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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3134/2024

JTAPI/1036/2024 du 24.10.2024 ( MC ) , ADMIS

ADMIS par ATA/1340/2024

Normes : LEI.74; LaLEtr.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3134/2024 MC

JTAPI/1036/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 octobre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, avec élection de domicile

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 1987 et originaire du Guinée, a depuis son arrivée en Suisse a été condamné à six reprises, notamment pour infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; trafic de stupéfiants) et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

2.            Après avoir été placé en détention administrative en vue de son renvoi le 12 avril 2019 et s'être vu notifier, le 21 avril 2019, une interdiction d'entrée prononcée à son encontre le 18 avril 2019 par le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) et valable jusqu'au 17 avril 2022, M. A______ a été transféré en Espagne le 29 avril 2019.

3.            Revenu en Suisse à une date indéterminée malgré l'interdiction dont il faisait l'objet, M. A______ a été signalé comme ayant disparu dès le 18 août 2020.

4.            Il a été interpellé le 10 janvier 2020 à Genève pour, notamment, séjour illégal et trafic de cocaïne et d'ecstasy.

5.            Le 11 janvier 2020 toujours, en raison de son statut de trafiquant de cocaïne, M. A______ s'est vu interdire par le commissaire de police l’accès à l’ensemble du territoire genevois pour une durée de 12 mois.

6.            M. A______ n'ayant à réitérées reprises pas respecté l'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève, il a été condamné le 18 août 2020 par le Tribunal de police pour, notamment, infraction à l'art. 119 al. 1 LEI, mais également pour infraction à l'art. 19 al. 1 let. d LStup, pour les faits ayant conduit à son interpellation le 10 janvier 2020.

7.            Le 30 août 2021, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de l'intéressé une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de 18 mois en raison de la vente à un tiers de deux boulettes et un parachute de cocaïne.

8.            Par jugement du Tribunal de police du 19 juin 2024, M. A______, a été déclaré coupable d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. d LStup et de séjour illégal.

Une mesure d'expulsion judiciaire d'une durée de trois ans a également été prononcée à son encontre sur la base de l'art. 66a bis al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

9.            Par ordonnance du Tribunal d'application des peines et des mesures du 7 août 2024, la libération conditionnelle de l'intéressé a été refusée.

10.        Le 7 septembre 2024, l'intéressé s'est vu notifier une décision de non-report d'expulsion judiciaire, après que la possibilité d'être entendu lui eût été donnée le 30 août 2024.

11.        Il a été libéré le 14 septembre 2024, puis remis entre les mains des services de police.

12.        Le même jour à 14h23, le commissaire de police a prononcé à l’encontre de M. A______ une interdiction de quitter le territoire de la commune de B______ tel que délimité par le plan annexé à ladite décision, pour une durée de douze mois.

Cette décision précisait que, le 28 novembre 2023, la reprise de la demande de soutien en vue de l'identification de l'intéressé avait été initiée auprès du SEM, laquelle était actuellement toujours en cours, M. A______ étant prévu pour les prochaines auditions centralisées pour la Guinée qui devaient avoir lieu courant 2024.

13.        Par courrier déposé au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 24 septembre 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a fait opposition à cette décision.

14.        M. A______ a été convoqué pour l’audience du 26 septembre 2024 devant le tribunal par courriel adressé à son conseil le 24 septembre à 11h37.

15.        Lors de l’audience du 26 septembre 2024, ni M. A______ ni son conseil ne se sont présentés. La représentant du commissaire de police a conclu au rejet de l’opposition et à la confirmation de l’assignation.

16.        Par jugement du 26 septembre 2024 (JTAPI/960/2024), le tribunal a rejeté l'opposition de M. A______ et confirmé la décision d'assignation prononcée le 24 septembre 2024.

17.        Sur recours de M. A______, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a annulé ce jugement par arrêt du 16 octobre 2024 (ATA/1222/2024), constatant en substance que le recourant ou son conseil n'avaient pas été valablement atteints par la convocation que leur avait adressé le tribunal par le seul courriel du 24 septembre 2024, privant l'intéressé de l'occasion de s'exprimer oralement devant la juridiction de première instance, ce qui constituait une violation de son droit d'être entendu qui ne pouvait être réparée devant la chambre administrative. La cause était ainsi renvoyée au tribunal afin qu'il convoque une audience et rende un nouveau jugement.

18.        Par courrier du 22 octobre 2024 reçu le même jour, le conseil de M. A______ a relevé que depuis la réception de l'arrêt susmentionné le 18 octobre 2024 à midi, le tribunal n'avait convoqué aucune audience, ce qui entraînait un dépassement du délai légal de 96 heures dans lequel devait être examinée la légalité et l'adéquation d'une assignation territoriale. Le tribunal était ainsi invité à rendre un jugement levant la décision litigieuse.

19.        Par courriel du 22 octobre 2024, le tribunal a transmis le courrier susmentionné au commissaire de police en l'invitant à se prononcer d'ici au 23 octobre 2024 à 16 h 00.

20.        Parallèlement, le tribunal a convoqué les parties pour une audience prévue le 24 octobre 2024, tout en les avertissant que celle-ci serait annulée si, dans l'intervalle, un jugement annulant la mesure d'assignation d'un lieu de résidence était rendu.

21.        Dans le délai imparti, le commissaire de police s'est déterminé sur le courrier du conseil de M. A______ du 22 octobre 2024, concluant à ce que le tribunal maintienne l'audience prévue le 24 octobre 2024. En substance, il résultait de la jurisprudence qu'un dépassement du délai prévu par la loi pour le contrôle judiciaire d'une mesure de contrainte n'entraînait pas nécessairement l'annulation de cette dernière, cette question devant être résolue au terme d'une pesée des intérêts en présence. En l'occurrence, le délai de 96 heures dans lequel devait statuer le tribunal n'avait commencé à courir qu'à partir de sa saisine, « soit dès la notification dudit jugement ». Le dépassement du délai de 96 heures devait être relativisé, compte tenu du fait que l'assignation territoriale n'emportait qu'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle et que M. A______ représentait une menace indéniable pour la sécurité et l'ordre public, étant précisé qu'il n'avait pas respecté son obligation de se présenter tous les mercredis à la police, la première fois le mercredi 18 septembre 2024.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner, sur opposition, la légalité et l’adéquation des interdictions de quitter un territoire assigné prononcées par le commissaire de police (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Il faut commencer par relever que, par la réattribution de la procédure au juge soussigné, dans un souci de traiter la cause avec célérité, la demande de récusation qu’avait formée M. A______, par le biais de son conseil, à l’encontre du juge précédent, devient sans objet. Cela étant, le tribunal relève que cette demande de récusation semblait manifestement vouée à un rejet, dans la mesure où une erreur dans le traitement de la procédure n’équivaut pas à une attitude partiale du juge, lequel est en mesure d’en reprendre le traitement sans préjugés vis-à-vis du justiciable.

3.             La décision litigieuse ayant été prononcée le 14 septembre 2024 et l'opposition de M. A______ ayant été formée le 24 octobre 2024, elle l'a été dans le délai de dix jours prévu par l'art. 8 al. 1 LaLEtr, de sorte qu'elle est recevable.

4.             Le tribunal est quant à lui tenu de statuer dans un délai de nonante-six heures courant dès sa saisine, selon l'art. 9 al. 1 let. a LaLEtr.

5.             Cette saisine est celle qui découle de l'opposition elle-même, comme cela découle logiquement de la LaLEtr, puisque le tribunal ne peut être amené à contrôler la légalité et l'adéquation d'une assignation d'un lieu de résidence que lorsqu'il est saisi par l'opposition formée contre cette décision par son destinataire (art. 8 al. 1 LaLEtr).

6.             Par conséquent, contrairement à ce que soutient l'autorité intimée dans ses observations du 23 octobre 2024, ce n'est pas la notification de l'ATA/1122/2024 qui constitue la saisine du tribunal, mais bien la réception par le tribunal de l'opposition formée par M. A______ à l'encontre de la décision litigieuse. Il convient encore d'ajouter que le moment où débute le délai prévu par l'art. 9 al. 1 let. a LaLEtr est indissociablement lié à la réception de l'opposition par le tribunal, car la ratio legis de la disposition précitée est précisément d'offrir à l'opposant la garantie que la restriction apportée à sa liberté sera examinée dans un (court) délai déterminé par le moment à partir duquel le tribunal est en mesure de traiter son opposition. Ce délai ne doit ainsi pas souffrir de retard lié par exemple à des questions d'organisation interne du tribunal, ou, de manière générale, être exposé à des aléas qui échappent à la maîtrise de l'opposant.

7.             En l'espèce, conformément à ce qui précède, le délai de nonante-six heures prévu par l'art. 9 al. 1 let. a LaLETr a commencé à courir le 24 septembre 2024 (date de réception de l'opposition de M. A______ par le tribunal) et s'est achevé le 28 septembre 2024 en cours de journée. Dans cette mesure, au jour du présent jugement, le dépassement de ce délai est de vingt-six jours.

8.             Certes, comme le relève l'autorité intimée, la jurisprudence a admis qu'un dépassement des délais prévus par la loi pour le contrôle des mesures de contraintes prévues par la LEI n'avait pas pour conséquence nécessaire l'annulation de la décision querellée. Ainsi, dans l'arrêt 2C_356/2009 du 7 juillet 2009, le Tribunal fédéral a mis en balance le danger important que la personne concernée représentait pour l'ordre et la sécurité et le fait que le contrôle de sa détention administrative avait eu lieu cinq jours au-delà du délai prescrit par la loi. Ce dépassement ne devait toutefois pas faire obstacle, dans le cas d'espèce, au maintien en détention administrative.

9.             Cette jurisprudence ne saurait cependant amener à considérer que n'importe quel dépassement du délai prévu par la loi serait admissible et que la décision litigieuse devrait dans tous les cas être maintenue. Non seulement une telle interprétation sortirait-elle du cadre de la jurisprudence susmentionnée, qui met en avant une pesée des intérêts au cas par cas, mais elle conduirait à réduire les délais légaux à de simples délais d'ordre, ce qu'à l'évidence ils ne sont pas vu les enjeux auxquels ils sont liés.

10.         En l'occurrence, on ne parle pas d'un dépassement du délai légal se comptant en heures ou même en quelques jours, mais équivalant pratiquement à un mois. Il ne saurait y avoir de guérison d'un tel dépassement, étant rappelé qu'en tout état, la présente affaire ne concerne pas l'auteur de crimes graves.

11.         Par conséquent, l'opposition de M. A______ sera admise et la décision querellée annulée.

12.         Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émoluments (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 - et 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités de procédure administrative - RFPA - E 5 10.03).

13.          Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

14.          Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 24 septembre 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’assignation d'un lieu de résidence prise à son encontre par le commissaire de police pour une durée de douze mois ;

2.             l’admet ;

3.             annule l’assignation à résidence du 14 septembre 2024 ;

4.             dit que la procédure est franche d’émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10, rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

 


Genève, le

 


Le greffier