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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2040/2024

JTAPI/604/2024 du 21.06.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2040/2024 LVD

JTAPI/604/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 21 juin 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Alain MISEREZ, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______, représenté par Me Mathias BUHLER, avocat, avec élection de domicile

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 13 juin 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours, soit du 13 juin 2024 à 1h29 au 23 juin 2024 à 17h00, à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de contacter ou de s'approcher de Madame A______ et de s'approcher et de pénétrer à l'adresse privée située chemin ______[GE].

Le séquestre de tous les moyens donnant accès au domicile susmentionné était également ordonné.

Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. B______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :

Description des dernières violences :

– avoir menacé à plusieurs reprises Mme A______, l'avoir injuriée, l'avoir poussée et lui avoir tiré les cheveux, l'avoir contrainte à pratiquer des relations sexuelles non consenties.

– en octobre 2022, une intervention de police avait eu lieu suite à des voies de fait.

M. B______ démontrait par son comportement violent qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             Selon le rapport de renseignements établi le 13 juin 2024, la police a été requise par la CECAL afin de se rendre à l'étude du conseil de Mme A______ où cette dernière a expliqué aux policiers se faire régulièrement menacer, injurier et contraindre par son mari avec lequel elle vivait.

3.             Mme A______ a été entendue par la police, le 13 juin 2024.

Elle était mariée avec M. B______ depuis le ______ 2021 et était venue le rejoindre en Suisse, le 5 avril 2022. Le 20 octobre 2022, elle avait contacté la police pour des violences conjugales. Suite à cet événement, tout était mieux allé avec son mari. En avril 2023, ils s'étaient disputés et son mari lui avait tiré les cheveux et l'avait poussée à une reprise. Ensuite, il s'était mis à pleurer, s'était excusé et s'était justifié en disant qu'il était fâché. Elle ne s'était toutefois pas rendue à la police pour déposer plainte car elle savait qu'elle ne pourrait pas retirer sa plainte.

Par la suite, son mari n'avait pas cessé d'exercer des pressions psychologiques sur elle. Il la rabaissait sans cesse, et ne la laissait pas dormir. Lorsqu'il se réveillait le matin, il la tirait par les pieds pour la réveiller en lui disant « réveille-toi, ce n'est pas chez toi ici ». En été 2023, son mari voyait une autre femme. De ce fait, elle ne voulait plus avoir de relations sexuelles avec lui. Lorsqu'elle lui avait expliqué cela, elle avait eu l'impression qu'il avait tenté de l'humilier. Ainsi ce soir-là, alors qu'elle essayait de dormir, son mari s'était déshabillé et s'était approché d'elle afin qu'elle lui fasse une fellation. Comme elle ne voulait pas, il avait pris sa tête de force. Il n'avait toutefois pas réussi car elle l'avait repoussé avec les mains. Ensuite, il s'était calmé et était parti dormir. Le lendemain, son mari avait justifié ses actes en disant que c'était elle qui le provoquait. Elle n'avait toutefois jamais rien fait pour le provoquer.

Entre l'été 2023 et janvier 2024, son mari lui répétait souvent qu'il voulait divorcer ce qui la rendait très triste. Étant donné qu'elle pleurait, son mari lui disait « qu'on verrait pour la suite ». Elle n'avait pas demandé le divorce parce qu'elle l'aimait.

Durant cette période, elle ne se souvenait pas avoir eu de relations sexuelles. En janvier 2024, son mari avait de nouveau tenté d'avoir une relation sexuelle avec elle alors qu'elle ne voulait pas. Il lui demandait comment il resterait avec elle si elle refusait un rapport sexuel avec lui. À cette occasion, il s'était mis sur elle, s’était déshabillé et avait tenté d'enlever son pantalon pour la pénétrer. Comme elle ne voulait pas, elle l'avait repoussé avec ses mains et il avait arrêté.

En février 2024, son mari continuait à lui dire qu'il voulait avoir des rapports sexuels. Après avoir beaucoup réfléchi, elle avait finalement accepté pour lui faire plaisir. Après chaque rapport, elle avait l'impression d'être une prostituée car elle se sentait mal de le faire, simplement pour lui faire plaisir.

Entre février et mai 2024, son mari avait continué à l'insulter en lui disant : « suce ma bite connasse », « tu es bête », « tu n'es pas chez toi ici », « tu fais ce que je te dis, sinon tu pars ».

Le 29 mai 2024, son mari lui avait dit de quitter l'appartement sinon il allait la jeter dehors. Suite à quoi, il avait commencé à jeter ses affaires par terre dans l'appartement, l'avait prise par le bras et l'avait poussée hors de l'appartement, plus précisément dans le couloir. Lors de cette altercation, il avait pris son téléphone pour qu'elle ne puisse pas appeler de l'aide. Ensuite, elle avait sonné à plusieurs reprises et son mari lui avait dit d'entrer après deux minutes environ. Il lui avait ensuite rendu son téléphone. Le même soir, il était parti de l'appartement et n'avait pas dormi au domicile. Le 30 mai 2024, il était revenu prendre des habits. Il lui avait également dit qu'il fallait qu'elle trouve une solution afin de quitter le domicile.

Le samedi 2 juin 2024, son mari était revenu à l'appartement. Il semblait passablement aviné. Il lui avait d'abord dit « si je suis capable de quitter mon chien, tu imagines de quoi je suis capable avec toi ». Il avait laissé son chien à la SPA. Elle savait qu'il aimait beaucoup son chien, raison pour laquelle elle avait peur qu'il s'en prenne physiquement à elle. Durant la nuit de ce jour, il était resté dormir au domicile. Alors qu'ils dormaient, son mari avait tenté à trois ou quatre reprises d'avoir une relation avec elle. Il s'était mis sur elle, alors qu'elle était allongée sur le lit et avait commencé à se déshabiller afin de la pénétrer. Elle l'avait repoussé avec ses mains et son mari s'était rhabillé.

Les autres jours, elle était restée toute la journée chez son cousin qui habitait à C______. Elle ne rentrait à la maison que la nuit pour dormir car elle avait peur de croiser son mari durant la journée. Entre le 29 mai et le 9 juin 2024, son mari n'avait pas dormi à la maison.

Lorsqu'elle était rentrée le dimanche 9 juin pour dormir, son mari était là. Il lui avait demandé si elle avait trouvé une solution pour partir, ce à quoi elle avait répondu par la négative. Il lui a également dit « tu vas voir ce qui va se passer demain, je vais être sérieux, car tu joues avec moi ». Le lendemain, elle avait appelé le centre LAVI avec qui elle avait eu un entretien le 11 juin 2024. Le centre lui avait donné le numéro de téléphone d'un foyer à D______ afin d'y dormir en cas d'urgence. Puis, elle avait pris rendez-vous avec son avocat pour lui expliquer la situation et la police était ensuite arrivée à l'étude.

Son mari lui avait dit à plusieurs reprises qu'il souhaitait divorcer. Il lui avait toutefois demandé de ne pas parler des violences qu'il lui avait faites car il avait peur des représailles, notamment qu'elle se rende dans un poste de police. Il lui demandait systématiquement de l'argent pour payer des choses quotidiennes. Si elle refusait, il la menaçait de la virer de l'appartement.

4.             Le 13 juin 2024 également, M. B______ a été auditionné par la police.

Il a contesté avoir jamais tiré les cheveux de sa femme. En revanche, lors de différentes disputes, il lui était déjà arrivé de la repousser avec ses mains pour éviter d'envenimer la situation car elle s'emportait vite. Il n'avait pas de souvenirs d'une dispute datant d'avril 2023. Il contestait avoir forcé sa femme à une relation sexuelle. Toutes les relations sexuelles qu'ils avaient eues étaient consenties. Il a contesté les injures dont sa femme l'accusait. Il contestait avoir jeté par terre les affaires de sa femme le 29 mai 2024 et l'avoir mise à l'extérieur du domicile. Il a également contesté avoir déclaré le 9 juin 2024 « tu vas voir ce qui va se passer demain, je vais être sérieux, car tu joues avec moi ». En revanche, depuis environ deux semaines il avait pris la décision de retourner chez ses parents pour la laisser tranquillement réfléchir sur son avenir ; à savoir, rester mariée et quitter le domicile afin qu'elle garde les papiers en Suisse ou rester dans l'appartement et divorcer. Le 9 juin 2024, elle lui avait dit qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait faire. Il lui avait donc demandé si elle avait l'intention de quitter l'appartement, ce à quoi elle avait répondu par la négative. Il lui avait alors dit « je sais ce que je dois faire », en parlant de la procédure à suivre. Ce n'était pas une menace et encore moins une menace pour sa vie.

Concernant la mesure d'éloignement, il souhaitait rester dans son domicile car c'était chez lui, avant que cela ne devienne chez elle aussi. Il souhaitait divorcer une fois pour de bon.

5.             M. B______ ne s'est pas opposé à cette mesure.

6.             Par acte du 18 juin 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, par l’intermédiaire de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant qu'une telle prolongation permettrait à la justice pénale et civile d'effectuer son travail et surtout de la protéger.

7.             Lors de l’audience du 20 juin 2024 devant le tribunal, Mme A______ a persisté dans les termes de sa demande de prolongation.

Elle a ajouté que son mari avait respecté la mesure.

M. B______ a indiqué qu'il ne savait pas comment se positionner face à cette demande. En effet, s'il n'y avait pas d'amour entre eux, la situation était correcte. Après réflexion, il a déclaré s'opposer à la demande car il considérait avoir le droit de vivre chez lui sans quoi il se trouvait à la rue.

Mme A______ a expliqué que désormais, elle avait pris la décision de mettre un terme à leur relation conjugale et qu'elle n'avait plus l'intention de vivre avec son mari.

Concernant sa famille à Genève, elle y avait deux oncles, deux tantes et des cousins. Deux mois après son arrivée en Suisse, elle avait commencé à travailler dans un hôtel en qualité de femme de chambre. Elle avait perdu ce travail en janvier 2024 et était désormais au chômage.

M. B______ a indiqué avoir déposé une demande de séparation auprès du Tribunal civil par l'intermédiaire du Centre social protestant au terme de laquelle il avait notamment requis l'attribution du domicile.

Il n'avait reçu aucune décision concernant des mesures protectrices de l'union conjugale.

Mme A______ a exposé qu'elle n'avait pas déposé de demande de mesures protectrices de l'union conjugale ni de demande en séparation. En revanche, elle avait consulté son avocate qui s'apprêtait à déposer une demande de divorce auprès du Tribunal civil.

M. B______ a expliqué qu'il ne souhaitait pas reprendre la vie commune mais ne serait pas opposé à partager le logement jusqu'à la fin de la procédure.

Mme A______ a rétorqué être totalement opposée à une quelconque reprise de la vie commune. Comme elle l'avait déclaré à la police en 2022, son mari s'était montré violent après son arrivée en Suisse, puis la situation s'était apaisée. Dès 2023, il y avait eu de nouvelles disputes, il lui avait tiré les cheveux et l'avait secouée par les bras. Mais surtout, elle subissait des violences psychologiques, des insultes et des violences sexuelles.

Le tribunal a relevé que Mme A______ sanglotait à l'évocation de ces faits.

M. B______ a expliqué avoir rencontré son épouse au Kosovo. Celle-ci était issue d'une famille qui connaissait la sienne. Leurs familles étaient liées par le mariage du cousin de son père avec la sœur du père de son épouse. C'étaient leurs familles qui les avaient mis en lien. Ils s'étaient rencontrés en décembre 2020 au Kosovo alors qu'elle était venue rendre visite à la femme du cousin de son père, dont la maison se situait à côté de celle de ses parents. Ils avaient ensuite fait plus ample connaissance par téléphone et rapidement, ils avaient parlé de mariage. Il avait sincèrement cru qu'il pouvait faire sa vie avec elle. Il avait commencé à avoir des doutes à ce sujet après l'avoir réellement rencontrée en été au Kosovo, avant le mariage. Il avait fait part de ses doutes à son père, lequel l'avait répété au père de son épouse. Comme celui-ci voulait absolument faire venir sa fille en Suisse, il avait reçu des menaces de mort de la part de sa belle-famille s'il ne se mariait pas. Il avait alors préféré aller de l'avant avec ce mariage, tout en se disant qu'il pourrait mettre un terme à cette union en Suisse.

Ils s'étaient rapidement mariés civilement au Kosovo le ______ 2021. Le voyage de noce en Albanie s'était très mal passé et il lui avait proposé de rentrer immédiatement, ce qu'elle avait très mal pris en faisant mine de vouloir sauter du balcon de l'hôtel.

Cinq jours après l'arrivée de sa femme en Suisse, il l'avait amenée chez ses parents et leur avait dit à tous qu'il voulait mettre un terme à cette union dès lors que sa femme avait pu obtenir ce qu'elle souhaitait, à savoir venir vivre en Suisse. Sa femme l'avait toutefois prié de ne rien entreprendre avant le délai nécessaire lui permettant de demeurer en Suisse, ce qu'il avait accepté.

Dès lors qu'il était clair pour lui qu'il ne voulait pas vivre avec elle, il lui avait demandé de trouver une solution pour loger ailleurs que chez lui et ses demandes à ce sujet avaient généré des altercations entre eux. En octobre 2022, ils s'étaient effectivement disputés à ce sujet, car sa femme lui avait déclaré qu'elle ne voulait pas quitter l'appartement qui était désormais également le sien. À ce moment, il avait préféré se rendre sur la terrasse du premier étage pour lui permettre de se calmer.

Ils faisaient chambre commune, mais n'avaient pas de rapports sexuels. Ils n'en avaient plus depuis avril 2022, après l'arrivée de sa femme en Suisse. Ils avaient eu quelques rapports sexuels au Kosovo, lors de la période de leur mariage, pleinement consentis.

De son point de vue, leur relation à Genève était correcte, même s'il ne souhaitait pas faire sa vie avec elle. Il contestait ainsi toute violence que lui reprochait Mme A______.

Mme A______ a exposé qu'elle n'avait pas du tout la même version de leur histoire commune. Peu après leur rencontre, M. B______ est venu la voir en mars 2021 puis en mai, il était venu parler avec son père à leur sujet. Pour elle, M. B______ était vraiment amoureux d'elle et elle-même était très amoureuse de lui. Concernant leur voyage de noce, elle relevait que son mari critiquait parfois son physique, la trouvant trop maigre et la comparant à d'autres jeunes femmes. Elle lui avait également demandé quels liens il entretenait avec son ex, dès lors qu'elle avait vu qu'il lui avait envoyé de l'argent peu avant. Il n'a pas voulu lui répondre et, très jalouse, elle s'était vraiment sentie mal. C'est pour ça qu'elle s'était rendue sur le balcon, car elle avait eu envie de vomir. Elle n'avait aucune intention de se suicider.

Trois jours après son arrivée à Genève, M. B______ lui avait dit qu'il allait en discothèque et il l'avait enfermée à l'intérieur de l'appartement. Elle avait alors dû faire appel à sa belle-mère pour qu'elle vienne lui ouvrir. Celle-ci était venue et l'avait emmenée chez elle.

M. B______ a répondu qu'il n'était pas allé en discothèque, mais qu'il était sorti avec sa sœur et son copain. Il avait effectivement fermé la porte de l'appartement comme d'habitude, mais son épouse pouvait sortir, puisqu'elle avait une clé à elle.

Mme A______ a rétorqué que c'était faux et qu'elle n'avait pas de clé.

Elle a admis que peu de jours après son arrivée en Suisse, M. B______ l'avait amenée chez ses parents. Toutefois, le jour précédent, il y avait eu la première violence physique. Il l'avait giflée et lui avait tiré les cheveux. Il s'était en effet fâché car elle s'était mise à pleurer en lui disant qu'il ne l'aimait pas. Il était vrai que chez ses parents, M. B______ lui avait expliqué qu'il ne l'aimait pas et qu'il souhaitait la quitter. Toutefois, comme ils continuaient à avoir des relations sexuelles, elle pensait qu'il l'aimait quand même. D'ailleurs, il lui disait parfois qu'il l'aimait bien mais qu'il n'arrivait pas à avoir confiance en elle à cause de relations passées. Concernant leurs relations sexuelles, ils en avaient eues régulièrement jusqu'en février 2024.

Elle confirmait que son mari lui avait souvent demandé de quitter l'appartement, en particulier lorsqu'il rencontrait une fille, mais elle, elle espérait toujours que les choses s'arrangent.

Elle refusait de quitter l'appartement car elle n'avait nulle part où loger. Si elle pouvait passer la journée chez ses oncles, elle ne pouvait pas y loger, leur appartement étant trop petit. Elle n'avait pas cherché d'appartement car sans emploi à temps complet, il n'était pas possible de trouver un logement. Elle a précisé à ce sujet que lorsqu'elle travaillait, il s'agissait de quatre heures par jour et qu'elle poursuivait ses études le reste du temps. Elle suivait des cours de français afin de pouvoir entreprendre un apprentissage d'assistante socio-éducative pour les enfants ou de gouvernante d'étages dans l'hôtellerie.

Elle a encore souligné que désormais elle voulait divorcer et qu'elle souhaitait obtenir la prolongation de la mesure d'éloignement pour lui permettre de s'organiser.

Après une brève suspension d'audience, le conseil de M. B______ a indiqué qu'après réflexion, compte tenu du déroulement de l'audience, et pour apaiser la situation avec Mme A______, son client ne s'opposait plus à la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours à la condition que celle-ci s'engage à lui restituer l'appartement au terme de la mesure. Dans le cadre de cette prolongation, il s'engageait également à ne pas contacter Mme A______.

Mme A______ a déclaré qu'elle était d'accord de s'engager à quitter l'appartement du chemin ______[GE] au terme de la prolongation de la mesure, à savoir le 23 juillet 2024 à 17h00.

Elle a ajouté que dans l'attente de trouver un appartement, elle pourrait loger dans un foyer.

Le conseil de M. B______ a proposé que la restitution des clés se face par le truchement des avocats respectifs.

M. B______ a encore ajouté qu'il était à l'Hospice général et avait pour objectif d'entreprendre un apprentissage dans le domaine socio-éducatif. Il avait un rendez-vous avec VIRES ce jour dès 16h00, qu'il ne pourrait pas honorer compte tenu de l'audience. Il ne manquerait toutefois pas de les contacter au plus vite.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. M. B______ conteste quant à lui toute forme de violence, estimant que leur relation serait correcte, tout en admettant des disputes en lien avec le fait que sa femme ne quittait pas le logement conjugal malgré ses demandes à ce sujet.

Face aux déclarations contradictoires des époux, on ne parvient pas à déterminer ce qui s'est réellement passé au domicile de ces derniers en avril et octobre 2022, en avril 2023 ainsi qu'en janvier, mai et juin 2024. Une procédure pénale est d'ailleurs en cours à cet égard.

Cela étant, on ne saurait qualifier de bonne la situation d'un couple dans laquelle l'un des partenaires déclare subir des violences physiques et psychologiques alors que l'autre admet répéter à sa femme qu'il souhaite qu'elle quitte le domicile depuis bientôt deux ans.

En l'espèce, Mme A______ a confirmé, en audience, sa demande de prolongation de la mesure, expliquant être sur le point de déposer une requête en divorce. Quant à M. B______, il a d'ores et déjà déposé une demande de mesures protectrices de l'union conjugale auprès du tribunal civil. En outre, il a indiqué qu'il ne s’opposait pas à la demande de prolongation de la mesure d’éloignement dans la mesure où sa femme quitterait le domicile au terme de la prolongation en question.

Compte tenu de la perspective d'une prochaine séparation, des démarches envisagées à cette fin et de la volonté de ne plus reprendre la vie commune formulée par les deux époux, du désarroi de la requérante exprimé par ses pleurs en audience, la période paraît peu propice à un retour de M. B______ au domicile conjugal dès le 23 juin prochain.

Dès lors, même si, certes, la mesure d'éloignement, a fortiori sa prolongation, n'a pas pour objectif de donner du temps aux personnes concernées pour qu'elles organisent leur vie séparée, prenant acte de la volonté exprimée par chacune d’elles, à laquelle il convient de donner suite, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 23 juillet 2024 à 17h00. Partant, pendant cette nouvelle période de trente jours, il sera toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de Mme A______, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile conjugal.

Enfin, il sera donné acte à Mme A______ qu'elle s'est déclarée d'accord de quitter le domicile conjugal au terme de la mesure.

5.             Enfin, il sera rappelé que M. B______ pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée Madame A______ le 18 juin 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 13 juin 2024 à l’encontre Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 23 juillet 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière