Aller au contenu principal

Décisions | Chambre Constitutionnelle

1 resultats
A/3747/2023

ACST/15/2024 du 17.09.2024 ( INIT ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3747/2023-INIT ACST/15/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 17 septembre 2024

 

dans la cause

 

A______

B______

C______

représentés par Me Raphaël ROUX, avocat recourants

contre

CONSEIL D'ÉTAT

COMITÉ DE L'INITIATIVE POPULAIRE 194 « OUI, JE PROTÈGE LA POLICE QUI ME PROTÈGE ! » intimés


EN FAIT

A. a. D______et E______ sont respectivement présidente et vice-président du COMITÉ D'INITIATIVE 194 « OUI, JE PROTÈGE LA POLICE QUI ME PROTÈGE ! » (ci-après : le comité).

b. A______ (ci-après : A______) est une association de droit suisse. Selon son but statutaire, elle s'efforce de rompre avec une vision statique et conservatrice du droit et de développer des pratiques professionnelles alternatives, offre sa collaboration aux mouvements sociaux et aux organisations syndicales qui travaillent à la défense collective des catégories insuffisamment protégées par l'ordre juridique existant, cherche à promouvoir des réformes législatives dans l'intérêt des justiciables les plus défavorisés, défend les droits et libertés démocratiques contre toute atteinte et peut défendre les intérêts de ses membres en justice.

c. B______ et C______ sont deux citoyens suisses qui exercent leurs droits politiques à Genève.

B. a. Le 2 novembre 2022, D______et E______, représentant le comité, ont informé le Conseil d'État du lancement de l'initiative législative cantonale 194 « Oui, je protège la police qui me protège ! » (ci-après : IN 194), ledit lancement ayant fait l'objet d'une publication dans la Feuille d'Avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 17 novembre suivant. D______ était désignée mandataire du comité et E______ remplaçant. L'IN 194 avait lors de son lancement la teneur suivante :

« Art. 1 Modifications

La loi sur la police […] du 9 septembre 2014 [(LPol - F 1 05)], est modifiée comme suit :

 

Art. 38 bis (nouveau) - Immunité - al.1

1. Les fonctionnaires de police au sens des art. 6 à 14 LPol ne peuvent être convoqués par l'autorité cantonale compétente pour une audition au sens de l'art. 142 [du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0)] en qualité de témoins (art. 162 CPP) ou de personnes appelées à donner des renseignements [ci-après : PADR] (art. 178 CPP) ou de lésés (art. 115 CPP) qu'avec l'autorisation préalable du Commandant.

2. L'autorisation est délivrée si la convocation est en rapport direct avec un acte de fonction du policier, de l'assistant de sécurité publique ou du personnel administratif concerné.

3. Les policiers, les assistants de sécurité publique et le personnel administratif sont au bénéfice d'une immunité de fonction et ne peuvent faire l'objet d'une enquête pénale ou y être convoqués en qualité de prévenus pour des actes en rapport avec l'exercice de leurs fonctions, qu'avec l'autorisation préalable du Grand Conseil.

4. Le Grand Conseil traite de la demande de levée d'immunité conformément aux art. 2 (r) et 216 al. 5 de la loi […] portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève [du 13 septembre 1985 (LRGC - B 1 01)].

5. La personne visée par la demande de levée d'immunité doit être entendue par la Commission législative.

6. Les décisions en matière de levée de l'immunité des policiers, des assistants de sécurité publique et du personnel administratif au sens de la LPol ne sont pas sujettes à recours cantonal.

Art. 67, al. 5 Modifications du (date de l'approbation populaire de l'initiative) (nouveau)

L'entrée en vigueur de la novelle introduisant l'art. 38 bis est conditionnée à la modification de l'art. 7 al. 2 litt. b CPP. A cet effet, le Conseil d'État entreprend les démarches nécessaires dès le vote populaire approuvant l'initiative, directement et en coordination avec la députation genevoise aux Chambres fédérales, l'art. 7 al. 2 litt. b CPP étant modifié en ces termes :

"……de subordonner à l'autorisation d'une autorité non judiciaire l'ouverture d'une procédure pénale pour des crimes ou des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions contre des membres de leurs autorités exécutives ou judiciaires, ainsi que pour les fonctionnaires de police désignés à ce titre par le droit cantonal."

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d’État fixe la date d’entrée en vigueur de la présente loi. »

b. Par arrêté du 14 juin 2023, le Conseil d'État a constaté l'aboutissement de l'IN 194.

c. Les 5 juillet et 13 septembre 2023, le Conseil d'État a sollicité la détermination du comité sur la validité de l'IN 194. Il l'a notamment interrogé sur les points suivants :

-          s'agissant de l'art. 38 bis al. 1 ch. 2, fallait-t-il comprendre, a contrario, que l'autorisation ne serait pas donnée lorsque la convocation était en rapport uniquement avec une affaire privée ? Dans l'affirmative, qu'en était-il du principe de l'égalité de traitement ?

-          une règle de rang législatif instituant une immunité pour un cercle de personnes non mentionné par l'art. 95 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE ‑ A 2 00) était-elle conforme à cet article ?

d. Les 29 août et 28 septembre 2023, le comité a indiqué pouvoir envisager d'accepter une invalidation partielle, limitée à l'art. 67 al. 5.

L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 s'appliquait uniquement si les intéressés étaient convoqués en leur qualité de fonctionnaires de police et donc forcément en lien avec un acte de fonction et ne s'appliquait pas aux affaires privées, les intéressés étant alors convoqués en qualité de citoyens ordinaires.

Rien n'indiquait que le constituant genevois aurait voulu exclure une immunité pénale relative à des fonctionnaires de police. Il n'y avait pas de silence qualifié rendant contraire l'IN 194 à la Constitution cantonale. Une initiative législative cantonale qui étendait aux fonctionnaires de police l'immunité pénale n'entrait pas en conflit avec la norme constitutionnelle cantonale.

C. a. Par arrêté du 11 octobre 2023, publié dans la FAO du 13 octobre 2023, le Conseil d'État a partiellement invalidé l'IN 194 en supprimant l'art. 38 bis (qui serait en réalité l'art. 38A) al. 1 ch. 6 et l'art. 67 al. 5. L'IN 194, telle que validée par le Conseil d'État et dans sa teneur pour transmission au Grand Conseil, a la teneur suivante :

« Art. 1 Modifications

La […] LPol […] est modifiée comme suit :

 

Art. 38 bis (nouveau) - Immunité - al.1

1. Les fonctionnaires de police au sens des art. 6 à 14 LPol ne peuvent être convoqués par l'autorité cantonale compétente pour une audition au sens de l'art. 142 CPP en qualité de témoins (art. 162 CPP) ou de personnes appelées à donner des renseignements (art. 178 CPP) ou de lésés (art. 115 CPP) qu'avec l'autorisation préalable du Commandant.

2. L'autorisation est délivrée si la convocation est en rapport direct avec un acte de fonction du policier, de l'assistant de sécurité publique ou du personnel administratif concerné.

3. Les policiers, les assistants de sécurité publique et le personnel administratif sont au bénéfice d'une immunité de fonction et ne peuvent faire l'objet d'une enquête pénale ou y être convoqués en qualité de prévenus pour des actes en rapport avec l'exercice de leurs fonctions, qu'avec l'autorisation préalable du Grand Conseil.

4. Le Grand Conseil traite de la demande de levée d'immunité conformément aux art. 2 (r) et 216 al. 5 [LRGC].

5. La personne visée par la demande de levée d'immunité doit être entendue par la Commission législative.

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d’État fixe la date d’entrée en vigueur de la présente loi. »

En cas d'acceptation de l'IN 194 par le peuple, les rectifications formelles suivantes devraient être faites : art. « 38A » et non « 38 bis » ainsi que « personnel de police au sens de l'art. 19 LPol » à la place de « fonctionnaires de police au sens des art. 6 à 14 LPol » (art. 38 bis al. 1 ch. 1) et de « policier, […] assistant de sécurité publique […] personnel administratif » (art. 38 bis al. 1 ch. 2 et 3).

L'IN 194 était conforme aux conditions de l'unité de genre et de la matière.

Les propositions formulées par les initiants ne faisaient l'objet d'aucune convention internationale liant la Suisse.

L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 donnait à penser qu'il pouvait s'appliquer également pour une affaire de nature privée, ce qui serait contraire au principe d'égalité de traitement. Vu les explications données par les initiants et en application du principe in dubio pro populo, il serait retenu que la lecture combinée des ch. 1 et 2 permettait d'interpréter la disposition comme visant uniquement des convocations en rapport direct avec un acte de fonction. Une convocation dans le cadre d'une procédure pénale relative à une affaire de nature privée ne pourrait en aucun cas être soumise à autorisation préalable du commandant.

Il apparaissait conforme au droit fédéral d'étendre le cercle des personnes dont la poursuite était soumise à autorisation à Genève, actuellement limité aux Conseillers d'État et aux magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, au personnel de police, cantonal ou communal, prévenu. Cependant, en application du principe in dubio pro populo, les « actes » du ch. 3 devaient être interprétés comme faisant référence aux crimes et aux délits, à l'exclusion des contraventions, conformément à l'art. 7 al. 2 let. b CPP.

Il n'existait aucun problème à ce que la procédure en autorisation soit dévolue au Grand Conseil. Tenir compte de considérations politiques ou de motifs d'opportunité pour le personnel de l'État n'entrant pas dans la catégorie des autorités exécutives ou judiciaires supérieures serait toutefois incompatible avec le principe de l'égalité de traitement. En application du principe in dubio pro populo, l'IN 194 devait donc être considérée comme n'autorisant le Grand Conseil, saisi d'une demande d'autorisation de poursuivre un membre du personnel de la police, à ne prendre en considération que des aspects juridiques de droit pénal pour fonder sa décision, l'autorisation de poursuivre devant être délivrée lorsqu'un comportement susceptible d'avoir des conséquences pénales apparaissait comme au minimum vraisemblable et que des indices suffisants d'un acte punissable existaient. Toutes les personnes concernées avaient le droit d'être entendues.

Les décisions en matière d'autorisation de poursuivre relatives aux membres du personnel de police ne revêtaient pas un caractère politique prépondérant. L'art. 38 bis al. 1 ch. 4 pouvait être maintenu à l'exception de la référence à l'art. 86 al. 3 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ‑ RS 173.110).

Moyennant ces interprétations, l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 à 5 respectait le droit fédéral.

En excluant la voie du recours cantonal contre les décisions en matière d'autorisation de poursuivre, l'art. 38 bis al. 1 ch. 6 était contraire au droit fédéral, en particulier au droit d'accès au juge.

Il ne pouvait être retenu que le constituant genevois entendait expressément exclure le personnel de police du cercle des personnes protégées dont la poursuite était soumise à autorisation, de sorte que l'IN 194 respectait le droit cantonal.

Le comité d'initiative admettait qu'il était possible que l'art. 7 al. 2 let. b CPP ne soit pas modifié dans le sens voulu par l'IN 194 et donc que l'art. 67 al. 5 reste lettre morte. Soumettre à la votation populaire un texte qui pourrait, selon une certaine vraisemblance et au su des autorités et du comité, rester lettre morte, consacrerait une violation des droits politiques. Les citoyens qui choisiraient d'approuver l'IN 194 lors d'un scrutin populaire le feraient avec la volonté que les modifications législatives proposées soient promulguées dans les plus brefs délais, conformément à la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 (LFPP - B 2 05). Il irait à l'encontre de l'expression fidèle et sûre de la volonté de ces citoyens que de leur soumettre un texte qui pourrait ne jamais mener aux modifications souhaitées. L'art. 67 al. 5 était en conséquence contraire au droit supérieur.

L'IN 194 respectait le principe de clarté. L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 à 5 ne générerait pas de difficulté de mise en œuvre insurmontable.

Malgré l'invalidation de l'art. 38 bis al. 1 ch. 6, impliquant qu'en cas d'acceptation de l'IN 194, les décisions en matière d'autorisation de poursuivre devraient faire l'objet d'un contrôle judiciaire, l'initiative conservait un sens et permettait de poursuivre le but des initiants. Les signataires auraient approuvé l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 à 5 s'il leur avait été soumis seul et l'invalidation de l'art. 67 al. 5 permettrait d'atteindre le but des initiants encore plus rapidement. L'invalidation partielle devait être admise.

D. a. Par acte du 13 novembre 2023, B______, C______ et A______ (ci‑après : les consorts) ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre cet arrêté, concluant à sa mise à néant, à la déclaration d'invalidité de l'IN 194 et au paiement d'une indemnité équitable à titre de dépens.

Les fonctionnaires de police ne pouvaient être entendus en qualité de témoins, de PADR ou de lésés qu'avec l'autorisation de la commandante, qui donnait son autorisation si la convocation concernait un fait en lien avec un acte de fonction du fonctionnaire. Ce texte pouvait certes sembler étrange, puisqu'il impliquait que la commandante ne devrait pas donner son autorisation si un policier était lésé dans une affaire privée. Il n'en demeurait pas moins clair. L'art. 38 bis al. 1 ch. 2 n'avait de sens que si la demande devait être faite pour toute audition. À admettre les explications du comité, une autorisation ne devrait être demandée que dans le cas où elle devrait être délivrée, de sorte que le texte serait dépourvu d'objet. De manière générale, les textes législatifs précisaient « dans le cadre de leurs fonctions » lorsqu'ils entendaient limiter leurs effets à cette situation, ce que les initiants avaient d'ailleurs fait à l'art. 38 bis al. 1 ch. 3. La différence entre le régime de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2, d'une part, et celui de l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4 d'autre part, s'expliquait aisément puisque l'art. 7 al. 2 let. b CPP permettait l'octroi d'une immunité uniquement aux actes commis dans l'exercice des fonctions. L'interprétation du Conseil d'État était insoutenable en tant qu'elle allait à l'encontre de la lettre univoque du texte qu'elle entendait éclaircir.

En autorisant la commandante de police à limiter le pouvoir de la justice et de la police de convoquer qui bon leur semblait pour établir les faits dans le cadre des enquêtes pénales, l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 violait l'indépendance du pouvoir judiciaire, la séparation des pouvoirs et l'art. 139 CPP.

Le constituant, qui n'avait pas conscience du fait qu'il serait possible, dès 2011, d'accorder des immunités à des fonctionnaires, avait choisi d'ancrer les immunités et leur levée dans la Cst-GE, car la question entrait en conflit avec un autre principe de rang constitutionnel, soit l'indépendance de la justice. Toute immunité de juridiction devant être levée par un autre pouvoir que le pouvoir judiciaire devait donc être prévue par la Cst-GE. En permettant au Grand Conseil d'entraver le pouvoir de poursuite pénale du pouvoir judiciaire, l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4 violait l'indépendance de ce dernier et des magistrats.

Le Grand Conseil n'avait pas vocation à prendre des décisions en faisant abstraction de tout aspect politique. Pour des membres « non supérieurs » de l'administration, le plaignant devait pouvoir participer à la procédure d'autorisation et la décision d'autorisation devait être motivée. Ces considérations conduisaient la doctrine à considérer que, pour les fonctionnaires « non supérieurs », les autorisations de poursuivre devaient revenir à une autorité judiciaire et non à une autorité politique. En confiant le pouvoir de délivrer l'autorisation de poursuivre des fonctionnaires au Grand Conseil, l'IN 194 entrait en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal fédéral en lien avec l'art. 7 CPP.

Un policier lésé en dehors de ses fonctions ne pourrait pas être entendu en qualité de témoin. L'IN 194 violait le principe de l'obligation de poursuivre.

Le droit international imposait aux autorités pénales d'ouvrir une enquête officielle en cas d'allégations crédibles de mauvais traitements commis par les forces de l'ordre. L'IN 194, en donnant à la hiérarchie policière toute liberté d'autoriser ou d'entraver l'établissement des faits par la justice pénale en décidant quels policiers pourraient être entendus conformément à l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2, était contraire à l'exigence d'indépendance posée par les art. 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

Limiter la possibilité pour le pouvoir judiciaire d'enquêter sur un fonctionnaire sans l'autorisation du pouvoir législatif constituait une entrave à l'indépendance formelle et matérielle de l'organe d'enquête judiciaire. Il ne pouvait exister aucune justification théorique ou pratique à soumettre le pouvoir d'enquête du pouvoir judiciaire sur des fonctionnaires à l'approbation du pouvoir législatif. L'atteinte à l'indépendance de la justice consacrée par l'IN 143 n'était pas nécessaire dans une société démocratique.

La CEDH imposait également une obligation de célérité. Dans l'hypothèse où un policier était impliqué dans le décès d'un administré, il était fondamental que la justice pénale puisse prendre des mesures immédiates, soit entendre sans délai le policier soupçonné et l'ensemble des policiers co-responsables ou témoins. Or l'initiative prévoyait une temporalité longue, voire très longue, vu le fonctionnement du Grand Conseil.

L'ensemble du processus des demandes de levée d'immunité était rigoureusement secret, vu le huis clos applicable devant le Grand Conseil et sa commission judiciaire pour les demandes de levée d'immunité, ce qui était contraire à la transparence des processus de l'enquête en cas d'allégations de violation des art. 2 et 3 CEDH.

b. Le 18 décembre 2023, le Conseil d'État s'est référé à son arrêté.

c. Par réponse du 22 janvier 2024, le comité a conclu au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité, et à l'allocation d'une indemnité de procédure.

A_______ n'alléguait pas être un parti politique ou une organisation à caractère politique formée en vue d'une action précise qui disposerait de la qualité pour recourir pour violation des droits politiques. A______ ne remplissait pas non plus les conditions pour former un recours corporatif. Elle n'avait pas démontré que ses membres avaient individuellement la qualité pour recourir, ni en quoi son recours permettrait de défendre les intérêts de ses membres, ni que son assemblée générale avait donné son accord à l'action en justice. A______ n'avait pas la qualité pour recourir. Le comité s'en rapportait à justice s'agissant de la recevabilité du recours des deux personnes physiques.

En reconnaissant que le texte de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 pouvait paraître étrange, les consorts admettaient eux-mêmes que l'interprétation littérale du texte n'aboutissait pas à une solution claire et univoque car elle entrait d'emblée en conflit avec son interprétation téléologique et systématique. Il était parfaitement légitime et admis de recourir à d'autres méthodes d'interprétation lorsqu'il n'était pas d'emblée clair quel sens les signataires du texte de l'initiative avaient pu raisonnablement lui attribuer, ce que l'autorité avait fait par l'interprétation in dubio pro populo après prise en compte des explications fournies par le comité. L'opportunité d'une proposition des initiants n'était pas une condition de validité d'une initiative populaire.

Selon l'interprétation conforme au droit supérieur, le commandant ne disposait d'aucun pouvoir de véto, pas même pour les cas de peu de gravité. La séparation des pouvoirs ne conférait pas un droit absolu aux magistrats judiciaires, dont les moyens d'action étaient déterminés et limités par la loi, à l'instar de ce qui valait pour la procédure de levée du secret de fonction. L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 n'était pas contraire à la séparation des pouvoirs ni à l'indépendance du pouvoir judiciaire.

S'agissant de l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4, l'IN 194 ne faisait que mettre en œuvre au niveau cantonal une modalité déjà prévue par le législateur fédéral. Le constituant genevois était parfaitement conscient de la teneur de l'art. 7 al. 2 let. b CPP, connue depuis le 5 octobre 2007, lorsqu'il s'était prononcé sur l'adoption de l'art. 95 Cst-GE cinq ans plus tard.

Le Grand Conseil pouvait tout à fait rendre des décisions fondées sur des critères purement juridiques, comme le démontraient certaines de ses compétences. La décision du Grand Conseil pourrait par ailleurs faire l'objet d'un recours.

Le grief de violation de l'art. 7 al. 1 CPP car l'IN 194 empêcherait la mise en œuvre de l'obligation de poursuivre était dénué de fondement, vu qu'une convocation dans le cadre d'une procédure pénale relative à une affaire privée ne serait pas soumise à autorisation, conformément à l'interprétation du Conseil d'État.

Les différents griefs de violation du droit international se confondaient largement avec les griefs de violation du droit interne, mal fondés. Un constat de violation du droit international pourrait tout au plus résulter de l'examen d'un cas concret. Les critiques sous l'angle du droit international se heurtaient à l'art. 190 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le législateur ayant explicitement autorisé les cantons à introduire un système d'immunité pénale de fonctionnaires, système validé par le Tribunal fédéral. La recevabilité du grief de violation du droit international était douteuse. L'IN 194 n'empêcherait aucunement d'enquêter en cas d'allégations de violations substantielles de l'art. 2 ou 3 CEDH, puisque le commandant délivrerait automatiquement son autorisation à la convocation du membre du personnel de police pour une audition en qualité de témoin, de PADR ou de lésé. Dans un tel cas, le Grand Conseil, tenu de statuer en application des critères de droit pénal, lèverait également l'immunité relative. À défaut, un recours permettrait d'y remédier. La critique de violation du principe de célérité était mal fondé, dans la mesure où si ce principe était respecté pour la levée d'immunité des députés, il le serait également pour les membres du personnel de police. Cette critique, tout comme celle du défaut de transparence visait en réalité la procédure prévue par la LRGC, de sorte que ces griefs étaient irrecevables. Les personnes concernées disposeraient d'un droit d'accès au dossier déduit du droit d'être entendues et des règles générales de procédure, ce qui assurait une transparence suffisante de l'instruction préliminaire sous l'angle des exigences déduites de la CEDH.

d. Le 13 février 2024, le Conseil d'État s'en est rapporté à justice sur la qualité pour recourir de A______ et s'est à nouveau référé à son arrêté.

e. Le 28 mars 2024, les consorts ont persisté dans leurs conclusions.

Les initiants reconnaissaient que dans tous les cas, l'autorisation devrait être automatiquement accordée par la commandante et serait inutile également pour le cas d'actes en lien avec les fonctions du policier. Il n'y avait rien d'utile dans les ch. 1 et 2, quelle que soit l'interprétation retenue. Il y avait des intérêts au texte tel qu'il avait été rédigé, soit de faire passer les nécessités organisationnelles de la police avant la manifestation de la vérité devant les autorités pénales et d'assurer une parfaite information de la commandante sur toutes les affaires pénales impliquant des policiers, affaire qui pourraient entraîner des conséquences sur leur fiabilité. La distinction entre privé et professionnel était floue dans ce domaine, un policier consommant des stupéfiants dans un cadre strictement privé devant par exemple probablement faire l'objet d'une procédure disciplinaire. Le Conseil d'État ne pouvait pas « repêcher » un texte clairement contraire au droit dans sa lettre, en soutenant que les initiants avaient écrit le contraire de ce qu'ils avaient pensé. On comprenait de leur réponse que les initiants n'étaient en réalité pas en accord avec l'interprétation du Conseil d'État.

Les initiants affirmaient que les ch. 1 et 2 ne violaient pas le droit supérieur puisqu'ils étaient sans effet. Personne n'avait cependant pensé au cas du refus d'autorisation par la commandante. Il n'existait aucune règle de droit fédéral prévoyant une limitation de la possibilité de convoquer des fonctionnaires. Il s'agissait d'une règle faisant obstacle à l'application du droit fédéral.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître d'un recours interjeté, comme en l’espèce, contre un arrêté du Conseil d’État relatif à la validité d’une initiative populaire (art. 130B al. 1 let. c de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ACST/3/2024 du 18 avril 2024 consid. 1.1).

1.2 Le recours a été interjeté en temps utile, le délai légal ordinaire de 30 jours (art. 62 al. 1 let. a et d de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) s’appliquant en la matière, nonobstant le silence de la loi (ACST/3/2024 précité consid. 1.2). Il respecte en outre les conditions de forme et de contenu prévues aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA.

2.             2.1 Le recours contre une décision relative à la validité d’une initiative rédigée de toutes pièces, comme l’IN 194, concerne le droit de vote des citoyens ainsi que les votations et élections au sens de l’art. 82 let. c LTF. Toute personne physique ayant le droit de vote dans l’affaire en cause est recevable à interjeter un tel recours, de même que les partis politiques et les organisations à caractère politique formées en vue d’une action précise, comme le lancement d’une initiative ou d’un référendum (ATF 147 I 206 consid. 2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2021 du 4 janvier 2022 consid. 1 ; ACST/3/2024 précité consid. 2).

2.2 Dans un arrêt isolé, le Tribunal fédéral, de manière à lier la juridiction cantonale (art. 111 al. 1 LTF), avait admis la qualité pour recourir pour violation des droits politiques d’associations ayant vocation statutaire à défendre les intérêts professionnels et politiques de leurs membres dans une votation concernant leur champ d’activité et pour laquelle une grande partie desdits membres disposait du droit de vote (ATF 130 I 290 consid. 1.3). L'une de ces associations était la Verein Demokratische Juristinnen und Juristen Zürich, soit l'association des juristes démocrates de Zurich. Le Tribunal fédéral s'est depuis lors distancié de cet arrêt, s’en tenant à sa jurisprudence bien établie (ATF 147 I 206 consid. 2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_346/2018 du 4 mars 2019 consid. 3.2), telle qu’exposée ci‑dessus.

2.3 En l’occurrence, il n'est pas contesté que les personnes physiques recourantes ont le droit de vote dans le canton, de sorte qu'elles ont chacune la qualité pour recourir.

Le comité conteste par contre la qualité pour recourir de l'association recourante.

Cette dernière, en tant que personne morale, ne peut pas être titulaire des droits politiques, et ne constitue ni un comité d'initiative, ni un parti politique (ACST/13/2022 du 14 octobre 2022 consid. 2b).

La question de sa qualité pour recourir peut néanmoins souffrir de rester indécise, le recours étant recevable en tant qu'il est interjeté par les deux personnes physiques recourantes, ce qui suffit à entrer en matière sur celui-ci.

3.             Le recours porte sur la conformité au droit de la validation partielle opérée par le Conseil d'État de l’IN 194, soit une initiative législative rédigée de toutes pièces qui prévoit (1) la soumission à autorisation, par le commandant, de la convocation du personnel de police en qualité de témoin, PADR ou lésé et la délivrance de cette autorisation si la convocation est en rapport direct avec un acte de fonction de la personne concernée et (2) l'immunité relative du personnel de police, qui ne peut faire l'objet d'une enquête pénale ou être convoqué en qualité de prévenu pour des actes en rapport avec l'exercice de sa fonction que sur autorisation préalable du Grand Conseil.

3.1 Les trois conditions de validité d’une initiative que prévoit l’art. 60 Cst-GE sont l’unité du genre, l’unité de la matière et la conformité au droit supérieur (ATF 143 I 129 consid. 2.1). S’y ajoutent, déduites de la liberté de vote garantie par les art. 34 al. 2 Cst. et 44 Cst-GE, l’exigence de clarté du texte de l’initiative et celle d’exécutabilité de celle-ci (ATF 133 I 110 consid. 8 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_608/2022 du 17 août 2023 consid. 2).

Une initiative populaire cantonale, quelle que soit sa formulation, doit respecter les conditions matérielles qui lui sont imposées. Elle ne doit, en particulier, rien contenir de contraire au droit supérieur, qu’il soit cantonal, intercantonal, fédéral ou international. En vertu du principe de primauté du droit fédéral ancré à l’art. 49 al. 1 Cst., les cantons ne sont pas autorisés à légiférer dans les matières exhaustivement réglementées par le droit fédéral. Dans les autres domaines, ils peuvent édicter des règles de droit, pour autant qu’elles ne violent ni le sens ni l’esprit du droit fédéral et qu’elles n’en compromettent pas la réalisation (ATF 143 I 129 consid. 2.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_393/2022 du 31 mars 2023 consid. 2.1). Par ailleurs, conformément à l’art. 5 al. 4 Cst., la Confédération et les cantons doivent respecter le droit international.

3.2 Le contrôle de la conformité au droit supérieur d’une initiative rédigée de toutes pièces s’apparente à un contrôle abstrait des normes. Il ne s’agit pas de prévenir uniquement que les citoyens soient exposés à être appelés à voter sur un objet, qui, d’emblée, ne pourrait pas être finalement concrétisé conformément à la volonté exprimée. Une initiative populaire législative formulée se transforme en loi si elle est acceptée par le Grand Conseil ou en votation populaire (art. 61 et 63 Cst-GE ; art. 122B, 123 et 123A LRGC  ; art. 94 al. 3 et 4 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 - LEDP - A 5 05 ; art. 5 ss LFPP), sans que son texte puisse être modifié (sous réserve de la correction d’erreurs matérielles de pure forme ou de peu d’importance mais manifestes ; art. 216A LRGC). Il n’y a pas lieu de prévoir deux intensités différentes du pouvoir d’examen de la chambre constitutionnelle, selon que celle‑ci examine la conformité au droit, respectivement de l’initiative formulée et, subséquemment sur recours abstrait, de la loi adoptée (ACST/33/2021 du 20 septembre 2021 consid. 2).

Il s’agit donc d’appliquer au recours en matière de validité des initiatives populaires formulées pour l’essentiel les mêmes principes d’interprétation, pouvoir d’examen et pouvoir de décision qu’en matière de contrôle abstrait des normes. Il y a lieu de contrôler librement la conformité du texte considéré avec le droit supérieur, tout en s’imposant une certaine retenue, et d’annuler les dispositions considérées seulement si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles ne soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il faut tenir compte notamment de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante, et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée, sans pour autant négliger les exigences qu’impose le principe de la légalité (ATF 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 2 ; ACST/33/2021 précité consid. 2 ; ACST/12/2021 du 15 avril 2021 consid. 2).

3.3 Pour examiner la validité matérielle d’une initiative, la première règle d’interprétation est de prendre pour point de départ le texte de l’initiative, qu’il faut interpréter selon sa lettre. Bien que l’interprétation repose en principe sur le libellé, une référence à la motivation de l’initiative et aux prises de position de ses auteurs n’est pas exclue si elle est indispensable à sa compréhension. La volonté des auteurs doit être prise en compte, à tout le moins, dans la mesure où elle délimite le cadre de l’interprétation du texte et du sens que les signataires ont pu raisonnablement lui attribuer (ATF 147 I 183 consid. 6.2). Au surplus, une disposition ne doit pas être analysée séparément, mais comme la partie d’un tout ; cette interprétation systématique doit examiner non seulement l’emplacement formel de la disposition, mais également la cohérence matérielle des différentes dispositions (ATF 147 I 183 consid. 8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_608/2022 précité consid. 2 et les références citées).

Lorsque, à l’aide des méthodes reconnues, le texte d’une initiative se prête à une interprétation la faisant apparaître comme conforme au droit supérieur, elle doit être déclarée valable et être soumise au peuple. L’interprétation conforme doit ainsi permettre d’éviter autant que possible les déclarations d’invalidité. Tel est le sens de l’adage in dubio pro populo, selon lequel un texte n’ayant pas un sens univoque doit être interprété de manière à favoriser l’expression du vote populaire. Cela découle également du principe de la proportionnalité (art. 34 et 36 al. 2 et 3 Cst.), selon lequel une intervention étatique doit porter l’atteinte la plus restreinte possible aux droits des citoyens. Les décisions d’invalidation doivent autant que possible être limitées, en retenant la solution la plus favorable aux initiants (ATF 147 I 183 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_608/2022 précité consid. 5.1).

Cela étant, la marge d’appréciation de l’autorité de contrôle est évidemment plus grande lorsqu’elle examine une initiative non formulée que lorsqu’elle se trouve en présence d’une initiative rédigée de toutes pièces, sous la forme d’un acte normatif. Cependant, lorsque, de par son but même ou les moyens mis en œuvre, le projet contenu dans une telle initiative ne pourrait être reconnu conforme au droit supérieur que moyennant l’adjonction de réserves ou de conditions qui en modifient profondément la nature, une telle interprétation entre en conflit avec le respect, fondamental, de la volonté des signataires de l’initiative et du peuple appelé à s’exprimer ; la volonté de ce dernier ne doit pas être faussée par la présentation d’un projet qui, comme tel, ne serait pas constitutionnellement réalisable (ATF 143 I 129 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_391/2022 du 3 mai 2023 consid. 3.3).

4.             Les recourants reprochent à l'autorité intimée d'avoir interprété selon l'adage in dubio pro populo l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et de l'avoir validé selon cette interprétation. Ils affirment également que l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 violerait l'art. 139 CPP et le principe de l'obligation de poursuivre.

4.1 La législation en matière de droit pénal et de procédure pénale relève de la compétence de la Confédération (art. 123 al. 1 Cst.). L’organisation judiciaire et l’administration de la justice ainsi que l’exécution des peines et des mesures en matière de droit pénal sont du ressort des cantons, sauf disposition contraire de la loi (art. 123 al. 2 Cst.). La Confédération peut légiférer sur l’exécution des peines et des mesures. Elle peut octroyer aux cantons des contributions :pour la construction d’établissements (let. a), pour l’amélioration de l’exécution des peines et des mesures (let. b), pour le soutien des institutions où sont exécutées les mesures éducatives destinées aux enfants, aux adolescents ou aux jeunes adultes (let. c ; art. 123 al. 3 Cst.).

L’art. 123 al. 1 Cst. fonde la compétence, utilisée en principe de manière exhaustive et non limitée aux principes depuis l’entrée en vigueur du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et du CPP, de la Confédération pour légiférer en matière de droit pénal et de procédure pénale (Stéphane GRODECKI in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand – Cst., 2021, n. 5 ad art. 123).

Ainsi, la Confédération a exercé la compétence en matière de procédure pénale en adoptant le CPP, la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 20 juin 2003 (Droit pénal des mineurs, DPMin - RS 311.1) et la loi fédérale sur l’organisation des autorités pénales de la Confédération du 19 mars 2010 (LOAP - RS 173.31). Il n’en demeure pas moins que le droit fédéral réserve encore explicitement la compétence des cantons sur certaines questions de procédure pénale, consacrant ainsi des réserves proprement dites. C’est notamment le cas pour la réglementation sur la limitation de la responsabilité des membres d’une autorité ou les autorisations de poursuivre (art. 7 al. 2 CPP), la délégation de la poursuite en matière de contravention (art. 17 CPP), la détermination de la langue de la procédure (art. 67 al. 1 CPP), les chroniqueurs judiciaires (art. 72 CPP), la communication d’informations (art. 75 al. 4 CPP) ou de prononcés (art. 84 al. 6 CPP) à d’autres autorités, la délégation des auditions par le Ministère public à ses collaborateurs (art. 142 al. 1 CPP), la possibilité pour la police d’entendre des témoins (art. 142 al. 2 CPP), la réglementation sur les récompenses (art. 211 al. 2 CPP), la désignation des membres du personnel médical tenus d’annoncer les morts suspectes (art. 253 al. 4 CPP), la détermination des personnes soumises à une obligation de dénoncer (art. 302 al. 2 CPP) ou encore la règlementation sur les frais et émoluments (art. 424 CPP). L’adoption de règles dans ce domaine ne doit cependant rien contenir de contraire au but et au sens du droit fédéral (art 49 Cst.). Un canton ne peut ainsi, par exemple, pas compléter les normes du CPP applicables en matière de secret médical (art. 171 al. 1 CPP) pour étendre l’obligation de déposer d’un médecin (Stéphane GRODECKI in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], op. cit., n. 20 s. ad art. 123).

4.2 Le CPP régit la poursuite et le jugement, par les autorités pénales de la Confédération et des cantons, des infractions prévues par le droit fédéral (art. 1 al. 1 CPP).

Les autorités pénales recherchent d’office tous les faits pertinents pour la qualification de l’acte et le jugement du prévenu (art. 6 al. 1 CPP). Elles instruisent avec un soin égal les circonstances qui peuvent être à la charge et à la décharge du prévenu (art. 6 al. 2 CPP).

Les autorités pénales sont tenues, dans les limites de leurs compétences, d’ouvrir et de conduire une procédure lorsqu’elles ont connaissance d’infractions ou d’indices permettant de présumer l’existence d’infractions (art. 7 al. 1 CPP). Les cantons peuvent prévoir d’exclure ou de limiter la responsabilité pénale des membres de leurs autorités législatives et judiciaires ainsi que de leur gouvernement pour des propos tenus devant le parlement cantonal (let. a), de subordonner à l’autorisation d’une autorité non judiciaire l’ouverture d’une poursuite pénale contre des membres de leurs autorités exécutives ou judiciaires, pour des crimes ou des délits commis dans l’exercice de leurs fonctions (let. b ; art. 7 al. 2).

4.3 Le titre 4 du CPP porte sur les moyens de preuves (art. 139 ss CPP).

4.3.1 Le chapitre 1 comporte les dispositions générales (art. 139 ss CPP).

La section 1 de ce chapitre traite de l'administration et de l'exploitation (art. 139 à 141 CPP). Les autorités pénales mettent en œuvre tous les moyens de preuves licites qui, selon l’état des connaissances scientifiques et l’expérience, sont propres à établir la vérité (art. 139 al. 1 CPP). Il n’y a pas lieu d’administrer des preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l’autorité pénale ou déjà suffisamment prouvés (art. 139 al. 2 CPP).

La section 2 du même chapitre concerne les auditions (art. 142 à 146 CPP). Selon l'art. 142 CPP, intitulé « Autorités pénales compétentes en matière d'auditions », les auditions sont exécutées par le Ministère public, les autorités pénales compétentes en matière de contraventions et les tribunaux. La Confédération et les cantons déterminent dans quelle mesure les collaborateurs de ces autorités peuvent procéder à des auditions (al. 1). La police peut entendre les prévenus et les personnes appelées à donner des renseignements. La Confédération et les cantons peuvent désigner les membres des corps de police qui sont habilités à entendre des témoins sur mandat du Ministère public (al. 2).

L’art. 142 al. 1 2e phr. CPP nuance la portée de la règle générale de la première phrase puisqu’il dispose que la Confédération et les cantons peuvent établir des réglementations qui confèrent expressément aux collaborateurs de ces autorités, notamment aux greffiers ou aux secrétaires de tribunaux, la compétence de procéder à des auditions. L’audition peut porter sur celle des prévenus, des PADR comme des témoins. Cette faculté n’annule en aucun cas le droit de participation des parties, tel qu’il découle de l’art. 147 CPP (Laurent MOREILLON/Aude PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, 2e éd., 2017, n. 5 ad art. 142).

4.3.2 Le chapitre 3 du titre 4 du CPP porte sur les témoins (art. 162 ss CPP).

La section 1 de ce chapitre comprend les dispositions générales (art. 162 à 167 CPP). On entend par témoin toute personne qui n’a pas participé à l’infraction, qui est susceptible de faire des déclarations utiles à l’élucidation des faits et qui n’est pas entendue en qualité de PADR (art. 162 CPP). Le lésé est entendu en qualité de témoin (art. 166 al. 1 CPP). L’audition en qualité de PADR selon l’art. 178 est réservée (art. 166 al. 2 CPP). Toute personne âgée de plus de quinze ans et capable de discernement quant à l’objet de l’audition a la capacité de témoigner (art. 163 al. 1 CPP). Toute personne capable de témoigner a l’obligation de témoigner et de dire la vérité; le droit de refuser de témoigner est réservé (art. 163 al. 2 CPP).

La section 2 du même chapitre traite du droit de refuser de témoigner (art. 168 ss CPP). L'art. 168 concerne le droit de refuser de témoigner pour cause de relations personnelles, l'art. 169 le droit de refuser de témoigner pour sa propre protection ou celle d’un proche, l'art. 170 le droit de refuser de témoigner fondé sur le secret de fonction, l'art. 171 le droit de refuser de témoigner fondé sur le secret professionnel, l'art. 172 la protection des sources des professionnels des médias et l'art. 173 le droit de refuser de témoigner fondé sur d’autres devoirs de discrétion. L'art. 176 prévoit la sanction du refus injustifié de témoigner.

4.3.3 Le chapitre 4 du même titre traite des PADR (art. 178 ss CPP).

Est entendu en qualité de PADR quiconque s’est constitué partie plaignante (let. a), n’a pas encore 15 ans au moment de l’audition (let. b), n’est pas en mesure de comprendre pleinement la déposition d’un témoin en raison d’une capacité de discernement restreinte (let. c), sans être soi-même prévenu, pourrait s’avérer être soit l’auteur des faits à élucider ou d’une infraction connexe, soit un participant à ces actes (let. d), doit être interrogé comme co-prévenu sur un fait punissable qui ne lui est pas imputé (let. e), a le statut de prévenu dans une autre procédure, en raison d’une infraction qui a un rapport avec les infractions à élucider (let. f), a été ou pourrait être désigné représentant de l’entreprise dans une procédure dirigée contre celle-ci, ainsi que ses collaborateurs (let. g ; art. 178 CPP). La police interroge en qualité de PADR les personnes qui ne peuvent être considérées comme des prévenus (art. 179 al. 1 CPP).

Les PADR au sens de l’art. 178 let. b à g CPP ne sont pas tenues de déposer ; au surplus, les dispositions concernant l’audition de prévenus leur sont applicables par analogie (art. 180 al. 1 CPP). Le prévenu n’a pas l’obligation de déposer contre lui-même. Il a notamment le droit de refuser de déposer et de refuser de collaborer à la procédure (art. 113 al. 1 CPP). La partie plaignante (art. 178 let. a CPP) est tenue de déposer devant le Ministère public, devant les tribunaux et devant la police si l’audition est effectuée sur mandat du Ministère public. Au surplus, les dispositions concernant les témoins sont applicables par analogie, à l’exception de l’art. 176 CPP (art. 180 al. 2 CPP).

4.4 Tout mandat de comparution du Ministère public, des autorités pénales compétentes en matière de contraventions et des tribunaux est décerné par écrit (art. 201 al. 1 CPP). Le mandat contient la désignation de l’autorité qui l’a décerné et les personnes qui exécuteront l’acte de procédure (let. a), la désignation de la personne citée à comparaître et la qualité en laquelle elle doit participer à l’acte de procédure (let. b), le motif du mandat, pour autant que le but de l’instruction ne s’oppose pas à cette indication (let. c), le lieu, la date et l’heure de la comparution (let. d), la sommation de se présenter personnellement (let. e), les conséquences juridiques d’une absence non excusée (let. f), la date de son établissement (let. g), la signature de la personne qui l’a décerné (let. h ; art. 201 al. 2 CPP). Quiconque est cité à comparaître par une autorité pénale est tenu de donner suite au mandat de comparution (art. 205 al. 1 CPP). Celui qui est empêché de donner suite à un mandat de comparution doit en informer sans délai l’autorité qui l’a décerné ; il doit lui indiquer les motifs de son empêchement et lui présenter les pièces justificatives éventuelles (art. 205 al. 2 CPP). Le mandat de comparution peut être révoqué pour de justes motifs. La révocation ne prend effet qu’à partir du moment où elle a été notifiée à la personne citée (art. 205 al. 3 CPP). Celui qui, sans être excusé, ne donne pas suite ou donne suite trop tard à un mandat de comparution décerné par le Ministère public, une autorité pénale compétente en matière de contraventions ou un tribunal peut être puni d’une amende d’ordre ; en outre, il peut être amené par la police devant l’autorité compétente (art. 205 al. 4 CPP).

4.5 En principe, l'obligation de comparaître se différencie de l’obligation de déposer, en ce sens que la première lie toute personne citée régulièrement pour être entendue en qualité de témoin, alors même qu’elle n’a pas l’obligation de déposer, sous peine d’être condamnée à payer les frais de renvoi éventuel de l’audience, voire à une peine disciplinaire. L’obligation de déposer dépend quant à elle d’une éventuelle dispense. Dans la pratique toutefois, il est possible de déroger à l’obligation de comparaître dès lors que le témoin peut invoquer une dispense de déposer. Des dispenses de déposer sont, en effet, prévues par les art. 168 à 173 CPP, soit pour cause de relations personnelles, pour assurer sa propre protection, ou encore au nom du secret professionnel ou de fonction ou d’un autre devoir de discrétion, et se justifient par les doutes existant quant à leur fiabilité, leur authenticité ou encore leur impartialité. En dehors de ces droits, tout refus est injustifié et expose le témoin à une amende d’ordre et à une astreinte à supporter les frais et les indemnités occasionnés par son refus, comme le prévoit l'art. 176 CPP. Il existe toutefois certaines exceptions et particularités : les personnes bénéficiant de l’immunité diplomatique ne sont pas tenues de donner leur témoignage et du coup, elles ne sont pas non plus tenues de comparaître (art. 31 ch. 2 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 - RS 0.191.01) ; s’agissant des personnes qui ont leur domicile à l’étranger, même si elles sont de nationalité suisse, elles échappent à l’obligation de comparaître dans la mesure où elles ne sont pas soumises à la législation suisse (Nathalie DONGOIS in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], Commentaire Romand – CPP, 2e éd., 2019, n. 9 s. ad art. 163).

4.6 Quiconque révèle un secret à lui confié en sa qualité de membre d’une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il a eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi ou en tant qu’auxiliaire d’une autorité ou d’un fonctionnaire, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. La révélation demeure punissable alors même que la charge ou l’emploi ou l’activité auxiliaire a pris fin. (art. 320 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0). La révélation n’est pas punissable si elle est faite avec le consentement écrit de l’autorité supérieure (art. 320 ch. 2 CP). Il arrive que, pour certaines catégories d'agents publics souvent appelés à intervenir devant les tribunaux (policiers, assistants sociaux, etc.) une autorisation générique soit accordée (Jean-Marc VENIORY in Alain MACALUSO/Laurent MOREILLON/Nicolas QUELOZ, Commentaire romand – Code pénal II – Art. 111-392 CP, 2017, n. 38 ad art. 320).

À Genève, une telle autorisation générique est accordée par l'art. 24 al. 7 LaCP, selon lequel, dans ses rapports avec les autres autorités de poursuite pénale et avec les tribunaux, au sens des art. 12 et 13 CPP, le personnel de la police n’est pas tenu au secret de fonction. L'art. 24 al. 7 LaCP formalise une pratique qui existait de longue date (voir §6.2 de l'ordre de service sur le secret de fonction du département en charge de la police du 23 avril 1997 - OS DERS.04, disponible sur https://www.ge.ch/document/33523/telecharger, consulté le 17 septembre 2024).

4.7 En l'espèce, l'autorité intimée a notamment retenu que l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 respectait le droit fédéral pour autant qu'il soit interprété comme ne s'appliquant qu'aux procédures pénales en rapport direct avec un acte de fonction du personnel de police concerné, à l'exclusion des affaires pénales de nature privée le concernant.

L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 prévoit que le personnel de police ne peut être convoqué par l'autorité cantonale compétente pour une audition au sens de l'art. 142 CPP en qualité de témoin (art. 162 CPP), de PADR (art. 178 CPP) ou de lésé (art. 115 CPP) qu'avec l'autorisation préalable du commandant. L'art. 38 bis al. 1 ch. 2 prévoit quant à lui que l'autorisation est délivrée si la convocation est en rapport direct avec un acte de fonction du personnel de police concerné.

4.7.1 Les recourants affirment que le texte de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2, clair, ne laisse pas de place à l'interprétation. Il prévoirait la soumission à autorisation de toute convocation d'un fonctionnaire de police, que ce soit pour une affaire en lien avec un acte de fonction ou pour une affaire strictement privée.

Le ch. 1 vise la convocation de « fonctionnaires de police », ce qui peut donner à penser qu'ils sont entendus en tant que tels, et donc pour des faits en lien avec l'exercice de leurs fonctions.

Il ne le spécifie cependant pas expressément, alors que le ch. 3 le fait : « pour des actes en rapport avec l'exercice de leurs fonctions ». Par ailleurs, le ch. 2 précise que l'autorisation doit être délivrée si la convocation est en rapport direct avec un acte de fonction, ce qui présuppose que cette condition ne soit pas la même que pour la soumission à autorisation et pourrait donner à penser que le ch. 1 vise également les affaires de nature privée.

Le libellé de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 ne conduit par conséquent pas à une interprétation univoque, contrairement à ce qu'affirment les recourants, de sorte que c'est a priori à juste titre que l'autorité intimée l'a interprété et s'est référée pour ce faire à la motivation de l'initiative et aux prises de position des initiants.

L'exposé des motifs de l'initiative ne contient aucune précision sur cette question. Dans leur prise de position du 29 août 2023, les initiants ont indiqué que l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 s'appliquait à l'évidence uniquement si les intéressés étaient convoqués en leur qualité de fonctionnaires de police, en lien avec un acte de fonction, et non dans les affaires privées, les intéressés n'étant alors pas convoqués en qualité de fonctionnaires de police mais en tant que citoyens ordinaires.

Cela a conduit le Conseil d'État, en vertu du principe in dubio pro populo, à retenir que les convocations devaient être en lien direct avec l'exercice des fonctions et qu'elles devaient ensuite automatiquement être autorisées en vertu du ch. 2.

Or, le fait de prévoir la même condition pour la soumission à autorisation que pour l'octroi de ladite autorisation, soit le lien direct avec l'exercice des fonctions, paraît avoir peu de sens et peut difficilement correspondre à ce que souhaitaient les initiants. L'on peut donc se demander si l'interprétation à laquelle a abouti l'autorité intimée n'est pas en réalité contraire à la volonté de ces derniers.

Cette question peut cependant souffrir de demeurer indécise, vu ce qui suit.

4.7.2 En effet, les recourants invoquent également une violation des art. 7 al. 1 et 139 CPP.

L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 ne concerne pas l'organisation de la police, contrairement à ce que tend à indiquer le fait que l'IN 194 vise la modification de la LPol, mais relève de la procédure pénale, puisque la convocation comme témoin ou PADR de toute personne, y compris d'une personne appartenant au personnel de police, intervient dans le cadre d'une telle procédure.

Or, comme le relève l'arrêté attaqué, la procédure pénale relève de la compétence de la Confédération, compétence que celle-ci a exercée par l'adoption du CPP, lequel ne réserve pas la possibilité de soumettre à autorisation la convocation comme témoin ou comme PADR de certaines catégories de personnes comme le personnel de police. En particulier, l'art. 7 al. 2 let. b CPP ne concerne pas la convocation comme témoin ou comme PADR, mais la poursuite pénale, ce qui n'est pas l'objet de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2, et aucune autre disposition n'accorde une telle possibilité aux cantons.

Le CPP prévoit au contraire la maxime de l'instruction, qui implique de convoquer, en lui adressant un mandat de comparution, un membre du personnel de police si c'est une mesure d'instruction qui permet d'établir des faits pertinents et qui, partant, est propre à établir la vérité matérielle. Il prévoit également une obligation de comparaître, qui s'applique à toute personne faisant l'objet d'un mandat de comparution, membre du personnel de police ou non. Il prévoit finalement une obligation de déposer, sous réserve du droit de refuser prévu dans certaines situations définies mais qui ne comprennent pas celle du refus d'autorisation du commandant pour le personnel de police.

Par conséquent, contrairement à ce qu'a retenu l'autorité intimée, la convocation d'un témoin ou d'un PADR ne peut pas être soumise à autorisation, même si le témoin ou le PADR en question est un membre du personnel de police et que l'audition porte sur des faits en lien direct avec ses fonctions. L'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 est donc contraire au droit fédéral et le grief de violation du CPP sera admis quant à cette disposition.

5.             Les recourants affirment ensuite que l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4 serait contraire à l'art. 95 Cst-GE.

5.1 L’interprétation d’une norme constitutionnelle suit en règle générale les principes développés en matière d’interprétation de la loi. Des particularités propres aux normes de niveau constitutionnel doivent cependant être prises en compte : il en va en particulier du caractère largement abstrait de telles normes qui fixent souvent des principes et ne comportent qu'une faible densité normative. Dans ce contexte, tant que le constituant n'a pas accordé à certaines normes un caractère prépondérant par rapport à d'autres, il faut – pour les interpréter les unes avec les autres – partir du principe qu'elles sont toutes de rang égal (ATF 139 I 16 consid. 4.2.1). L'interprétation doit tendre à une concordance de l'ensemble des normes constitutionnelles, ce que le Tribunal fédéral a qualifié d'interprétation « harmonisante » (arrêt du Tribunal fédéral 1C_393/2022 du 31 mars 2023 consid. 3.1 et les références citées). Dès lors, le simple fait qu'une disposition constitutionnelle soit plus récente qu'une autre n'implique pas nécessairement qu'elle prévale sur des normes plus anciennes ; une interprétation qui reposerait sur un examen isolé et ponctuel de la disposition en cause n'a pas lieu d'être (ATF 139 I 16 consid. 4.2.1 et 4.2.2). Sous réserve de ce qui précède, la Constitution s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 144 V 313 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_393/2022 précité consid. 3.1).

5.2 La poursuite pénale des membres du Conseil d’État, de la magistrature du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions est soumise à l’autorisation préalable du Grand Conseil (art. 95 Cst-GE).

5.3 Un silence qualifié ne peut être admis qu’en cas d’absence de norme voulue par le législateur, constitutive en quelque sorte d’une norme négative. Il doit être respecté, dans le sens qu’il n’y a pas place pour le comblement d’une lacune (ACST/4/2018 du 29 mars 2018 consid. 5b et les références citées). Selon le Tribunal fédéral, un silence qualifié suppose que le législateur a identifié un problème déterminé et qu’il a délibérément renoncé à le résoudre, intention négative qui s’exprime généralement dans les travaux préparatoires (ATF 140 III 251 consid. 4.2 ; 132 III 470 consid. 5.1).

5.4 En l'occurrence, lors des débats d'adoption de la Constitution genevoise, l'Assemblée constituante n'a pas du tout abordé la question de savoir si l'art. 95 Cst-GE devait être élargi pour englober également d'autres personnes comme les fonctionnaires de police.

Lors de la première lecture, la disposition proposée prévoyait uniquement l'immunité des membres du Conseil d'État et renvoyait simplement à la loi. Il a alors été proposé de remplacer cet article par un article reprenant la pratique d'alors : soit la soumission à approbation préalable du Grand Conseil de la poursuite de membres du Conseil d'État ou de magistrats du Pouvoir judiciaire, exclusivement pour des infractions commises dans l'exercice de leur fonction (Bulletin officiel de l'Assemblée constituante genevoise, tome XVI, p. 8690). À la deuxième lecture, la disposition a ensuite été supprimée, pour des questions d'allègement : la question était déjà réglée dans la loi et il n'y avait pas besoin d'inscrire cela au niveau constitutionnel. Elle a toutefois retrouvé sa place à la troisième lecture, en incluant la Cour des comptes afin de reprendre la situation qui prévalait dans la loi. Il s'agissait d'inscrire cette immunité dans la Constitution cantonale à des fins symboliques, pour dissuader les quérulents, mais aussi pour une dimension « citoyenne », de vitrine, consistant à dire comment le pouvoir fonctionne et dans quelles conditions (Bulletin officiel de l'Assemblée constituante genevoise, tome XXV, p. 13209 ss).

Par conséquent, l'Assemblée constituante a uniquement traité la question de l'immunité des élus, mais n'a pas examiné celle de l'immunité du personnel étatique, en particulier du personnel de police. Par ailleurs, la raison pour laquelle il a été choisi de faire figurer l'immunité des élus dans la loi fondamentale, soit la « dimension citoyenne de vitrine », ne s'applique pas de la même manière au personnel étatique qu'aux élus, ce qui démontre que le fait de prévoir l'immunité du personnel étatique dans la loi ne va pas à l'encontre de la volonté du constituant.

C'est donc à juste titre que l'autorité intimée a retenu qu'il n'y avait pas de silence qualifié et que l'art. 95 Cst-GE n'empêchait pas de soumettre à autorisation préalable la poursuite pénale du personnel de police pour des actes en rapport avec l'exercice de ses fonctions.

Le grief sera par conséquent écarté.

6.             Les recourants soutiennent ensuite que l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4, en confiant la compétence pour délivrer l'autorisation au Grand Conseil, violerait l'indépendance du pouvoir judiciaire, le principe de la séparation des pouvoirs et l'art. 7 al. 2 let. b CPP.

6.1 Conformément aux art. 3, 47 et 51 Cst., les cantons s'organisent librement, selon leurs propres choix, dans les limites qui découlent du droit fédéral.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le principe de la séparation des pouvoirs constitue un droit constitutionnel, qui résulte de la répartition des tâches étatiques entre divers organes, dont le particulier peut se prévaloir pour exiger le respect de la répartition constitutionnelle des compétences (ATF 145 V 580 ; 93 I 38 ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. I : l'État, 4e éd., 2021, n. 1807).

6.2 À Genève, l'art. 2 al. 2 Cst-GE prévoit que les structures et l’autorité de l’État sont fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs.

6.2.1 Le Grand Conseil exerce le pouvoir législatif (art. 80 Cst-GE).

La section 4 du chapitre I, sur le Grand Conseil, du titre IV, relatif aux autorités, de la Cst-GE porte sur les compétences de ce dernier (art. 91 à 100 Cst-GE).

Le Grand Conseil adopte les lois (art. 91 al. 1 Cst-GE). Le préavis du Conseil d’État est requis dans tous les cas où le Grand Conseil est appelé à statuer sur les relations extérieures et les affaires fédérales (art. 92 Cst-GE). Le Grand Conseil autorise par voie législative la ratification des conventions intercantonales (art. 93 al. 1 Cst-GE). Les conventions intercantonales font l’objet d’une évaluation périodique (art. 93 al. 2 Cst-GE). L'art. 93 Cst-GE ne s’applique pas aux conventions intercantonales concernant des sujets de rang réglementaire (art. 93 al. 3 Cst-GE). Le Grand Conseil exerce la haute surveillance sur le Conseil d’État, l’administration et les institutions cantonales de droit public, ainsi que sur la gestion et l’administration du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes (art. 94 Cst-GE). Vient ensuite l'art. 95 Cst-GE, déjà cité. Selon l'art. 96 Cst-GE, le Grand Conseil adopte le budget annuel, autorise les dépenses et approuve les comptes annuels ; il fixe les impôts. En adoptant le budget, le Grand Conseil ne peut dépasser la somme totale des dépenses inscrites dans le projet qui lui est soumis sans prévoir concurremment la couverture financière de ce dépassement. L’emprunt ne peut être considéré comme une couverture financière (art. 97 Cst‑GE). Le Grand Conseil approuve par voie législative l’aliénation de tout immeuble propriété de l’État ou d’une personne morale de droit public à des personnes physiques ou morales autres que les personnes morales de droit public, sous réserve des exceptions prévues par l'al. 2 et 3 (art. 98 al. 1 Cst-GE). Le Grand Conseil exerce le droit de grâce (art. 99 al. 1 Cst-GE). Le Grand Conseil peut accorder l’amnistie générale ou particulière par voie législative (art. 100 al. 1 Cst‑GE).

6.2.2 Le pouvoir judiciaire est exercé par le Ministère public (let. a), les juridictions en matière constitutionnelle, administrative, civile et pénale (al. 2 ; art. 116 al. 1 Cst‑GE). L’autonomie du pouvoir judiciaire est garantie (art. 117 al. 1 Cst‑GE).

6.3 Sont considérées comme des autorités exécutives au sens de l'art. 7 al. 2 let. b CPP toutes les organisations qui remplissent des fonctions publiques, notamment la police (ATF 137 IV 269 in JdT 2012 IV 190 consid. 2.1).

Selon la jurisprudence, dans une procédure d’autorisation de poursuivre qui ne concerne pas des autorités supérieures, exécutives ou judiciaires, seuls des aspects de droit pénal doivent être pris en compte, à l'exclusion de motifs politiques ou d'opportunité (ATF 137 IV 269 in JdT 2012 IV 190 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_354/2023 du 11 janvier 2024 consid. 3 ; Laurent MOREILLON/Aude PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 17 ad art. 7 ; Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 26a ad art. 7). Une autorisation de poursuivre n’entre ainsi en ligne de compte qu’en présence d’indices quant à la commission d’une infraction pénale mais, dans la mesure où elle apparaît, sur le plan matériel, comparable à une entrée en matière sur les faits considérés, elle doit être accordée déjà en cas de faibles soupçons d’une infraction (ATF 149 IV 183 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral, 1C_355/2018 du 14 novembre 2018 consid. 2.3 ; Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 26b ad art. 7).

L'autorisation de poursuivre est une condition de recevabilité de la procédure pénale mais constitue une procédure administrative distincte, ce qui a mené le Tribunal fédéral à considérer la voie du recours en matière de droit public ouverte lorsque l'exception de l'art. 83 let. e LTF n'est pas réalisée (ATF 137 IV 269 in JdT 2012 IV 190 consid. 1.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 1D_7/2022 du 1er décembre 2022 consid. 2 ; 1C_367/2021 du 11 novembre 2021 consid. 1.3). Ainsi, l’autorisation de poursuivre est un acte administratif et en aucun cas un acte juridictionnel (Laurent MOREILLON/Aude PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 17 ad art. 7 ; Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 22 ad art. 7). La procédure en elle-même ne heurte par conséquent pas la séparation des pouvoirs (Laurent MOREILLON/Aude PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 17 ad art. 7 ; Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 22 ad art. 7).

Certains auteurs nuancent néanmoins cette conclusion au regard des critères d'appréciation de l'autorité (Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 22 ad art. 7) : au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle des considérations politiques ou des motifs d’opportunité ne peuvent être pris en considération que dans les cas visant les membres d’autorités cantonales supérieures, les autorisations de poursuivre des membres « non supérieurs » devraient revenir à une autorité pénale, puisque les critères présidant à la décision ne se rattachent qu’aux aspects pénaux du dossier. Il devrait en principe s’agir d’une instance juridictionnelle ou éventuellement du procureur général ou d’un procureur « extraordinaire » (Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 27 ad art. 7).

Dans l'ATF 137 IV 269 (JdT 2012 IV 190), qui concernait des fonctionnaires de police, le Tribunal fédéral a examiné s'il était possible de confier la procédure d'autorisation à une autorité judiciaire. Il a constaté qu'un canton pouvait ne pas faire usage ou ne faire usage que partiellement des compétences législatives conférées par l’art. 7 al. 2 let. b CPP. Toutefois, lorsqu’il créait une réglementation cantonale, il devait tenir compte du droit fédéral. L’art. 7 al. 2 let. b CPP prévoyait expressément qu’une procédure d’autorisation devant une autorité non judiciaire était possible. Le législateur fédéral ne voulait pas, par cette disposition, exclure pour les cantons la possibilité de désigner une autorité judiciaire pour autoriser la procédure. S’il était possible pour les cantons de prévoir, pour la procédure d’autorisation, des autorités non judiciaires, il leur était à plus forte raison permis, en vertu du principe a maiore ad minus, de recourir à des autorités judiciaires qui jouissaient de leur indépendance. Il serait faux de conclure que le législateur fédéral, en adoptant l’art. 7 al. 2 let. b CPP, avait voulu interdire aux cantons de prévoir des autorités judiciaires pour accorder l’autorisation, puisqu’il a prévu de telles autorités au niveau fédéral (consid. 2.2).

6.4 Pour les crimes et les délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, les conseillers d'État et les magistrats du pouvoir judiciaire ne peuvent être poursuivis pénalement qu'avec l'autorisation préalable du Grand Conseil (art. 7 al. 2 let. b CPP ; art. 10 al. 1 de la loi d’application du code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 -LaCP - E 4 10). Le Ministère public demande l'autorisation de poursuivre (art. 10 al. 2 LaCP). La décision du Grand Conseil est prise à la majorité absolue et sur présentation d'un rapport de la commission législative, qui aura notamment entendu celui qui fait l'objet de la demande d'autorisation de poursuivre (art. 10 al. 3 LaCP). Le Grand Conseil délibère à huis clos (art. 10 al. 4 LaCP).

En matière d’immunité et de poursuite sur autorisation, les magistrats de la Cour des comptes sont assimilés aux magistrats du pouvoir judiciaire (art. 23 al. 1 de la loi sur la surveillance de l'État du 13 mars 2014 - LSurv - D 1 09). Les art. 9 et 10 LaCP s’appliquent par analogie (art. 23 al. 2 LSurv).

Le Grand Conseil a notamment la compétence de se prononcer sur les demandes de levée d'immunité ; revêtant un caractère politique prépondérant au sens de l'art. 86 al. 3 LTF, les décisions en matière de levée d’immunité ne sont pas sujettes à recours cantonal (art. 2 let. r LRGC). Lorsqu’une demande de levée d’immunité est adressée au Grand Conseil, elle est renvoyée par le bureau à la commission législative, sans passer par le plénum. La commission législative siège à huis clos pour examiner les demandes de levée d’immunité (art. 216 al. 5 LRGC).

6.5 L'art. 10 LaCP est une reprise, sans changement, de l'ancien art. 5 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40 ; MGC 2007-2008/XI A 12658).

L'ancien art. 5 LREC, abrogé lors de l'entrée en vigueur de la LaCP, prévoyait que des poursuites pénales contre les membres du Conseil d'État, les membres de la Cour des comptes et contre les magistrats du pouvoir judiciaire pour les infractions commises par eux dans l'exercice de leurs fonctions ne pouvaient être ouvertes qu'avec l'autorisation préalable du Grand Conseil, lequel délibérait à huis clos. Cette disposition, qui n'existait pas auparavant, a été introduite lors de l'adoption de la LREC en 1989 (MGC 1987 32/III 4057, p. 4084 s.). Elle a fait l'objet de longues discussions au sein de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi sur la responsabilité de l'État et des communes (PL 6'018‑A), qui avait décidé de l'approuver en partie dans le souci de protéger les magistrats de pressions abusives, en partie aussi dans celui de situer sur un plan politique et non seulement judiciaire le problème de la responsabilité pénale pouvant découler d'actes commis par eux dans l'exercice de leurs fonctions (MGC 1989 7/I 876, p. 880). Plusieurs commissaires s'étaient posé la question de savoir si l'autorisation préalable à la poursuite pénale dirigée contre un magistrat des pouvoirs exécutif ou judiciaire devait être donnée par le Grand Conseil ou par le Conseil d'État. C'était finalement au choix du Grand Conseil que la commission s'était ralliée, en constatant qu'il en avait été de même dans tous les cantons qui avaient légiféré en ce sens. La logique le commandait d'ailleurs, le Grand Conseil exerçant une des prérogatives de surveillance des institutions politiques qui lui incombaient naturellement (MGC 1989 7/I 876, p. 883).

6.6 Le canton de Zurich a prévu la nécessité d'une autorisation de poursuivre pour les fonctionnaires pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, donnant la compétence pour la délivrer au Tribunal supérieur (« Obergericht »), sous réserve de la compétence du Grand Conseil (§ 148 Gesetz über die Gerichts- und Behördenorganisationim Zivil- und Strafprozess du 10 mai 2010 - GOG-ZH - 211.1), compétent pour les membres du Grand Conseil, du Conseil d'État ou d'un tribunal cantonal supérieur (§ 131 ss Kantonsratsgesetz du 25 mars 2019 – KRG-ZH - 171.1). Dans le canton de Saint-Gall, qui connaît également l'autorisation de poursuivre pour le personnel du canton mais aussi des communes, la compétence a été octroyée à la chambre d'accusation (« Anklagekammer »), sauf compétence du Grand Conseil (art. 17 al. 2 let. b Einführungsgesetzzur Schweizerischen Straf- und Jugendstrafprozessordnung du 3 août 2010 - EG StPO-SG - 962.1).

Le canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures a prévu la compétence d'une commission d'éthique (« Standeskomission ») pour la poursuite des membres des autorités exécutives et judiciaires (art. 4 Einführungsgesetz zur Schweizerischen Strafprozessordnung du 26 avril 2009 - EG StPO-AI - 312.000).

Le canton du Jura ne soumet à autorisation, du parlement, que la poursuite de membres du gouvernement, des juges et des procureurs (art. 66 al. 2 de la loi sur le personnel de l'État du 22 septembre 2010 - LPer-JU - 173.11). Le canton de Vaud prévoit la compétence du bureau du Grand Conseil, du Conseil de la magistrature ou du Collège des procureurs selon la personne visée, mais seuls sont concernés les membres du Conseil d'État, les juges et les procureurs (art. 18 de la loi vaudoise d'introduction du code de procédure pénale suisse du 19 mai 2009 - LVCPP-VD - 312.01). Dans le canton de Fribourg, le Grand Conseil est compétent pour délivrer l'autorisation de poursuivre les juges (art. 111 de la loi sur la justice du 31 mai 2010 - LJ-FR -130.1) et les membres du Conseil d’État (art. 118 de la loi sur l'organisation du Conseil d'État et de l'administration du 16.10.2001 - LOCEA-FR - 122.0.1). À Neuchâtel, la poursuite des membres du Conseil d'État est soumise à autorisation du Grand Conseil (art. 50 al. 1 de la loi sur l'organisation du Conseil d'État et de l'administration cantonale du 22 mars 1983 - LCE-NE - 152.100). Le canton de Berne prévoit la compétence du Grand Conseil pour délivrer l'autorisation de poursuivre les membres de la Cour suprême, du Tribunal administratif ou du Parquet général (art. 32 de la loi sur l'organisation des autorités judiciaires et du Ministère public du 11 juin 2009 - LOJM-BE - 161.1) et les membres du Conseil-exécutif (art. 18 de la loi sur l'organisation du Conseil-exécutif et de l'administration du 20 juin 1995 - Loi d'organisation, LOCA-BE - 152.01).

6.7 Sur le plan fédéral, étant souligné que l'art. 7 al. 2 let. b CPP concerne uniquement les procédures cantonales d'autorisation de poursuivre, l'art. 14 al. 1 de la loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires du 14 mai 1958 (loi sur la responsabilité, LRCF - RS - 170.32) donne la compétence aux commissions compétentes de l'Assemblée fédérale d'ouvrir une poursuite pénale contre des membres d'autorités ou des magistrats élus par l'Assemblée fédérale. L'art. 15 al. 1 LRCF prévoit différentes compétences pour les fonctionnaires : la délégation administrative de l’Assemblée fédérale pour le personnel des services du Parlement (let. a), la Commission administrative du tribunal concerné pour le personnel du Tribunal fédéral, du Tribunal pénal fédéral et du Tribunal administratif fédéral (let. b), l’autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération pour le personnel de son secrétariat (let. c), le procureur général pour le personnel du Ministère public de la Confédération qu’il a lui-même nommé et, finalement, le département fédéral de la justice pour le reste du personnel.

6.8 En l'espèce, s'agissant du grief de violation de l'art. 7 al. 2 let. b CPP, il convient d'emblée de constater que, si certains auteurs mettent en doute qu'une autre autorité qu'une autorité pénale puisse être compétente pour délivrer des autorisations de poursuivre des membres « non supérieurs », l'art. 7 al. 2 let. b CPP et la jurisprudence du Tribunal fédéral sont clairs : le droit fédéral permet de désigner une autorité non judiciaire. Les recourants le reconnaissent d'ailleurs en admettant que « le Tribunal fédéral semble toutefois admettre, sans le dire expressément, qu'un organe de nature purement politique pourrait être à même de prendre une décision dans laquelle seuls des critères de nature pénale seraient pris en compte ».

Par ailleurs, conformément à la jurisprudence, l'autorisation de poursuivre est une condition de recevabilité de la procédure pénale mais constitue une procédure administrative distincte, de sorte que sa conduite par une autorité non judiciaire ne se heurte en tant que telle pas au principe de la séparation des pouvoirs ni ne viole l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Reste dès lors à examiner si la compétence prévue du Grand Conseil est conforme à la Constitution cantonale.

Comme vu précédemment, la soumission à autorisation de la poursuite n'est prévue par la Constitution genevoise que pour les membres du Conseil d’État, de la magistrature du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes. Il en va naturellement de même pour la compétence du Grand Conseil, qui n'est donc prévue qu'en matière d'autorisation de la poursuite pénale des membres du Conseil d’État, de la magistrature du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes.

Se pose par conséquent la question de savoir si l'IN 194 est conforme à la répartition des compétences entre les trois pouvoirs telles que prévues par la Constitution cantonale, que toute loi doit respecter, sous peine de violation du principe de la séparation des pouvoirs tel que prévu par ladite Constitution.

Étant donné que l'art. 95 Cst-GE prévoit uniquement une compétence du Grand Conseil pour les élus du Conseil d'État, du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, il convient de se demander s'il est possible d'étendre cette compétence, par voie législative, au personnel de police tel que prévu par l'IN 194.

Initialement, la soumission à autorisation de la poursuite des membres du Conseil d'État, de la magistrature du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes était prévue uniquement dans la loi, soit dans la LREC puis la LaCP et la LSurv, pour ensuite être intégrée dans la nouvelle Constitution cantonale. Lors de l'introduction de cette autorisation, le législateur a examiné la possibilité de donner la compétence au Conseil d'État ou au Grand Conseil et a finalement opté pour le second, après examen de la situation dans les autres cantons mais aussi en raison de la qualité de ce dernier d'organe de surveillance des institutions politiques, prérogative qui lui incombait naturellement.

Si l'art. 95 Cst-GE ne concerne que les membres du Conseil d'État, de la magistrature du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, l'art. 94 Cst‑GE précise que le Grand Conseil exerce la haute surveillance sur le Conseil d'État, la gestion et l'administration du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, mais aussi sur l'administration. Or, c'est sur cette haute surveillance exercée par le Grand Conseil que repose la compétence de délivrance de l'autorisation, haute surveillance qui est exercée également sur l'administration, dont le personnel de police fait partie.

Par conséquent, même si l'art. 95 Cst-GE n'englobe pas le personnel de police, le fait de prévoir la soumission à autorisation est conforme à la répartition des compétences prévue par la Constitution cantonale, eu égard à la compétence du Grand Conseil de haute surveillance de l'administration, dont fait partie le personnel de police, prévue à l'art. 94 Cst-GE.

La compétence du Grand Conseil pour délivrer l'autorisation de poursuivre le personnel de police telle que prévue par l'IN 194 est dès lors conforme à la Constitution cantonale et à la répartition des compétences prévue par celle‑ci, ainsi que, par voie de conséquence, au principe de la séparation des pouvoirs.

Le grief sera partant écarté.

7.             Les recourants se plaignent ensuite d'une violation du droit international, les art. 2 et 3 CEDH imposant de diligenter une enquête officielle et indépendante sur les violations de ces deux articles, en particulier en cas de violations imputables à des agents de l'État.

7.1 Tout être humain a droit à la vie (art. 2 § 1 1re phr. CEDH ; art. 10 al. 1 1re phr. Cst.). La torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits (art. 3 CEDH , art. 10 al. 3 Cst.). Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable (art. 29 al. 1 Cst. ; voir également art. 6 § 1 CEDH).

7.2 La jurisprudence reconnaît aux personnes qui se prétendent victimes de traitements prohibés au sens notamment des art. 10 al. 3 Cst. ou 3 CEDH, d'une part, le droit de porter plainte et, d'autre part, un droit propre à obtenir une enquête prompte et impartiale devant aboutir, s'il y a lieu, à la condamnation pénale des responsables. La victime de tels traitements peut également bénéficier d'un droit de recours, en vertu des mêmes dispositions (ATF 138 IV 86 consid. 3.1.1 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1444/2021 du 17 mai 2022 consid. 1.3 ; 6B_546/2021 du 11 avril 2022 consid. 1.3 ; 6B_1063/2021 du 10 novembre 2021 consid. 2.2 ; 6B_307/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4.1 non publié aux ATF 146 IV 76).

Pour tomber sous le coup de ces dispositions, un mauvais traitement doit en principe être intentionnel et atteindre un minimum de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1/2022 du 22 août 2022 consid. 2.1 ; 6B_1444/2021 du 17 mai 2022 consid. 1.3 ; 6B_546/2021 du 11 avril 2022 consid. 1.3 ; 6B_1229/2021 du 17 janvier 2022 consid. 5 ; 6B_1063/2021 du 10 novembre 2021 consid. 2.2 ; 6B_1199/2020 du 23 septembre 2021 consid. 1.4.1 ; 6B_307/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4.1 non publié aux ATF 146 IV 76).

Ces exigences doivent valoir a fortiori lorsque l'intéressé est décédé des suites d'un traitement prétendument inapproprié : le droit à la vie, tel qu'il est garanti aux art. 2 CEDH et 10 al. 1 Cst., implique notamment une obligation positive pour les États parties de préserver la santé et la vie des personnes placées sous sa responsabilité (ATF 146 IV 76 consid. 4.2 ; 136 IV 97 consid. 6.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1055/2020, 6B_823/2021 du 13 juin 2022 consid. 3.3.2). Ce droit nécessite manifestement une protection juridique accrue (ATF 135 I 113 consid. 2.1) en particulier lorsque le recours à la force par des agents de l'État a entraîné une mort d'homme (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [ci-après : ACEDH] McCann contre Royaume-Uni du 27 septembre 1995, Série A vol. 324 ; ATF 138 IV 86 consid. 3.1.2). Ces dispositions sont appliquées la plupart du temps dans des cas où l'individu est soumis à des actes de violence infligés par des agents de police ou de détention (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1204/2019 du 14 novembre 2019 consid. 2.3 ; 6B_473/2017 du 23 janvier 2018 consid. 1.2 ; 6B_170/2017 du 19 octobre 2017 consid. 1.3.1).

7.3 Ni la Constitution fédérale ni la CEDH n'excluent des conditions procédurales pour une poursuite pénale (ATF 149 IV 183 consid. 4.3). Néanmoins, des privilèges concédés dans le cadre de la poursuite pénale, tels que les immunités des parlementaires et des magistrats peuvent entrer en conflit avec les art. 10 al. 1 Cst. et 2 § 1 CEDH qui prévoient d'une manière générale la poursuite et la condamnation des auteurs d'homicides (ATF 135 I 113 consid. 2.2 in JdT 2009 IV 104, p. 107). Il découle de la protection de la vie humaine garantie par la Constitution et le droit conventionnel que l'État ne peut pas sans autre protéger le privilège de la poursuite pénale du prévenu d'un homicide mais qu'il doit mettre en balance les intérêts à ce que la poursuite pénale soit menée et ceux à ce qu'il lui soit fait obstacle. Sous l'angle de la procédure, il s'ensuit que les proches de la victimes, protégés par les art. 10 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CEDH, doivent être associés, en qualité de parties, à la procédure qui va statuer sur l'ouverture d'une enquête pénale contre un prévenu qui bénéficie d'un privilège de poursuite, indépendamment du droit procédural qui s'y rapporte. C'est ainsi que leur reviennent les droits procéduraux garantis par le droit constitutionnel et conventionnel. Ils ont ainsi notamment le droit d'être entendus et d'obtenir une décision motivée (ATF 135 I 113 consid. 2.2 in JdT 2009 IV 104, p. 108). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a retenu qu'à la lumière du droit à la vie garanti par droit constitutionnel et conventionnel, le Parlement zurichois aurait été tenu d'accorder les mêmes droits aux deux parties et de motiver sa décision, ce qui était sans autre possible et exigible du Parlement en sa qualité d'autorité politique, qui acceptait la proposition motivée de sa commission de justice ou une contre‑proposition motivée d'un de ses membres et l'érige ensuite en décision avec la motivation (ATF 135 I 113 consid. 2.3 in JdT 2009 IV 104, p. 108).

7.4 Dans le cas de poursuites qui ne sont engagées que sur plainte ou qui sont soumises à autorisation, la procédure préliminaire n’est introduite que lorsque la plainte pénale est déposée ou que l’autorisation a été donnée (art. 303 al. 1 CPP). L’autorité compétente peut prendre, avant le dépôt de la plainte pénale ou l’octroi de l’autorisation, les mesures conservatoires qui ne souffrent aucun retard (art. 303 al. 2 CPP).

La procédure préliminaire se compose de la procédure d’investigation de la police et de l’instruction conduite par le Ministère public (art. 299 al. 1 CPP). La procédure préliminaire est introduite : par les investigations de la police (let. a), par l’ouverture d’une instruction par le Ministère public (let. b ; art. 300 al. 1 CPP). Lors de ses investigations, la police établit les faits constitutifs de l’infraction; ce faisant, elle se fonde sur les dénonciations, les directives du Ministère public ou ses propres constatations (art. 306 al. 1 CPP). La police doit notamment mettre en sûreté et analyser les traces et les preuves (let. a), identifier et interroger les lésés et les suspects (let. b), appréhender et arrêter les suspects ou les rechercher si nécessaire (let. c ; art. 306 al. 2 CPP). La police informe sans retard le Ministère public sur les infractions graves et tout autre événement sérieux (art. 307 al. 1 1re phr. CPP). Le Ministère public peut en tout temps donner des directives et confier des mandats à la police ou se saisir d’un cas. Dans les cas visés à l’al. 1, le Ministère public conduit lui-même, dans la mesure du possible, les premières auditions importantes. (art. 307 al. 2 CPP). La police établit régulièrement des rapports écrits sur les mesures qu’elle a prises et les constatations qu’elle a faites et les transmet immédiatement après ses investigations au Ministère public avec les dénonciations, les procès-verbaux, les autres pièces, ainsi que les objets et les valeurs mis en sûreté (art. 307 al. 3 CPP). Le Ministère public ouvre une instruction lorsqu’il ressort du rapport de police, des dénonciations ou de ses propres constatations des soupçons suffisants laissant présumer qu’une infraction a été commise (let. a), lorsqu’il ordonne des mesures de contrainte (let. b), lorsqu’il est informé par la police conformément à l’art. 307 al. 1 CPP (let. c ; art. 309 al. 1 CPP). Le Ministère public ouvre l’instruction par une ordonnance dans laquelle il désigne le prévenu et l’infraction qui lui est imputée. L’ordonnance n’a pas à être motivée ni notifiée. Elle n’est pas sujette à recours (art. 309 al. 3 CPP).

7.5 Le principe ancré à l'art. 303 al. 1 CPP revient à une condition absolue d’ouverture. Tout acte relevant de la procédure préliminaire accompli avant le dépôt de plainte est en principe illicite (Loïc PAREIN in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 1 ad art. 303 ; Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 33 ad art. 7). Il arrive cependant que la procédure préliminaire ait démarré avant que la procédure d’autorisation n’ait été engagée, soit par négligence de l’autorité de poursuite, soit surtout parce que c’est en cours de procédure que cette autorité prend conscience du fait que les conditions de l'art. 7 al. 2 let. b CPP et de la disposition cantonale d’application sont réunies (Robert ROTH/Katia VILLARD in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 34 ad art. 7). Le vice résultant de l’absence d’autorisation de poursuivre un fonctionnaire est réparé lorsqu’une autorité cantonale supérieure disposant d’un plein pouvoir de cognition tant sur l’établissement des faits que sur l’application du droit requiert une telle autorisation au début de la procédure de recours (ATF 137 IV 161 consid. 2.5 in JdT 2014 IV 66, p. 69 s.). Est excepté le cas particulier de l'autorisation donnée la veille des débats cas dans lequel une condition positive de recevabilité peut faire défaut de manière définitive. Le tribunal confronté à un défaut d’autorisation non admissible doit prononcer un classement conformément à l'art. 329 al. 4 CPP (Laurent MOREILLON/Aude PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 2a ad art. 303 ; Loïc PAREIN in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 1 ad art. 303). En cas d’urgence, les mesures de sûretés qui s’imposent peuvent être prises préalablement au dépôt de la plainte ou à l’octroi de l’autorisation (art. 303 al. 2 CPP). Il s’agit de préserver les preuves qui pourraient disparaître (prélèvements de traces, saisie de documents ou objets). Si l’autorité de poursuite pénale est la police, il y a lieu de se référer aux art. 306 al. 2 et 307 al. 3 CPP pour cerner les actes susceptibles d’être accomplis. L’exception doit être admise avec réserve à la lumière du principe de proportionnalité. Il peut, par exemple, s’avérer nécessaire d’entendre sans attendre un touriste qui s’apprête à quitter le territoire. Toute opération est en revanche exclue lorsque les conditions d’ouverture de la poursuite ne sont manifestement pas susceptibles d’être remplies, notamment lorsque le délai de plainte est à l’évidence dépassé (Laurent MOREILLON/Aude PAREIN‑REYMOND, op. cit., n. 4 s. ad art. 303 ; PAREIN in Yvan JEANNERET/André KUHN/Camille PERRIER DUPEURSINGE [éd.], op. cit., n. 4 ad art. 303).

7.6 Dans une affaire de levée d'immunité relevant de l'art. 95 Cst., concernant un Conseiller d'État, le Grand Conseil a été saisi d'une demande de levée d'immunité le 30 août 2018 et l'immunité a été levée le 20 septembre 2018 (JTDP/190/2021 du 22 février 2021 consid. B.cb). Auparavant, il y avait eu un rapport de la brigade financière le 21 août 2017 (consid. B.a). Le Ministère public avait ensuite invité le Conseiller d'État concerné à se déterminer par écrit sur ce rapport, ce que ce dernier avait fait les 20 novembre 2017 et 5 janvier 2018 (consid. B.ba). Le Conseiller d'État avait ensuite demandé à être entendu par la commission de contrôle de gestion du Grand Conseil, ce qui avait été fait le 14 mai 2018 (consid. B.bd). Le Ministère public a ensuite entendu comme prévenu une tierce personne le 30 août 2018 (consid. B.be) et a demandé à la suite de cette audition la levée de l'immunité du Conseiller d'État en cause (consid. B.cb).

7.7 Les séances plénières du Grand Conseil sont publiques (art. 8 al. 1 LIPAD). Elles se tiennent à huis clos notamment lorsque le Grand Conseil se prononce sur les demandes de levée d’immunité (art. 8 al. 2 let. c LIPAD).

Lorsque les séances d’une institution ont lieu à huis clos, les délibérations et votes doivent rester secrets, sauf disposition légale contraire (art. 7 al. 1 LIPAD). Une institution peut décider de cas en cas d’admettre la présence de tierces personnes à des séances à huis clos lorsqu’une loi le lui permet et qu’un intérêt prépondérant le justifie. Elle assortit cette décision des charges nécessaires à la sauvegarde des intérêts justifiant le huis clos (art. 7 al. 2 LIPAD). Dans la mesure où un intérêt public ou privé prépondérant le justifie, les décisions prises à huis clos font l’objet d’une information adéquate respectueuse des intérêts justifiant le huis clos (art. 7 al. 3 LIPAD).

7.8 En l'espèce, les recourants se plaignent, par rapport à l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4, que la soumission à autorisation du Grand Conseil de toute poursuite contre le personnel de police en lien avec l'exercice de ses fonctions constituerait une entrave à l'indépendance formelle et matérielle de l'organe d'enquête judiciaire, qui ne se justifierait par aucun motif théorique ou pratique, de sorte qu'elle ne serait pas nécessaire dans une société démocratique.

Néanmoins, comme vu précédemment, la procédure d'autorisation est une procédure distincte et préalable qui ne viole pas la séparation des pouvoirs ni ne porte atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire et en particulier des juridictions pénales. Une enquête officielle et indépendante est par conséquent menée, mais après octroi de l'autorisation.

Par ailleurs, comme le précise expressément l'arrêté du Conseil d'État s'agissant de l'interprétation de l'initiative et conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour le personnel de police, seuls des motifs pénaux pourront être pris en considération et l'autorisation devra être délivrée lorsqu'un comportement susceptible d'entraîner des conséquences pénales sera un minimum vraisemblable.

Ainsi interprété, l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 et 4 n'est pas susceptible de se heurter à l'exigence d'enquête officielle et indépendante, puisque l'autorisation devra être délivrée déjà en cas de faibles soupçons d'une infraction, ce qui ouvrira la voie à l'enquête officielle et indépendante.

Le grief sera par conséquent écarté.

7.9 Les recourants invoquent ensuite l'obligation d'agir avec célérité, qui découle de la CEDH, la justice pénale devant pouvoir prendre des mesures immédiates.

Or, l'art. 303 al. 2 CPP prévoit expressément ce cas de figure et autorise la prise des mesures conservatoires qui ne souffrent aucun retard par les autorités pénales avant l'octroi de l'autorisation.

En outre, s'il est indéniable qu'une autorité pénale serait plus à même de se saisir rapidement de la question de la délivrance ou non d'une autorisation de poursuivre et de la trancher avec célérité, le cas objet du JTDP/190/2021, certes distinct puisqu'il concerne un élu, démontre néanmoins que le Grand Conseil peut, en présence d'une demande de levée d'immunité, agir dans un délai beaucoup plus restreint que ne le nécessiterait son fonctionnement ordinaire et que les dispositions topiques peuvent être interprétées de manière conforme au droit supérieur, puisque dans ce cas, le Ministère public avait déjà procédé à des actes d'instruction avant de solliciter la levée de l'immunité.

Ces deux éléments combinés démontrent que l'institution d'une autorisation de poursuite n'est pas d'emblée contraire à l'art. 2 ou 3 CEDH et qu'une mise en pratique conforme à ces articles est possible.

Le grief sera partant également écarté.

7.10 Finalement, les recourants invoquent une violation de l'exigence de transparence du processus d'enquête selon la CEDH.

Cependant, le processus d'enquête relève des autorités pénales qui seront soumises aux exigences de la CEDH une fois l'autorisation de poursuivre accordée.

Pour le reste, malgré le huis clos, l'art. 7 al. 2 LIPAD permet d'aménager l'exercice du droit d'être entendu de toutes les parties, nécessité que l'arrêté du Conseil d'État souligne également, et l'art. 7 al. 3 LIPAD permet lui de garantir l'information du public.

Dans ces circonstances, le grief sera aussi écarté sous cet angle et il sera constaté que l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 à 5 tel qu'interprété par le Conseil d'État, combiné aux différentes dispositions applicables en vigueur, permettent une interprétation conforme au droit constitutionnel et conventionnel. Moyennant cette interprétation, il doit donc être considéré comme conforme au droit supérieur.

8.             Reste à examiner les conséquences de la violation du droit constatée s'agissant de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2.

8.1 Selon l’art. 60 al. 4 Cst-GE, l’initiative dont une partie n’est pas conforme au droit est déclarée partiellement nulle si la ou les parties qui subsistent sont en elles-mêmes valides, l’initiative étant, à défaut, déclarée nulle.

8.2 L’invalidation partielle d’une initiative découle du principe selon lequel une initiative doit être interprétée dans le sens le plus favorable aux initiants, selon l’adage in dubio pro populo, et constitue une concrétisation, en matière de droits populaires, du principe général de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst.) qui veut que l’intervention étatique porte l’atteinte la plus restreinte possible aux droits des citoyens, et que les décisions d’invalidité soient autant que possible limitées en retenant la solution la plus favorable aux initiants.

Ainsi, lorsque seule une partie de l’initiative paraît inadmissible, la partie restante peut subsister comme telle, pour autant qu’elle forme un tout cohérent, qu’elle puisse encore correspondre à la volonté des initiants et qu’elle respecte en soi le droit supérieur. L’invalidité d’une partie de l’initiative ne doit entraîner celle du tout que si le texte ne peut être amputé sans être dénaturé (ATF 134 I 172 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_146/2020 du 7 août 2020 consid. 4.1).

8.3 L’invalidation partielle est soumise à deux conditions, l’une subjective, l’autre objective. Il faut en premier lieu que l’on puisse raisonnablement admettre que les signataires auraient aussi approuvé la partie valable de l’initiative, si elle leur avait été présentée seule (ATF 125 I 21 consid. 7b). Il faut en second lieu qu’amputée de certaines parties viciées, les dispositions restantes représentent encore un tout assez cohérent pour avoir une existence indépendante et correspondre à l’objectif principal initialement visé par les initiants, tel qu’il pouvait être objectivement compris par les signataires (ATF 130 I 185 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_146/2020 précité consid. 4.1).

8.4 En l'espèce, les ch. 1 et 2 de l'art. 38 bis al. 1, contraires au droit, doivent être invalidés.

Il s'agit donc de déterminer si une invalidation partielle est possible.

En l'occurrence, les deux parties de l'initiative, soit l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 d'une part et l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 à 5 tels que validés par le Conseil d'État d'autre part, concernent deux aspects distincts de l'immunité proposée par les initiants, soit, d'une part, l'autorisation pour entendre un membre du personnel de police à un autre titre que prévenu et, d'autre part, l'autorisation de poursuivre le membre du personnel de police lui-même. Les signataires auraient sans aucun doute approuvé la deuxième partie même si elle leur avait été présentée sans la première.

Par ailleurs, même sans les ch. 1 et 2, l'art. 38 bis al. 1 ch. 3 à 5 tel que validé par le Conseil d'État demeure cohérent, forme un tout et reste conforme à l'objectif des initiants de « protéger la police qui nous protège » en lui conférant une immunité relative, soit en soumettant une poursuite en lien avec l'exercice de la fonction à autorisation du Grand Conseil.

Ce qui précède mène à une invalidation partielle de l'IN 194, soit l'invalidation de son art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2.

Dans ces circonstances, le recours sera partiellement admis, l'arrêté du Conseil d'État sera annulé en tant qu'il valide l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 tel que prévu par l'IN 194 et cette dernière sera invalidée partiellement, par la suppression de son art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2.

9.             Vu l'issue du litige, deux émoluments, réduits, de CHF 1'000.- chacun seront mis, d'une part, à la charge du comité, qui succombe partiellement, et, d'autre part, à la charge solidaire des recourants, qui succombent également partiellement (art. 87 al. 1 LPA). Vu cette même issue, une indemnité de procédure, également réduite, de CHF 1'000.- sera allouée aux recourants, pris conjointement, à la charge du comité et une autre indemnité de procédure réduite, du même montant, sera allouée au comité, à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2023 par B______ et C______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 11 octobre 2023 validant partiellement l'initiative populaire législative cantonale 194 « Oui, je protège la police qui me protège ! » ;

au fond :

admet partiellement, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 13 novembre 2023 par B______, C______ et A______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 11 octobre 2023 validant partiellement l'initiative populaire législative cantonale 194 « Oui, je protège la police qui me protège ! » ;

annule l'arrêté du Conseil d'État du 11 octobre 2023 en tant qu'il valide l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 prévu par l'initiative populaire législative cantonale 194 « Oui, je protège la police qui me protège ! » ;

le confirme pour le surplus ;

invalide partiellement l'initiative populaire législative cantonale 194 « Oui, je protège la police qui me protège ! » par suppression de l'art. 38 bis al. 1 ch. 1 et 2 qu'elle prévoit ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge du COMITÉ D'INITIATIVE 194 « OUI, JE PROTÈGE LA POLICE QUI ME PROTÈGE ! » ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de B______, C______ et A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à B______, C______ et A______, pris conjointement, à la charge du COMITÉ D'INITIATIVE 194 « OUI, JE PROTÈGE LA POLICE QUI ME PROTÈGE ! » ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- au COMITÉ D'INITIATIVE 194 « OUI, JE PROTÈGE LA POLICE QUI ME PROTÈGE ! », à la charge solidaire de B______, C______ et A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Raphaël ROUX, avocat des recourants, à D______et E______, représentants du COMITÉ D'INITIATIVE 194 « OUI, JE PROTÈGE LA POLICE QUI ME PROTÈGE ! », ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Philippe KNUPFER, Michèle PERNET, juges

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la secrétaire-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :