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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3191/2024

JTAPI/980/2024 du 03.10.2024 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3191/2024 LVD

JTAPI/980/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 3 octobre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Claire DECHAMBOUX, avocate

contre

Monsieur B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             La police est intervenue au domicile de Madame A______ et de Monsieur B______, sis rue du C______ 1______ le 30 septembre 2024 à 21h45, suite à un conflit de couple.

2.             Selon son rapport, une bouteille avait été jetée depuis le balcon du couple et avait atterri sur le trottoir. A l’arrivée des policiers, la situation était calme et divers objets étaient cassés dans le domicile.

Des photos de l’appartement et du bras droit de M. B______ ont été prises par la police.

Sur les 36 derniers mois, plusieurs interventions de la police étaient répertoriées dans la base de données de la police.

3.             La police a auditionné M. B______ le 1er octobre 2024 à 00h23 au poste de police.

Il avait rencontré sa femme plus de 20 ans auparavant aux Pâquis et ils avaient immédiatement emménagé ensemble.

Ils avaient beaucoup de conflits. Sa femme était alcoolique, elle entrait à la maison et cassait tout : ils étaient allés au moins huit fois au poste de police.

Le 30 septembre, il était tranquillement chez lui quand elle était rentrée vers 20h30 avec son fils de 35 ans, Monsieur D______. Il venait de prendre l’apéro et elle avait commencé « à faire chier » : elle s’était bagarrée avec son fils qui en avait aussi « ras le bol ». Elle avait voulu l’étrangler en lui saisissant le cou avec ses deux mains : heureusement, le fils de sa femme avait pu s’interposer et la retenir. Il n’avait pas perdu connaissance ni n’avait eu le souffle coupé, car cela avait duré à peine une seconde. Elle l’avait injurié, et traité pour la 2ème fois de « pédophile ».

Il avait un hématome sur l’avant-bras droit et un autre sur la main droite : il supposait que sa femme lui avait donné des coups pendant la dispute. Il avait pris des coups car elle tapait dans toutes les directions.

Il n’était pas violent, ce n’était pas son style de taper une femme. Ce soir-là, il ne l’avait pas touchée ni insultée ; il avait essayé de temporiser. Il lui avait demandé de se calmer puis avait appelé la police. Il ne l’avait pas frappée au cou. Il lui avait toutefois dit « Pour m’avoir accusé de pédophilie, je devrais te tuer ».

C’était sa femme qui avait jeté une bouteille de jus de citron de 1 litre pleine par la fenêtre, laquelle était tombée non loin d’une personne se trouvant dans la rue et qui avait « gueulé ». Sa femme l’avait à tort accusé en disant que c’était lui qui avait jeté la bouteille.

Il y avait eu une non-entrée en matière sur la plainte déposée par sa femme il y avait environ un mois et demi ; elle l’avait accusé d’être un pédophile. La police était venue chez eux et avait saisi ses appareils électroniques. C’était des « conneries », sa femme était une mythomane. Il avait été condamné à deux reprises pour insultes raciales.

C’était à elle de quitter le domicile. Le bail était à leur deux noms, précédemment il n’était qu’au sien.

C’était son nouveau « mec », Monsieur « E______ » qui tirait les ficelles, il montait la tête à sa femme. Il venait chez eux quand il n’était pas là.

Il pensait que tout le quartier savait que sa femme était séropositive ; lui-même l’avait dit au fils de sa femme un mois auparavant et sa femme lui en voulait.

4.             La police a également procédé à l’audition de Mme A______ au poste de police le même jour à 01h00 du matin.

Elle avait rencontré son mari dans le quartier de Pâquis en 2001 et ils s’étaient mariés en 2004. Les premières disputes remontaient, selon ses souvenirs, à 2006 ; au cours de leurs disputes, ils échangeaient régulièrement des injures. A part des injures, elle n’avait jamais tapé son mari ou endommagé des objets du domicile. C’était toujours lui qui était violent envers elle : le dernier épisode remontait au 5 août 2024. Depuis ce jour, elle avait demandé le divorce ainsi qu’une mesure d’éloignement : ils étaient actuellement en procédure de divorce.

Le soir du 30 septembre, elle était revenue chez elle avec son fils vers 20h30 pour manger. Son mari s’était approché d’eux et lui avait dit « Je vais dire à tout le monde aux Pâquis que tu es séropositive » ; elle se fichait de ses paroles. Il avait alors vu qu’elle avait son téléphone en mains et il avait cru qu’elle appelait la police ; du coup, il s’était énervé et avait renversé tout ce qui se trouvait sur la table. Il lui avait également donné un coup de poing dans le cou, du côté gauche mais elle n’avait pas de marques. Après cela, elle avait ouvert la fenêtre afin que les voisins puissent entendre qu’ils se disputaient et que quelqu’un puisse appeler la police. Son mari avait jeté une bouteille de jus de citron dans sa direction mais elle avait passé par la fenêtre et s’était brisée sur le trottoir.

Durant le conflit, son mari l’avait également menacée de mort, lui ayant dit à plusieurs reprises « Je vais te tuer ». Elle n’avait elle-même rien cassé dans la maison ni donné de coups à son mari ; elle l’avait néanmoins insulté.

Son fils avait tenté de les calmer mais lorsqu’il avait constaté que la situation dégénérait trop, il avait décidé de quitter le domicile.

Elle attendait avec impatience le jugement de divorce ; depuis que la police avait saisi les ordinateurs de son époux le 5 août 2024, la situation était encore pire. Elle souhaitait qu’il quitte le domicile ; elle n’avait pas de lieu où se rendre si elle était elle-même éloignée du domicile, c’était à lui de partir. Le bail était à leurs deux noms.

Son mari était un menteur ; elle l’avait jamais étranglé ni donné des coups. Elle ignorait d’où provenaient les marques présentes sur le bras de son mari. Elle n’avait fait que l’insulter, en réponse à ses insultes.

Elle prenait des médicaments pour la polyarthrite et le HIV.

5.             Par décision du 1er octobre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement s’étendant du 1er octobre 2024 à 05h00 au 10 octobre 2024 à 17h00 à l'encontre de Mme A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de M. B______, située rue du C______ 1______, F______, et de contacter ou de s'approcher de ce dernier.

Selon cette décision, Mme A______ aurait été menacée de mort et insultée par son mari, lequel lui aurait asséné des coups. Quant à M. B______, il aurait également reçu des coups, aurait été victime d’injures et aurait subi une tentative d’étranglement au cou, sans perte de connaissance ni souffle coupé.

Le couple était connu pour divers épisodes de violence, le dernier remontant au 5 août 2024 durant lequel Mme A______ avait été prévenue de menaces, voies de fait et injures et M. B______ prévenu de voies de faits et injures.

6.             Mme A______ a fait immédiatement opposition à cette décision devant le commissaire de police, laquelle a été transmise au Tribunal administratif de première instance (ci‑après :  le tribunal) par courriel du 1er octobre 2024.

7.             Le tribunal a tenu une audience de comparution des parties le 2 octobre 2024.

a.       Mme A______ a confirmé son opposition à la mesure d’éloignement prise à son encontre par la police le 1er octobre 2024 car elle n’était pas une personne violente, n’avait jamais été condamnée pour violence, n’avait pas de casier judiciaire, et estimait que c’était son mari qui aurait dû être éloigné du domicile ; elle a déposé un certificat médical. Elle contestait tout ce que disait son mari car c’était des « conneries ». C’était lui qui était un alcoolique et un fou. Avec sa peau noire, on ne voyait pas quand il lui donnait des coups : elle avait encore mal à sa mâchoire. Elle n’avait pas encore consulté une institution habilitée à l’entretien thérapeutique et juridique comme la loi l’y obligeait, elle allait le faire rapidement.

Son fils habitait à G______, mais depuis le 5 août 2024, il logeait avec eux à F______ car elle avait peur. Il avait quitté l’appartement en même temps qu’elle. Elle avait dormi dans un hôtel le 1er octobre 2024. Elle n’avait pas d’activité professionnelle : elle était à la recherche d’un emploi et devait commencer une formation qu’elle avait dû annuler à cause de l’évènement du 1er octobre 2024. Elle s'était rendue à l’Hospice général après les évènements du 5 août 2024. C’est Monsieur E______ qui pourvoyait à son entretien depuis le début de son mariage, lui donnant notamment CHF 500.- par mois pour payer une partie du loyer : il s’agissait simplement d’un bon ami avec lequel elle n’avait pas de relation amoureuse.

Elle ne contestait pas être rentrée alcoolisée le 1er octobre dernier, mais cela n'arrivait que de temps en temps : elle avait passé la journée avec des amies, avait notamment mangé avec elles à midi et elles avaient bu de l’alcool.

Elle vivait avec un mari violent depuis des années. Elle ne savait pas si son mari avait été condamné pour violence car il mentait tout le temps. Elle n’était au courant de rien et n’avait même pas accès à ses courriers bancaires. Elle contestait avoir cassé un quelconque objet dans l’appartement

Elle n’avait jamais quitté le domicile conjugal. Le 5 août dernier, son mari avait été violent envers elle devant son petit-fils, raison pour laquelle elle avait demandé le prononcé d’une mesure d’éloignement qui ne lui avait pas été accordée. C’était là qu’elle avait décidé d’entamer des démarches en vue de divorcer et demandé à son fils de rester avec elle.

