique à celle de l’art. 12 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) : commet un crime ou un délit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, agit sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle, par quoi l’on entend sa formation, ses capacités intellectuelles et son expérience professionnelle. Si le contribuable a des doutes sur ses droits ou obligations, il doit faire en sorte de lever ce doute ou, au moins, en informer l’autorité fiscale (ATF 135 II 86 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1052/ 2019 du 18 mai 2020 consid. 3.7.1).

8.             La preuve d’un comportement intentionnel de la part du contribuable doit ainsi être considérée comme apportée lorsqu’il est établi avec une sécurité suffisante que celui-ci était conscient du caractère erroné ou incomplet des indications fournies. Si cette conscience est établie, il faut présumer qu’il a voulu tromper les autorités fiscales, afin d’obtenir une taxation plus favorable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_792/2021 du 14 mars 2022 consid. 6.4.1). Cette présomption ne se laisse pas facilement renverser, car l’on peine à imaginer quel autre motif pourrait conduire un contribuable à fournir au fisc des informations qu’il sait incorrectes ou incomplètes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1066/2018 du 21 juin 2019 consid. 4.1). Le dol éventuel suffit pour retenir l’intention (arrêt du Tribunal fédéral 2C_78/2019 du 20 septembre 2019 consid. 6.2) : il suppose que l’auteur envisage le résultat dommageable, mais agit néanmoins, parce qu’il s’en accommode au cas où il se produirait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1073/2018 du 20 décembre 2019 consid. 17.3.1).

Ainsi, un contribuable agit, au moins, par dol éventuel lorsqu’il fournit des informations qu’il sait incomplètes ou incorrectes et n’intervient pas auprès du fisc pour les rectifier. On considère en effet qu’il adopte ce comportement en escomptant que l’autorité fiscale s’en tienne à sa déclaration, sans l’examiner de manière approfondie. Un raisonnement similaire peut être tenu a fortiori si le contribuable n’a pas déposé de déclaration fiscale, qu’il obtient une taxation de loin plus favorable dans le cadre de la taxation d’office qui s’ensuit et ne réagit pas ultérieurement de lui-même pour rectifier l’erreur du fisc, soit avant que celui-ci ne s’en aperçoive et engage une procédure de rappel d’impôt (ATA/561/2011 du 30 août 2011).

9.             En l’espèce, il a été constaté que les déclarations d’impôt des recourants pour les années en cause étaient irrégulières et incomplètes, puisque ne contenant pas tous les éléments de leurs revenus et fortune devant être déclarés, dont en particulier les prestations appréciables en argent, ainsi que, notamment, des comptes bancaires. Les déclarations fiscales des années en question n’étaient ainsi pas complètes au sens des art. 124 al. 2 LIFD et 26 al. 2 LPFisc. Le dommage subi par la collectivité est équivalent au montant des rappels d’impôt, qui ne sont pas contestés par les recourants. Par conséquent, les éléments objectifs de la soustraction réprimée par les art. 175 al. 1 LIFD et 69 al. 1 LPFisc sont réunis.

L’élément subjectif de la soustraction fiscale, soit la faute, apparaît aussi donné. En effet, au vu de l’ensemble des éléments figurant au dossier, le tribunal ne peut que reprendre son analyse effectuée dans le jugement du 4 septembre 2023, à savoir que le recourant ne pouvait ignorer la manière dont les affaires de la société étaient gérées, ce d’autant plus qu’il la qualifiait lui-même de petite organisation familiale, qu’il signait les contrats de la société avec les entités du groupe, ainsi que ses états financiers et ses déclarations fiscales, et que la structure de son groupe, comprenant de nombreuses sociétés offshores dont il détenait la totalité du capital social, tendait à démontrer ses capacités à mettre en place des stratégies commerciales visant à réduire ses charges fiscales. Ainsi, on peut considérer avec une sécurité suffisante qu’il a eu conscience que diverses opérations et écritures comptables de la société n’étaient pas justifiées commercialement et fiscalement et que les informations données à l’AFC-GE étaient incorrectes ou incomplètes. De plus, rompu aux affaires de par sa fonction et ses connaissances professionnelles, le recourant ne peut pas avoir agi par négligence, comme il le soutient en se fondant sur la soi-disant complexité de la théorie du triangle. En effet, comme déjà dit, l'ensemble de l'architecture mise en place grâce à ses diverses sociétés, de même que les contrats conclus par sa propre signature, en dehors de tout logique commerciale usuelle, ne pouvait avoir pour but que de réduire les éléments imposables de ses sociétés, et donc les siens propres puisqu'il les détenait quasiment toutes en totalité. En conclusion, en omettant de déclarer les prestations appréciables en argent fondées sur les opérations entre la société et les entités sœurs concernées et certains comptes bancaires, le recourant a agi de manière intentionnelle, c’est-à-dire avec pleine conscience et volonté. Au surplus, le fait que ni les comptes bancaires précités ni la possession du capital social de diverses sociétés n’ont été déclarés, éléments que tout contribuable doit savoir devoir déclarer, jette un doute sur son honnêteté et laisse également penser que celui-ci n’a pas agi simplement par négligence sur les autres éléments qui lui sont reprochés.

Les amendes sont ainsi parfaitement justifiées dans leur principe. Il convient donc encore de se prononcer sur leur quotité, contestée par les recourants.

10.         En cas de soustraction fiscale, en règle générale, l’amende est fixée au montant de l’impôt soustrait ; si la faute est légère, l’amende peut être réduite jusqu’au tiers de ce montant ; si la faute est grave, elle peut au plus être triplée (art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc).

En cas de tentative de soustraction fiscale, l’amende est fixée aux deux tiers de la peine qui serait infligée si la soustraction avait été commise intentionnellement et consommée (art. 176 al. 2 LIFD et 70 al. 2 LPFisc).

11.         Le montant de l’impôt soustrait constitue le premier élément de fixation de la peine. Celle-ci doit ensuite être fixée selon le degré de la faute de l’auteur (cf. ATF 143 IV 130 consid. 3.3). En présence d’une infraction intentionnelle sans circonstances particulières, l’amende équivaut en règle générale au montant de l’impôt soustrait (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_476/2014 du 21 novembre 2014 consid. 10.1 ; 2C_777/2014 du 13 octobre 2014 consid. 6.2 ; 2C_480/2009 du 16 mars 2010 consid. 6.2).

Il convient notamment de réduire le montant de l’amende lorsque le contribuable a agi par négligence, celle-ci devant être considérée comme un cas de faute légère (Diane MONTI, Les contraventions fiscales en droit fiscal harmonisé, 2002, p. 70).

En cas de faute grave, l’amende doit en principe être supérieure à une fois l’impôt soustrait et peut être au plus triplée (cf. art. 175 al. 2 in fine LIFD et 69 al. 2 in fine LPFisc ; ATF 144 IV 136 consid. 7.2.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2019 du 26 septembre 2019 consid. 8.1). Par faute grave, il faut comprendre, entre autres, la récidive, de même que l’attitude continuellement récalcitrante du contribuable vis-à-vis des autorités fiscales. Il y a en particulier circonstance aggravante, lorsque la soustraction d’impôt s’étend sur plusieurs années et s’effectue selon différents procédés, en cas d’existence d’un compte bancaire non déclaré ou, par exemple, en cas de présentation planifiée et erronée de bilans, par une personne morale, sur plusieurs exercices (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 54 ad art. 175).

En droit pénal fiscal, les éléments principaux à prendre en considération sont le montant de l’impôt éludé, la manière de procéder, les motivations, ainsi que les circonstances personnelles et économiques de l’auteur (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_180/2013 du 5 novembre 2013 consid. 9.1 ; 2C_851/2011 du 15 août 2012 consid. 3.3 et les références citées).

La bonne collaboration du contribuable dans la procédure en soustraction d’impôt constitue l’un des éléments permettant de réduire la peine (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_1007/2012 du 15 mars 2013). Entrent également en considération le repentir actif (réglé par l’art. 175 al. 3 LIFD) ou encore l’écoulement d’un temps relativement long entre l’acte et sa découverte, durant lequel le contribuable s’est comporté correctement à l’égard du fisc (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 47 ad art. 175 et les références citées).

L’art. 175 al. 2 LIFD a vocation à s’appliquer à toutes les soustractions fiscales, y compris celles qui s’étendent sur plusieurs périodes fiscales, ce qui est du reste fréquemment le cas lorsque la soustraction est liée à un comportement durable, tel que la non-déclaration d’un compte bancaire (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.2 et 7.3.1).

Lorsque le contribuable cache un élément de sa fortune et omet de signaler les revenus qui en découlent dans plusieurs déclarations, on est en présence d’un concours réel : le contribuable commet une nouvelle soustraction fiscale à chaque déclaration (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 46 s., 54 et 56 s. ad art. 175).

12.         Dans la mesure où elles respectent le cadre légal, les autorités fiscales cantonales, qui doivent faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi, disposent d’un large pouvoir d’appréciation lors de la fixation de l’amende, l’autorité de recours ne censurant que l’abus du pouvoir d’appréciation (cf. ATF 144 IV 136 consid. 9.1 ; ATA/1002/2020 du 6 octobre 2020 consid. 9b et les références citées).

Par ailleurs, selon la jurisprudence, l’importance des montants soustraits et donc des rappels d’impôts ne constitue pas une sorte de double sanction et n’est donc pas un critère devant jouer en faveur du contribuable, le critère légal des art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc étant celui de la gravité de la faute. Une telle approche serait contraire à la lettre et à l’esprit de ces dispositions légales. Elles prévoient que l’amende doit être fixée dans une fourchette qui peut aller jusqu’au triple de l’impôt soustrait dans les cas les plus graves. Le législateur a accepté par-là qu’un contribuable coupable d’une soustraction d’impôt doive verser à la collectivité publique une somme totale correspondant finalement à quatre fois le montant de l’impôt (rappel d’impôt + amende correspondant au triple de cet impôt), ce même en cas de soustraction de montants importants, la loi ne prévoyant aucun traitement privilégié en pareilles circonstances. Il n’appartient pas aux administrations fiscales de s’écarter des règles des art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc en cas de grave soustraction au motif que ce système aboutirait dans un cas d’espèce à un résultat jugé trop sévère et qu’une amende réduite constituerait déjà, selon elles, une peine suffisante, une correction (reformatio in peius) par le juge dans le cadre d’un recours pouvant d’ailleurs s’avérer nécessaire (ATF 144 IV 136 consid. 7.3.2).

13.         En l’espèce, l’AFC-GE a refusé de prendre en compte une bonne collaboration des recourants, compte tenu des nombreuses relances et report de certains délais pour obtenir des informations, parfois incomplètes. Le tribunal ne peut la suivre sur ce point. En effet, ainsi qu’il résulte des éléments du dossier, le recourant a collaboré de manière active et du mieux qu’il a pu, compte tenu des circonstances qu’il a détaillées dans ses écritures, dans le cadre de la procédure de rappel d’impôt. Cette deuxième circonstance atténuante en faveur des recourants ne justifie toutefois pas encore une diminution de la quotité retenue par l’AFC-GE eu égard au fait que la soustraction s’est déroulée sur plusieurs exercices pour un montant cumulé non négligeable. Les circonstances atténuantes étant contrebalancées par celles aggravantes, force est de constater que l’AFC-GE, en ne s’écartant pas du quantum ordinaire, n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation dans la fixation de la quotité des amendes. Partant, la quotité des amendes est confirmée.

14.         En dernier lieu, les recourants soutiennent que les amendes violeraient le principe ne bis in idem.

15.         Selon le principe ne bis in idem, qui est un corollaire de l’autorité de chose jugée, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. Ce droit, qui appartient avant tout au droit pénal fédéral matériel, découle en outre implicitement de la Constitution fédérale, à savoir des art. 8 al. 1 et 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et est également garanti par l’art. 4 ch. 1 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (RS 0.101.07) et l’art. 14 par. 7 du Pacte ONU II (RS 0.103.2). L’autorité de chose jugée et le principe ne bis in idem requièrent qu’il y ait identité de l’objet de la procédure, de la personne visée et des faits retenus (ATF 149 II 74 consid. 8.1 et les références citées).

Selon la doctrine, lorsque l’état de fait constitue à la fois une soustraction en matière d’impôt sur le bénéfice et une soustraction en matière d’impôt sur le revenu (par exemple en cas de distribution dissimulée de dividende en faveur de l’actionnaire unique et seul membre du Conseil d’administration), l’on est en présence de deux comportements distincts punissables justifiant à chaque fois une sanction sans que le principe ne bis in idem ne soit violé (Daniel DE VRIES REILINGH/Iliriana DRENI, RDAF 2023 II 290).

16.         En l’espèce, c’est en vain que les recourants se plaignent de la violation du principe ne bis in idem. En effet, dans le cadre de la présente procédure, le recourant est poursuivi en raison d’une soustraction en matière d’impôt sur ses revenus et sa fortune, dont il est l’auteur principal, tandis qu’il avait été poursuivi, dans le cadre de l’infraction commise par la société, en sa qualité d’organe, participant accessoire. On se trouve donc en présence de deux comportements distincts punissables qui justifient à chaque fois une sanction, sans que le principe ne bis in idem ne soit violé.

17.         Au vu de ce qui précède, le recours est admis partiellement. En conséquence, le dossier sera renvoyé à l’AFC-GE pour de nouveaux bordereaux de rappel d’impôt et d’amende au sens des précédents considérants.

18.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui succombent dans une assez large mesure, sont solidairement condamnés au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 900.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais en CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 9 novembre 2023 par Monsieur A______ et de Madame B______ contre la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du ______ 2023 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour l’établissement des nouvelles décisions de rappel d’impôt et d’amende dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge des recourants, pris solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est partiellement couvert par l’avance de frais en CHF 700.- ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Yuri KUDRYAVTSEV et Jean-Marie HAINAUT, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière