Décisions | Chambre de surveillance
DAS/192/2025 du 14.10.2025 sur DTAE/9380/2024 ( PAE ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
| republique et | canton de geneve | |
| POUVOIR JUDICIAIRE C/21696/2024-CS DAS/192/2025 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU MARDI 14 OCTOBRE 2025 | ||
Recours (C/21696/2024-CS) formé en date du 24 décembre 2024 par Monsieur A______, domicilié ______ (Genève), représenté par Me B______, avocat.
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Décision communiquée par plis recommandés du greffier
du 17 octobre 2025 à :
- Monsieur A______
c/o Me B______, avocat,
_____, ______.
- Madame C______
______, ______.
- Monsieur D______
______, ______.
- Madame E______
______, ______.
- Madame F______
______, ______.
- Monsieur G______
______, ______.
- TRIBUNAL DE PROTECTION DE L'ADULTE
ET DE L'ENFANT.
A. a) Le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : le Tribunal de protection) a été amené à se préoccuper de la situation de A______, né le ______ 1938, originaire de Genève, à réception le 20 septembre 2024 d'un signalement émanant de E______, F______ et G______, respectivement épouse (séparée de fait), fille et fils de la personne concernée, lesquels sollicitaient une mesure de curatelle en faveur de l'intéressé, aux motifs que son état cognitif se dégradait rapidement et qu'il présentait des signes évidents de démence et d'Alzheimer, notamment avec des pertes de mémoire et des difficultés à trouver ses repères spatio-temporels. Ils ont également fait part d'un manque de transparence sur les soins, les diagnostics des médecins et les mouvements du compte bancaire de l'intéressé géré par [les époux] H______ et D______, fille d'un premier mariage et gendre du concerné, qui s'occupaient de lui depuis l'été 2023.
b) Par courriel spontané du 26 septembre 2024, D______ a informé le Tribunal de protection qu'un mandat pour cause d'inaptitude avait été déposé auprès de l'Etude de Maître I______, notaire à J______ (Genève), le désignant comme curateur en cas d'inaptitude avérée de son beau-père. Il a en outre expliqué qu'après avoir constaté, en été 2023 pendant une visite à l'intéressé à son chalet de K______ (Valais), une désorientation et une importante faiblesse physique chez ce dernier, il avait décidé avec son épouse de l'accueillir un certain temps à leur domicile à Genève. Ensuite, le concerné s'était installé dans l'appartement qu'il avait conservé à L______ (Genève) avec la mise en place par sa fille et son beau-fils d'un accompagnement complet par des tiers. Depuis lors, D______ s'occupait également des affaires administratives et financières du concerné et disposait d'une procuration sur son compte bancaire ouvert auprès de M______.
c) A______ a effectivement constitué un mandat notarié pour cause d'inaptitude le 3 juin 2024, par lequel il a désigné D______, ou à défaut H______, ou à défaut encore E______, pour assurer la gestion de ses affaires administratives et de son patrimoine, le représenter dans ses rapports juridiques avec les tiers, et s'entretenir avec les médecins sur les soins médicaux à lui administrer.
d) A______ était inconnu du Service des prestations complémentaires, disposait d'une fortune mobilière de 169'538 fr. et d'une fortune brute immobilière de 142'710 fr., selon avis de taxation 2023 et ne faisait l'objet d'aucune poursuite ni acte de défaut de biens.
e) La Dre N______, psychiatre, a indiqué dans un rapport médical du 4 octobre 2024 que A______ était atteint d'hydrocéphalie à pression normale, d'encéphalopathie neurodégénérative mixte à prédominance type Alzheimer et d'un trouble thymique organique dépressif. Son patient n'était plus apte à gérer seul ses affaires administratives et financières, à assumer ses besoins premiers et à comprendre pleinement une situation médicale, bien qu'il saisissait avoir perdu ses facultés et son acuité intellectuelle et acceptait ainsi les rendez-vous médicaux et la médication proposée. Il était bien entouré de sa fille et de son gendre qui pourvoyaient à ses besoins et qui assuraient sa sécurité au vu de son incapacité, laquelle était durable.
f) Le 5 octobre 2024, B______, avocat désigné aux fonctions de curateur d'office du concerné par décision du 27 septembre 2024, a exposé que son protégé vivait seul dans un appartement à L______ depuis le mois de septembre 2023 et qu'il disposait d'un accompagnement quotidien et de passages infirmiers par la société O______ Sàrl, mis en place par H______ et D______, ainsi que d'une veilleuse de nuit depuis le mois de janvier 2024, au vu de ses régulières sorties pouvant le mettre en danger de par sa désorientation. De plus, il était en intégration lente à l'établissement médico-social (EMS) P______, où il se rendait quatre jours par semaine, avant de pouvoir être intégré de manière permanente, dès qu'il aurait perdu l'autonomie suffisante pour vivre seul. Avant l'été 2023 et l'intervention de sa fille et de son gendre, le concerné vivait seul dans son chalet à K______, qu'il avait récemment vendu en raison notamment de difficultés d’accès.
