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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2767/2023

JTAPI/1110/2024 du 11.11.2024 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : DROITS DE MUTATION;DIRECTION DU FONDS DE PLACEMENT;CONTRAT FIDUCIAIRE;IMMEUBLE
Normes : LDE.33
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2767/2023 ICC

JTAPI/1110/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 novembre 2024

 

dans la cause

 

Maître A______ et B______ & CIE SA, représentés par Me Alexandre FALTIN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne les droits d’enregistrement.

2.             Le 26 juin 2007, une convention de société simple a été conclue entre Messieurs C______ et D______, ensemble, Monsieur E______ et Monsieur F______ (ci-après : la société simple). Celle-ci avait pour objet la détention et la mise en valeur du droit de superficie distinct et permanent, immatriculé au Registre foncier (ci-après : RF) au feuillet n° 1______, sur la parcelle n° 2______, sise au chemin des G______ 3/______H______ 4______-5______ à I______, propriété de la J______, inscrit à titre de servitude sur la parcelle susmentionnée, sur laquelle existait un bâtiment de bureaux 6______ d'une surface de 2'869 m2, en zone de développement industriel et artisanal (ci-après : le K______). Les associés susmentionnés ont chacun fait apport à la société simple de leur part, d'un tiers chacun, dans le K______.

L'administration et la gestion de l'immeuble (DPP) ont été confiées à la société en commandite C______, D______ & Cie.

Chacun des associés déclarait sa part dans sa déclaration fiscale, celle de MM. C______ et D______, dans la société en commandite.

3.             En juin 2016, la société en commandite a été transformée en société anonyme sous la raison sociale B______ & Cie SA.

4.             M. D______ est décédé le ______ 2018 et a laissé pour héritiers son épouse et ses cinq enfants (ci-après : l'hoirie).

5.             Par pli du 7 juin 2019, adressé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), B______ & Cie SA, l'hoirie, ainsi que M. C______, sous la plume de leur conseil, ont exposé que MM. C______ et D______ détenaient leur part du K______ à titre fiduciaire pour le compte de B______ & Cie SA, ce qui avait été accepté par l’AFC-GE. Ils n’étaient redevables que de l’impôt immobilier complémentaire (ci-après : IIC).

Il était exclu pour l'hoirie, notamment les enfants mineurs qui bénéficiaient d'une curatelle pour les représenter dans la succession, qu'ils reprissent la détention à titre fiduciaire du K______. Il était dès lors prévu que le rapport de fiducie soit dénoncé par l'hoirie, impliquant « la récupération de sa part » par le fiduciant.

Par ailleurs, M. C______, âgé de 69 ans, envisageait de prendre sa retraite d’ici quelques années. Il était également possible qu’il dénonça le rapport de fiducie.

L’inscription de B______ & Cie SA comme propriétaire du K______ impliquait une réquisition au RF. L’opération était soumise à enregistrement. Cependant, il n’y aurait pas de contre-prestation puisque B______ & Cie SA était déjà la propriétaire économique des parts qu'elle reprendrait de l'hoirie. Les dispositions de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30) concernant les ventes ne s’appliquaient donc pas. Il en allait de même de celles sur les donations, car la cause du transfert n’était pas une donation, mais la fin d’un rapport de fiducie. Seul un droit fixe résiduel de CHF 2.- pouvait être prélevé, tant pour l'acquisition des droits de l'hoirie que pour ceux de M. C______.

6.             Le 19 juillet 2019, l’AFC-GE a répondu par la négative à cette requête dans la mesure où il n'était pas tenu compte du détenteur économique dans le cadre des transferts immobiliers.

7.             Par courrier du 6 novembre 2020 adressé à l’AFC-GE, B______ & Cie SA et l'hoirie ont exposé que lors de la transformation de la société en commandite, qui exploitait la régie éponyme, en société anonyme, le K______ était resté dans la comptabilité de la régie (devenue société anonyme), aucune inscription n'ayant été opérée au RF. La part de MM. C______ et D______ dans le K______ avait été fiscalisée au sein de B______ & Cie SA. Conformément à la convention de société simple, on devait considérer que MM. C______ et D______ détenaient leur part pour le compte de la régie. Aussi, pour les droits de MM. C______ et D______ dans la société simple, le droit de superficie ne leur appartenait qu'à titre fiduciaire, pour le compte de B______ & Cie SA, élément qui ressortait expressément de la demande de ruling sur la restructuration, validée par l'AFC-GE. À la suite du décès de M. D______, il était prévu que le rapport de fiducie soit dénoncé par l'hoirie, impliquant pour la régie fiduciant, la récupération formelle de la part de feu M. D______, la radiation de ce dernier au RF au profit de la régie B______ & Cie SA, qui serait inscrite en société simple, aux côtés des autres associés actuels, y compris M. C______. Il s'agissait d'un transfert purement juridique des parts sans contre-prestation, lequel prendrait la forme d'une rétrocession, dès lors que B______ & Cie SA était déjà propriétaire de l'immeuble, conformément au rapport de fiducie.

Selon l’AFC-GE, cette opération impliquait, le prélèvement de droits de mutation. Or, faute de gain, aucun impôt sur les bénéfices et gains immobiliers ne pouvait être perçu : l'hoirie n’intervenant qu’à titre fiduciaire, elle ne pouvait participer à une plus-value. Ce raisonnement s'appliquait également s'agissant de l'impôt sur le revenu, l'hoirie ne réalisant pas le K______ au demeurant. Enfin, il ne savait être question d’une donation, en présence d’un transfert d’une participation formelle sans valeur.

8.             Le 25 novembre 2020, l’AFC-GE a communiqué au mandataire son « bon pour accord », sous réserve des éléments suivants :

-     l’accord ne se fondait que sur l’état de fait exposé dans la demande et ne couvrait que sa partie « conséquences fiscales » ;

-     l’opération serait enregistrée sous l’angle de l’art. 33 al. 2 LDE.

9.             Par acte authentique des 25 et 30 août, 8 septembre et 1er octobre 2021, instrumenté par Maître A______ (ci-après : le notaire), l'hoirie a rappelé que, lors de la constitution de la société simple, MM. C______ et D______ avaient agi à titre fiduciaire, à savoir, en leur nom, mais pour le compte de la société en commandite.

L'hoirie avait cédé à B______ & Cie SA la totalité des droits de propriété qu’elle détenait en main commune dans la société simple, de sorte que B______ & Cie SA devait figurer, en lieu et place de l'hoirie, comme propriétaire en main commune du K______. B______ & Cie SA reprenait l’ensemble des droits et obligations de l'hoirie au sein de la société simple, notamment sa dette envers L______ SA.

Dans la partie « déclaration au service de l’enregistrement », il était mentionné que la valeur brute de l’entier du K______ s'élevait à CHF 13'500'000.- et celle de l'hoirie, à CHF 1'800'000.-.  

10.         Le 5 octobre 2021, l’AFC-GE a notifié au notaire un bordereau de droits d’enregistrement d’un montant de CHF 61'651.20, lequel se déterminait comme suit :

Opérations

Val. / nbre

Droits

Cent. add.

Total

Cession immobilière

1'800'000.00

54'000.00

0.00

54'000.00

Droit de superficie cessible

253'637.20

7'609.20

0.00

7'609.20

Autres actes et opérations

10

20.00

22.00

42.00

Total

61'651.20

11.         Ce bordereau n’a pas fait l’objet d’une réclamation. 

12.         Par acte authentique du 2 mai 2023, M. C______ a cédé à B______ & Cie SA la totalité des droits de propriété qu’il détenait en main commune dans la société simple, pour le compte du fiduciant [i.e. : B______ & Cie SA], de sorte que ce dernier figurait désormais, en lieu et place de M. C______, comme propriétaire en main commune du K______. B______ & Cie SA reprenait l’ensemble des droits et obligations de M. C______ au sein de la société simple, notamment sa dette envers L______ SA.

Dans la partie « déclaration au service de l’enregistrement », il était mentionné que la valeur brute de l’entier du K______ s'élevait à CHF 13'500'000.- et celle de M. C______ à CHF 2'700'000.-.  

13.         Le 7 juin 2023, l’AFC-GE a notifié au notaire un bordereau de droits d’enregistrement d’un montant de CHF 92'443.20, lequel se déterminait comme suit :

Opérations

Val. / nbre

Droits

Cent. add.

Total

Vente immobilière

2'700'000.00

81'000.00

0.00

81'000.00

Droit de superficie cessible

380'456.00

11'413.80

0.00

11'413.80

Autres actes et opérations

7

14.00

15.40

29.40

Total

92'443.20

14.         Le 13 juillet 2023, le notaire et B______ & Cie SA (ci-après : les contribuables)ont élevé réclamation à l’encontre du bordereau du 7 juin 2023 et conclu à son annulation.

15.         Le 18 juillet 2023, le notaire a informé l’AFC-GE que le paiement des droits d’enregistrement d’un montant de CHF 92'443.20 avait été effectué, sous réserve de l’issue de la procédure de réclamation.

16.         Par décision du 3 août 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

Les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituaient pas une donation, un échange ou un partage étaient soumises au droit prévu pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière conformément à l’art. 33 al. 2 LDE.

17.         Par acte du 1er septembre 2023, les contribuables (ci-après : les recourants), sous la plume de leur mandataire, ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à l’annulation de la décision du 3 août 2023 et à la restitution des droits d’enregistrement déjà payés avec intérêts rémunératoires, le tout sous suite de frais et dépens.

Ils ont repris, en les développant, les arguments exposés dans leurs précédentes écritures.

D'une part, il n'y avait pas eu de vente au sens de l'art. 33 LDE. Il n'était pas contesté que M. C______ fût inscrit comme propriétaire du K______. Il était en outre établi qu'il ne détenait la propriété qu’à titre fiduciaire. La rétrocession du K______ n'était pas une vente au sens de l’art. 33 LDE et le transfert de l'immeuble avait en réalité déjà été soumis à la formalité de l'enregistrement. En effet, le droit de mutation impliquait un transfert de propriété à titre onéreux. Or, aucune de ces deux conditions cumulatives n'était réalisée en l'espèce. On ne pouvait se fonder sur la seule inscription au RF au nom de B______ & Cie SA. Une jurisprudence genevoise importante du tribunal de céans avait d'ailleurs été rendue à ce sujet (JTAPI/142/2021 consid. 17 et 18). Ce jugement concernait un changement de direction d'un fonds de placement contractuel immobilier possédant des immeubles en propriété directe. C'était la direction de fonds qui était inscrite au RF comme propriétaire pour le compte des porteurs de parts. Le changement de direction avait impliqué une mutation de la propriété inscrite au RF. Or, malgré cette mutation, le tribunal avait relevé que les droits de mutation ne pouvaient pas être perçus, car le propriétaire économique demeurait le même et que taxer un transfert formel de propriété apparaissait contraire à l'esprit de la loi. Ces considérants devaient s'appliquer également à un changement de fiduciaire ou à la restitution d'un bien par le fiduciaire au fiduciant.

In casu, la propriété économique demeurait chez B______ & Cie SA et n'avait donc pas changé. La part de M. C______ dans le droit de superficie, ses rendements, les frais d'entretien, la rente de superficiaire et ses intérêts avaient été portés dans la comptabilité de B______ & Cie SA, ce qui n'était pas contesté par l'AFC-GE. En sa qualité de détenteur à titre fiduciaire, M. C______ n’avait pas le droit de disposer de sa propriété. Il devait agir dans l’intérêt du fiduciant, qui conservait ses prérogatives contre ce dernier, dont les pouvoirs étaient en conséquence restreints. En conclusion, seule la propriété économique était déterminante. Dès lors qu’elle n’avait pas été transférée, aucun droit d’enregistrement ne pouvait être prélevé.

Par ailleurs, l’art. 33 LDE se trouvait dans le chapitre de la loi concernant les ventes. Or, il n'était ni soutenu ni soutenable que l'acte de rétrocession fût une quelconque forme de vente. En particulier, il n'y avait eu aucune contre-prestation, puisque B______ & Cie SA était déjà propriétaire économique des parts de l'immeuble que la régie avait reprises à M. C______ et que la propriété purement formelle transférée n’avait par voie de conséquence aucune valeur. L’art. 33 LDE ne s’appliquait pas, les dispositions sur les donations non plus. Seul un droit fixe de CHF 2.- pouvait être prélevé.

D'autre part, les droits économiques transférés avaient été soumis à enregistrement en 2016, de sorte qu'on ne saurait le faire une seconde fois dans le cadre de la taxation litigieuse. En effet, le 2 juin 2016, l'assemblée des associés avait décidé la transformation de la régie en société anonyme. Le patrimoine de la société en commandite avait été apporté à B______ & Cie SA au moment de cette transformation. C'était à ce moment qu'avait eu lieu le transfert économique pertinent en matière de droits d'enregistrement.

Enfin, le montant taxé ne correspondait ni à la valeur indiquée dans l'acte ni à la valeur vénale des éléments transférés. Aucun prix n’était indiqué dans l’acte de rétrocession. En outre, l’actif et les rendements étant comptabilisés au niveau de la régie, de sorte que la valeur de l'immeuble rétrocédé était nulle. L’opération était uniquement soumise au prélèvement d’un droit fixe résiduel de CHF 2.-.

18.         Dans sa réponse du 10 novembre 2023, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

S'agissant d'un cas de transfert d'un bien immobilier résultant de l'immatriculation au RF d'un droit de superficie distinct et permanent, c'étaient les dispositions spéciales de l'art. 45 LDE qui étaient applicables.

Il convenait d’appliquer au cas d’espèce un arrêt de principe rendu récemment par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_624/2021 du 28 mars 2022) qui avait rejeté le recours formé par la nouvelle direction d’un fonds de placement, laquelle détenait des immeubles à titre fiduciaire, et confirmé l'arrêt du Tribunal cantonal de Fribourg. Le changement de direction du fonds de placement avait impliqué le transfert des immeubles, qui avait du reste eu lieu à titre onéreux, puisqu'il y avait eu une reprise de dettes hypothécaires, ce qui avait conduit au prélèvement du droit de mutation sur la valeur vénale des immeubles. Dans un sens large, le droit de mutation était un impôt perçu par les cantons qui frappaient les transferts juridiques et économiques, à titre onéreux ou gracieux, entre vifs ou pour cause de mort, d'immeubles ou de parts d'immeubles. A la différence de l'impôt sur les gains immobiliers, il n'était pas nécessaire pour percevoir les droits de mutation qu'un gain soit réalisé. Cette jurisprudence était applicable au cas d'espèce.

En effet, il n’était pas contesté que MM. C______ et D______, inscrits au RF, étaient propriétaires à titre fiduciaire du K______, le détenant pour le compte de B______ & Cie SA. La rétrocession de ses droits par M. C______ à la régie impliquait un acte authentique et constituait un acte translatif de propriété sur l’immeuble, soumis à la perception des droits de l'enregistrement, comme le transfert, en faveur de B______ & Cie SA, des droits formels de l'hoirie, qui avait fait l'objet d'un bordereau de droits d'enregistrement non contesté et payé dans sa totalité, ainsi que d'une demande de rulling du 6 novembre 2020. Par ailleurs, le transfert avait eu lieu à titre onéreux. Par ailleurs, B______ & Cie SA avait repris de M. C______ la dette hypothécaire de ce dernier à l'égard de L______ SA. Dite reprise de dette constituait une charge dont B______ & Cie SA s'était acquittée en échange du transfert des droits formels de M. C______ dans le K______.

Enfin, les recourants alléguaient que le montant taxé ne correspondrait ni à l valeur indiquée dans l'acte ni à la valeur vénale des éléments transférés. C'était manifestement inexact. L’acte de rétrocession du 2 mai 2023 prévoyait que la valeur brute de la part transférée se montait à CHF 2'700'000.- et c'était ce montant qui avait été repris dans le bordereau litigieux.

19.         Par réplique du 5 décembre 2023, les recourants ont persisté dans les conclusions de leur recours.

L’AFC-GE passait sous silence le jugement du tribunal qu’ils citaient dans leur recours. D’ailleurs, l’art. 34 LDE, qui soumettait les transferts d’actions de sociétés immobilières au droit de vente sur les immeubles, confirmait que c’était la propriété économique qui était déterminante. À défaut, ces opérations seraient soumises au droit d’enregistrement sur les transferts de biens mobiliers (art. 52 LDE). Aucun droit d’enregistrement ne pouvait donc être prélevé sur la base de l’art. 33 LDE.

La jurisprudence citée par l’AFC-GE n’était pas pertinente en l’espèce. Amené à examiner l’application du droit cantonal, en l’occurrence fribourgeois, le pouvoir de cognition du Tribunal fédéral était restreint à l’arbitraire. La portée de cet arrêt était ainsi extrêmement restreinte.

