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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1026/2024

JTAPI/284/2024 du 28.03.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);OPPOSITION(PROCÉDURE);RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1026/2024 LVD

JTAPI/284/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 mars 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

Madame B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 26 mars 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, sise ______[GE].

2.             Selon cette décision, le 25 mars 2024, M. A______ aurait craché au visage de son épouse, Madame B______, au domicile conjugal, sis à la ______[GE], avant de lui saisir le bras et la pousser sur le canapé et l’aurait traitée de « pute » à des dates indéterminées.

3.             M. A______ a fait opposition à cette mesure d'éloignement directement devant le commissaire de police.

4.             Il ressort du rapport de police du 26 mars 2024 que des agents sont intervenus au domicile des intéressés le 25 mars 2024. Auditionnée formellement, Mme B______ a déclaré avoir payé la somme de CHF 31'000.- à M. A______ afin qu’il l’épouse et obtenir ainsi un permis de séjour. Ils s’étaient unis le 4 août 2022 et depuis lors, ils se disputaient continuellement. Son époux la traitait souvent de « pute » et la menaçait de la frapper, sans toutefois passer à l’acte. Au matin du 25 mars 2024, il lui avait craché au visage à cinq reprises avant de la saisir violemment par le poignet gauche et la projeter sur le canapé. Dans l’après-midi, alors qu’elle se trouvait seule, elle avait préparé les valises de son époux. Une fois rentré vers 20h00, ce dernier s’est emporté en voyant ses valises. Refusant de quitter le domicile conjugal, il a fait mine de la frapper, sans passer à l’acte. Mme B______ a déposé plainte pénale à l’encontre de M. A______ pour ces faits.

5.             Entendu le même jour, M. A______ a déclaré que durant l’altercation survenue au matin du 25 mars 2024, son épouse l’avait saisi par le cou. Il l’avait alors repoussée avec son bras avant de la saisir par les épaules pour l’asseoir sur le canapé. Elle l’avait insulté et appelé la police en lui disant qu’il devait partir. Par la suite, elle avait saisi un pot de fleurs et avait fait mine de le lui jeter dessus avant de jeter des parfums à terre, ce qui les avait brisés. Il lui arrivait de la traiter de « folle » mais jamais de « pute ». Il ne lui avait pas craché au visage comme elle le prétendait ni n’avait fait mine de la frapper. Il avait peur de son épouse et qu’elle prenne, par exemple un couteau durant son sommeil et qu’elle l’agresse. M. A______ a déposé plainte pénale à l’encontre de Mme B______ pour ces faits.

6.             Auditionnée sur les faits qui lui étaient reprochés, Mme B______ les a niés, admettant avoir endommagé les deux bouteilles de parfum appartenant à son époux.

7.             A l'audience du 28 mars 2024 devant le tribunal, Mme B______ a confirmé ses déclarations à la police. Elle a confirmé que son époux lui avait bel et bien craché au visage à cinq reprises, avant de la saisir au poignet et de la projeter sur le canapé. Il ne l'a jamais frappée auparavant et c'était la première fois qu'il lui crachait dessus. Par contre, il ne l'avait pas traitée de "pute". Il s'agissait sans doute d'une erreur de traduction survenue lors de son audition par-devant la police. Elle contestait l'avoir saisi par le cou tout comme il était faux qu'il l'avait simplement prise par les épaules pour l'assoir sur le canapé. Elle avait payé CHF 31'000.- M. A______ afin qu'il l'épouse et qu'elle puisse obtenir un permis de séjour. Elle voudrait divorcer et rester dans l'appartement où elle vivait déjà avant de rencontrer son époux. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, son époux était revenu à une reprise au domicile conjugal et lui avait téléphoné. Elle en avait fait de même. Si la mesure devait être levée, ce serait dangereux pour sa santé mentale car son époux consommait de la marijuana et de la cocaïne. Elle n'avait pas peur qu'il la frappe car ce n'était pas le genre d'homme à faire ce genre de chose. Elle voulait simplement ne plus vivre avec lui.

M. A______ a confirmé ses déclarations à la police et maintenu son opposition à la mesure d'éloignement. Il n'avait pas craché sur son épouse. Par contre, lorsqu'elle l'avait insulté ainsi que sa mère, il lui avait dit que ça lui donnait envie de lui cracher dessus. Il ne l'avait pas fait. Il ne l'avait pas prise par le poignet comme elle le prétendait. Il avait simplement écarté son bras après qu'elle ait saisi sa gorge. Il dormait à l'hôtel. Son épouse avait des problèmes psychologiques graves. Il voulait divorcer car maintenant, il comprenait que la seule raison pour laquelle elle l'a épousé c'était pour le permis. Il allait commencer à chercher un appartement mais dans l'intervalle il voulait rester au domicile conjugal. C'était quelqu'un de très calme et il pouvait envisager de continuer la vie commune, chacun pouvant rester dans son coin. Dès qu'ils étaient sorti du poste de police, son épouse lui avait envoyé des messages pour s'excuser et pour qu'il rentre à la maison. Elle était même passée au tribunal pour demander de lever la mesure d'éloignement. Il n'était pas d'accord avec cette mesure d'éloignement car c'était lui la victime et non l'agresseur.

La représentante du commissaire de police a conclu au maintien de la mesure d'éloignement.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les déclarations des parties sont contradictoires s'agissant de l'événement du 25 mars 2024, sans qu'il ne soit possible d'établir ce qu'il s'est réellement passé en l'absence d'autres preuves que les déclarations des protagonistes. Mme B______ a reconnu que son époux ne l'injuriait pas comme elle l'avait indiqué à la police. La situation au sein du couple est certes conflictuelle. Toutefois, la violence domestique, au sens défini plus haut, n'est pas avérée ni présumée dans le cas d'espèce. Par ailleurs, Mme B______ a expliqué qu'elle n'avait pas peur que son époux la frappe, de sorte qu'un éventuel risque de réitération est à exclure. La volonté de cette dernière au maintien de la mesure d'éloignement apparait plus dictée par son désir de séparation et de ne plus vivre sous le même toit avec un consommateur de drogue plutôt que par la peur de subir des violences domestiques. On en veut pour preuve qu'elle ne craint pas son époux et qu'elle a précisé que ce n'était pas son genre de frapper son épouse.

6.             Partant, l'opposition sera admise et la mesure d'éloignement annulée.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 26 mars 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 26 mars 2024 pour une durée de trente jours ;

2.             l'admet et lève la mesure d'éloignement prise par le commissaire de police le 26 mars 2024 ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le 28 mars 2024

 

Le greffier