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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3213/2024

JTAPI/978/2024 du 03.10.2024 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3213/2024 LVD

JTAPI/978/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 3 octobre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______

 

contre

Monsieur B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 1er octobre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours, soit jusqu'au 11 octobre 2024 à 17.00, à l'encontre de son épouse, Madame A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Monsieur B______, située C______ 1______, D______, et de contacter ou de s'approcher de celui-ci.

Mme A______ avait, le 1er octobre 2024, saisi le cou de M. B______, lui occasionnant ainsi des traces de griffure, et l'avait menacé de mort. La police était déjà intervenue pour un conflit entre les intéressés les 30 novembre 2023 et 25 mars 2024.

2.             Mme A______ a immédiatement fait opposition contre cette décision. L'opposition a été transmise par ces derniers par courrier électronique du 2 octobre 2024 au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

3.             Il ressort du rapport de police du 1er octobre 2024 que des agents étaient intervenus, le 1er octobre 2024, vers 15 heures 53, dans un appartement sis à D______, C______ 1______ et qu'ils avaient constaté des traces de griffure au niveau du cou et du bras droit de M. B______, attestées par photographies, et aucune trace sur Mme A______.

4.             Entendu par la police dans la foulée, M. B______ a déclaré vivre à cette adresse depuis quatre mois afin de prendre de la distance d'avec son épouse. Le 26 septembre 2024, cette dernière lui avait demandé de l'héberger quelques jours, ce qu'il avait accepté. Le 1er octobre 2024, une dispute avait éclatée lors de laquelle son épouse avait sauté sur lui, lui avait agrippé le cou et avait menacé de le tuer et de lui faire la misère s'il divorçait. Elle lui avait ensuite jeté un sachet de M&M's et un panettone dessus. Il l'avait alors sommée de quitter l'appartement, ce qu'elle avait refusé. Il avait donc pris ses valises pour les placer dans le corridor où il l'avait raccompagnée. Il a nié avoir injurié et bousculé son épouse.

5.             Auditionnée également par la police, Mme A______ a expliqué que son mari l'avait traitée de "pute" et de "connasse" avant de jeter ses affaires dans le couloir. Il l'avait ensuite poussée et elle s'était retenue au cadre de la porte d'entrée. Elle lui avait ensuite jeté un paquet de M&M's à la figure ainsi qu'un paquet de biscuit dans sa direction et l'avait poussé. Par contre, elle a nié avoir saisi le cou de son époux et d'avoir menacé de le tuer.

6.             Le contrat de sous-location de l'appartement daté du 25 mai 2024, mentionne uniquement M. B______ comme sous-locataire.

7.             A l'audience du 3 octobre 2024 devant le tribunal, M. B______ a confirmé ses déclarations à la police. L'appartement de la C______ 1______ qu'il sous-louait depuis quatre mois appartenait à un ami de son épouse. Avec cette dernière, ils avaient décidé de rester ensemble mais de vivre séparément. Cela se passait très bien jusqu'à ce qu'elle ait besoin qu'il la loge, ce qu'il avait fait. Le 1er octobre 2024, ils avaient eu une dispute et il lui avait dit qu'il allait divorcer. Elle lui avait alors serré la gorge avec ses mains et l'avait menacé de le tuer et de lui faire la misère de sa vie s'il divorçait. Elle lui avait aussi jeté dessus des M&M's et des biscuits Il l'avait alors enjoint de partir et déposé ses valises dans le couloir. Il ne l'avait ni injuriée ni poussée. Il pensait que leur situation allait s'améliorer car cela se passait très bien depuis qu'ils ne vivaient plus ensemble. Par contre, après seulement quatre jours de cohabitions, elle s'était transformée en diable et c'était épouvantable. Depuis le 1er octobre, elle lui avait téléphoné à une reprise et envoyé deux messages auxquels il n'avait pas répondu, notamment pour lui demander des affaires personnelles restées chez lui qu'il avait apportées à l'audience.

Mme A______ a déclaré qu'elle vivait dans l'appartement de la C______ 1______ depuis juin. Elle n'y dormait pas toutes les nuits car c'était insupportable de vivre avec son époux. Si elle ne figurait pas sur le contrat de bail, c'était car elle n'avait pas fait attention lorsque son époux avait signé et rempli les documents. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, elle dormait chez une amie. Elle n'avait plus son appartement à la E______ depuis juin. Si elle avait envoyé un message à son époux et si elle l'avait appelé, c'était pour qu'il lui donne des affaires. Elle n'avait pas contacté F______ car elle n'en avait pas besoin. Elle s'engageait à le faire lorsqu'elle sortirait de la salle d'audience. Elle confirmait ses déclarations à la police. Il est vrai que le 1er octobre 2024, elle avait saisi son époux à la gorge. Elle ne l'avait par contre pas menacé comme il le prétendait. Lorsqu'elle se trouvait à côté de la porte d'entrée, il l'avait poussée avec sa main. Comme elle était au téléphone, celui-ci était tombé et s'était cassé. Elle souhaitait divorcer car sa vie avec lui n'avançait pas.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure d'éloignement.

8.             A l'issue de l'audience, Mme A______ a hurlé, obligeant la sécurité à intervenir pour la sortir de force.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les constatations policières, les photographies des blessures de M. B______ et les déclarations des intéressés devant la police permettent sans conteste de retenir que Mme A______ s'en est prise physiquement à son époux le 1er octobre 2024, ce qu'elle a d'ailleurs admis. Par ailleurs, son comportement lors de l'audience du 3 octobre 2024 démontre une impulsivité et une agressivité non maîtrisée inquiétantes, d'autant plus qu'elle estime ne pas avoir besoin de participer à l'entretien thérapeutique qui lui a été imposé par la police. Dès lors, il n'apparaît pas adéquat que les époux se trouvent en présence l'un de l'autre vu le risque patent que Mme A______ s'en prenne physiquement et verbalement à son époux si elle devait être en colère.

6.             Par conséquent, le tribunal confirmera la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de Mme A______ pour une durée de dix jours. En tout état, elle n'apparaît pas disproportionnée.

7.             L'opposition à la mesure sera donc rejetée.

8.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

9.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 1er octobre 2024 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 1er octobre 2024 pour une durée de dix jours ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier