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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2487/2024

JTAPI/742/2024 du 30.07.2024 ( MC ) , ADMIS

REJETE par ATA/1002/2024

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.76; LEI.79
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2487/2024 MC

JTAPI/742/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 juillet 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate

contre

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le prétendument dénommé A______, soi-disant né le ______ 1994 et d'origine inconnue, a déposé en Suisse, le 3 juin 2012, une demande d'asile, laquelle a fait l'objet d'une décision de rejet et de renvoi en date du 17 décembre 2014. Cette décision est entrée en force le 18 janvier 2015. La prise en charge et l'exécution du renvoi de l'intéressé ont été confiées au canton de Genève. La demande de soutien à l'exécution du renvoi, initiée auprès du secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) en mars 2015 déjà, n'a pas encore abouti, étant relevé que M. A______, qui se prétend originaire du Libéria, n'a pas été reconnu par les autorités de cet État lors des auditions centralisées qui ont eu lieu le 3 décembre 2015. Il n'a pas non plus été identifié par les autorités guinéennes en 2018.

2.             Depuis son arrivée en Suisse, M. A______ a été condamné pas moins de seize fois pour, notamment, séjour illégal, contravention et délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée et rupture de ban.

3.             L'intéressé a fait l'objet de deux interdictions de pénétrer dans une région déterminée valables respectivement du 15 août 2015 au 14 août 2016 et du 19 janvier au 18 juillet 2019, décisions qu'il n'a pas respectées.

4.             M. A______ est sous le coup d'une mesure d'expulsion de Suisse d'une durée de cinq ans ordonnée par le Tribunal de police le 9 août 2018, mesure que l'autorité administrative compétente a décidé de ne pas reporter.

5.             Le 20 mars 2019, l'intéressé a fait l'objet d'une première décision d'assignation à la commune de ______, prononcée par le commissaire de police pour une durée de six mois, mesure qu'il n'a pas respectée.

6.             Le 4 août 2022, M. A______ a fait l'objet d'une deuxième mesure d'assignation, cette fois à la commune de B______, pour une durée de deux ans, mesure qu'il n'a également pas respectée. Dans ce cadre, l'intéressé était tenu de se présenter chaque semaine au Vieil Hôtel de Police pour attester de sa présence sur le territoire, ce qu’il n’a jamais fait.

7.             Le 3 juin 2024, les autorités genevoises ont été informées de la convocation de M.  A______ à une présentation consulaire auprès de la République de Sierra Leone appointée au 17 juin 2024.

8.             Le 7 juin 2024, M. A______ a été arrêté par les forces de l'ordre genevoises dans le quartier des Pâquis. Prévenu de rupture de ban et de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence il a été condamné le lendemain, par ordonnance pénale du Ministère public, pour les faits ayant mené à son arrestation, puis remis entre les mains des services de police.

9.             Le 8 juin 2024, à 15h40, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de quatre mois.

Il était notamment retenu qu’outre de ne pas s'être conformé à la décision fédérale de renvoi (exécutoire de longue date) prononcée à son encontre et de ne pas avoir non plus donné suite à la décision de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) qui lui avait imparti un délai au 4 décembre 2019 pour quitter la Suisse en vue de l'exécution de la mesure d'expulsion dont il faisait l'objet, l’intéressé « n'entreprenait aucune démarche aux fins de se procurer des pièces de légitimation », n'avait aucun lieu de résidence fixe en Suisse, où il n'avait par ailleurs aucune attache ni source légale de revenu.

10.         Lors de son audition, l’intéressé a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Sierra Leone, car il venait du Libéria.

Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

11.         Lors de l’audience devant le tribunal le 11 juin 2024, M. A______ a déclaré qu’il était d’accord de parler avec le consul de Sierra Leone. Toutefois, il n’était pas ressortissant de ce pays mais du Libéria. Il n’avait pas de document d’identité qui prouvait sa nationalité libérienne. Il n’avait jamais eu de passeport. Il ne serait pas d’accord de retourner au Libéria quand bien même il serait reconnu comme ressortissant de ce pays. Il avait eu des problèmes là-bas qui n’étaient toujours pas résolus et n’y avait ni famille ni endroit où loger. Sur question de son conseil, s’il devait être remis en liberté, il serait d’accord de se rendre par ses propres moyens à l’audition du 17 juin 2024. Il avait d’ores et déjà rencontré des délégations de Gambie, de Guinée, de Sierra Leone et du Libéria. C’était entre 2015 et 2018. Il avait reçu des convocations et s’était rendu à Berne à deux reprises, par ses propres moyens, lorsqu’il était dans un foyer. Il s’y était également rendu à deux reprises durant sa détention à Champ-Dollon. Après que la Présidente l’ait informé qu’il ressortait effectivement du dossier qu’une audition avec une délégation de la Sierra Leone était prévue mais qu’elle avait été annulée, faute de candidats, il a confirmé avoir bien eu quatre auditions avec des délégations des quatre pays susmentionnés.

La représentante du commissaire de police a versé à la procédure la convocation de M. A______ à l’audition centralisée par une délégation sierra-léonaise les 17 et 18 juin 2024. Suite à cette audition, la délégation se rendrait en Allemagne pour une semaine supplémentaire afin de délivrer des laissez-passer aux personnes identifiées comme leurs ressortissants. Elle a également versé à la procédure un courriel du 3 juin 2024 de la cellule Requérants d’asile. Si M. A______ devait être reconnu par la délégation sierra-léonaise, un laissez-passer devrait rapidement pouvoir être délivré en vue de la réservation d’un vol DEPU, étant précisé que des vols DEPA et spéciaux étaient possibles à destination de la Sierra Leone. Si l’intéressé ne devait pas être reconnu, une nouvelle audition par une délégation du Libéria pourrait être envisagée. Elle n’avait toutefois pas d’informations plus précises à ce stade. Selon les informations qu’elle avait au dossier, M. A______ n’avait été auditionné qu’à deux reprises, une fois par les autorités libériennes et une autre fois par les autorités guinéennes. N’ayant pas pu obtenir de confirmation de ses collègues à ce sujet, après que l’audience ait été brièvement suspendue à cet effet, elle a indiqué qu’elle transmettrait au tribunal la réponse obtenue, par courriel, dès réception.

12.         Par courriel du même jour, faisant suite à l’audience, le commissaire de police a informé le tribunal que selon la main courante de CALVIN, M. A______ aurait été présenté en date du 3 décembre 2015, à une audition devant la représentation du Libéria, en date du 9 février 2016, à une audition devant la représentation de Sierra Leone, en date du 1er juin 2016, à une audition devant la représentation de Gambie et en date du 4 décembre 2018, à une audition devant la représentation de Guinée.

Dans cette même main courante, tout comme dans les deux assignations dont l'intéressé avait fait l'objet, il n'était toutefois fait mention que des réponses négatives des autorités du Libéria et de la Guinée. Contacté par ses soins, le SEM ne pouvait ni confirmer ni infirmer le fait que l'intéressé avait bel et bien déjà été présenté à une audition centralisée devant les autorités de Sierra Leone, son dossier se trouvant en partie aux archives. Le collaborateur du SEM avait toutefois confirmé qu'il était très courant pour le SEM de présenter plusieurs fois la même personne aux délégations du même pays à des moments différents lorsque la personne n'était toujours pas identifiée et qu'elle ne collaborait pas à cet effet. Par ailleurs, ce même collaborateur restait persuadé du bienfondé de l'inscription de M.  A______ à l'audition du 17 juin 2024 dans le cadre du processus d'identification.

13.         Ce courriel a immédiatement été transmis au conseil de M. A______, pour information.

14.         Par jugement du 11 juin 2024 (JTAPI/570/2024), le tribunal a confirmé l'ordre de remise en détention administrative de M. A______ jusqu'au 7 octobre 2024 inclus.

15.         Le 2 juillet 2024, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a admis partiellement le recours interjeté le 24 juin 2024 par M. A______ contre le jugement du tribunal du 11 juin 2024 (JTAPI/570/2024) et a confirmé la détention administrative de l'intéressé pour une durée réduite de deux mois, soit jusqu'au 7 août 2024.

Constatant que la légalité de la détention administrative de M. A______ se fondait sur une décision de renvoi et une décision d'expulsion pénale toutes deux entrées en force et sur le fait qu'il avait violé à plusieurs reprises les décisions d'interdiction et d'assignations territoriales qui lui avaient été signifiées, la chambre administrative a également relevé que le fait qu'aucune des délégations du Libéria, de la Sierra Leone, de la Guinée et de la Gambie n'avait pu identifier M. A______ ne pouvait être imputée aux autorités suisses, au vu des difficultés d'organisation d'auditions centralisées. Cependant, sous l'angle de la proportionnalité de la détention, il fallait relever que le précité avait été auditionné une seconde fois par les autorités de Sierra Leone, apparemment sans pouvoir être identifié. Le résultat négatif de cette présentation avait pour conséquence qu'aucun laissez-passer ne pourrait être délivrée par les autorités de ce pays et que le renvoi ne pourrait donc, selon toute probabilité, être exécuté d'ici au 7 octobre 2024. Une détention d'une durée de quatre mois, tel qu'initialement ordonnée par le commissaire de police puis confirmée par le tribunal, ne se justifiait donc plus. Elle devait être réduite à deux mois, afin de permettre aux autorités chargées de l'exécution du renvoi de déterminer la suite de la procédure. Il leur appartiendrait d'examiner quelles démarches pourrait être entreprises dans des délais raisonnables afin d'obtenir les documents nécessaires au renvoi, et en particulier si une nouvelle présentation à une délégation du Libéria pourrait être mise sur pied dans un délai respectant le principe de la proportionnalité.

16.         Le 21 juin 2024, le SEM a communiqué à l’OCPM les résultats des auditions centralisées du 17 juin 2024. Selon la délégation sierra-léonaise, le dossier de M. A______ était considéré comme « un cas de vérification ».

17.         Le 15 juillet 2024, le SEM a informé l’OCPM que le dossier de M. A______ était en cours de vérification auprès de la Sierra Leonean Immigration Department (SLID).

18.         Par requête motivée du 25 juillet 2024, l’OCPM a déposé une demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 7 décembre 2024.

19.         Sur demande du tribunal du 30 juillet 2024, l'OCPM a requis du SEM, le même jour, des informations actualisées sur la situation relative aux vérifications en cours auprès du SLID. Il en résultait qu'un contact avait eu lieu le 25 juillet 2024 avec cette autorité, soit plus particulièrement avec le chef du Border Management, et qu'à cette date, les autorités sierra-léonaises étaient toujours en train d'enquêter sur M. A______.

20.         Devant le tribunal, lors de l'audience de ce jour, sur question du tribunal de savoir quelles démarches seraient envisagées au cas où les autorités de Sierra Léone répondraient négativement à la demande d’identification de M. A______, le représentant de l’OCPM a indiqué ne pas pouvoir répondre précisément. Le SEM serait interpellé afin qu’il indique s’il serait par exemple souhaitable de procéder à une nouvelle tentative d’identification auprès d’un autre pays d’Afrique de l’ouest. Sur question du tribunal, dans la mesure où les autorités de renvoi ne travaillaient qu’assez rarement avec la Sierra Leone, il ne pouvait pas indiquer dans quels délais il serait envisageable d’obtenir une réponse de la part des autorités de ce pays, ni si le délai en cours paraissait anormal ou non. Il a demandé la prolongation de la détention administrative de M. A______ déposée le 25 juillet 2024 pour une durée de quatre mois.

21.         Le conseil de l’intéressé a conclu au rejet de la demande de prolongation de la détention administrative, et à la mise en liberté immédiate de son client.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour prolonger la détention administrative en vue de renvoi ou d'expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. e de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             S'il entend demander la prolongation de la détention en vue du renvoi, l'OCPM doit saisir le tribunal d'une requête écrite et motivée dans ce sens au plus tard huit jours ouvrables avant l’expiration de la détention (art. 7 al. 1 let. d et 8 al. 4 LaLEtr).

3.             En l'occurrence, le 25 juillet 2024, le tribunal a été valablement saisi, dans le délai légal précité, d'une requête de l'OCPM tendant à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois.

4.             Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 9 al. 4 LaLEtr, qui stipule qu'il lui incombe de statuer dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine, étant précisé que, le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.

5.             S'agissant de la légalité de la détention administrative de M. A______, force est de constater qu'elle est toujours respectée à ce jour, les circonstances ayant conduit la chambre administrative à confirmer ce point n'ayant subi aucun changement depuis l'arrêt rendu par cette juridiction le 2 juillet 2024.

6.             Quant au respect du principe de la proportionnalité, M. A______ remet vainement en cause le respect du devoir de célérité des autorités suisses, cette question ayant été dûment examinée par la chambre administrative dans son récent arrêt, de sorte que le tribunal n'est pas légitimé à y revenir sans que la situation n'ait évolué.

7.             Le raccourcissement de la détention administrative prononcé par la chambre administrative, avec une échéance au 7 août 2024, était fondé sur le constat d'un refus des autorités de Sierra Leone de reconnaître M. A______ comme l'un de leurs ressortissants. Or, il s'avère que ce constat était prématuré, puisqu'en date du 25 juillet 2024, lesdites autorités étaient toujours en train d'enquêter au sujet du précité.

8.             Par conséquent, la prolongation de sa détention se justifie en soi, les autorités suisses n'étant pas responsables du temps dont les autorités de Sierra Leone ont besoin pour se déterminer. L'intérêt public au renvoi de M. A______ demeure quant à lui inchangé par rapport aux considérations émises à ce sujet par la chambre administrative.

9.             Reste à déterminer la durée de la prolongation, toujours sous l'angle du principe de proportionnalité. A cet égard, la situation est très peu claire. Le représentant de l'OCPM a indiqué à l'audience du 30 juillet 2024 qu'en cas de réponse négative des autorités de Sierra Leone (dont on ignore quand elle est susceptible d'intervenir), le SEM pourrait être amené à faire de nouvelles démarches auprès d'autres pays d'Afrique de l'Ouest. Cependant, le dossier ne contient aucune indication concrète et le tribunal ignore complètement quelle pourrait être la feuille de route du SEM pour tenter de résoudre au plus vite le cas de M. A______.

10.         Dans ces conditions, la prolongation de sa détention ne peut qu'être relativement courte. En effet, à défaut de pouvoir à ce stade se fonder sur une planification claire en vue de l'exécution du renvoi, le tribunal devra continuer à contrôler à court terme la détention du précité en fonction de l'évolution de la situation, dans la même perspective que celle qu'avait retenue la chambre administrative.

11.         Au vu de ce qui précède, la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ sera admise, mais pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 7 septembre 2024 inclus.

12.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande de prolongation de la détention administrative de Monsieur A______ formée le 25 juillet 2024 par l’office cantonal de la population et des migrations ;

2.             prolonge la détention administrative de Monsieur A______ pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 7 septembre 2024 inclus ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière