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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2869/2024

JTAPI/895/2024 du 11.09.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2869/2024 LVD

JTAPI/895/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 septembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Rachel DUC, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur B______, né le ______ 1954, est marié à Madame A______, née le ______ 1961.

2.             Par décision du 2 septembre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de M. B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

3.             Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir injurié Mme A______, l'avoir poussée au sol, et l'avoir maintenue dans cette position avant de la secouer et de l'étrangler. Il lui aurait donné une gifle 40 ans auparavant, et un coup de poing en 1990.

4.             Selon rapport de renseignements établi par la police le 2 septembre 2024, cette dernière est intervenue à cette même date au domicile des deux époux, dressant à cette occasion un procès-verbal manuscrit des déclarations faites par Madame C______, petite-fille du couple, qui était venue apporter son aide à sa grand-mère. La police a également pris des photographies (jointes au dossier) de plusieurs rougeurs que présentait Mme A______.

5.             Entendue par la police le 2 septembre 2024, Mme A______ a déclaré qu'elle était mariée depuis 44 ans. Le jour même, c'était son époux qui avait préparé le repas de midi et elle lui avait dit que ce qu'il avait cuisiné n'était pas bon. Il s'était énervé et avait commencé à insulter en hurlant, lui disant notamment « Vas te faire enculer grosse vache », « tu pues » et « salope ». Elle reconnaissait lui avoir répondu en le traitant de « connard » et en lui disant « Vas te faire foutre ». Son mari s'était alors soudainement approché d'elle pour la jeter au sol, avant de se mettre au-dessus d'elle, tandis qu'elle se trouvait sur le dos. Il avait ensuite mis ses deux mains autour de son cou en exerçant une importante pression, ce qu'il l'avait fait suffoquer, alors qu'elle se débattait afin de se libérer. Elle estimait que la contrainte exercée par son époux pendant qu'elle était au sol avait duré une dizaine de minutes. Finalement, à force de se débattre, elle avait pu le repousser et se réfugier dans la chambre à coucher, où elle avait pu appeler la police, ainsi que sa petite-fille. Elle n'avait cependant pas verrouillé la porte de la chambre, car par le passé, il l'avait endommagée pour entrer dans la chambre. Cette fois-ci, son mari n'avait cependant rien tenté verbalement ou physiquement, puis sa petite-fille était arrivée. Cette dernière avait alors demandé à son grand-père s'il avait encore frappé sa grand-mère, de sorte que le précité avait répondu sa petite-fille quelque chose comme « ferme ta gueule ». Tandis qu'elle-même et sa petite-fille attendaient la police, son époux était ensuite entré dans la chambre en ouvrant violemment la porte et en injuriant derechef sa petite-fille. Elles avaient ensuite fermé la porte à clé en attendant l'arrivée de la police.

Ce n'était pas la première fois que ce genre d'événement se produisait. La police était intervenue à trois reprises pour des violences conjugales depuis 1990, la dernière fois durant l'été 2017. En 1990, son mari l'avait violemment frappée au visage et elle était allée consulter un médecin avec un visage tuméfié.

6.             Également entendu le 2 septembre 2024, M. B______ a déclaré que le jour même, le conflit avait commencé après que son épouse ait recraché le repas qu'il avait cuisiné. Le ton était rapidement monté. Elle l'avait injurié en le traitant de tous les noms, notamment de « pédé ». Il l'avait également injuriée, mais ne se souvenait plus des termes utilisés. A un moment donné, elle s'était approchée à quelques dizaines de centimètres avant de le pousser avec ses deux mains, mais sans résultat. Pour se défendre, il l'avait également poussé avec ses mains et elles étaient tombées au sol. Alors qu'elle était à terre, elle continuait à vociférer. Il s'était mis sur elle et l'avait secouée en lui demandant pourquoi elle le provoquait à ce point-là. Il ne se souvenait plus exactement comment, mais il avait dû lui saisir les épaules et un peu la tête pour la secouer. Ce qui était sûr, c'est qu'il ne l'avait pas étranglée. Ensuite, il l'avait laissé, puis sa petite-fille et la police étaient arrivées peu après. Quelques années auparavant, il avait jeté une chaise dans l'appartement à la suite d'un conflit, mais c'était tout. Il a également admis que 40 ans en arrière, après qu'elle l'avait traité de toxicomane, il lui avait asséné une gifle. Informé du fait qu'il pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement, il a répondu que sa durée lui était indifférente, car il ne voyait aucun avenir avec son épouse et allait de toute façon partir. Il a encore précisé que son épouse et lui s'occupaient de leurs petits-enfants, soit leur petite-fille C______, âgée de 24 ans, et leur petit-fils D______, âgé de 9 ans, dont la mère était actuellement dans un centre à E______ (VD) pour traiter des problèmes d'addiction en lien avec les stupéfiants.

7.             Selon le procès-verbal d'audition de Mme C______, signé par cette dernière le 2 septembre 2024, elle a déclaré qu'après avoir reçu un SMS de sa grand-mère, qui lui indiquait que son mari l'avait frappé, elle s'était rendue au domicile du couple. Sa grand-mère lui avait ouvert la porte et son grand-père, qui était passablement énervé, l'avait alors prise à partie. Elle lui avait dit qu'elle ne voulait pas lui parler. Elle s'était installée avec sa grand-mère dans la chambre et son grand-père avait forcé l'entrée en donnant un coup de pied dans un panier en plastique, avant qu'elle ne réussisse à refermer la porte. Son grand-père n'arrêtait pas de frapper contre cette dernière, tout en l'insultant et en la menaçant de la frapper. Il lui avait dit qu'il allait lui en « coller une » en la traitant de « salope ». Le jour même, elle n'avait pas été témoin de violence physique entre ses grands-parents, mais dans le passé, alors qu'elle habitait encore chez eux, elle avait vu quatre ou cinq fois son grand-père s'en prendre physiquement à sa grand-mère, surtout en la poussant. En 2017, il avait même essayé de la frapper à l'aide d'une chaise, heureusement sans y parvenir. Concernant les injures, menaces ou autres violences psychologiques, elle en avait été témoin presque tous les jours lorsqu'elle habitait avec eux. Ces violences verbales et psychologiques étaient mutuelles, mais sa grand-mère n'avait jamais menacé son grand-père, alors que l'inverse était fréquent.

8.             Par acte du 6 septembre 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 9 septembre 2024, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant que son époux avait été irrespectueux et violent envers elle depuis le début du mariage en 1980. La violence avait augmenté progressivement et son époux avait commencé à l'insulter de plus en plus fréquemment, jusqu'à plusieurs fois par semaine. Il l'avait également menacée de mort à plusieurs reprises, ce qui lui faisait peur, en lui disant qu'il allait lui « faire la peau » ou la « foutre bas du balcon ». En 1990, à une reprise, il avait appuyé un coussin sur son visage et elle n'avait plus pu respirer. Il lui avait donné des fessées violentes, l'avait poussée, l'avait giflée et lui avait craché dessus à de nombreuses reprises. Lors du coup violent qu'elle avait reçu de son mari en 1990, elle s'était rendue chez le médecin qui avait constaté (selon certificat médical joint à la demande de prolongation, établi le 2 septembre 2024 par la clinique F______) une tuméfaction et un hématome du nez. Globalement, sa santé physique et psychique s'était détériorée. Elle avait développé de l'hypertension, du stress, avait perdu peu à peu sa joie de vivre et avait restreint sa vie sociale en la limitant à son foyer. Elle avait également souffert d'insomnie, se sentant d'ailleurs apaisé et dormant mieux depuis que son époux avait quitté le domicile conjugal. Depuis qu'il avait été éloigné du domicile conjugal, M. B______ était parti s'installer dans la maison du couple en France.

9.             Lors de l'audience du 11 septembre 2024, M. B______ a en substance confirmé les déclarations qu'il avait faites le 2 septembre 2024 à la police, admettant qu'il avait un peu secoué son épouse en la tenant par la tête alors qu'il était au-dessus d'elle, mais en contestant avoir fait un geste d'étranglement. Néanmoins, il ne pouvait pas expliquer la présence de marques rouges sur le cou de son épouse, selon les photographies prises par la police, et a déclaré que cela avait dû se produire durant l'empoignade. Il a également indiqué qu'il ne s'opposait pas à la prolongation de son éloignement, n'ayant aucune intention de retourner à la maison pour y vivre à nouveau l'enfer.

Mme A______ a déclaré que son mari minimisait les faits qui s'étaient déroulés le 2 septembre 2024 et a réitéré le fait que celui-ci l'avait étranglée et qu'elle avait eu de la peine ensuite à reprendre sa respiration.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, il ne fait pas de doute que M. B______ s'est montré violent verbalement et physiquement à l'encontre de son épouse le 2 septembre 2024, ce qu'il ne conteste d'ailleurs qu'en partie en niant uniquement avoir fait un geste d'étranglement à son encontre. Ces dénégations à ce sujet sont néanmoins contredites de manière claire par les marques laissées autour du cou de son épouse, lesquelles sont documentées non seulement par les photographies prises sur le moment par la police, mais également par le certificat médical établi par la clinique F______ le 2 septembre 2024. Quant au fait que Mme A______ a également insulté son mari, ce qu'elle-même ne conteste pas, et qu'elle l'a éventuellement poussé, même s'il faut qualifier ces agissements de violences, il n'en demeure pas moins qu'elle est physiquement en situation d'infériorité face à son époux lorsqu'une telle dispute dégénère en violences physiques, comme l'a montré le fait qu'elle s'est retrouvée projetée au sol par M. B______, qui a ensuite pu s'installer au-dessus d'elle.

Le fait que d'autres violences physiques se soient produites dans le passé résulte clairement du certificat médical établi en 1990, mais également des déclarations faites à ce sujet par Mme C______, petite-fille du couple, qui a vécu plusieurs années auprès d'eux, et en a attesté dans ses déclarations du 2 septembre 2024 à la police.

La question du retour de M. B______ au domicile conjugal, dans ces conditions pose un évident problème de sécurité pour Mme A______, étant en outre relevé que le couple héberge encore actuellement son petit-fils D______, âgé de neuf ans et qu'il convient absolument de mettre un terme aux scènes de violences auxquelles il est régulièrement confronté, ce qui ne peut que nuire gravement à son développement.

Quant à M. B______, il ne s'oppose pas à une prolongation de l'éloignement, comme il l'a exprimé lors de l'audience.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 12 octobre 2024 à 18h30.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Mme A______ le 6 septembre 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 2 septembre 2024 à l’encontre de M. B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 12 octobre 2024 à 18h30, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

Le greffier