C’était à tort que l’AFC-GE soutenait que le transfert était intervenu à titre onéreux. Les rendements du droit de superficie, les frais d’entretien et la rente de superficiaire, ainsi que la dette hypothécaire et ses intérêts étaient déjà portés dans la comptabilité de B______ & Cie SA. Celle-ci ne s’était donc pas acquittée d’une charge.

Le montant de CHF 2'700'000.- figurait sous la rubrique « déclaration au service de l’enregistrement » et non pas sous un quelconque prix payé. La valeur brute de l’entier du K______ se montait à CHF 13'500'000.-. En d’autres termes, ce n’était pas la valeur du transfert qui équivalait à CHF 2'700'000.-, mais le K______ lui-même. Or, celui-ci appartenait déjà à B______ & Cie SA. Personne ne débourserait un tel montant pour acquérir un bien à titre uniquement fiduciaire, seul le droit de fond détenu par la société recourante pouvait avoir une telle valeur.

20.         Dans sa duplique du 11 décembre 2023, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

21.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 LDE).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), étant précisé que le notaire, débiteur des droits, dispose également de la qualité pour recourir (art. 161 al. 1 let. a et 179 al. 1 LDE).

3.             Selon l’art. 655 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), sont immeubles au sens de la présente loi :

1.             les biens-fonds ;

2.             les droits distincts et permanents, immatriculés au RF ;

3.             les mines ;

4.             les parts de copropriété d’un immeuble.

5.             Lors de la constitution ou du transfert d’un droit de superficie distinct et permanent ou d’une servitude de superficie personnelle et cessible, d’une durée de 30 ans au moins, le droit de vente au taux de 3 % prévu à l’art. 33 LDE est perçu sur la valeur de l’immeuble (terrain et bâtiment) sur lequel s’exerce le droit ou la servitude (art. 45 al. 1 LDE).

6.             À teneur de l’art. 33 al. 1 LDE, sont soumis obligatoirement au droit de 3 %, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi, tous les actes translatifs à titre onéreux de la propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit de biens immobiliers sis dans le canton de Genève, notamment les ventes, substitutions d’acquéreur, adjudications, apports et reprises de biens.

Les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituent pas une donation, un échange ou un partage, sont soumises au droit prévu pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière (art. 33 al. 2 LDE).

7.             Les recourants se prévalent du JTAPI/142/2021 du 11 février 2021, qui n’a pas été attaqué.

Dans cette affaire, la direction d’un fonds de placement immobilier au sens de la loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux du 23 juin 2006 (LPCC - RS 951.31) était titulaire, à titre fiduciaire, d’un droit de superficie, qui était mentionné au RF. Le tribunal a retenu que le transfert du droit de superficie à une autre société (changement de direction du fonds) ne devait pas donner lieu à la perception de droits d’enregistrement, notamment parce que le propriétaire économique de l’immeuble n’avait pas changé. Taxer le transfert formel de propriété lors du changement de direction d'un fonds de placement apparaissait contraire à l'esprit de l'art. 33 LDE.

8.             De son côté, l’AFC-GE invoque l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_624/2021 du 28 mars 2022, publié aux ATF 148 II 121 et rendu dans une affaire fribourgeoise.

Dans cette cause, le fonds de placement immobilier E. était géré par C SA jusqu’au 30 avril 2019, puis par A SA depuis le 1er mai suivant. A SA était inscrite au RF comme propriétaire fiduciaire des quatre immeubles de E. Le fisc fribourgeois a notifié à A SA un bordereau de droits de mutation portant sur la valeur des quatre immeubles. Cette taxation a été confirmée en dernière instance cantonale, puis par le Tribunal fédéral.

Selon ce dernier, il n’était pas arbitraire de percevoir un droit de mutation à l'occasion d'un changement de direction de fonds de placement immobilier ni insoutenable en l'espèce de considérer que le transfert avait eu lieu à titre onéreux.

Lorsque des droits de mutation étaient prélevés dans le cadre d’un changement de direction d’un fonds de placement immobilier, les art. 122 Cst. (disposition prévoyant que le droit civil relève de la Confédération) et 129 Cst. (norme réglant l’harmonisation fiscale) entraient en conflit. Sous l'angle du droit privé, le changement de direction devait être possible sans liquidation du fonds de placement et, sous l'angle fiscal, les cantons conservaient des compétences historiques de prélever des impôts au sens de l'art. 1 al. 3 LHID. Ce conflit ne pouvait être résolu que par le législateur fédéral. Aussi longtemps que le législateur fédéral n'en avait pas décidé autrement, la perception de droits de mutation en cas de changement de direction d'un fonds de placement immobilier ne portait pas atteinte à la ratio legis de l'ancien art. 34 LPCC ou de l'art. 39 de la loi fédérale sur les établissements financiers du 15 juin 2018 (LEFin – RS 954.1) ni au demeurant au but de la LPCC tel qu'il ressortait de son art. 1 selon lequel « la présente loi a pour but de protéger les investisseurs ».

9.             Dans l’ATF 150 II 98 consid. 4.1, également rendu dans une affaire fribourgeoise, le Tribunal fédéral a confirmé sa position adoptée dans l’ATF 148 II 121. Il a rappelé que le législateur (art. 103 LFus) faisait interdiction aux cantons de prélever des droits de mutation en cas de restructuration. Une telle interdiction légale faisait défaut en cas de changement de direction de fonds. Il a toutefois a considéré que l’introduction, par voie judiciaire, d’une telle interdiction constituait une atteinte inadmissible à la souveraineté fiscale cantonale en faveur du droit privé de la Confédération.

10.         Dans un document intitulé « Panorama fiscal 2022 », publié le 11 avril 2022 et disponible en ligne sur le site de l’AFC-GE à l’adresse https://www.ge.ch/document/presentations-du-panorama-fiscal-2022, il est indiqué en page 24 : un changement de la direction de fonds d'un fonds immobilier (sans transfert de l’immeuble par le fonds immobilier) conduisait au prélèvement des droits d'enregistrement. Suite à un changement de pratique, motivé par le résultat de différentes analyses, cette opération ne conduit plus au prélèvement des droits d’enregistrement.

11.         En l’espèce, la présente cause, le JTAPI/142/2021 et l’ATF 148 II 121 portent sur une problématique similaire. Ils concernent la question de savoir s’il est admissible de prélever des droits de mutation en cas de changement de propriétaire fiduciaire (propriétaire juridique) d’un immeuble, alors que le propriétaire fiduciant (propriétaire économique) est demeuré le même. Ainsi qu’il a été examiné ci-dessus, la solution retenue par le tribunal de céans et celle adoptée par le Tribunal fédéral divergent.

En effet, même si le Tribunal fédéral, statuant avec un pouvoir de cognition restreint à l’arbitraire, a admis dans son ATF 148 II 121 le prélèvement de droits de mutation en cas de changement de direction de fonds, il a également rappelé qu’il demeurait un conflit entre les art. 122 et 129 Cst. féd. que seul le législateur fédéral pouvait résoudre.

En outre, l’autorité intimée, reconnaît elle-même que suite à un changement de pratique, elle ne prélève plus de droits de mutation en cas de changement de direction d’un fonds de placement immobilier sans transfert de l’immeuble [i.e. sans changement de propriétaire économique]. Ce changement de pratique doit nécessairement s’appliquer à la présente cause, puisque la communication de l’AFC-GE a eu lieu le 11 avril 2022, soit avant la signature de l’acte authentique, établi le 2 mai 2023, générateur, selon l’autorité intimée, de droits d’enregistrement.

Il en résulte qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la solution retenue dans le JTAPI/142/2021.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis.

Les droits d’enregistrement déjà payés par les recourants, en CHF 92'443.20, leur seront remboursés avec intérêts rémunératoires qu’il incombera à l’AFC-GE de calculer (art. 182 LDE et 28 de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 - LPGIP - D 3 18).

13.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui obtiennent gain de cause, sont dispensés du paiement d’un émolument. L’avance de frais de CHF 700.-, versée à la suite du dépôt du recours, leur sera restituée.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 3 août 2023 par Maître A______ et B______ & CIE SA contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 3 août 2023 ;

2.             l'admet au sens des considérants ;

3.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution aux recourants de l’avance de frais de CHF 700.- ;

4.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Laetitia MEIER DROZ, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière