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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1205/2024

JTAPI/353/2024 du 17.04.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;PROLONGATION;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1205/2024 LVD

JTAPI/353/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 17 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Yael AMOS, avocate, avec élection de domicile



contre



Monsieur B______,
représenté par Me Mirolub VOUTOV, avocat, avec élection de domicile

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 8 avril 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située, ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci. Les deux enfants du couple, soit C______ et D______, nées en 2018 et 2020, n’étaient pas visées par cette mesure.

Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. B______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique, était motivée comme suit :

« Description des dernières violences :

Avoir arraché le téléphone portable des mains de Mme A______ ainsi que d'avoir de lui avoir demandé quitter le domicile et avoir mis une partie de ses affaires à l'extérieur du domicile.

Descriptions des violences précédentes :

Avoir menacé Mme A______ avec un pistolet et la menacé de l'expulsé du logement

Avoir frappé avec la main ouverte les deux mollets de Mme A______ à deux reprises

Avoir forcé Mme A______ à avoir des relations sexuelles non-consenties

S'être masturbé sur Mme A______ et lui avoir joui sur le corps sans son consentement à plusieurs reprises.

M. B______ démontre par son comportement violent qu'il est nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes ».

2.             L’intéressé n’a pas formé opposition à ladite mesure.

3.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 8 avril 2024 que le jour en question, la police était intervenue au domicile des époux, suite à un conflit de couple. Sur place, Mme A______ leur avait expliqué que son mari avait mis une partie de ses effets devant la porte palière de leur appartement et lui avait dit de quitter le logement. De plus, il aurait commis à son encontre des voies de fait et proféré des menaces. Jusqu’au mois de janvier 2024, il l'avait en outre forcée à plusieurs reprises à avoir des relations sexuelles. M. B______ avait reconnu avoir mis les affaires de son épouse devant la porte suite à une dispute, expliquant pour le surplus qu'il n'y avait jamais eu de violence physique entre eux. Concernant l'arme à feu, il leur avait été confirmé qu'elle avait été restituée en 2022 par son détenteur.

4.             Il ressort, en substance, du procès-verbal d’audition de Mme A______ du 8 avril 2024 qu’elle avait rencontré son mari au Cameroun en janvier 2015. Ils s’étaient fiancés en juillet 2016 puis marié, au Cameroun, le ______ 2017. Elle l’avait rejoint à Genève le 30 mars 2018 et avait emménagé dans son appartement. Ils avaient deux filles âgées de 5 ans et demi et 3 ans et elle était actuellement enceinte de 35 semaines d'une troisième fille. Dès qu’elle avait emménagé avec son mari la relation était devenue compliquée, avec beaucoup de disputes, sans violence. En 2018, lors d'une dispute, il avait sorti son pistolet de l'armée suisse et lui avait dit que si elle continuait à lui répondre, il allait la tuer et se tuer après. Le lendemain, il lui avait dit que c'était une blague, car il n'avait pas de balle. La même année, il avait déménagé en Valais et la situation s'était améliorée. Cependant, en 2019, suite à une dispute, il l’avait violemment frappé deux fois sur chaque mollet avec la main ouverte. Il avait également ressorti son arme, sans toutefois la menacer directement. Lorsqu’ils étaient revenus à Genève en 2020, les disputes avaient recommencé. Elle avait souhaité se séparer de son mari et était partie au Cameroun avec leurs filles. Après deux mois et demi, il l’avait menacée d'appeler la police si elles ne rentraient pas. Elle était revenue en Suisse et avait pu trouver une formation, ce qui lui avait permis de tenir le coup. Lors de leurs disputes, il la rabaissait, lui disant notamment qu’elle n’avait pas d’argent. Il y avait un an environ, son mari a fait sa valise et l’avait mise devant la porte en lui disant que si elle ne renouait pas contact avec ses parents, il la sortirait de l'appartement. Il avait également dit à leurs filles qu'elles seraient expulsées de la maison avec elle car il ne voulait pas de filles. Le 24 avril 2024, aux alentours de 05h00, alors qu’elle dormait, elle avait été réveillée par son mari qui se masturbait et qui souhaitait qu’elle se mette dos à lui pour qu'il la regarde et jouisse sur son corps. Comme elle ne voulait pas, il l’avait sortie de la chambre en la trainant parterre par les pieds. Elle n’était pas parvenue à retourner dans la chambre et était allée dormir sur le canapé. Après qu’elle lui ait dit qu’il ne se masturberait plus jamais sur elle, il lui avait répondu qu’il en avait le droit car c’était son mari. Elle lui appartenait, à lui et sa famille, et si elle ne voulait pas, elle devait dormir autre part. Depuis ce jour, elle dormait sur le canapé. Le 7 avril 2024 vers 23h00, une dispute était survenue et il lui avait pris le téléphone des mains, son sac et son classeur de l'école qu’il avait mis dehors devant la porte. Il lui avait dit qu’elle devait prendre le reste de ses affaires et quitter l'appartement. Elle était sortie dans l'allée et avait appelé la police. S’agissant de leurs relations intimes, elles étaient normales au début puis, après la naissance de leur deuxième enfant, il avait commencé à la forcer à avoir des relations sexuelles vaginales, lui disant qu’elle était sa femme et qu’il avait le droit. Elle lui disait non mais ne résistait pas car elle avait peur de sa réaction. Si elle ne le laissait pas faire, il pouvait devenir verbalement agressif avec elle et les enfants. Elle avait supporté cela jusqu'au mois de janvier 2024. Ce mois-ci, alors qu’elle dormait, elle l’avait senti baisser sa culotte. Elle l’avait repoussé et lui avait dit non car elle avait peur pour l’enfant. Alors qu’il continuait d’essayer, elle avait menacé d'appeler la police ce qui avait eu pour effet de le stopper. Après cela, il avait arrêté de la forcer à faire l'amour et avait commencé à se masturber sur elle de temps en temps, sans son consentement. Elle n’avait pas été blessée suite aux relations forcées mais moralement c’était très dur. Elle en avait parlé à son médecin afin qu'il lui prescrive des médicaments car elle était en dépression. Il lui avait dit de faire des dépositions à la police mais elle n’avait jamais voulu. S’agissant de la suite de leur relation, ce n'était plus possible de vivre avec son mari et elle pensait vouloir divorcer. Elle souhaitait qu’il soit éloigné mais ne souhaitait pas déposer plainte. Elle était fatiguée et n’avait pas envie de se lancer dans des procédures pénales. Elle n’avait jamais frappé ni poussé son mari. Si elle avait les moyens, elle quitterait l’appartement. Tout ce qu’elle voulait c’était qu’il la laisse tranquille.

Egalement entendu le même jour, M. B______ a confirmé les circonstances de leur rencontre et emménagement. Au mois de mars 2021, son épouse était partie au Cameroun afin de présenter les enfants à sa famille. Durant cette période, elle lui avait dit à plusieurs reprises qu'elle ne voulait pas rentrer en Suisse avec les enfants et il avait fini par s'énerver, la menaçant de faire appel à Interpol. Après son retour, en juin 2021, leurs conflits s'étaient plus ou moins calmés mais les mésententes avec sa famille avaient commencé ce qui avait provoqué chez lui un grand conflit de loyauté. Son épouse avait également des comportements bizarres, en lien avec la religion. Suite à ces différentes situations, il était allé voir un professionnel afin de se décharger du poids qui lui pesait en raison de son travail et des évènements à la maison. Il était le seul à gagner un salaire. A plusieurs reprises, elle lui avait reproché d'être agressif dans sa manière de parler et dans son comportement non-verbal. Il reconnaissait qu’avec son travail et sa situation familiale il avait pu élever la voix. Elle le poussait à bout. En 2024, ils avaient eu plusieurs conflits, en lien avec son comportement, le sien, dieu, les enfants, l'aide qu’il lui demandait dans les tâches administratives. Le 8 avril 2024, il avait voulu avoir un rapport sexuel avec sa femme. Elle avait refusé et lui avait crié dessus. Au vu de son état, il avait été surpris et s’était senti mal. Il lui avait demandé de sortir de la chambre, ce qu'elle avait refusé. Lorsqu’il était sorti de la chambre pour aller aux toilettes, elle avait essayé de fermer la porte de la chambre à clef. Il avait mis sa main entre le cadre de porte et la porte, se faisant mal. Il avait ouvert la porte et lui avait réexpliqué qu’il voulait être seul dans la chambre. Elle était dans un état de transe. Il avait saisi ses deux bras pour la tirer hors de la pièce. Elle se retenait à la force de ses jambes. Puis, elle s'était assise par terre et il en avait profité pour la tirer hors de la pièce, tranquillement et sans la blesser. Après cet évènement, il avait tenté à plusieurs reprises d'avoir une conversation avec elle, sans succès. Lorsqu’elle refusait d’avoir des relations sexuelles, il arrêtait. Ils avaient fini par décider de fixer des jours où ils auraient des rapports. Il n’avait pas insisté pour avoir des rapports sexuels avec elle, ne s’était jamais montré physiquement violent ni n’avait été injurieux envers elle. L’incident allégué avec l’arme à feu était des fabulations. Il n’en avait aucun souvenir. Il ne se souvenait pas plus de l’avoir frappée sur les mollets en 2019. Il l’aidait dans toutes ses démarches administratives et la soutenait dans son intégration sans même qu’elle le remercie. Il lui avait trouvé une place dans un préapprentissage d'intégration. Il savait qu’elle n’avait pas assez d'argent pour vivre mais elle pouvait participer au besoin de la famille malgré tout. Il faisait beaucoup de concession qu'elle ne comprenait pas. Il était exploité. Il admettait avoir fait sa valise et menacé de la mettre dehors de l'appartement si elle ne reprenait pas contact avec sa famille. Il voulait qu’elle comprenne qu’il pouvait lui demander de quitter l'appartement. Il ne se souvenait pas avoir dit cela à ses filles. Il contestait les faits du 24 avril 2023 et reconnaissait uniquement avoir pris les affaires de son épouse et les avoir déposées devant la porte, à l'extérieur. Il savait que son épouse ne pouvait pas avoir de relations après la naissance d'un enfant sans l'accord de sa gynécologue. Il contestait lui avoir dit qu’il avait le droit d’avoir des relations quand il le voulait et lui avoir baissé sa culotte et/ou pénétrée à plusieurs reprises sans son consentement. Il était arrivé à plusieurs reprises à son épouse de le pousser et de le gifler avec sa main droite sur sa joue gauche, en 2020 et 2023. Il n’avait jamais répondu à ses coups. Elle l’avait aussi rabaissé et injurié. Les enfants étaient présents au domicile lors des disputes. Il ne souhaitait pas déposer de plainte, pour le moment.

5.             Par acte du 12 avril 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______, sous la plume d’un conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours.

Elle était victime de violences psychologique, physique et sexuelle de la part de son époux, depuis la célébration du mariage en 2017. Les épisodes de violence s’étaient intensifiés en 2020, après la naissance d'D______. Cette violence s'était notamment manifestée par des propos dénigrants (« tu n'es rien sans moi », « sans moi, tu ne serais rien », « de là où tu viens il n'y a même pas de goudron », « tu me dois tout », etc), des insultes (« espèce de porc, lève-toi du canapé tu me gâches la lumière », « tu es une femme inutile, tu ne sais rien faire ») et des menaces de la mettre dehors avec ses enfants, notamment lorsqu'elle refusait d'entretenir des relations sexuelles avec lui. Ces menaces étaient parfois mises à exécution. Elle avait par ailleurs subi des violences sexuelles, qui avaient gagné en intensité avec les années. Elle a rappelé les évènements des 23 mars et 8 avril 2024.

Dans ce contexte, au vu des comportements violents, en particulier sur le plan sexuel, dont elle était victime depuis plusieurs années et du fait que son mari semblait considérer que son comportement était parfaitement légitime, puisqu'il s'agissait de sa femme et qu'elle devait lui obéir, elle ne pouvait envisager qu’il revienne au domicile. Il était à craindre que des actes de violence se reproduisent au vu de la régularité des épisodes survenus et du fait qu’ils avaient gagné en intensité avec les années. Elle entendait déposer rapidement des mesures protectrices de l'union conjugale afin d'organiser la vie séparée et en particulier les relations personnelles des enfants avec leur père. Dans ces conditions, afin de la protéger ainsi que ses filles et l’enfant à naitre, il s'imposait de prolonger la mesure d’éloignement de 30 jours supplémentaires. En outre, contrairement à son époux, elle n’avait ni famille ni amis à Genève et serait forcée de se rendre en foyer, avec ses deux enfants et enceinte de 34 semaines, si celui-ci était autorisé à regagner le domicile conjugal. Elle sollicitait la pose d'un paravent lors de l'audience.

6.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties, par téléphone du 15 avril 2024 de l'audience qui se tiendrait le 16 avril 2024.

7.             Par courriel du 15 avril 2024, le secrétariat des commissaires de police a informé le tribunal que M. B______ avait participé à l’entretien
socio-thérapeutique auprès de VIRES le 9 avril 2024.

8.             Lors de l’audience du 16 avril 2024, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours pour les motifs invoqués dans ses écritures du 12 avril 2024. Elle a confirmé également les déclarations faites à la police lors de son audition du 8 avril 2024. Son mari n’avait pas tenté de la contacter durant la mesure d'éloignement. Elle n’était pas opposée à ce qu’il voit ses filles. Son mari n'avait toutefois entrepris aucune démarche à cette fin et elle ne le lui avait pas proposé, par l'intermédiaire d'un tiers. Elle n’envisageait plus la reprise de la vie commune avec M. B______. Elle n’avait encore rien entrepris sur le plan civil en vue d'une séparation mais avait toutefois donné mandat en ce sens à son avocate. Elle n'imaginait pas passer une nuit supplémentaire dans le même appartement que M. B______. Il avait déjà dépassé les bornes et elle ne savait pas ce qu'il pourrait lui faire, mais ce serait certainement encore pire. Elle préfèrerait aller dans un foyer si le tribunal ne devait pas prolonger la mesure. En cas d’hospitalisation en lien avec sa grossesse, M. B______ pourrait prendre les filles avec lui et aller chez sa mère ou d'autres membres de sa famille. Elle persistait donc à requérir son éloignement du domicile familial pour une durée de 30 jours supplémentaires. Elle n’était toutefois pas opposée à ce que l'éloignement ne vise que le domicile familial, mais pas les contacts hors du domicile et/ou téléphoniques, notamment, entre M. B______ et elle-même, pour organiser les relations personnelles de ce dernier avec ses filles.

M. B______ a confirmé ses déclarations à la police le 8 avril 2024. Il comprenait que son épouse ait besoin de plus de temps. Il n’était pas opposé sur le principe à la prolongation de l'éloignement mais trouvait la durée requise trop longue et injuste. Il n’avait pas tenté de contacter son épouse durant la mesure d'éloignement, conformément à ce que la police lui avait demandé. Cela étant, il n’avait pas pu voir ses filles, car son épouse avait refusé de donner son numéro de téléphone aux membres de sa famille, en particulier à sa mère, et il ne savait pas comment faire pour la contacter. Il serait d'accord avec un éloignement d'une ou deux semaines supplémentaires. Il avait eu un entretien socio-thérapeutique avec VIRES et avait pris conscience de certaines choses. Si elle souhaitait une séparation, c'était son droit. À terme, il serait sain qu’ils puissent reprendre le dialogue et faire une médiation dans l'idée de sauver leur couple. Il logeait actuellement chez sa mère, en France voisine, et imaginait qu’il pourrait continuer à loger chez elle si la mesure d'éloignement était prolongée. Après réflexion, il était d'accord de rester éloigné du domicile familial pour une durée de 30 jours supplémentaires, mais souhaitait pouvoir communiquer avec son épouse pour organiser ses relations personnelles avec leurs filles.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime, notamment les 23/24 avril 2023 et 7 avril 2024, correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. M. B______ a notamment admis l’avoir sortie contre sa volonté de la chambre conjugale, avoir fait sa valise et l’avoir menacée de la mettre dehors alors qu’elle était sans argent, ceci parce qu’elle ne s’entendait pas avec sa famille et pour qu’elle comprenne qu’il pouvait lui demander de quitter l’appartement. Il admet également de nombreuses disputes mais nie en revanche toute contrainte sexuelle.

Lors de l’audience, Mme A______ a confirmé ses craintes de nouvelles violences et son souhait de ne plus reprendre la vie commune avec son époux. Elle a notamment indiqué qu’elle n'imaginait pas passer une nuit supplémentaire dans le même appartement que lui et préfèrerait aller dans un foyer si le tribunal ne devait pas prolonger la mesure. Elle a ainsi persisté à requérir son éloignement du domicile familial pour une durée de 30 jours supplémentaires, en indiquant toutefois qu’elle n’était pas opposée à ce que l'éloignement ne vise que le domicile familial, mais pas les contacts hors du domicile, notamment téléphoniques, entre elle-même et M. B______, pour organiser ses relations personnelles avec ses filles.

L’intéressé a, pour sa part, indiqué comprendre que son épouse ait besoin de plus de temps et que si elle voulait une séparation, c’était son droit. Il souhaitait, à termes, pouvoir reprendre le dialogue avec son épouse et faire une médiation dans l'idée de sauver leur couple, tout en comprenant bien que si elle souhaitait une séparation, c’était son droit. Il n’avait pas cherché à contacté son épouse durant la mesure d’éloignement et avait participé à un entretien socio-thérapeutique avec VIRES le 9 avril 2024. Après réflexion, il a indiqué être d'accord de rester éloigné du domicile familial pour une durée de 30 jours supplémentaires, mais souhaiter pouvoir communiquer avec son épouse pour organiser ses relations personnelles avec leurs filles.

Dès lors, prenant acte de la volonté exprimée par chacune des parties, à laquelle il convient de donner suite, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 18 mai 2024 à 17h00 en tant qu’elle interdit à M. B______ de pénétrer à l’adresse privée de Mme A______, située ______[GE]. Pour le surplus, la mesure d’éloignement prendra fin le 18 avril 2024 à 17h00. Dès cette date, conformément à l’accord des parties, M B______ pourra à nouveau avoir des contacts avec son épouse pour organiser ses relations personnelles avec leurs filles et, au besoin, la rencontrer en dehors du domicile conjugal, à cette fin.

Enfin, il sera rappelé que M. B______ pourra, le cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera partiellement admise et la mesure d'éloignement prolongée dans le sens de ce qui précède.

6.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué de dépens
(art. 87 al. 1 et 2 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 12 avril 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 8 avril 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 18 mai 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants, en tant qu’elle interdit à M. B______ de pénétrer à l’adresse privée de Mme A______, située ______[GE] ;

4.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant, pour information.

Genève, le

 

Le greffier