Sur questions de son conseil, elle a indiqué qu’avec sa polyarthrite il ne lui était pas possible de serrer le cou de son mari. Elle dormait depuis dix ans avec un couteau sous son oreiller et s’enfermait dans sa chambre. Elle n’avait plus confiance et confirmait avoir peur qu’il la tue.

Elle s’opposait à la demande de prolongation que son mari avait formulée en audience.

b.    Son conseil a indiqué qu’elle allait prochainement déposer une demande en divorce, mais à ce jour aucune procédure n’était en cours devant le tribunal civil, étant en négociation avec l’avocate de M. B______, à la demande de cette dernière.

Il y avait eu une non-entrée en matière sur la plainte pénale déposée par sa cliente le 5 août dernier relative à des faits de pédophilie et de violence. Elle s’engageait à transmettre par courriel à son retour à l’Etude copie du procès-verbal de l’audition des parties suite à l’altercation du 5 août 2024, ainsi que l’ordonnance de non-entrée en matière.

c.    M. B______ a pour sa part confirmé qu’aucun avocat n’était constitué pour la défense de ses intérêts dans ce dossier. Mme A______ n’avait pas tenté de le joindre depuis le prononcé de la mesure. Il sollicitait d’ores et déjà la prolongation de la mesure pour la plus longue durée possible.

Les hématomes qu’il avait sur le bras découlaient de l’altercation du 1er octobre 2024, précisant toutefois prendre des anticoagulants et avoir rapidement des bleus. Il confirmait que sa femme l’avait frappé sur le bras et saisi par le cou. Il n’avait jamais levé la main sur sa femme, notamment pas lors des évènements du 5 août.

Il était d’accord de divorcer et leurs avocates respectives étaient en discussion.

Il avait toujours habité dans l’appartement avec son épouse sauf quand elle l’a temporairement quitté. Dans le cadre du divorce, ils n’étaient pas d’accord sur l’attribution du domicile conjugal. Le montant du loyer était de CHF 1'700.- et il contestait que son épouse lui donnait CHF 500.- par mois pour le loyer. Sa femme était simplement entretenue par M. E______ depuis de nombreuses années et il n’était pas certain que sa femme n’ait pas eu de relation avec ce monsieur.

Lorsque la police est intervenue le 5 août 2024, elle avait saisi tous ses appareils électroniques mais ceux-ci devraient lui être rapidement restitués, la police n’ayant rien trouvé dedans. A sa connaissance, il y a eu une non-entrée en matière sur la plainte pénale de sa femme. Il contestait avoir violenté sa femme ce jour-là, c’était le fils de cette dernière qui avait donné deux claques à sa mère ce jour-là.

Il pensait que si le fils de sa femme n’avait pas été là le 1er octobre, il aurait pris un coup de couteau. Chaque fois que son épouse rentrait alcoolisée, à savoir environ une fois par semaine, une dispute éclatait.

Il n'avait jamais été condamné pour violence.

Sur questions du conseil de Mme A______, il a confirmé avoir été hospitalisé au Vietnam aux environs du 10 septembre mais que ça n’avait rien à voir avec les bleus présents sur son bras. Il buvait du jus de citron pour maigrir.

Vu son état de santé, il ne pouvait plus vivre avec une personne comme sa femme, qui était régulièrement alcoolisée et violente. Lorsqu’elle n’était pas alcoolisée, elle était charmante mais lorsqu’elle buvait elle était « folle » : elle ne reconnaissait pas qu’elle était alcoolique.

d.    La représentante du commissaire de police a déposé les photos du bras de M. B______ en couleur.

Elle pensait que la mesure d’éloignement aurait dû être prise jusqu’au 11 octobre à 5h00 au minimum puisque la durée minimale prévue par la loi est de dix jours. Elle confirmait la mesure jusqu’au 11 octobre 2024 à 17h00.

Si Mme A______ souhaitait se rendre personnellement au domicile pour y récupérer des affaires, notamment ses médicaments, elle devait s’adresser à la police qui l’accompagnerait audit domicile.

8.             Le conseil de Mme A______ a transmis de très nombreuses pièces de la procédure pénale P/______/2024 au tribunal le même jour par courriel de 18h58, dont une copie a été remise à M. B______.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD. La demande de prolongation formulée en audience l’est également.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             La personne éloignée est tenue, dans un délai de trois jours ouvrables après notification de la décision, de prendre contact et de convenir d’un entretien avec une institution habilitée à recevoir les auteurs présumés de violence domestique (art. 10 al. 1 LVD). Elle est tenue de se présenter à cet entretien. Cette obligation est mentionnée dans la décision d’éloignement (al. 2). L’entretien est destiné à aider la personne éloignée à évaluer sa situation. Elle reçoit à cette occasion des informations socio-thérapeutiques et juridiques (al. 3). La police s’assure du respect des obligations imposées à la personne éloignée (al. 4).

6.             En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

7.             La mesure d’éloignement peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

8.             Le tribunal dispose pour statuer d’un délai de quatre jours dès réception de l’opposition. En cas de demande de prolongation, il statue avant l’expiration de la mesure. Son pouvoir d’examen s’étend à l’opportunité. S’il n’a pas statué à l’échéance du délai, la mesure cesse de déployer ses effets (art. 11 al. 3 LVD).

9.             Lorsqu'il statue sur le bien-fondé d'une mesure d'éloignement, de même que lorsqu’il est saisi d’une demande de prolongation d’une telle mesure, qui porte atteinte à la liberté personnelle de son destinataire, le tribunal doit s'assurer que cette mesure respecte le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), qui se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

10.         En l'espèce, il apparait que les déclarations des époux sont totalement contradictoires tant sur les évènements qui se sont déroulés le 1er octobre dernier ayant conduit à la mesure d’éloignement que les épisodes précédents, notamment ceux du 5 août 2024. Il peut cependant être retenu que la situation au sein du couple est très conflictuelle et que les époux s’accordent sur la volonté de divorcer, des discussions entre leurs conseils respectifs ayant été entamées.

Il ressort des pièces du dossier qu’une forte altercation a eu lieu le 1er octobre dernier lors de laquelle une bouteille de jus de citron a été lancée par la fenêtre pour atterrir sur le trottoir et que des objets ont été brisés dans l’appartement, sans qu’il soit possible de déterminer qui des deux époux a commis ces actes. Il y a également en tout cas eu des insultes de part et d’autre.

Selon les rapports de police, cette dernière est intervenue à plusieurs reprises au domicile des époux, en particulier le 5 août 2024, interventions notamment en lien avec des épisodes de violence conjugale, ce que les deux époux reconnaissent.

Dès lors, les faits tels que décrits par les deux époux correspondent sans conteste à la notion de violence domestique, au sens défini plus haut. Dans ces circonstances, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir, surtout dans le cas d’espèce. L'essentiel est de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences, lesquelles peuvent également être psychologiques.

Vu en particulier le caractère récent des événements, de la situation conflictuelle et complexe dans laquelle les deux intéressés se trouvent et la procédure en divorce qui va prochainement être intentée, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de Mme A______. Prise pour une durée allant du 1er octobre 2024 à 5h00 au 11 octobre à 17h00 et non 10 octobre 2024 comme mentionné par erreur sur la décision - la durée minimale étant de dix jours -, soit donc la durée la plus courte prévue par la loi, elle n'apparaît pas d'emblée disproportionnée. Dans ces conditions, l'atteinte à sa liberté personnelle résultant de la décision entreprise, qui apparaît utile, nécessaire et opportune, demeure acceptable, étant observé qu'aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour atteindre le but fixé par la LVD.

L'opposition sera rejetée.

11.         Concernant la demande de prolongation formulée en audience, à laquelle Mme A______ s’oppose, le tribunal retiendra que cette dernière n’a pas tenté d’entrer en contact avec son mari depuis le prononcé de la mesure, la respectant ainsi et qu’elle s’est engagée à se rendre auprès d’une institution habilitée à l’entretien thérapeutique et juridique.

Si, certes, il n’apparait pas adéquat que les époux se retrouvent immédiatement sous le même toit, la période de dix jours d'éloignement confirmée ci-avant apparait suffisante pour apaiser la situation et laisser le temps aux époux de réfléchir à la situation dans laquelle se trouve leur couple et leurs difficultés, mais également à la manière dont leur vie sous le même toit va reprendre – étant rappelé que la mesure d'éloignement a pour objectif d'empêcher la réitération d'actes de violence, mais non de permettre aux personnes concernées de s'organiser pour modifier le cadre et les modalités de leur relation personnelle.

Par conséquent, la demande de prolongation de la mesure sera rejetée.

12.         La mesure d’éloignement est ainsi confirmée pour une durée allant jusqu’au 11 octobre 2024 à 17h00.

13.         Enfin, il sera rappelé que Mme A______ pourra, le cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagnée de la police.

14.         Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

15.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 1er octobre 2024 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 1er octobre 2024 pour une durée de dix jours, soit jusqu’au 11 octobre 2024 à 17h00 ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la mesure d'éloignement pour une durée de dix jours, soit jusqu'au 11 octobre 2024 à 17h00 ;

4.             déclare recevable la demande de prolongation de la mesure formée par Monsieur B______ le 2 octobre 2024 ;

5.             la rejette ;

6.             dit qu’il n’est pas perçu d’émoluments ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

8.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, soit pour Madame A______ son conseil, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le 3 octobre 2024

 

 

 

Le greffier