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Décisions | Chambre de surveillance

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C/21722/2020

DAS/224/2023 du 25.09.2023 sur DJP/194/2023 ( AJP ) , REJETE

Recours TF déposé le 30.10.2023, rendu le 22.03.2024, CONFIRME, 5A_823/2023
Normes : CC.566; CC.567; CC.576
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21722/2020 DAS/224/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 25 SEPTEMBRE 2023

 

Appel (C/21722/2020) formé le 5 juin 2023 par Monsieur A______, domicilié ______ (Schwytz), et par Monsieur B______, domicilié ______ [GE], représentés par Me Antoine EIGENMANN, avocat.

* * * * *

Arrêt communiqué par plis recommandés du greffier
du 28 septembre 2023 à :

 

- Monsieur A______
Monsieur B______

c/o Me Antoine EIGENMANN, avocat
Place Bel-Air 1, case postale 5988, 1002 Lausanne.

- Madame C______
c/o Me Philippe JACQUEMOUD, avocat
Place des Philosophes 10, case postale, 1211 Genève 4.

- Monsieur D______
______, ______ [Monaco].

- JUSTICE DE PAIX.

 


EN FAIT

A.    a. E______, né le ______ 1943 à F______ (Egypte), originaire de G______ (Genève), est décédé le ______ 2020 à H______ (Genève).

b. Selon le certificat d’héritiers établi par I______, notaire à Genève, les seuls héritiers légaux et réservataires de E______ sont : sa veuve, C______, née C______ [nom de jeune fille], le ______ 1943, originaire de G______ (Genève), son fils A______, né le ______ 1974, originaire de G______ (Genève), son fils B______, né le ______ 1975, originaire de G______ (Genève) et son fils D______, né le ______ 1979, originaire de G______ (Genève).

Le défunt n’a laissé aucune disposition testamentaire connue.

c. C______ est domiciliée à H______ (Genève), A______ à J______ (Schwytz), B______ à Genève et D______ à Monaco.

d. Par requête adressée le 20 avril 2023 à la Justice de paix, A______ et B______ ont sollicité la restitution du délai de répudiation de la succession de E______ au sens de l’art. 576 CC et ceci étant fait, à ce qu’il soit pris acte de ce que la succession de E______ était répudiée par A______ et B______ au sens de l’art. 566 al. 1 CC.

A l’appui de leur requête, ils ont exposé que l’administration fiscale cantonale avait ouvert une procédure à l’encontre de C______ et feu E______ en rappel et soustraction d’impôts pour les années 2012 à 2020. Les époux C______/E______ affirmaient avoir quitté la Suisse pour s’établir au Liban, leur pays d’origine, du 31 octobre 2017 jusqu’au 10 octobre 2020 et n’avaient dès lors pas déposé de déclaration fiscale à Genève pour les années en question (sous réserve du rattachement économique à Genève en lien avec un bien immobilier sis à H______). Or, l’administration fiscale remettait en cause le non-assujettissement des époux C______/E______ durant cette période. Par ailleurs, la même administration fiscale soutenait que les revenus et la fortune d’un Trust que le de cujus avait constitué (Trust irrévocable discrétionnaire et sociétés offshores détenant principalement des parts d’un bien immobilier sis à Monaco, soit des appartements et des garages) n’avaient pas été reportés dans les déclarations d’impôts des époux C______/E______. Ainsi, la procédure fiscale risquait de conduire à un rappel d’impôts et intérêts moratoires, ainsi qu’au prononcé d’une amende. A______ et B______ ont allégué n’avoir été informés par leur mère de cette situation que le 11 avril 2023, lors d’un entretien téléphonique. A l’appui de leurs allégations, A______ et B______ ont versé à la procédure un courrier du conseil de leur mère du 6 avril 2023, dans lequel celui-ci lui faisait part de ses inquiétudes au sujet de la procédure ouverte concernant sa taxation des années 2012 à 2020 et résumait le contenu d’un entretien intervenu le 29 mars 2023 entre les avocats fiscalistes de C______ et l’administration fiscale, au cours de laquelle les différents aspects susmentionnés avaient été évoqués. Selon ces mêmes avocats fiscalistes, l’impact de la reprise fiscale, qui n’avait pas encore été chiffrée, pourrait représenter plusieurs millions de francs, « notamment eu égard à la distribution significative survenue en lien avec la vente d’une unité de logement il y a quelques années, mais aussi au titre de l’impôt sur la fortune ». Un retour de l’administration fiscale était attendu. Le conseil de C______ lui recommandait d’avertir ses enfants de la situation actuelle, « afin qu’ils puissent prendre les mesures qui s’imposent ». L’avocat ajoutait que la situation semblait plus préoccupante que ce qu’il pensait. A______ et B______ ont également produit une capture d’écran du téléphone de leur mère, sur laquelle figure la mention d’un appel téléphonique du 11 avril 2023 avec les mentions suivantes : « 13:47 Outgoing Call 2 minutes ». Ils ont soutenu que l’acceptation de la succession de feu leur père était entachée d’un vice du consentement, puisqu’ils n’avaient pas et ne pouvaient pas avoir connaissance de la totalité du passif successoral sur la base des éléments en leur possession. Le délai de répudiation devait par conséquent être restitué, pour justes motifs.

B.     Par décision DJP/194/2023 du 22 mai 2023, la Justice de paix a débouté A______ et B______ de leurs conclusions (chiffre 1 du dispositif) et mis les frais exposés par le greffe et un émolument de 500 fr. à leur charge (ch. 2).

En substance, la Justice de paix a considéré que le de cujus était décédé le ______ 2020, de sorte que le délai de répudiation était échu depuis le ______ 2021. La dette invoquée était de nature fiscale, de sorte que sous l’angle de la vraisemblance, il apparaissait peu probable que les requérants n’aient pas eu connaissance de l’existence du Trust et de l’absence de dépôt de déclaration d’impôts de leurs parents durant la période visée. Par ailleurs, les requérants ne démontraient pas avoir procédé aux vérifications qui pouvaient être légitimement attendues d’eux et demandé toutes les clarifications nécessaires avant d’accepter la succession. Dès lors, le motif invoqué ne pouvait être considéré comme un juste motif justifiant la restitution du délai de répudiation. Compte tenu de leur qualité d’héritiers légaux, les requérants avaient par ailleurs eu la possession et le pouvoir de disposer de la masse successorale depuis le décès de leur père et avaient dès lors déjà pu bénéficier des actifs successoraux jusqu’à ce jour. Les requérants s’étaient dès lors immiscés dans les affaires de la succession au plus tard à partir du 7 décembre 2020, date de l’établissement du certificat d’héritiers, de sorte qu’ils avaient accepté la succession. Ce faisant, ils avaient perdu la faculté de la répudier, de sorte qu’une restitution du délai de répudiation serait sans effet. La Justice de paix a en outre considéré que la capture d’écran du 11 avril 2023 ne pouvait être considérée comme une preuve suffisante de la célérité avec laquelle les requérants avaient déposé la demande de restitution du délai pour répudier.

C.    a. Le 5 juin 2023, A______ et B______ ont formé appel devant la Cour de justice (ci-après : la Cour) contre la décision rendue par la Justice de paix le 22 mai 2023, reprenant leurs conclusions de première instance.

Les appelants font grief à la Justice de paix d’avoir retenu qu’ils s’étaient immiscés dans les affaires de la succession, sans justifier cette décision par aucun élément concret. Or, le simple fait de s’être vu remettre un certificat d’héritiers ne pouvait être considéré comme un acte d’immixtion entraînant la perte de la faculté de répudier la succession. Par ailleurs, les seuls biens figurant dans les déclarations fiscales déposées par les époux C______/E______ à Genève étaient leur résidence sise à H______, propriété de C______, dans laquelle elle vivait toujours, ainsi qu’un compte bancaire joint auquel ils n’avaient jamais eu accès et un autre compte appartenant également à C______. Par ailleurs, lorsqu’ils avaient dû préparer leur déclaration fiscale pour l’exercice 2020, année de succession de leur père, leur mère leur avait remis une lettre du 15 novembre 2021 (produite devant la Cour en tant que pièce nouvelle) confirmant que la succession était dépourvue d’actifs. Dès lors et selon les appelants, ils ne pouvaient pas s’attendre à ce que la succession contienne d’autres biens; il ne pouvait par conséquent leur être reproché de n’avoir pas procédé à des vérifications avant d’accepter la succession de leur père. Ce dernier s’était dessaisi de tous ses biens, à l’exception d’un compte bancaire joint (sur lequel figuraient plusieurs dizaines de milliers de francs), il y avait plus de vingt ans, pour les mettre dans un Trust, dont les appelants n’étaient pas bénéficiaires et dont ils n’avaient jamais rien reçu. Ils considéraient par conséquent logique que ledit Trust ne figure pas à l’inventaire de la succession de feu leur père. En outre, les biens appartenant au Trust étaient des immeubles, lesquels ne devaient, a priori, pas être imposables en Suisse. Le but du Trust était de s’assurer que la substance de ces immeubles soit préservée dans le temps, mais aucunement de faire de l’optimisation fiscale. Enfin, les appelants ont allégué qu’avant le rendez-vous avec l’administration fiscale de fin mars 2023, les conseils de C______ n’étaient pas en mesure de déterminer comment cette même administration allait traiter la situation fiscale des époux. C______ avait reçu le courrier de son conseil le 11 avril 2023 et avait immédiatement informé ses enfants de la situation, comme l’attestait la capture d’écran de son téléphone, versée à la procédure. En déposant leur requête en restitution du délai de répudiation le 20 avril 2023, les appelants avaient agi avec célérité.

A l’appui de leur appel, les appelants ont produit des pièces nouvelles, soit : les avis de taxation des conjoints C______/E______ pour les années 2012 à 2020, ainsi qu’un document établi par C______ le 15 novembre 2021.

b. Dans ses observations du 7 juillet 2023, C______ a déclaré confirmer intégralement les allégués la concernant en lien avec l’appel déposé par ses deux fils, lesquels étaient conformes à la réalité. Elle avait été interpelée pour la première fois par l’administration fiscale cantonale le 23 septembre 2022. A cette date, une procédure en rappel d’impôts et soustraction la concernant, ainsi que feu son époux, avait été introduite. A la suite du courrier de l’administration fiscale du 23 septembre 2022, plusieurs échanges étaient intervenus afin de répondre à diverses demandes de renseignements. Des questions demeuraient ouvertes en ce qui concernait la durée de la période de révision, ainsi que le traitement fiscal de la structure mise en place par feu E______. Une séance de travail avait ensuite eu lieu le 29 mars 2023 entre les représentants de l’administration fiscale et ses avocats fiscalistes, afin d’éclaircir la situation. Lesdits conseils espéraient notamment pouvoir plaider « la transparence » de la structure mise en place par feu E______, ce qui aurait conduit à une faible reprise d’impôts. Cependant, lors de ladite séance, les représentants de l’administration fiscale avaient fait savoir à ses conseils qu’un traitement « en transparence » de la structure mise en place était exclu et qu’il était par ailleurs de pratique constante de ne prendre en considération les départs au Liban intervenus entre 2016 et 2017, ceux-ci étant présumés être motivés par des raisons fiscales liées à la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations. Les discussions se poursuivaient et à ce jour il semblait toutefois impossible de prédire l’issue de celles-ci. Elle n’avait pas informé ses enfants de cette procédure fiscale avant d’avoir reçu le courrier de son conseil du 6 avril 2023. Au jour du décès de feu E______, la succession n’était composée que d’un compte bancaire joint, le de cujus s’étant dessaisi de ses biens au profit d’un Trust, dont A______ et B______ n’avaient rien perçu.

c. D______ n’a fait parvenir aucune observation à la Cour de justice.

d. Par avis du greffe de la Cour du 24 juillet 2023, les appelants et les autres parties à la procédure ont été informés de ce que la cause était mise en délibération.

EN DROIT

1. 1.1.1 Les décisions du juge de paix, qui relèvent de la juridiction gracieuse, sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. e CPC) et sont susceptibles d'un appel dans le délai de dix jours à compter de leur notification (art. 314 al. 1 CPC) auprès de la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 2 LOJ), si la valeur litigieuse est égale ou supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC). L'appel doit être motivé (art. 311 al. 1 CPC).

1.1.2 En l'espèce, la valeur de la succession de feu E______ n’est pas déterminable. Les appelants, tout en alléguant que leur appel était recevable, n’ont mentionné aucune valeur litigieuse. Si l’on en croit les déclarations de C______, la succession serait dépourvue d’actifs, ce qui aurait pour conséquence que la voie de l’appel ne serait pas ouverte, la valeur litigieuse de 10'000 fr. n’étant pas atteinte. Il résulte toutefois du dossier que E______ était, à tout le moins, titulaire d’un compte joint avec son épouse, comprenant plusieurs dizaines de milliers de francs. La recevabilité de l’appel sera par conséquent admise, étant relevé que le raisonnement qui aboutit à la solution retenue ci-après serait le même si l’on devait retenir que seule la voie du recours est ouverte.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit, avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

La maxime inquisitoire s'applique (art. 255 let. b CPC). Le juge doit ainsi éclaircir les faits et prendre en considération d'office tous les éléments qui peuvent être importants pour prendre sa décision. Cependant, l'obligation pour le juge d'établir d'office les faits ne dispense pas les parties d'une collaboration active à la procédure; il leur incombe de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuve disponibles (Bohnet, in Code de procédure civile commenté, 2011, n. 5 ad art. 255 CPC).

Chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu’elle allègue pour en déduire son droit (art. 8 CC).

2. 2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

2.2 En l'espèce, les appelants ont produit des pièces nouvelles devant la Cour, soit les avis de taxation des époux C______/E______ pour les années 2012 à 2020, ainsi qu’un document établi par C______ le 15 novembre 2021. Les appelants ayant formé leur requête en restitution du délai de répudiation de la succession de E______ le 20 avril 2023, ils auraient pu produire les pièces susmentionnées devant la Justice de paix et ils n’exposent pas, dans leur appel, les raisons qui les auraient empêchés de le faire.

Dès lors, les pièces nouvelles sont irrecevables.

3. 3.1.1 Les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte (art. 560 al. 1 CC). Ils sont saisis des créances et actions, des droits de propriété et autres droits réels, ainsi que des biens qui se trouvaient en la possession du défunt, et ils sont personnellement tenus de ses dettes; le tout sous réserve des exceptions prévues par la loi (art. 560 al. 2 CC).

3.1.2 Les héritiers légaux ou institués ont la faculté de répudier la succession (art. 566 al.1 CC).

Le délai pour répudier est de trois mois (art. 567 al. 1 CC). Il court, pour les héritiers légaux, dès le jour où ils ont connaissance du décès, à moins qu’ils ne prouvent n’avoir connu que plus tard leur qualité d’héritiers (art. 567 al. 2 CC).

Les héritiers qui ne répudient pas dans le délai fixé acquièrent la succession purement et simplement (art. 571 al. 1 CC). Est déchu de la faculté de répudier l’héritier qui, avant l’expiration du délai, s’immisce dans les affaires de la succession, fait des actes autres que les actes nécessités par la simple administration et la continuation de ces affaires, divertit ou recèle les biens de l’hérédité (art. 571 al. 2 CC).

3.1.3 L’autorité compétente peut, pour de justes motifs, accorder une prolongation de délai ou fixer un nouveau délai aux héritiers légaux et institués (art. 576 CC).

En raison des lourdes conséquences que la déchéance du droit de répudier peut avoir pour un héritier, l’art. 576 CC permet de tenir compte de circonstances exceptionnelles. L’autorité compétente doit ainsi, lorsqu’il existe de justes motifs, prolonger le délai de répudiation ou, si celui-ci est échu, en fixer un nouveau. Constituent un juste motif le fait que l’héritier est domicilié dans un pays avec lequel les communications sont difficiles, des tensions au sein de la communauté héréditaire qui empêchent un héritier d’avoir une vision précise de l’état de celle-ci (par exemple, en raison de l’existence d’actions en justice encore pendantes ou l’absence de contact entre les héritiers et le de cujus depuis de nombreuses années), la situation personnelle d’un héritier (maladie, grand âge, etc.), la grande complexité de la succession (en particulier quand les biens sont situés dans plusieurs Etats), voire le fait qu’une dette importante dont on ignorait l’existence est tardivement signalée aux héritiers. L’autorité examinera notamment si l’héritier a fait son possible pour clarifier la situation. La demande de prorogation du délai doit être déposée aussitôt que l’héritier a connu les faits qui la justifient (Steinauer, Le droit des successions, 2ème éd., n. 975ss).

Le Tribunal fédéral a admis dans l’ATF 104 II 249 = JdT 1979 I 252, au titre du juste motif, une dette importante signalée tardivement aux héritiers. Le Tribunal fédéral a toutefois ajouté ce qui suit : Mais, pour que le juste motif puisse être pris en considération, il faut que l’autorité compétente tienne compte des intérêts des créanciers (Tuor/Picenoni, n. 4 ad ar. 576 CC; ESCHER, n. 4 ad art. 576 CC). Devant peser les intérêts respectifs des deux parties, elle peut sans arbitraire considérer que l’impératif de la sécurité juridique des créanciers l’empêche, quatre ans après un décès, d’accorder un nouveau délai aux héritiers. De toute façon, elle a en la matière un large pouvoir d’appréciation, décrit par l’art. 4 CC (cf. Escher, n. 5 ad art. 576 CC).

3.2.1 En l’espèce, il est acquis et non contesté que le délai de répudiation de l’art. 567 al. 1 CC est arrivé à échéance trois mois après la date du décès de E______, soit le ______ 2021, sans avoir été utilisé.

3.2.2 Les appelants font grief à la Justice de paix de ne pas avoir admis l’existence d’un juste motif et de ne pas leur avoir restitué le délai leur permettant de répudier la succession de feu leur père.

Ils allèguent, en substance, avoir appris de leur mère, lors d’un entretien téléphonique du 11 avril 2023, que l’administration fiscale envisageait de procéder à un rappel d’impôts, de réclamer des intérêts moratoires et d’infliger une amende, en lien avec la situation fiscale de leurs parents. Ils ont également allégué qu’avant le rendez-vous entre les avocats fiscalistes de leur mère et l’administration fiscale, les conseils de C______ n’étaient pas en mesure de déterminer comment l’administration allait traiter la situation fiscale des conjoints C______/E______.

Les allégations des appelants n’apparaissent guère crédibles. La capture d’écran du téléphone de C______ permet en effet de constater que l’appel téléphonique du 11 avril 2023 auquel ils se réfèrent n’a duré que deux minutes. Or, une conversation aussi brève ne pouvait permettre à C______ d’expliquer à ses fils la teneur du courrier qu’elle venait de recevoir de son conseil, qui résumait l’entretien, long et complexe, que ses avocats fiscalistes avaient eu avec l’administration fiscale quelques jours plus tôt.

Par ailleurs, l’entretien qui a réuni, le 29 mars 2023, l’administration fiscale et les avocats fiscalistes apparemment mandatés par C______, faisait suite à l’ouverture d’une procédure en rappel et soustraction d’impôts concernant les époux C______/E______, initiée par la même administration fiscale à une date indéterminée, toutefois antérieure au 29 mars 2023. Si l’on en croit les explications de C______, elle aurait été interpellée pour la première fois par l’administration fiscale le 23 septembre 2022, interpellation suivie de plusieurs échanges. Or, dans la mesure où les appelants sont héritiers de leur père, de même que leur autre frère et leur mère, tous quatre ont acquis de plein droit l’universalité de la succession et sont tenus personnellement des dettes du défunt. Il n’est dès lors guère crédible que l’administration fiscale ne se soit adressée qu’à C______, à l’exclusion des autres héritiers de E______, pourtant également tenus personnellement des dettes du défunt, afin de l’informer de l’ouverture d’une procédure en rappel et soustraction d’impôts. Ceci est d’autant plus invraisemblable que tous les héritiers étaient connus de l’administration fiscale, puisqu’ils figuraient sur le certificat d’héritiers. Les appelants, auxquels incombait pourtant la preuve des faits allégués et qui devaient établir l’existence du juste motif invoqué à l’appui de leur requête, n’ont pas produit le courrier de l’administration fiscale annonçant l’ouverture de la procédure dont ils se prévalent. Si, comme ils semblent l’affirmer, ledit courrier et les éventuels courriers successifs n’avaient été adressés qu’à leur mère, il leur aurait été aisé de solliciter de l’administration fiscale qu’elle le confirme, pour les besoins de la présente procédure. En l’absence de ces éléments, pourtant essentiels, il ne saurait être retenu que les appelants n’ont appris que le 11 avril 2023 le fait que le fisc était susceptible de réclamer des arriérés d’impôts ainsi que des intérêts et de leur infliger une amende. Il y a au contraire tout lieu de considérer que les appelants, au même titre que leur mère, ont eu connaissance de l’ouverture de la procédure fiscale au mois de septembre 2022 déjà. Dès ce moment-là, ils étaient par conséquent en mesure de comprendre que ladite procédure était susceptible d’avoir des conséquences importantes sur la succession de feu leur père, puisqu’elle portait sur la soustraction d’impôts pendant plusieurs années et surtout sur le risque d’une prise en compte par le fisc des biens immobiliers sis à Monaco, détenus par le Trust constitué par E______, dont ils ne pouvaient ignorer ni l’existence (ce qu’ils ne prétendent pas), ni l’importance. Ainsi, si les recourants ne pouvaient, à ce moment-là, déterminer précisément les montants qui risquaient d’être réclamés par l’administration fiscale (ce qu’ils n’étaient pas davantage en mesure de faire au moment du dépôt de leur requête devant la Justice de paix), ils pouvaient néanmoins procéder à une estimation, avec l’aide des fiscalistes mandatés par leur mère. Les appelants étaient ainsi en mesure, dès septembre 2022, de solliciter la restitution du délai de répudiation. En attendant le 20 avril 2023 pour ce faire, ils ont trop tardé, de sorte que c’est à juste titre que la Justice de paix les a déboutés des fins de leur requête.

La décision attaquée doit dès lors être confirmée, par substitution de motifs.

3.2.3 Par ailleurs et quoiqu’il en soit, conformément à l’arrêt 104 II 249 mentionné sous considérant 3.1.3 ci-dessus, en tenant compte de l’impératif de la sécurité juridique du créancier, soit en l’espèce l’administration fiscale, il ne se justifie pas, près de trois ans après le décès du de cujus, de restituer à deux de ses héritiers le délai pour répudier sa succession.

Il s’agit là, quoiqu’il en soit, d’un motif supplémentaire allant dans le sens de la confirmation de la décision attaquée.

3.2.4 Au vu de ce qui précède, les questions de savoir si le motif invoqué à l’appui de la requête constitue un juste motif au sens de l’art. 576 CC et si les appelants se sont immiscés dans la succession au sens de l’art. 571 al. 2 CC peuvent souffrir de demeurer indécises.

4. Les frais de la procédure, arrêtés à 2'000 fr. (art. 26, 35 et 67 RTFMC), seront mis conjointement et solidairement à la charge des appelants, qui succombent (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront partiellement compensés avec l’avance de frais versée, en 500 fr., qui reste acquise à l’Etat de Genève. Les appelants seront condamnés, conjointement et solidairement, à verser le solde de frais, en 1’500 fr., à l’Etat de Genève.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l’appel formé par A______ et B______ contre la décision DJP/194/2023 rendue le 22 mai 2023 par la Justice de paix dans la cause C/21722/2020.

Au fond :

Confirme la décision attaquée.

Sur les frais :

Arrête les frais de la procédure d’appel à 2'000 fr., les met conjointement et solidairement à la charge de A______ et de B______ et les compense partiellement avec l’avance de frais versée, qui reste acquise à l’Etat de Genève.

Condamne A______ et B______ à verser à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 1’500 fr. à titre de solde de frais judiciaires.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.