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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1530/2024

JTAPI/435/2024 du 08.05.2024 ( LVD ) , ADMIS

Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1530/2024 LVD

JTAPI/435/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 mai 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Sofia SUAREZ-BLASER, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 22 mars 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de vingt jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située 1______ C______, et de contacter ou de s'approcher d’elle.

2.             Selon cette décision, M. B______ aurait, le 21 mars 2024, traité Mme A______ de « chienne » et de « merde ». Il l'avait de plus secouée par les épaules. Il l’aurait déjà injuriée de la même manière dans le passé et l'aurait violemment repoussée.

3.             Selon le rapport d'interpellation établi par la police le 21 mars 2024, celle-ci est intervenue le 21 mars 2024 à 16h35 au parc des Bastions pour un conflit entre un homme et une femme. Sur place, Mme A______ avait expliqué qu'un conflit avait éclaté avec son compagnon, M. B______, qui avait quitté les lieux avec le chien de cette dernière avant l'arrivée de la police. Il l'avait injuriée à plusieurs reprises, l'avait agrippée par les épaules afin de la secouer et lui avait donné des coups d'épaule. Elle vivait avec lui depuis environ un an et demi et des épisodes similaires se produisaient depuis le début de leur relation, à une fréquence de deux à trois fois par semaine. Deux témoins avaient confirmé le déroulement du conflit.

Selon les déclarations faites à la police le 21 mars 2024 par M. B______, celui-ci a en substance minimisé les faits qui lui étaient reprochés, tout en reconnaissant avoir traité Mme A______ de « merde » et l'avoir prise par les avant-bras afin qu'elle lui prête attention. Par le passé, il avait déjà proféré des insultes à l'égard de Mme A______ et il lui était arrivé de la secouer par les avant-bras. Cependant, il ne l'avait jamais frappée ou poussée violemment. Il était conscient qu'il pouvait être agressif verbalement avec elle et regrettait sincèrement cette attitude.

4.             Par acte du 5 avril 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, en expliquant notamment que depuis environ six mois, sa relation avec M. B______ s'était gravement dégradée et qu'il faisait preuve quotidiennement de violence verbale envers elle, l'insultant et la rabaissant. Plusieurs fois par semaine, il se mettait dans des états de rage folle lors desquels il lui hurlait dessus, cassait des objets, lançait sa table en l'air et tapait contre les murs de l'appartement. Elle avait une grande peur de lui et le jugeait très manipulateur. Il lui donnait des ordres et elle le craignait tant qu'elle se retrouvait tétanisée et dans l'impossibilité de ne pas obéir. Il avait une très mauvaise influence sur son état de santé, en particulier sur la gestion de son addiction, car il la poussait à consommer du crack avec lui, se procurait la drogue avec l'argent de sa compagne et se mettait en colère quand l'argent venait à manquer. Ainsi, elle souffrait non seulement de son addiction, mais également de n'avoir plus rien à manger en fin de mois. Du 29 février au 13 mars 2024, elle avait été hospitalisée pour un sevrage de son addiction. Depuis son retour d'hospitalisation, elle était déterminée à demeurer sevrée, mais avait épisodiquement consommé de la drogue lorsqu'elle se trouvait en grand état de stress, à chaque fois suite aux épisodes de violence auxquels la confrontait M. B______ ou lorsqu'il violait la mesure d'éloignement. En effet, il n'avait cessé d'essayer de prendre contact avec elle, notamment en sonnant à sa porte, en l'interpellant dans la rue et en lui laissant des petits mots dans sa boîte aux lettres, ainsi que de la nourriture, et en lui proposant des rendez-vous. Plus gravement encore, le 27 mars 2024, il avait tenté de voler son chien.

5.             Lors de l'audience du 8 avril 2024 par-devant le tribunal, à laquelle M. B______ ne s'est pas présenté, Mme A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours. Elle a notamment produit plusieurs messages écrits que lui avait laissés M. B______ depuis le prononcé de la mesure d'éloignement et a expliqué que le précité s'était même attablé plusieurs minutes devant elle dans un établissement public afin de lui parler. Elle en avait été tétanisée.

6.             Par jugement du 8 avril 2024 (JTAPI/306/2024), le tribunal a confirmé la prolongation de la mesure d’éloignement prononcée à l’encontre de M. B______ pour une durée de 30 jours, soit jusqu’au 10 mai 2024.

7.             Par acte du 7 mai 2024, parvenu au tribunal le même jour, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant que malgré la mesure d’éloignement, M. B______ continuait quotidiennement de la harceler en se rendant à son domicile, en lui laissant des mots dans sa boîte aux lettres ou en l’invectivant dans la rue. Il effrayait également les autres locataires, ce qui lui faisait craindre une résiliation de bail. Le 22 avril 2024, il avait sonné sans interruption à sa porte avant de quitter les lieux après qu’elle ait appelé les forces de l’ordre. Sortie s’acheter des cigarettes par la suite, il l’avait poussée sur la route en l’empêchant de remonter sur le trottoir, tout en l’insultant. Le lendemain, elle l’avait à nouveau croisé dans la rue. Il l’avait alors insultée, menacée et l’avait empêché de regagner son domicile. Elle avait dû alors faire appel à trois jeunes qui avaient appelé la police et l’avait ramenée à la maison. Elle était terrorisée par M. B______ et désespérée par la situation. Elle avait entamé des démarches pour trouver un lieu d’accueil lui permettant de s’éloigner quelques temps de Genève, sans succès. Le 6 mai 2024, face à une crise d’angoisse, elle avait dû se rendre aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

8.             Vu l'urgence, le tribunal a informé le conseil de Mme A______ par téléphone du 7 mai 2024 et par courrier électronique du même jour, de l'audience qui se tiendrait le 8 mai 2024. Le tribunal a par ailleurs tenté de joindre M. B______ en laissant des messages téléphoniques sur le combox du numéro de téléphone qu'il avait indiqué à la police.

9.             Lors de l’audience du 8 mai 2024, Mme A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours. Elle a confirmé la teneur de la demande de prolongation de la mesure d'éloignement déposée par son conseil, notamment les épisodes des 22 et 23 avril 2024. Elle s'était rendue aux HUG le 6 mai 2024 car elle était prise d'angoisses et faisait une attaque de panique. Elle avait des idées noires et un risque suicidaire. Elle ne supportait plus la situation, restait à la maison et avait peur que M. B______ vienne et casse la porte d'entrée. Depuis trois ou quatre jours, ses idées étaient de plus en plus noires et ses angoisses plus fortes. Elle avait peur de la violence de M. B______. Il lui posait des écrits dans la boîte aux lettres ou les glissait sous sa porte d'entrée chaque deux ou trois jours. Il se trouvait toujours où elle se rendait. Elle ne le contactait jamais. Il l'appelait, à raison d'une à deux fois par semaine, avec des numéros inconnus. Elle raccrochait toujours. La dernière fois qu'elle avait eu des nouvelles de lui c'était le 6 mai 2024. Elle buvait un verre dans un établissement et il était venu s'installer en face d'elle, parlant incessamment alors qu'elle, elle était muette. Elle avait très peur de lui car il n'était pas maîtrisable. Elle était toujours en attente d'une place dans un centre d'hébergement.

Elle a déposé une série d'écrits, non datés, de M. B______ dont il ressort notamment qu'il va sonner à sa porte même s'il sait qu'elle n'aura pas le courage de répondre et qu'il l'aime.

10.         Bien qu'informé téléphoniquement le 7 mai 2024, M. B______ ne s'est pas présenté à l'audience.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

En l'espèce, les violences verbales et physiques exercées par M. B______ à l'encontre de Mme A______ sont indéniables. Elles ont été corroborées par des témoins suite au conflit qui s'est déroulé le 21 mars 2024 au parc des Bastions et partiellement admises par M. B______ lui-même. Par ailleurs, les déclarations de Mme A______ concernant les faits survenus depuis la dernière prolongation de la mesure accordée par le tribunal apparaissent crédibles, notamment vu le caractère de M. B______ et ses agissements antérieurs. Elles sont également corroborées pas son état psychique actuel. Même si les écrits déposés en cause ne sont pas datés, ils démontrent également que M. B______ se rend au domicile de Mme A______ et qu'elle ne lui ouvre pas sa porte. Par son comportement, M. B______ démontre qu'il ne respecte nullement les interdictions portées à son encontre et qu'il n'a aucunement l'intention de le faire. Le risque de réitération de violences à l'égard de Mme A______ est très élevé.

4.             Dans ces conditions, il y a fort à craindre qu'au cas où il reviendrait au domicile de Mme A______ ou qu'il soit autorisé à la contacter, il la soumettrait à nouveau à diverses formes de violence.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 9 juin 2024 à 17 h 00.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 7 mai 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 22 mars 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 9 juin 2024 à 17h, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière