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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1412/2024

JTAPI/411/2024 du 30.04.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;PROLONGATION;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1412/2024 LVD

JTAPI/411/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Véra COIGNARD-DRAI, avocate, avec élection de domicile



contre

 

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 21 avril 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de onze jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse Madame A______, de sa fille C______ et de leur enfant commun D______, située, 1______ E______, du CO F______, 2______ G______ à H______ et de l'école I______, 3______ J______, de contacter ou de s'approcher de ces derniers.

2.             Selon cette décision, les dernières violences de M. B______ étaient des injures, menaces, voies de faits et lésions corporelles simples et celles précédentes, des injures, menaces, voies de faits, lésions corporelles simples et contraintes.

3.             Auditionnée par la police le 21 avril 2024, Mme A______ a déclaré que la relation avec son époux s’était dégradée en 2022. A cette période, elle avait appelé la police car il cassait tout à la maison et lui avait donné plusieurs coups de pied, lui causant des hématomes. Depuis lors, il s’était montré violent à plusieurs reprises. Il la poussait et lui donnait des coups de pied, à raison de plusieurs fois par mois. Elle souhaitait une séparation. Le 21 avril 2024, elle était rentrée à la maison avec ses deux enfants vers 23h00. Son mari était en compagnie de deux amis. Une dispute a éclaté lors de laquelle son époux l’avait traitée de « pétasse », « grosse merde » et l’avait menacée de lui casser « la gueule ». Il ne l’avait pas menacée de mort. Un des amis de son époux et ce dernier avaient commencé à lui lancer des verres et des assiettes dessus. Ensuite, son époux l’avait giflée, poussée à terre et donné plusieurs coups de pied au niveau de la tête et du corps avant de tout casser dans l’appartement avec son ami. Sa fille avait dû appeler les forces de l’ordre. Son époux n’avait jamais violenté ni frappé les enfants mais ils avaient peur de lui, tout comme elle.

4.             Auditionné par la police le 21 avril 2024, M. B______ a nié avoir été violent physiquement avec son épouse le même jour mais a admis avoir été violent verbalement. A un moment, il avait voulu prendre des affaires dans une armoire et en avait ouvert la porte. Souhaitant lui sauter dessus, son épouse avait alors pris la porte de l’armoire dans le visage. C’est elle qui lui avait donné des coups de poing dans le dos mais il n’avait pas de marques. Il y avait déjà eu des conflits entre eux mais ils se poussaient sans qu’il n’y aient de coups. Il n’avait jamais été violent envers les enfants.

5.             Auditionnée par la police le 21 avril 2024, C______ a en substance confirmé les propos de sa mère quant aux coups qu’elle avait reçus de M. B______ et les propos subis.

6.             Il ressort du constat médical du 21 avril 2024 établi par la Dre K______ que Mme A______ présentait un écorchure face dorsale à la main droite en regard tête 3e métacarpien, une ecchymose à l’avant-bras droit, une ecchymose au bras droit, une ecchymose à l’avant-bras gauche, une ecchymose au bras gauche et une tuméfaction marquée ecchymotique à l’arcade zygomatique droite.

7.             Les photographies annexées au rapport de police du 21 avril 2024 font état de traces de luttes dans le logement familial et de blessures sur la joue droite et la main droite de Mme A______. Il ressort dudit rapport que le couple était connu des services de police et avait fait l’objet d’un rapport de renseignement le 30 mai 2022 pour des faits identiques.

8.             Par acte du 25 avril 2024, posté le 26 avril 2024 parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 29 avril 2024, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours.

Le 21 avril 2024 vers 12h45, M. B______ était rentré au domicile familial. Il avait bu une bouteille de vin en un quart d’heure et avait arraché les câbles de la cuisinière, de la télévision et d’internet tout en l’injuriant copieusement. Il avait également injurié C______. Elle s’était enfermée avec les enfants dans une chambre tant ils avaient peur.

9.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties par téléphone du 29 avril 2024, de l'audience qui se tiendrait le 30 avril 2024.

Lors de cette audience, Mme A______ a déclaré que ses enfants et elle-même, avaient peur de M. B______ depuis les événements du 21 avril 2024. Elle avait peur que ça recommence. Ses deux enfants avaient également peur de lui bien qu'il ne les ait jamais frappés. Il n'était pas violent verbalement avec eux par contre il criait et cassait des objets dans la maison. Ces bruits leur faisaient peur ainsi qu'à elle-même. C'était stressant pour tout le monde. Actuellement, les enfants avaient peur et étaient perdus. Ils n 'avaient pas envie de le voir. En tout cas, pas à cet instant. D'habitude, son mari avait de bonnes relations avec les enfants. Lorsqu'elle avait expliqué à la police que son mari avait insulté sa fille avant les auditions par-devant la police le 21 avril 2024, elle avait voulu expliquer qu'il lui avait dit qu'elle avait son permis de séjour grâce à lui. Elle souhaitait qu'il soit éloigné car elle avait peur et avait encore des douleurs. Elle n'avait pas encore réussi à penser à la suite et s'il fallait envisager une séparation. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, ils n'avaient pas eu de contact hormis à une reprise, lorsqu'il lui avait écrit un message pour récupérer ses affaires de travail. S'il devait rentrer à la maison jeudi 2 mai 2024, cela ne se passerait pas bien. Les événements étaient trop récents. Elle pensait qu'il était possible qu'il y ait à nouveau des disputes devant les enfants ainsi que des insultes. Son époux ne la menaçait pas. Il avait le droit de voir son fils, elle n'allait pas l'en empêcher. C'était tout à fait envisageable qu'il prenne leur enfant pour une activité à l'extérieur de la maison.

M. B______ a expliqué que le 21 avril 2024, il avait giflé son épouse au visage avant qu’elle prenne la porte d'entrée de l'appartement et tombe à terre. Il lui avait donné un coup de pied à une reprise. Il ne s’était pas présenté chez L______. Ils s’étaient disputés alors que des amis étaient à la maison. Elle voulait les virer. Il était vrai qu'il était un petit peu violent car il avait crié fort et lancé un plat avec un poulet par terre. Lorsqu'il avait ouvert l'armoire, elle l'avait prise au niveau du visage mais ce n'était pas dans son intention de lui faire du mal, pas à ce point-là en tout cas. Il ne lui avait pas donné de coups de poing ni de coups de pied par contre il l'avait poussée et elle était tombée par terre. Hormis sur le visage à cause de la porte, les blessures de son épouse n'étaient pas de son fait. Peut-être que quand elle était tombée et comme il y avait pas mal de choses à terre, cela l'avait blessée. Peut-être qu'elle s'était tapée un peu sur la porte d'entrée, mais il n'en était pas sûr. Il pensait que ses enfants étaient déçus de lui. Il ne criait pas beaucoup mais il parlait fort car il avait des problèmes d'ouïe. Il ne cassait pas beaucoup de choses à la maison. Dans les disputes passées, il avait cassé un meuble et une machine de sport. Des fois, il jetait de la nourriture par terre. Cela arrivait que les enfants entendent les disputes. Il espérait que leur situation de couple s'améliorerait pour leurs enfants. Il fallait qu'ils fassent des petits changements. Lorsqu'il rentrerait à la maison, il allait devoir faire les choses différemment, parler avec ses enfants, les mettre en confiance. Il pensait que c'était une bonne chose s'ils restaient séparés durant un mois pour calmer la situation. Par contre, il aimerait pouvoir voir son fils. Il ne se considérait pas comme quelqu'un de violent. Par contre, lorsqu'on allumait le feu, il était quelqu'un d'explosif. C'est pour ça que des fois il cassait des choses, c'était pour éviter de frapper quelqu'un. Il était d'accord d'être suivi pour la gestion de sa colère mais pensait que son épouse devait également être suivie.

Le conseil de Mme A______ a plaidé et conclu à la prolongation de la mesure d’éloignement pour une durée de trente jours.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, vu les déclarations des parties, partiellement concordantes, celles de C______ et les constations médicales du 21 avril 2024, il est indéniable que Mme A______ a subi des violences physiques et psychiques de la part de son époux et que les enfants y ont assistés. La tension entre les époux est palpable et il apparaît hautement vraisemblable que si M. B______ devait retourner au domicile conjugal, celles-ci exposeraient Mme A______ à un risque de réitération de violences. Dans ces circonstances, la perspective que les époux se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

5.             Par contre et dans la mesure où les enfants ne sont pas directement concernés par les agissements de M. B______ et qu'il y a lieu de favoriser leurs liens avec lui, l'interdiction de contact à leur égard sera levée. En effet, si leurs parents ne vivent plus sous le même toit et ne se côtoient plus, il apparaît vraisemblable qu'ils ne seraient plus victimes indirects de la situation parentale.

6.      Par conséquent, la demande de prolongation sera partiellement admise et l'interdiction faite à M. B______ de contacter les enfants mineurs C______ et D______, du CO F______, 2______ G______ à H______ et de l'école I______, 3______ J______, de contacter ou de s'approcher de ces derniers, levée. La mesure d'éloignement d'une durée de onze jours prononcée à l'encontre de M. B______ lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______ sise, 1______ E______, sera prolongée pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 1er juin 2024 à 17h00.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 25  avril 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 21 avril 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet partiellement ;

3.      lève l'interdiction faite à Monsieur B______ de contacter les enfants mineurs C______ et D______, du CO F______, 2______ G______ à H______ et de l'école I______, 3______ J______ et de s'approcher de ces derniers ;

4.             prolonge la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de Monsieur B______ lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______ sise, 1______ E______ pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 1er juin 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

5.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

7.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière