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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1083/2024

JTAPI/1161/2024 du 25.11.2024 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : INDEMNITÉ DE DÉPART;PRÉVOYANCE PROFESSIONNELLE
Normes : LIFD.38; LIPP.45
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1083/2024 ICC

JTAPI/1161/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 novembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1961, a été employé auprès de la société B______ Sàrl.

2.             Dans sa déclaration fiscale 2021, le contribuable a indiqué avoir perçu de cette société une « indemnité à la fin de rapport de service, indemnité de licenciement » de CHF 171'366.-. Sur son certificat de salaire (pour le mois de janvier 2021), cette prestation était désignée comme « Severance compensation as provident caracter » (ou « indemnité de départ au titre de la prévoyance », selon une traduction libre). Il a par ailleurs fait valoir une déduction de CHF 37'094.-, à titre de « Maintien de la prévoyance 2ème pilier Cotisations ».

3.             Par bordereaux du 1er décembre 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), a rajouté la prestation de CHF 171'366.- aux autres revenus du recourant et l’a imposée aux taux de CHF 34'273.-. Elle a expliqué que la condition de la lacune de prévoyance n’était pas donnée et qu’en conséquence, cette indemnité ne pouvait pas être imposée séparément au 1/5ème du barème, mais au taux de conversion au sens des art. 37 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 43 de de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Elle a par ailleurs admis une déduction de CHF 39'928.- pour les cotisations à la prévoyance 2ème pilier, laquelle incluait celle déclarée par le contribuable (CHF 37'094.-).

4.             Par réclamation reçue par l'AFC-GE le 3 janvier 2024, le contribuable a contesté ces bordereaux.

Il avait été licencié le 31 décembre 2021, après 35 ans d’activité, soit à l'âge de 59 ans. A cette occasion, il avait reçu une somme de CHF 171'366.- à titre de lacune de prévoyance. Il avait été « surpris par ce départ anticipé » et, « avec la modification de l’art. 47a » de la loi sur la prévoyance professionnelle du 25 juin 1982 (LPP - RS 831.40), il avait « profité de cette nouvelle mesure pour prendre le temps de réfléchir à [sa] situation de retraite ». Par la suite, il avait décidé de continuer à cotiser à son « fonds de pension » dans l'optique de ne pas prétériter sa retraite. Il y avait « contribué encore douze mois jusqu'en janvier 2022 », date à laquelle il avait pris officiellement sa retraite à l'âge de 60 ans. Il demandait que ce montant soit considéré comme une « lacune de prévoyance », et non comme un revenu.

Il a joint une copie d’un courriel qu’un « manager » de B______ Sàrl lui avait adressé le 21 décembre 2023, indiquant : « I do confirm per your attached January payslip the severance payment to you in January 2021 was "à caractère de prévoyance/lacune de prévoyance" ».

5.             Par décisions du 14 février 2024, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation, en ce qu’elle concernait l’imposition de la prestation de CHF 171'366.-.

Cette indemnité de départ ne pouvait pas être assimilée à une lacune de prévoyance dès lors que le contribuable avait continué à contribuer dans son institution de prévoyance. Ainsi, la condition de la lacune de prévoyance future n’était pas remplie, au sens de la circulaire n° 1 du 3 octobre 2002 sur les indemnités de départ et les versements de capitaux de l'employeur, publiée par l’administration fédérale des contributions (ci-après: la circulaire n° 1 de l'AFC-CH).

6.             Par acte du 28 mars 2024, le contribuable a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à ce que l’indemnité de départ litigieuse de CHF 171'366.- soit considérée comme une « lacune de prévoyance ».

Il a repris les termes de sa réclamation du 3 janvier 2024.

7.             Le 2 juillet 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La condition de l’âge était remplie. En revanche, le recourant n'avait pas quitté l'institution de prévoyance de son ancien employeur puisqu'il avait maintenu son affiliation auprès d’elle, de sorte que la cessation des rapports de travail n'avait pas provoqué une lacune de prévoyance future. Enfin, le recourant admettait lui-même avoir été surpris de son licenciement et qu'il avait voulu réfléchir à sa retraite, décidant de continuer à contribuer à son fonds de pension dans l'optique de ne pas prétériter sa retraite. Ainsi, le principe du caractère de prévoyance n'était pas rempli, lorsque l'on choisissait de maintenir ses cotisations auprès de la caisse de pension de son ancien employeur. Les conditions d'application des art. 17 al. 2 LIFD et 18 al. 3 LIPP n’était donc pas réalisées, de sorte que l'indemnité de départ litigieuse ne pouvait être imposée séparément, au cinquième du barème.

8.             Invité par le tribunal à le faire, le recourant n’a pas déposé de réplique.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 LIFD).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Aux termes des art. 17 al. 2 LIFD et 18 al. 3 LIPP, les versements de capitaux provenant d'une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante et les versements de capitaux analogues versés par l'employeur sont imposables d'après les dispositions des art. 38 LIFD et 45 LIPP, à savoir selon un taux représentant le cinquième des barèmes inscrits aux art. 36 al. 1, 2 et 2bis 1ère phr. LIFD et 41 LIPP (cf. art. 38 al. 2 LIFD et 45 al. 2 LIPP).

Les art. 27 LIFD et 43 LIPP stipulent que lorsque le revenu comprend des versements de capitaux remplaçant des prestations périodiques, l’impôt se calcule compte tenu des autres revenus et des déductions autorisées, au taux qui serait applicable si une prestation annuelle était servie en lieu et place de la prestation unique.

4.             Selon la jurisprudence, en principe, à l'exception de certaines prestations en capital versées lors d'un changement d'emploi et réinvesties dans l'année à des fins de prévoyance, les rétributions spéciales effectuées par les employeurs à leurs employés au moment où ceux-ci quittent l'entreprise sont imposées en tant que revenu sous l'angle des impôts directs. En effet, selon la loi, l'impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques. Ainsi, cet impôt couvre, entre autres, tous les revenus provenant d'une activité exercée dans le cadre d'un rapport de travail, y compris les revenus accessoires, les revenus provenant de la prévoyance, les revenus acquis en lieu et place du revenu d'une activité lucrative et les indemnités obtenues lors de la cessation d'une activité ou de la renonciation à l'exercice de celle-ci. En règle générale, les indemnités de départ sont ainsi imposables au taux plein avec les autres revenus du contribuable. L'imposition au taux plein de ces indemnités connaît toutefois quelques exceptions, notamment dans les cas où la somme versée par l'employeur est analogue au versement d'un capital provenant d'une institution de prévoyance. Ce type de versements bénéficie en effet du taux d'imposition privilégié prévu pour les prestations en capital provenant de la prévoyance, ce qui signifie qu'il est imposé séparément et soumis à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires (ATF 145 II 2 consid. 4.1; arrêts du Tribunal fédéral 9C_237/2023 du 5 mars 2024 consid. 4.1 ; 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.1 et les réf.).

Pour bénéficier de l'imposition privilégiée, les versements de capitaux alloués par l'employeur doivent être analogues aux versements de capitaux provenant d'une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante. La loi ne définit pas précisément ce que recouvre l'analogie avec les versements de capitaux provenant d'une institution de prévoyance. Il s'avère cependant qu'en établissant une imposition séparée à taux réduit, le législateur a voulu casser la progressivité du taux et privilégier la prévoyance pour des raisons sociales. On peut ainsi inférer du texte et du but visé par le législateur la volonté de limiter le privilège fiscal aux indemnités versées par l'employeur qui ont un lien étroit avec la prévoyance professionnelle. De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral en a déduit que les versements de capitaux analogues aux versements de capitaux provenant d'une institution de prévoyance en lien avec une activité dépendante devaient, pour bénéficier de l'imposition privilégiée, revêtir un caractère de prévoyance prépondérant. Il en va en particulier des indemnités de départ versées par l'employeur, lesquelles doivent donc, pour bénéficier de l'imposition privilégiée, avoir un lien étroit avec la prévoyance professionnelle, un tel lien s'examinant à l'aune des circonstances entourant les versements concernés (ATF 145 II 2 consid. 4.1; arrêts du Tribunal fédéral 9C_237/2023 du 5 mars 2024 consid. 4.2 ; 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.2 et les réf.).

5.             Selon la circulaire n° 1 (in Archives 71 p. 541 ss), « les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu'elles sont destinées exclusivement et irrévocablement à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse, à l'invalidité et au décès ». Ainsi, pour que des versements de capitaux effectués par l'employeur puissent bénéficier de l'imposition privilégiée, trois conditions cumulatives doivent être réunies (cf. ch. 3.2 de la circulaire) : le contribuable quitte l'entreprise après avoir atteint l'âge de 55 ans (let. a), son activité lucrative (principale) est définitivement abandonnée ou doit l'être (let. b) et une lacune dans sa prévoyance découle du départ de l'entreprise et de son institution de prévoyance (let. c). La lacune doit être déterminée par l'institution de prévoyance. Au surplus, seules les lacunes portant sur les cotisations ordinaires de l'employeur et du salarié pour la période s'étendant entre la sortie de l'institution de prévoyance et le moment de l'âge ordinaire de la retraite, fondées sur le salaire assuré précédemment, peuvent être prises en considération. Une lacune déjà existante lors de la sortie de l'institution de prévoyance n'entre pas en ligne de compte dans le calcul.

Cette circulaire ne constitue cependant qu'une directive administrative, sans force de loi, ne liant ni les administrés, ni les tribunaux ni même l'administration ; cette circulaire ne saurait ainsi être appliquée à la lettre et ne dispense pas les autorités de tenir compte des circonstances du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.3 et les réf.).

6.         S'agissant de la condition liée à la cessation de l'activité professionnelle, le Tribunal fédéral a jugé que le moment déterminant pour l'évaluer est celui où l'indemnité est versée et non pas a posteriori (arrêt du Tribunal fédéral 9C_237/2023 du 5 mars 2024 consid. 4.3.2).

7.             Par définition, toute indemnité de départ, voire « parachute doré » versé au cadre d'une entreprise, a pour fonction de compenser la perte des divers avantages liés au poste de travail perdu, parmi lesquels figurent, par la force des choses, ceux liés à la prévoyance professionnelle. Aussi, le simple fait que des expectatives de prévoyance sont péjorées à la suite de la restructuration de la direction d’une société ne suffit-il pas à fonder un lien étroit entre le capital versé à cette occasion et sa prévoyance professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.6).

8.             En l’espèce, comme l’a relevé l'AFC-GE, la condition de l’âge posée par la circulaire est donnée, le recourant ayant été âgé de 59 ans au moment de la cessation de son activité professionnelle. Tel n’est toutefois pas le cas s’agissant du caractère de prévoyance de l'indemnité litigieuse. En effet, aucun des éléments figurant au dossier ne permet objectivement de retenir que cette indemnité remplissait principalement un but de prévoyance, la confirmation de l’employeur du 21 décembre 2023 étant manifestement insuffisante à cet égard, ce dernier se limitant à affirmer que l’indemnité était « à caractère de prévoyance/lacune de prévoyance ». Ce seul élément ne permet pas de déterminer la véritable intention du recourant et de son employeur au moment où ceux-ci ont convenu du paiement de l'indemnité de départ litigieuse, ces derniers n’ayant signé aucune convention transactionnelle à ce sujet. L’argumentation du recourant, qui ne saurait par nature équivaloir à un élément objectif du dossier, semble perdre de vue que selon la jurisprudence citée plus haut, les trois conditions, posées par la circulaire de l'AFC-CH, ne sauraient être appliquées à la lettre, étant au demeurant relevé que cette circulaire précise aussi que les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu'elles sont destinées « exclusivement » à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse. Si les parties ont qualifié le capital en question d'indemnité de départ, la fonction exacte et précise que celle-ci devait remplir n'est pas pour autant établie par le recourant qui soutient, de manière générale, qu'elle aurait eu pour but de combler la lacune consécutive dans sa prévoyance. A cela s’ajoute que le recourant n’a fourni aucun document démontrant l’existence même d’une lacune dans sa prévoyance, étant par ailleurs relevé qu’il a continué à y cotiser jusqu’au moment où il a effectivement pris sa retraite, à l’âge de 60 ans.

Certes, en se voyant licencié de son poste, le recourant ne pouvait plus bénéficier des prestations de prévoyance dont il profitait jusqu'alors, mais il perdait également ses expectatives salariales. L’indemnité en cause aurait ainsi pu avoir également pour but de le prémunir contre le risque objectif de perte totale de revenu à moyen ou long terme. Il ne suffit ainsi pas de pouvoir admettre qu’elle ait pu servir, dans une certaine mesure, à compenser la diminution de ses futures prestations de prévoyance. Ce seul élément est insuffisant pour pouvoir admettre que le capital payé présente, d'un point de vue strictement objectif, un lien prépondérant évident avec la prévoyance professionnelle du recourant. Le recourant n'est ainsi pas en mesure de prouver que son employeur et lui-même souhaitaient que le capital versé poursuive un but prépondérant de prévoyance. Pour le reste, il ne ressort pas du dossier - ni d'ailleurs des écritures du recourant - que celui-ci aurait investi le montant perçu dans sa prévoyance de deuxième ou de troisième pilier lié.

Partant, il n'apparaît pas, à l'aune des éléments figurant au dossier, que l'indemnité de départ de CHF 171'366.- versée au recourant par B______ Sàrl entretienne un lien étroit avec la prévoyance professionnelle.

9.             Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

10.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 28 mars 2024 par Monsieur A______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 14 février 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier