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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2589/2024

JTAPI/777/2024 du 14.08.2024 ( LVD ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2589/2024 LVD

JTAPI/777/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 14 août 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

Madame B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 8 août 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement jusqu’au 16 août 2024 à 4h00, à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, située ______[GE], et de la contacter ou de s'approcher d’elle.

M. A______ avait asséné des gifles au visage de Mme B______, son épouse, et l’avait menacée de mort. En août 2022, il avait tenté de l’étrangler.

2.             Il ressort du rapport de police du 8 août 2024 que Mme B______ a déposé plainte pénale contre son époux le 7 août 2024. Selon ses déclarations, M. A______, son petit-ami à l’époque, l’avait poussée et étranglée alors qu’ils se trouvaient en vacances à C______ (Thaïlande), en août 2022. Ils s’étaient mariés en ______ 2022 et elle l’avait rejoint en Suisse le 12 avril 2024. En mai 2024, une dispute avait éclaté lors de laquelle elle l’avait poussé avec ses deux mains au niveau du torse. Il lui avait alors donné un coup de pied au niveau de sa hanche gauche, lui provoquant un hématome. Lors d’une autre altercation en juin 2024, il lui avait saisi le visage et avait serré très fortement. Le 7 août 2024, encore lors d’une dispute, il l’avait traitée de « bâtarde », l’avait giflée à tout le moins à sept reprises et lui avait saisi le cou à l’aide de sa main droite, lui provoquant des saignements au nez et à la bouche ainsi que des griffures et des marques sur les joues, photographies à l’appui jointes au rapport de police. Il l’avait menacée de la frapper si elle ne se taisait pas et lui avait dit qu’elle allait mourir. A plusieurs reprises, il l’avait traitée de « pute ».

Auditionné par-devant la police le 8 août 2024, M. A______ a reconnu avoir giflé son épouse après qu’elle l’ait poussée, lors d’une dispute la veille. Ensuite, cette dernière l’avait frappé sur son trapèze droit. Il l’avait donc repoussée au niveau de son épaule et l’avait giflée une deuxième fois, lui provoquant une marque au visage. Elle avait saigné du nez mais il tenait à préciser qu’elle avait un problème au nez et saignait régulièrement. M. A______ a nié les autres faits qui lui étaient reprochés.

Il ressort des photographies annexées au rapport de police du 8 août 2024 que Mme B______ présentait des rougeurs et égratignures au visage ainsi que des blessures avec saignement au niveau de son nez et de ses lèvres.

3.             M. A______ a fait opposition contre la décision du 8 août 2024 par acte reçu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 12 août 2024.

4.             A l'audience du 14 août 2024 par-devant le tribunal, Mme B______ a confirmé les déclarations faites à la police. Particulièrement et même si son époux le niait, les évènements tels qu'elle les avait expliqués à la police lors de leurs vacances à C______ (Thaïlande) s’étaient bien déroulés comme elle l'avait indiqué. Idem s'agissant des évènements de mai et juin 2024. Elle n'avait pas eu de contact avec son époux depuis le prononcé de la mesure d'éloignement. Pour le futur, elle souhaitait rester en couple avec lui. Ils allaient essayer de résoudre les problèmes lorsqu'ils se produisaient. Elle était certaine qu'à l'avenir, elle ne recevra plus de coups de la part de son époux. Ils allaient faire de leur mieux, tous les deux. Elle n'avait pas peur de celui-ci. Il n'allait pas la frapper. En juin 2024, après la dispute, son nez avait commencé à saigner. Il était vrai qu'elle avait un problème aux sinus. Lorsqu'elle pleurait, il était possible que du sang coule, par exemple.

M. A______ a quant à lui confirmé son opposition à la mesure d'éloignement. Il était très difficile d'être éloigné de son domicile car il devait travailler et que cela serait plus aisé s'il pouvait rester chez lui. Actuellement, il vivait chez un ami. Il s'était rendu chez VIRES la veille. Cela lui avait fait du bien même s’il estimait que ce n’était pas nécessaire. Il avait eu une dispute avec son épouse le 7 août 2024. Elle l'avait poussé et il l'avait frappée en retour. Il n'avait jamais frappé personne auparavant. C'était la première fois que cela arrivait. Les autres fois, ils s'étaient disputés mais aucun coup n’avait été échangé. A D______ (Thaïlande) et non pas C______ (Thaïlande) comme son épouse l'avait indiqué, ils avaient eu une dispute et elle avait souhaité quitter la chambre d'hôtel. Il l'avait alors empêchée en lui tenant les mains simplement. Il ne l'avait pas étranglée. En mai 2024, ils avaient eu la même dispute. Elle l'avait poussé mais il ne l'avait pas frappée. Il ne lui avait pas envoyé de coup de pied comme elle le prétendait. En juin 2024, il ne l'avait pas saisie au visage lors d'une dispute comme elle l’alléguait. Il s'agissait de petites disputes. Ce n'était pas lui qui avait fait saigner du nez son épouse ni qui l'avait blessée à ce niveau-là et aux lèvres. Elle avait un problème au nez. Ils allaient résoudre leurs problèmes facilement. Il était certain qu'ils n'allaient pas refaire les mêmes erreurs. Il était le seul à travailler dans le couple. C'était lui qui subvenait à tous les besoins de son épouse actuellement.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition de la mesure d'éloignement et à la confirmation de celle-ci.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             Toute d’abord, il sied de relever que la mesure d’éloignement a été prise pour une durée de huit jours et non pas de dix jours, comme le minimum légal le prévoit (art. 8 al. 3 LVD). Il s’agit certainement d’une erreur de plume. Il faut donc comprendre que la mesure d’éloignement a été prononcée par le commissaire de police jusqu’au 18 août 2024 à 4h00 et non pas jusqu’au 16 août 2024 à 4h00, comme indiqué par erreur dans la décision contestée.

Au fond, il apparait que le couple connait des difficultés et que la situation s'est dégradée dernièrement. S'agissant de la violence physique, les versions données par les parties diffèrent partiellement. Cela étant, les déclarations circonstanciées et crédibles de Mme B______ sont corroborées par les photographies annexées au rapport de police. Elle n’exagère pas et admet spontanément avoir poussé son époux. De son côté, M. A______ admet avoir giflé à deux reprises son épouse, lui provoquant une marque au visage mais minimise son implication lorsqu’il nie les autres faits qui lui sont reprochés, au vu notamment des blessures constatées sur le nez et les lèvres de son épouse. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et de la tension qui entache les rapports des parties, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

6.             Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 9 août 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 8 août 2024 pour une durée de dix jours, soit jusqu’au 18 août 2024 à 4h00 ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

Le greffier