Fin octobre 2024, l'épouse séparée de fait de l'intéressé avait fait part au curateur d'office de ses préoccupations quant à la gestion du patrimoine de son époux par D______ et de l'efficacité des mesures d'encadrement mises en place pour assurer sa sécurité. En effet, selon elle, ces mesures étaient trop coûteuses et peu efficaces vu les dernières interventions de la police qui avait, à plusieurs reprises, retrouvé l'intéressé errant hors de son domicile.
g) Le Tribunal de protection a tenu une audience le 14 novembre 2024.
A______ a expliqué qu’il habitait Genève, où il était né. Il était de retour de K______ depuis environ dix ans. Il passait du temps à l’EMS P______ et y était encore la veille. Il souhaitait pour l’instant rester à la maison et une dame lui tenait compagnie. Il allait à la banque et à la poste et s’occupait de ses affaires administratives. Il avait une activité complète dans ce domaine et il bénéficiait du soutien d’un ami, d’un pédagogue, qu’il appréciait et estimait beaucoup. Il s’agissait de D______. Il avait décidé de vendre le bien immobilier dont il était propriétaire à K______ en raison de son accès difficile, notamment. La vente avait eu lieu quelques semaines ou mois auparavant. Le bien avait été vendu à un prix qui lui était apparu raisonnable, soit un montant supérieur à 30'000 fr. Le lien qu’il entretenait avec E______ et ses enfants G______ et F______ était solide et ils maintenaient une relation. Les personnes qui lui étaient le plus proches étaient ses enfants, qui étaient encore jeunes, G______ et F______, ainsi que son ami Q______. G______ et F______ avaient respectivement 33 et 31 ans. Ses deux autres enfants avaient entre 25 et 30 ans.
Le Tribunal de protection a indiqué dans une note que A______ faisait de fréquentes pauses pour tenter de se remémorer les éléments qu’il souhaitait indiquer au Tribunal de protection.
D______ a expliqué que la prise en charge de A______ était allée crescendo depuis un an et demi. Il bénéficiait, du samedi au lundi, d’un accompagnement de 7h00 à 14h00, puis était seul jusqu’à 17h00, où une autre employée de O______ Sàrl prenait la relève jusqu’à 21h00. Il bénéficiait ensuite d’une veilleuse de 21h00 à 7h00. Le reste de la semaine il était accueilli à l’EMS P______. D______ organisait avec son épouse ses différents rendez-vous le lundi. Son épouse s’occupait beaucoup de son père, tandis que lui-même s’occupait de l’aspect administratif. A une époque, ils avaient insisté pour que le concerné intègre l’EMS P______, mais il leur avait répondu que ce n’était pas encore le moment. Il avait été mal durant une période, suite à la prise d’un médicament (Quétiapine) que lui avait prescrit son médecin et il avait mis presque deux mois à se sentir mieux après l’arrêt de ce médicament. Une intégration en EMS ne semblait pas nécessaire pour l’instant.
D______ a précisé qu’il disposait de deux procurations bancaires octroyées par A______ sur ses comptes ouverts auprès [des banques] M______ et R______, la seconde n’étant pas valable en raison d’un document manquant, ce qui ne portait pas préjudice à la gestion des affaires de A______ puisque ce compte n’était en réalité pas utilisé. Le produit de la vente du chalet n’avait pas encore été versé à A______ dès lors que le notaire valaisan ne parvenait pas à retrouver la cédule hypothécaire qui semblait pourtant se trouver en mains de R______ soit à S______ [VS] soit à T______ [VS]. Son épouse et lui-même l’avaient encore pressé de faire le nécessaire. Le montant de la vente se trouvait sur un compte de consignation. Il ne pouvait indiquer le montant que recevrait A______. Le chalet avait été vendu 820'000 fr., dont il fallait déduire la dette hypothécaire de 100'000 fr., les frais d’agence de 35'000 fr. et les impôts valaisans, dont il ignorait pour l’instant le montant. Le coût mensuel de maintien à domicile de A______ était d’environ 20'000 fr. Il avait parlé avec ce dernier de ce coût mais pour lui, la seule question importante était de pouvoir rester à domicile. A______ avait une perception altérée de la notion de l’argent. Il percevait une rente d’impotent de 245 fr. par mois, qu’il avait reçue rétroactivement, suite à la demande que D______ avait effectuée pour son compte. Concernant le compte M______, il a expliqué avoir payé une facture de 1'165 fr. le 18 décembre 2023, suite à la requête de A______ de voir le parechoc de sa voiture réparé, bien qu’il ne conduise plus. Le paiement de 900 fr. du même jour correspondait à la taxe valaisanne de résidence secondaire suite au changement d’adresse de A______. Le versement de 20'000 fr. le 4 septembre 2023 en sa faveur lui avait permis d’effectuer les paiements e-banking de A______, dès lors qu’il n’avait pas encore les accès nécessaires sur son compte bancaire, bien que déjà titulaire d'une procuration. Etant alors au Portugal en vacances, D______ devait effectuer les paiements de son beau-père à distance. Cette somme lui avait permis de faire les paiements pour son beau-père et, à son retour de vacances, il avait restitué le solde sur son compte, soit 3'000 fr. Il disposait d’un classeur avec tous les justificatifs de paiement. Son épouse et lui-même n’étaient pas rémunérés pour les services rendus à A______.
E______ a expliqué que dans un premier temps, les errances de A______ les avaient inquiétés, elle et ses enfants. Cela était déjà arrivé en Valais et la Police les avait appelés. Il y avait également eu plusieurs épisodes depuis son retour à Genève. Elle s’inquiétait du danger que courait A______. Elle considérait, avec ses enfants, qu’il était temps pour celui-ci d’entrer en EMS, ou en tout cas d’envisager cette possibilité, dès lors qu’elle n’avait pas un avis négatif sur ce type d’établissement, contrairement à D______. Ce dernier lui avait dit que tout l’argent du chalet devait être utilisé pour la prise en charge à domicile de A______ avant d’envisager son placement en EMS. D______ considérait en effet que la responsable de O______ Sàrl déciderait du moment où A______ entrerait en EMS. Son père n’avait aucune idée de ce que son maintien à domicile coûtait, alors qu’il avait toujours été précautionneux et s’était effondré lorsqu’elle lui avait dit que tout l’argent de la vente du chalet y serait consacré. Il lui avait dit vouloir s’exprimer à ce sujet. L’avis de son père dépendait de la façon dont on lui présentait les choses. Elle avait également constaté des manquements dans la prise en charge de son père par O______ Sàrl (horaires non respectés, changements de personnes, manque de sérieux, appartement souvent plongé dans l’obscurité). Son père s’était également plaint auprès de son fils G______ que de l’argent lui avait été volé.
D______ a encore expliqué qu’il avait été curateur de sa mère jusqu’à récemment et savait quelles obligations incombaient à un curateur. Il pensait que le mandat pour cause d’inaptitude était équivalent à une curatelle et que les mêmes obligations incombaient au mandataire. Il était tout à fait disposé à fournir un inventaire et des rapports et comptes si le Tribunal de protection validait son mandat pour cause d’inaptitude. Son épouse et lui-même avaient annulé un voyage de plusieurs mois en juillet 2023 pour prendre à domicile en urgence son beau-père qui allait mal. La situation était très inquiétante lorsqu’il était à K______ et pourtant personne n’était allé le voir. Depuis juillet 2023, son épouse et lui-même s’occupaient beaucoup de A______, son intervention propre était d’environ 20 heures par semaine, tandis que celle de E______ était de 20 heures sur la période de 15 mois. Il avait choisi avec soin U______ qui, même si elle était chère, était le meilleur marché pour ce type de prestations. Il avait demandé des devis à plusieurs sociétés avant de prendre celle-ci. Il n’était pas d’accord avec les accusations de E______ sur cette société, laquelle donnait entière satisfaction.
D______ et E______ ont déclaré ne pas s’opposer à l’instauration d’une mesure de curatelle et à la désignation d’un curateur privé neutre.
E______ a ajouté qu’elle était reconnaissante envers D______ et son épouse de tout ce qu’ils avaient pu accomplir pour A______, car elle n’était elle-même pas disponible. La curatelle qu’elle gérait elle-même en faveur d’une tierce personne était très chronophage au moment de la phase de crise de son père.
B. Par ordonnance DTAE/9380/2024 du 14 novembre 2024, le Tribunal de protection a refusé de constater la validité du mandat pour cause d’inaptitude constitué le 3 juin 2024 par A______ (chiffre 1 du dispositif), instauré une curatelle de représentation et de gestion en sa faveur (ch. 2), désigné C______, mandataire privé professionnel, aux fonctions de curatrice (ch. 3), lui a confié les tâches de représenter la personne concernée dans ses rapports avec les tiers, en particulier en matière d’affaires administratives et juridiques, de gérer ses revenus et biens et d’administrer ses affaires courantes, de veiller à son bien-être social et la représenter pour tous les actes nécessaires dans ce cadre (ch. 4), a autorisé la curatrice à prendre connaissance de la correspondance de la personne concernée, dans les limites du mandat avec la faculté de la faire réexpédier à l’adresse de son choix et, si nécessaire, à pénétrer dans son logement (ch. 5) et a statué sur les frais judiciaires (ch. 6).
Le Tribunal de protection a, en substance, considéré que le besoin de protection de la personne concernée s’étendait aux matières administrative, financière et à l’assistance personnelle, ce qui n’était pas contesté par les parties, de sorte que la mesure de protection instaurée devait porter sur les domaines précités. S’agissant du mandat pour cause d’inaptitude, suite aux investigations menées par le Tribunal et malgré la présence d’une perte des fonctions cognitives du concerné, il n’existait pas d’élément permettant de remettre en question sa capacité de discernement pour désigner un mandataire et pour rédiger ou faire rédiger un mandant pour cause d’inaptitude, étant rappelé que la forme authentique avait été choisie, de sorte que la présomption de capacité de discernement devait s’appliquer (art. 16 CC), de sorte que la validité matérielle et formelle de l’acte devait être retenue. Cependant, il ressortait de l’instruction et de l’audience tenue par le Tribunal de protection que si tous les concernés recherchaient l’intérêt de leur proche, il n’en demeurait pas moins que E______, H______ et D______, respectivement épouse, fille issue d’une première union et gendre du concerné, avaient des opinions diamétralement opposées sur certains sujets et que leurs importantes divergences pourraient impacter de manière significative l’organisation du quotidien et la gestion des affaires de l’intéressé. Dans ces circonstances, laisser les pouvoirs de représentation à l’une des personnes mentionnées ci-dessus risquerait de péjorer encore plus les relations entre elles et d’avoir un impact négatif sur le concerné, lequel se trouverait au centre d’un conflit dans un état de vulnérabilité et d’influençabilité considérable. Cet état, ainsi que le conflit virulent et néfaste pour le bien-être du concerné, nécessitaient que des mesures soient prises pour le protéger, mais aussi pour s’assurer qu’il puisse entretenir de manière pérenne et régulière des relations avec l’ensemble de sa famille, puisqu’il était proche de chacun d’eux. Il était ainsi indispensable de prévoir une mesure de protection permettant un contrôle régulier de l’activité du représentant par l’autorité, ce qui rassurerait l’épouse et les enfants du concerné sur la bonne gestion de ses avoirs, de ses affaires administratives et sur sa prise en charge au quotidien. Or, ce contrôle régulier n’était pas possible en cas de validation du mandat pour cause d’inaptitude, mais uniquement en cas d’instauration d’une mesure de curatelle. Par conséquent, la validation du mandat pour cause d’inaptitude du 3 juin 2024 était refusée et une curatelle devait être instaurée.
Le concerné souffrait d’hydrocéphalie à pression normale, d’encéphalopathie neuro-dégénérative mixte à prédominance type Alzheimer et d’un trouble thymique organique dépressif, lesquels affectaient notamment ses fonctions cognitives. Il n’était plus en mesure de gérer seul ses affaires administratives et financières, d’assumer ses besoins premiers et de comprendre pleinement sa situation médicale, comme en témoignaient ses proches, son curateur d’office et la Dre N______. Des mesures d’accompagnement quotidiennes avaient été mises en place pour garantir un suivi infirmier adéquat pour l’intéressé, qui se trouvait encore à domicile, et s’assurer que ce dernier ne se mette pas en danger vu ses pertes de mémoire et ses difficultés à trouver ses repères spatio-temporels. De plus, lors de son audition, le concerné avait tenu un discours confus lorsque des questions en lien avec son patrimoine ou ses affaires lui avaient été posées.
Bien que ses affaires administratives et financières soient gérées par son gendre, vu les circonstances, le contexte familial et afin de sauvegarder au mieux les intérêts du concerné, une curatelle de représentation et de gestion étendue à l’assistance personnelle devait être instaurée. Au vu de la fortune de l’intéressé et des conflits relationnels persistants entre ses proches, une personne tierce, exerçant à titre professionnel et disposant des compétences requises et de la disponibilité pour exécuter le mandant devait être désignée en qualité de curatrice du concerné, étant précisé que ni son gendre ni l'épouse de celui-ci ne s’étaient opposés à la désignation d’un tiers neutre à cette fonction.
C. a) Par acte du 24 décembre 2024 adressé au Tribunal de protection, lequel l’a transmis pour raison de compétence à la Chambre de surveillance de la Cour de justice le 3 janvier 2025, A______, par l’intermédiaire de son curateur d’office, a formé un recours contre cette décision, sollicitant la restitution du mandat pour cause d’inaptitude qu’il avait établi devant notaire le 3 juin 2024.
A l’appui de son recours, il relevait que les deux personnes mentionnées sur le mandat pour cause d’inaptitude avaient exécuté et continuaient d’exécuter leur mandat de manière exemplaire. Afin de rassurer l’épouse et les enfants du concerné, et contrairement à ce qu’affirmait le Tribunal de protection, il serait parfaitement possible de maintenir le mandat pour cause d’inaptitude et d’astreindre le mandataire à un devoir de rendre compte à l’autorité de manière similaire à une curatelle. Cette solution intermédiaire permettrait de maintenir le mandat selon la volonté du concerné et apporterait les garanties nécessaires au reste de la famille, étant précisé que A______ n’entretenait plus de relations, depuis plusieurs années déjà, avec son épouse et leurs deux enfants, G______ et F______, et que tous trois n’avaient pas souhaité lui parler depuis l’audience tenue par le Tribunal de protection. La mesure envisagée engendrerait par ailleurs un coût important à la charge de A______, alors que D______ et H______ avaient géré de manière exemplaire les affaires du concerné durant les deux dernières années, sans s’octroyer une quelconque rémunération.
b) Le 17 janvier 2025, A______ a déposé un complément à son recours concluant principalement à l’annulation de l’ordonnance, au constat de la validité du mandat pour cause d’inaptitude constitué le 3 juin 2024 et à ce qu’il soit ordonné que le mandataire soit soumis à une obligation annuelle de rendre compte à l’autorité de son activité et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal de protection, les frais devant être laissés à la charge de l’Etat.
Le point litigieux ayant conduit l’épouse et ses enfants à signaler le cas au Tribunal de protection concernait le lieu de vie de A______ et le coût des soins à domicile nécessaires pour lui permettre de rester dans son appartement de L______. Le concerné avait communiqué à plusieurs reprises son souhait de demeurer le plus longtemps possible dans son logement, ce qu’il avait confirmé lors de son audition par le Tribunal de protection. Afin de continuer à couvrir le coût de sa prise en charge à domicile, il avait récemment chargé son gendre de vendre son chalet sis en Valais, ce que ce dernier avait fait.
c) Le Tribunal de protection n’a pas souhaité reconsidérer sa décision.
d) G______, fils du concerné, a écrit au Tribunal de protection le 22 janvier 2024, courrier transmis pour raison de compétence à la Chambre de céans le surlendemain, et a conclu au maintien de l’ordonnance entreprise, afin que son père soit représenté par une personne neutre « qui accordera une considération égale et juste à toutes les parties impliquées pour le bien-être physique et mental » de son père. Il a allégué des "distorsions familiales", sans les expliciter plus avant, justifiant sa position.
e) Le 21 janvier 2025, E______ a déposé des déterminations. Elle était surprise de la position du curateur d’office de son époux qui considérait le couple D______/H______ irréprochable et bien intentionné, tandis qu’elle et ses enfants le seraient moins. Elle estimait que le couple D______/H______ exerçait une mauvaise influence sur son époux. Elle avait constaté à plusieurs reprises au téléphone que l’état cognitif de celui-ci se dégradait et elle considérait que le maintenir à tout prix à la maison ne contribuait pas à le stabiliser ni à lui offrir les soins et le mode de vie réguliers et sécurisants qu’une institution pouvait lui offrir. Elle s’opposait donc à la solution intermédiaire similaire à une curatelle exercée par D______ qui était proposée dans le recours. Lorsque ce dernier prenait les décisions, il le faisait de manière souveraine, sans la consulter, ni ses enfants, malgré leurs demandes réitérées de collaborer avec lui, et négligeait leur crainte et leur point de vue comme s’ils n’avaient pas de valeur. La confiance qu’elle avait en ce dernier au début de la prise en charge du père de ses enfants était aujourd’hui rompue. Elle souhaitait qu’un tiers neutre se charge de son époux afin de ne pas lui enlever plus de sérénité.
f) Le 19 février 2025, G______ a déposé des déterminations dans le cadre desquelles il a exposé la position de chacun des membres de la famille concernant la curatelle instaurée. Il considérait que son père était sous l’influence de sa fille et de son gendre, ce dernier lui ayant dit que sa mère était rayée de la carte, et qu’ils tentaient de les tenir à l’écart de la vie de leur père, de sorte que maintenir une relation avec ce dernier était très difficile. La relation que son père entretenait avec H______ et D______ pourrait perdurer de façon harmonieuse, même dans le cadre d’une curatelle. Il a déploré que ces derniers aient remplacé la photo du salon sur laquelle il était en compagnie de sa sœur par une photo de son père avec « les enfants D______ ». Son père n’avait certainement pas donné son accord. Dans l’hypothèse où le mandat pour cause d’inaptitude serait rétabli, la relation entre sa mère, sa sœur et lui-même avec leur père risquerait d’être brisée.
g) Le curateur d’office de A______ a déposé des déterminations le 24 mars 2025, persistant dans ses conclusions initiales. L’intérêt et la volonté de son protégé devaient rester au centre de la procédure. Lorsque celui-ci jouissait de sa pleine capacité, il avait expressément désigné comme mandataire D______ en raison du lien de confiance qui les unissait. Ce dernier avait exercé son mandat de manière exemplaire et continuait de le faire, dans le strict respect de la volonté de son protégé. Pour chaque décision importante, celui-ci était consulté et il considérait son avis dans la mesure du possible, en tenant compte de son bien-être et de sa situation. Il était exact que E______ et ses enfants contestaient certaines décisions prises par D______, notamment concernant le lieu de vie de son protégé et les mesures d’accompagnement mises en place pour lui permettre de continuer à résider dans son appartement de L______. Ces décisions avaient cependant été prises en concertation avec son protégé et en pondérant ses intérêts.
h) La cause a été gardée à juger le 24 avril 2025.
i) A______ est entré à l’EMS P______ en juin 2025.
1. 1.1 Les décisions de l’autorité de protection de l’adulte peuvent faire l’objet, dans les trente jours, d’un recours écrit et motivé, devant le juge compétent, é savoir la Chambre de surveillance de la Cour de justice (art. 450 al. 1 et al. 3 et 450b CC ; art. 126 al. 3 LOJ ; art. 53 al. 1 et 2 LaCC).
Le recours doit être dûment motivé et interjeté par écrit auprès du juge (art. 450 al. 3 CC).
Interjeté dans les forme et délai requis par la personne concernée par la mesure, par l’intermédiaire de son curateur d’office, le recours est recevable.
1.2 La Chambre de surveillance examine la cause librement, en fait, en droit et sous l’angle de l’opportunité (art. 450a CC). Elle établit les faits d’office et n’est pas liée par les conclusions des parties (art. 446 al. 1 et 3 CC).
2. 2.1.1 Les mesures prises par l’autorité de protection de l’adulte garantissent l’assistance et la protection de la personne qui a besoin d’aide (art. 388 al. 1 CC). Elles préservent et favorisent autant que possible son autonomie (art. 388 al. 2 CC).
L’autorité de de protection de l’adulte ordonne une mesure lorsque l’appui fourni à la personne ayant besoin d’aide par les membres de sa famille, par d’autres proches ou par les services privés ou publics ne suffit pas ou semble a priori insuffisant (art. 389 al. 1 ch. 1 CC).
Une mesure de protection de l’adulte n’est ordonnée par l’autorité que si elle est nécessaire et appropriée (art. 389 al. 2 CC).
L’art. 389 al. 1 CC exprime le principe de la subsidiarité (…): des mesures ne peuvent être ordonnées par l’autorité que lorsque l’appui fourni à la personne ayant besoin d’aide par les membres de sa famille, par d’autres proches ou par des services privés ou publics ne suffit pas ou semble a priori insuffisant (ch. 1). Cela signifie que lorsqu’elle reçoit un avis de mise en danger, l’autorité doit procéder à une instruction complète et différenciée lui permettant de déterminer si une mesure s’impose et, dans l’affirmative, quelle mesure en particulier (HÄFELI, CommFam Protection de l’adulte, ad art. 389 CC, n. 10 et 11).
Selon l’art. 390 CC, l’autorité de protection de l’adulte institue une curatelle notamment lorsqu’une personne majeure est partiellement ou totalement empêchée d’assurer elle-même la sauvegarde de ses intérêts en raison d’une déficience mentale, de troubles psychiques ou d’un autre état de faiblesse qui affecte sa condition personnelle (ch. 1).
2.1.2 Toute personne ayant l’exercice des droits civils (mandant) peut charger une personne physique ou morale (mandataire) de lui fournir une assistance personnelle, de gérer son patrimoine ou de la représenter dans les rapports juridiques avec les tiers au cas où elle deviendrait incapable de discernement (art. 360 al. 1 CC). Le mandant définit les tâches qu’il entend confier au mandataire et peut prévoir des instructions sur la façon de les exécuter (art. 360 al. 2 CC). Il peut prévoir des solutions de remplacement pour le cas où le mandataire déclinerait le mandat, ne serait pas apte à le remplir ou le résilierait (art. 360 al. 3 CC).
Le mandat peut être confié à plusieurs personnes. Le mandant doit alors définir les rapports des intéressés entre eux et les compétences de chacun. Désigner plusieurs personnes peut être utile en particulier lorsque la gestion du patrimoine exige des aptitudes qui n’ont pas d’importance pour l’assistance personnelle et inversement. En présence d’une très grande fortune, il peut aussi être judicieux de charger plusieurs personnes de la gestion commune du patrimoine. Des règles devraient alors prévoir la marche à suivre en cas de désaccord (Geiser, CommFam, Protection de l’adulte, n. 11 ad art. 360 CC).
2.1.3 Le mandat pour cause d’inaptitude est constitué en la forme olographe ou authentique (art. 361 al. 1CC).
La personne qui établit l’acte ne doit pas examiner si la personne désignée est disposée à accepter le mandat, ni si elle semble apte à le remplir. La question se pose au moment seulement où le mandat pour cause d’inaptitude prend effet (Geiser, op. cit., n. 13 ad art. 361 CC et les références citées).
2.1.4 Selon l’art. 365 al. 1 CC, le mandataire représente le mandant dans les limites du mandat pour cause d'inaptitude et s'acquitte de ses tâches avec diligence et selon les règles du Code des obligations sur le mandat. En cas de conflit d'intérêts, les pouvoirs du mandataire prennent fin de plein droit (al. 3).
Aux termes de l'art. 368 al. 1 CC, si les intérêts du mandant sont compromis ou risquent de l'être, l'autorité de protection de l'adulte prend les mesures nécessaires d'office ou sur requête d'un proche du mandant. Elle peut notamment donner des instructions au mandataire, lui ordonner d'établir un inventaire des biens du mandant, de présenter périodiquement des comptes et des rapports ou lui retirer ses pouvoirs en tout ou en partie (al. 2).
Enfin, lorsque l'autorité de protection de l'adulte apprend qu'une personne est devenue incapable de discernement et qu'il existe un mandat pour cause d'inaptitude, elle examine si le mandat a été constitué valablement, si les conditions de sa mise en œuvre sont remplies, si le mandataire est apte à le remplir, et si elle doit prendre d'autres mesures de protection de l'adulte (art. 363 al. 1 et 2 CC).
2.2 En l’espèce, le Tribunal de protection a retenu, à raison, que le mandat pour cause d’inaptitude constitué par acte notarié du 3 juin 2024 était valable, dès lors que les conditions matérielle et formelle de son établissement étaient respectées. Aucun élément ne permettait à cette date de remettre en question la capacité de discernement de A______ pour désigner un mandataire et pour rédiger ou faire rédiger un mandat pour cause d’inaptitude, étant rappelé que la forme authentique avait été choisie, de sorte que la présomption de capacité de discernement devait s’appliquer (art. 16 CC). L’épouse séparée de ce dernier et ses enfants G______ et F______ ne contestent au demeurant pas que leur père avait la capacité de discernement nécessaire au moment de l’établissement de cet acte. Entendu par le Tribunal de protection le 14 novembre 2024, A______ a d’ailleurs réaffirmé qu’il avait toute confiance en son gendre, même s’il l’a qualifié d’ami. Quoi qu’il en soit, c’est au moment de son établissement que la capacité de discernement de celui qui a pris la décision de faire établir un mandat pour cause d’inaptitude doit être analysée et en l’espèce, elle est acquise.
Malgré la validité de ce mandat pour cause d’inaptitude, le Tribunal de protection a décidé d’instaurer une curatelle de représentation et de gestion et de la confier à un tiers, dès lors qu’il a estimé que les divers protagonistes avaient des opinions diamétralement opposées sur certains sujets pouvant impacter de manière significative l’organisation du quotidien et la gestion des affaires de l’intéressé. Ces derniers étaient, en effet, d’un avis totalement différent concernant le lieu de vie le plus approprié pour l’intéressé et le coût en découlant. La fille aînée et son époux, détenteur des pouvoirs de représentation de l’intéressé en vertu du mandat pour cause d’inaptitude, étant d’avis qu’il convenait de respecter le souhait du concerné de demeurer à domicile jusqu’à ce que cela ne soit plus possible, ce pour quoi une prise en charge avait été mise en place pour un coût avoisinant 20'000 fr. mensuels, tandis que l’épouse séparée de longue date du concerné et ses deux enfants estimaient que le maintien à domicile, outre qu’il était trop onéreux, ne garantissait pas une qualité de vie suffisante pour l’intéressé, relevant notamment des manquements dans sa prise en charge, et des fuites de ce dernier de son logement. Si certes des tensions existaient à ce sujet et pouvaient laisser craindre un impact négatif sur le bien-être de la personne concernée au moment où la décision a été rendue, tel n’est plus le cas dorénavant dès lors que le concerné a intégré de manière définitive en fin de procédure de recours l’EMS qu’il fréquentait partiellement à l’époque, soit l’EMS P______. Ainsi, les tensions liées à sa prise en charge au quotidien et au coût de celle-ci n’ont plus lieu d’être et ne justifient pas la mise en place d’une curatelle de représentation et de gestion, étendue à l’assistance personnelle, confiée à un tiers.
Le Tribunal de protection a également considéré qu’il était indispensable de prévoir une mesure de protection permettant un contrôle régulier de l’activité du représentant par l’autorité, ce qui rassurerait l'épouse et les enfants du protégé sur la bonne gestion de ses avoirs, de ses affaires administratives et la prise en charge de son quotidien. La Chambre de surveillance observe que, hormis le coût généré par la prise en charge du maintien à domicile du concerné, aucune autre critique n’a été formulée par l’épouse et les enfants de celui-ci concernant la gestion des affaires du concerné par son gendre. Ce dernier a d’ailleurs répondu de manière claire et précise aux questions du Tribunal de protection lors de son audition sur certains paiements ou transferts effectués, et rien ne laisse supposer qu’il ne gérerait pas de manière correcte et fiable les comptes de son beau-père, soit les paiements nécessaires à sa prise en charge en EMS essentiellement. La mesure de curatelle ne doit pas constituer un garde-fou ni une mesure destinée à rassurer sans fondement les autres membres d’une famille, mais vise à protéger les intérêts de la personne concernée, lesquels ne sont pas mis en danger en l’état. Le recourant a, depuis 2023, pris toutes les mesures qui s’imposaient afin de préserver les intérêts de son beau-père, en lui faisant réintégrer son appartement de Genève, en payant ses factures, en mettant en place un encadrement jour et nuit afin de le surveiller et lui apporter les soins requis par son état et en procédant à la vente du chalet en Valais, dans lequel le concerné ne pouvait plus se rendre, afin de couvrir ses charges futures.
Le but du mandat pour cause d’inaptitude consiste pour une personne, alors qu’elle est encore capable de discernement, à choisir la personne de confiance à laquelle elle souhaite que soit confiée la gestion de ses affaires administratives et patrimoniales lorsqu’elle perdra la faculté de s’en occuper. C’est précisément le cas en l’espèce. Le choix du concerné doit ainsi être respecté, rien ne permettant de s’en écarter. Le mandataire qu’il a choisi est en effet apte à assumer les tâches confiées, et n'a pas démérité aucune mesure de protection supplémentaire ne paraissant nécessaire.
Ainsi, le mandat pour cause d’inaptitude du 3 juin 2024 doit être validé et la mesure de curatelle instaurée annulée.
3. Les frais judiciaires du recours seront laissés à la charge de l’Etat. L’avance de frais effectuée sera restituée au recourant.
Il n’est pas alloué de dépens.
* * * * *
La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 24 décembre 2024 par A______ contre l’ordonnance DTAE/9380/2024 rendue le 14 novembre 2024 par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant.
Au fond :
L’admet et annule l’ordonnance attaquée.
Cela fait :
Constate la validité du mandat pour cause d’inaptitude constitué par A______ par acte notarié du 3 juin 2024.
Sur les frais :
Laisse les frais judiciaires de recours à la charge de l’Etat de Genève.
Ordonne aux Services financiers du pouvoir judiciaire de restituer la somme de 400 fr. à A______.
Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Monsieur
Cédric-Laurent MICHEL et Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges;
Madame Jessica QUINODOZ, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne 14.